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08/10/1998 | FRANCE | N°1996-1936

France | France, Cour d'appel de Versailles, 08 octobre 1998, 1996-1936


Monsieur Charles X... a acquis le 31 juillet 1964 une maison située à GALLUIS (Yvelines), 2 rue de la Tuilerie, 78490 MONTFORT-L'AMAURY.

Par acte sous seing privé du 7 décembre 1979, il a déclaré reconnaître à Monsieur Y... Z... (co-signataire dudit acte) "la pleine et entière et irrévocable propriété" de ladite maison.

L'acte précisait : "Cette cession définitive est consentie en contrepartie d'avances successives faites à moi par Y... Z... durant les années 1977, 1978, 1979. Il est bien entendu que la maison est cédée en l'état. Sur ma demande et pour conve

nances familiales, les actes administratifs seront établis et enregistrés cour...

Monsieur Charles X... a acquis le 31 juillet 1964 une maison située à GALLUIS (Yvelines), 2 rue de la Tuilerie, 78490 MONTFORT-L'AMAURY.

Par acte sous seing privé du 7 décembre 1979, il a déclaré reconnaître à Monsieur Y... Z... (co-signataire dudit acte) "la pleine et entière et irrévocable propriété" de ladite maison.

L'acte précisait : "Cette cession définitive est consentie en contrepartie d'avances successives faites à moi par Y... Z... durant les années 1977, 1978, 1979. Il est bien entendu que la maison est cédée en l'état. Sur ma demande et pour convenances familiales, les actes administratifs seront établis et enregistrés courant 1980. Cependant, je m'engage à réaliser l'opération, sous forme authentique, à première réquisition éventuelle."

Cet accord a été réitéré par Monsieur X... le 22 janvier 1980 dans une attestation où il déclare : "consécutivement à (l') acte signé irrévocablement en décembre 1979", donner total accord à Y... Z... ... "pour opérer et traiter à sa convenance toutes opérations :

changements, modifications, transformations, agrandissements, domiciliations administratives et pratiques à la maison et au terrain situés 2 rue de la Tuilerie - GALLUIS."

En outre, le 15 avril 1981, Monsieur X... a donné à son notaire, Maître BENZAKEN, une procuration (en blanc) à l'effet de "vendre" l'immeuble à Monsieur Y... Z....

Le bien dont il s'agit a été occupé dès 1979 par Monsieur Z..., et, postérieurement à son décès, survenu le 19 novembre 1985, par l'un de ses co-héritiers, Monsieur A... B....

L'hypothèque dont ce bien était grevé au profit du TRESOR PUBLIC en vertu d'une inscription prise le 9 juillet 1976 a été levée le 5 juillet 1983, mais les héritiers de Monsieur Z... ont sollicité en vain la régularisation de la vente, par l'intermédiaire de leur

conseil.

Monsieur X... leur a bien au contraire notifié une sommation de déguerpir avec assignation en expulsion devant le tribunal de grande instance de VERSAILLES, selon actes des 20 et 22 octobre 1993 et 21 décembre 1993.

Seule l'une des co-héritières, Madame Jeannine B..., ne comparaîtra pas devant le tribunal qui, par jugement du 8 janvier 1996, a :

- débouté Monsieur X... de ses demandes,

- dit que l'acte conclu le 7 décembre 1979 entre Monsieur Charles X... et Monsieur Y... B... dit Z... est une dation en paiement opérant transfert de propriété au profit de celui-ci, d'un immeuble sis à GALLUIS (Yvelines), lieudit "LE VILLAGE", cadastré V n° 313 pour 17 ares et 80 centiares, acquis des époux C... suivant acte du 13 février 1964, de Maître LABADIE, notaire, publié le 5 mars 1964, volume 4869, n° 31,

- ordonné en conséquence la publication du jugement qui vaudra et opérera transfert de propriété au profit de :

o

Monsieur Nessim Meyer A... B... époux de Madame Pierrette Yvette D..., né le 12 décembre 1932 à ORAN (Algérie), demeurant Cité Gagarine - Bâtiment L - Escalier 1 -93230 ROMAINVILLE,

o

Monsieur Gabriel Isaac Claude B... veuf non remarié de Madame Christiane Suzanne Florine Y..., né le 25 mars 1935 à ORAN (Algérie), demeurant 19 rue Marboeuf 75008 PARIS,

o

Madame Lise Biba B... veuve non remariée de Monsieur Fernand E..., née le 24 janvier 1930 à ORAN (Algérie), prise en la personne de son gérant de tutelle, Monsieur Guy F..., demeurant

75016 PARIS,

o

Madame Jeannine Sarah Esther B... épouse de Monsieur André Fridja G..., née le 14 janvier 1929 à ORAN (Algérie),

- condamné Monsieur Charles X... au paiement, exceptée Madame Jeannine B... épouse G..., non constituée, des sommes de 40.000 francs à titre de dommages-intérêts et de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamné Monsieurs Charles X... aux dépens.

Appelant de cette décision, Monsieur X... demande à la Cour, en l'infirmant et en statuant à nouveau, selon ses premières écritures, de :

- débouter les consorts B... de leurs demandes, fins et conclusions,

- dire que l'acte du 7 décembre 1979 n'est pas constitutif d'une dation en paiement,

- prononcer l'expulsion des consorts B... sous astreinte de 500 francs par jour de retard, et ordonner la séquestration de tous biens et meubles garnissant la maison,

- condamner Messieurs A... et Claude B... et Madame Lise B... veuve E... au paiement d'une somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dans ses conclusions ultérieures, Monsieur X... demande en outre à la Cour de :

- dire et juger que le document du 7 décembre 1979, s'il constituait une promesse de vente, serait entaché de nullité faute de prix,

- dire et juger qu'il n'y a pas eu de dation en paiement, les termes employés dans les documents concernant une vente, le transfert n'ayant pas été immédiat et le montant de l'obligation de payer à éteindre n'étant ni chiffré, ni déterminé,

- subsidiairement, dire que la dation en paiement est entachée de nullité faute de l'indication chiffrée du montant des avances.

Messieurs A... et Claude B... et Madame Lise B... veuve E..., intimés, concluent à la confirmation du jugement déféré et demandent à la Cour, en y ajoutant, de condamner Monsieur Charles X... à leur verser, chacun, la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts supplémentaires (soit au total 60.000 francs), outre la somme de 10.000 francs chacun (soit au total 30.000 francs) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. L'association COJASOR est intervenue volontairement à l'instance, en qualité de gérant de tutelle de Madame Lise B... veuve E..., en lieu et place de Monsieur Guy F..., et a fait siennes les conclusions signifiées antérieurement dans l'intérêt de Madame Lise E....

Madame Jeannine H... n'a pas constitué avoué mais a été dûment assignée devant la Cour, selon acte d'assignation avec notification de conclusions converti en procès-verbal de l'article 659 du nouveau code de procédure civile le 31 janvier 1997.

Il sera dans ces conditions statué par arrêt réputé contradictoire, en application des dispositions de l'article 474 du nouveau code de procédure civile.

SUR CE,

Considérant qu'il convient de donner acte à l'association COJASOR de son intervention volontaire, ès-qualités de gérant de tutelle de Madame Lise B... veuve E..., en lieu et place de Monsieur Guy F... ;

Considérant qu'aux termes de l'acte sous seing privé signé le 7 décembre 1979 par Monsieur Y... Z... et Monsieur Charles X..., ce dernier a clairement déclaré reconnaître à Monsieur

Z... "la pleine et entière et irrévocable" propriété de l'immeuble situé à GALLUIS, 2 rue de la Tuilerie ;

Qu'il y est précisé que cette cession définitive est consentie en contrepartie d'avances successives que lui avait faites Monsieur Y... Z... durant les années 1977, 1978, 1979 ;

Que les consorts B..., reprenant le thèse accueillie par les premiers juges, analysent cette opération comme une dation en paiement ;

Considérant que Monsieur X... objecte que l'acte du 7 décembre 1979 n'emploie pas le terme de dation en paiement et qu'il doit en réalité être qualifié de promesse de vente entachée de nullité, faute de prix ;

Qu'il soutient encore que les conditions de la dation en paiement ne sont pas remplies, le transfert du bien n'ayant pas été immédiat, et le montant de l'obligation de payer à éteindre n'étant ni chiffré, ni déterminé ;

Qu'il conteste en outre avoir perçu des avances ou le moindre denier de Monsieur Z..., en alléguant que celui-ci a toujours été démuni d'argent et qu'il a toujours été tributaire de lui ;

Or considérant que la dation en paiement s'entend d'un mode de paiement en vertu duquel le débiteur d'une obligation préexistante s'acquitte de sa dette en remettant au créancier, avec son accord, une chose autre que celle qui était prévue à la convention ;

Qu'en l'occurrence, il résulte incontestablement des termes de l'acte du 7 décembre 1979 que la cession du bien immobilier dont Monsieur X... était propriétaire à GALLUIS a été consentie à Monsieur Z... en vue d'éteindre la créance qu'il détenait à l'égard de Monsieur X..., du fait d'avances successives qui lui avaient été faites en 1977, 1978, 1979 ;

Que ledit acte constate donc bien l'existence d'une dation en

paiement, intervenue entre Monsieur Z... et Monsieur X..., peu important que cette qualification n'ait pas été mentionnée dans l'acte lui-même ;

Et considérant que la Cour constate que l'acte du 7 décembre 1979 ne comporte pas la moindre clause ayant pour objet de différer la date du transfert de la propriété du bien, et qu'en particulier, il n'a pas été prévu que ce transfert n'interviendrait qu'au jour de la régularisation devant notaire ;

Que bien au contraire, la terminologie employée ("pleine et entière et irrévocable propriété"), outre l'occupation immédiate des lieux par Monsieur Z... et les pleins pouvoirs qui lui ont été donnés relativement aux biens cédés, selon l'attestation signée par Monsieur X... le 22 janvier 1980, conduisent à retenir que contrairement à la thèse de l'appelant, le transfert de propriété s'est opéré au jour même de l'acte, de la volonté des parties ;

Qu'il n'importe à cet égard que Monsieur X... ait continué à régler jusqu'à ce jour la taxe d'habitation et la taxe foncière relatives à l'immeuble objet du litige, l'assujettissement à la première de ces taxes étant étranger à la propriété elle-même, et l'assujettissement des consorts B... eux-mêmes à l'impôt foncier étant lié à la publication du transfert de propriété, laquelle n'a pu être opérée, faute de régularisation devant notaire ;

Considérant en outre que la dation en paiement n'implique pas au titre d'une condition de validité, que le montant de la dette qu'elle a pour objet d'éteindre soit déterminé et chiffré ;

Qu'il faut et qu'il suffit que cette dette soit suffisamment individualisée, qu'aucune ambigu'té n'existe sur sa consistance ;

Que tel est le cas de la dette mentionnée dans l'acte du 7 décembre 1979, laquelle correspond à toutes les avances qui ont été consenties par Monsieur B... à Monsieur X... au cours des années 1977,

1978, 1979 ;

Qu'il n'importe au demeurant que le pouvoir donné par Monsieur X... à son notaire, le 15 avril 1981, confie notamment au mandataire le soin de convenir du mode et des époques de paiement du prix, une telle mission n'ayant pas pour effet d'engendrer, en tout cas de façon opposable à Monsieur Z... et à ses héritiers, une indétermination sur la consistance même de la dette mentionnée dans l'acte du 7 décembre 1979 ;

Que s'il est vrai que Monsieur X... conteste la réalité même des avances dont il a pourtant fait l'aveu dans l'acte du 7 décembre 1979 - de telle sorte qu'il supporte la charge de la preuve contraire -, il ne produit néanmoins aucun élément ou commencement de preuve à l'effet d'établir que ces avances n'existaient pas en réalité, et se borne à des allégations tant sur la consistance des revenus qu'il tire de ses activités professionnelles, selon lui "disproportionnée par rapport à un besoin quelconque qu'il aurait pu éprouver", que sur la situation de fortune de Monsieur Z..., qu'il décrit comme un homme impécunieux, qui aurait toujours été dépendant de lui ;

Considérant que Monsieur X... reproche encore aux premiers juges d'avoir statué ultra petita, en constatant au profit de Madame Jeannine B... épouse G... le transfert de la propriété litigieux, alors pourtant qu'elle n'avait pas constitué avocat et qu'elle s'était désolidarisée de ses frères et soeur pour ne rien revendiquer ;

Mais considérant que s'agissant d'un bien dépendant de la succession de Monsieur B..., le tribunal ne pouvait pas exclure Madame Jeannine G... du transfert qu'il a constaté, puisqu'elle fait partie des héritiers, peu important qu'elle n'ait elle-même émis aucune revendication sur le bien concerné, d'où il suit que le grief n'est pas fondé ;

Considérant enfin que les premiers juges - abstraction faite de motifs tant singuliers qu'inopérants, tirés de l'image d'homme altruiste et généreux que Monsieur X... chercherait, selon eux, à se donner - ont pertinemment apprécié le dommage éprouvé par Messieurs A... et Claude B... et Madame Lise B... veuve E..., du fait de l'action injustifiée et des prétentions téméraires de Monsieur Charles X... ;

Qu'en outre, ils ont fait une juste application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Que le jugement déféré sera dans ces conditions confirmé en toutes ses dispositions et Monsieur Charles X... débouté de ses demandes ;

Considérant que le préjudice occasionné à Messieurs A... et Claude B... et à Madame Lise B... veuve E... du fait de l'appel injustement relevé par Monsieur Charles X... justifie l'octroi, au profit de chacun d'eux, d'une indemnité de 8.000 francs, l'équité commandant en outre de leur allouer une somme de 10.000 francs, chacun, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

RECOIT Monsieur Charles X... en son appel ;

DONNE ACTE au COMITE D'ACTION SOCIALE ET DE RECONSTRUCTION (association COJASOR) de son intervention volontaire, en qualité de gérant de tutelle de Madame Lise Biba B... veuve de Monsieur Fernand E..., en lieu et place de Monsieur Guy F... ;

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE Monsieur Charles X... à payer à Messieurs A... et

Claude B... et à Madame Lise B... veuve E..., prise en la personne de son gérant de tutelle, chacun, la somme de HUIT MILLE FRANCS (8.000 francs) à titre de dommages-intérêts complémentaires et celle de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

REJETTE les prétentions plus amples ou contraires des parties ;

CONDAMNE Monsieur Charles X... aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Monsieur Gérard MARTIN, Conseiller,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

Madame Catherine I..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-1936
Date de la décision : 08/10/1998

Analyses

PAIEMENT - Modalités - Dation en paiement - Chose remise - Immeuble

La dation en paiement s'entend d'un mode de paiement en vertu duquel le débiteur d'une obligation préexistante s'acquitte de sa dette en remettant au créancier, avec son accord, une chose autre que celle qui était prévue à la convention, sans qu'importe pour sa validité, ni la mention à l'acte de sa qualification de dation, ni la détermination et le chiffrage de la dette qu'elle a pour objet d'éteindre, sauf à ce que cette dernière soit suffisamment individualisée et qu'aucun doute n'existe quant à sa consistance. En l'espèce, lorsqu'il résulte des termes d'un acte sous seing privé qu'un bien immobilier est cédé par son propriétaire en "pleine et entière et irrévocable propriété" au profit d'un créancier "en contrepartie d'avances successives faites (au cédant par le créancier) durant les années 1977, 1978, 1979", un tel acte s'analyse en une dation en paiement d'une dette individualisée et définie dans sa consistance, sauf à celui qui avait fait l'aveu de ces avances à rapporter la preuve de leur inexistence. En l'absence de toute disposition de l'acte précité affectant ou conditionnant le transfert de propriété, sa signature a eu pour effet d'opérer le transfert de propriété le jour même, sans qu'importe à cet égard le règlement par le propriétaire originaire des taxes immobilières relatives à l'immeuble litigieux, la taxe d'habitation étant étrangère à la propriété elle-même, et l'assujettissement à la taxe foncière restant lié à la publication d'un transfert de propriété dont la régularisation devant notaire, au centre du litige, n'a pu être opérée


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-10-08;1996.1936 ?
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