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07/10/1998 | FRANCE | N°1997-21179

France | France, Cour d'appel de Versailles, 07 octobre 1998, 1997-21179


Madame X... a été mise à la disposition de la société NORMANDE DE PEINTURE par la société ECCO, entreprise de travail temporaire, selon divers contrats qui se sont succédés sans interruption du 22 juin 1992 au 14 avril 1995.

Le 14 avril 1995, terme du dernier contrat, la société NORMANDE DE PEINTURE a mis fin aux missions de Madame X....

Ladite société employait plus de dix salarié.

Le 9 novembre 1995 Madame X... a saisi le Conseil des Prud'hommes pour voir dire qu'elle avait un contrat à durée indéterminée et voir condamner la société NORMANDE DE PE

INTURE et la société ECCO à lui payer, en l'état de ses dernières demandes, les somme...

Madame X... a été mise à la disposition de la société NORMANDE DE PEINTURE par la société ECCO, entreprise de travail temporaire, selon divers contrats qui se sont succédés sans interruption du 22 juin 1992 au 14 avril 1995.

Le 14 avril 1995, terme du dernier contrat, la société NORMANDE DE PEINTURE a mis fin aux missions de Madame X....

Ladite société employait plus de dix salarié.

Le 9 novembre 1995 Madame X... a saisi le Conseil des Prud'hommes pour voir dire qu'elle avait un contrat à durée indéterminée et voir condamner la société NORMANDE DE PEINTURE et la société ECCO à lui payer, en l'état de ses dernières demandes, les sommes suivantes : - 8 450 F sur le fondement de l'article L124-7 du code du travail, - 101 400 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société ECCO TRAVAIL TEMPORAIRE a conclu à l'irrecevabilité des demandes formées par Madame X... à son encontre et, subsidiairement, si le contrat de celle-ci était requalifié en contrat à durée indéterminée, à la condamnation de Madame X... à lui payer les sommes suivantes : - 25 440,35 F à titre de remboursement des indemnités de précarité, - 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société NORMANDIE PEINTURE a également conclu à l'irrecevabilité des demandes de Madame X.... Elle a conclu subsidiairement à leur mal fondé.

Par jugement contradictoire rendu le 18 octobre 1996, le Conseil des Prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT a condamné la société NORMANDE DE PEINTURE à verser Madame X... les sommes suivantes : - 8 450 F au titre de l'article L124-7 du code du travail, - 101 400 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - 3 000

F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, a condamné en outre ladite société à rembourser aux organismes concernés les allocations de chômage versées à Madame X... dans la limite de 6 mois d'indemnité, a débouté celle-ci de ses demandes à l'encontre de la société ECCO et a débouté celle-ci de ses demandes à l'encontre de Madame X....

Pour requalifier les contrats de Madame X... en contrat à durée indéterminée, le Conseil des prud'hommes a relevé que les contrats de mission, qui avaient pour objet de faire face à un accroissement temporaire d'activité de la société NORMANDE DE PEINTURE, avaient été renouvelés plus d'une fois et pour une durée excédant celle maximum de 18 mois prévue par l'article L 124-2-2 du code du travail.

Pour dire la demande de requalification dirigée à l'encontre de la société utilisatrice recevable, il a retenu, d'une part, que l'article L 124-7 du code du travail autorisait le salarié à faire valoir auprès de l'utilisateur les droits afférents à un contrat à durée indéterminée, d'autre part, que le fait que l'article L 124-7-1 du code du travail prévoie une procédure accélérée de saisine du Conseil des prud'hommes ne pouvait à lui seul priver le salarié de la possibilité de faire valoir ses droits postérieurement à l'expiration du dernier contrat de mission et qu'en outre ce même article L 124-7-1, tout en prévoyant une indemnité spécifique en cas de requalification du contrat, précisait que c'était sans préjudice des dispositions ayant trait à la résiliation des contrats à durée indéterminée.

Il a ajouté que le fait que les poursuites pénales engagées à l'encontre des dirigeants de la société NORMANDIE PEINTURE n'aient pas abouti du fait de la loi d'amnistie ne pouvait priver Madame X... de la possibilité d'exercer son recours à l'encontre de celle-ci, l'amnistie n'affectant pas l'existence des faits.

Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, il a retenu qu'il avait été mis fin aux relations contractuelles existant entre Madame X... et la société NORMANDE DE PEINTURE sans procédure de licenciement et que les reproches faits à la salariée et entraînant le non renouvellement de la mission de celle-ci, à savoir l'insuffisance professionnelle et la prise de boisson alcoolisée, n'étaient pas justifiés.

Pour rejeter la demande de remboursement des indemnités de précarité, il a retenu que sa décision intervenue après le licenciement de Madame X... ne remettait pas en cause les termes des relations de celle-ci avec la société ECCO et que faire droit à la demande de ladite société procurerait à celle-ci un avantage indu.

La société NORMANDE DE PEINTURE, appelante, soutient que la demande de requalification formée par Madame X... est tardive, ayant été engagée plus de 8 mois après l'expiration de la dernière mission de celle-ci et que Madame X... ne justifie pas du préjudice subi du fait de la rupture de leurs relations laquelle est justifiée par son insuffisance professionnelle et son comportement fautif.

Elle prétend par ailleurs que la société ECCO est responsable du fait que plusieurs contrats aient été conclus avec Madame X..., ayant un "contrôle total sur le déroulement des faits de la cause".

Elle soutient à titre subsidiaire, pour le cas où les contrats seraient requalifiées en contrat à durée indéterminée, que la somme de 25 440,35 F versée à Madame X... à titre d'indemnité de précarité devrait lui être restituée, en ayant supporté la charge.

Elle demande en conséquence à la Cour d'infirmer le jugement, de dire la demande de Madame X... irrecevable et mal fondée, subsidiairement de dire que celle-ci ne justifie pas d'un préjudice supérieur à 6 mois de salaire, de dire que l'entreprise ECCO sera tenue de la garantir de toute condamnation éventuelle et de dire que

Madame X... devra lui rembourser l'allocation de précarité perçue.

La société ADECCO, nouvelle enseigne de la société "ECCO TRAVAIL TEMPORAIRE" soutient que la demande présentée par Madame X... à son encontre est irrecevable au motif que les articles 124-7 et suivants du code du travail prévoient que les demandes de requalification en contrat à durée indéterminée doivent être dirigées contre l'utilisateur.

Elle soutient par ailleurs qu'elle n'a commis aucune faute et que la société NORMANDE DE PEINTURE a signé sous sa responsabilité les contrats de mission intérimaire en en acceptant les conditions générales.

Elle demande en conséquence à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame X... des demandes formées contre elle, de déclarer irrecevables et mal fondées les demandes de celle-ci à son égard et de débouter la société NORMANDE DE PEINTURE de sa demande de garantie.

Formant un appel incident, elle demande à la Cour, pour le cas où elle ferait droit à la demande de requalification de Madame X..., de condamner celle-ci à lui rembourser les indemnités de fin de mission, soit la somme de 25 440,35 F.

Elle sollicite en tout état de cause une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Madame X... demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société NORMANDE DE PEINTURE à lui verser les sommes suivantes : - 8 450 F à titre d'indemnité fondée sur l'article L 124-7-1 du code du travail, - 101 400 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L 122-14-4 du code du travail.

Elle lui demande d'infirmer le jugement pour le surplus et de

condamner ladite société à lui verser les sommes de : - 8 450 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, - 845 F à titre de congés payés y afférent, - 2 535 F à titre d'indemnité de licenciement, - 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. SUR CE

Sur le recevabilité de la demande de requalification :

Considérant que les dispositions régissant le travail en interim ont été édictées dans un souci de protection du salarié qui peut seul, avec l'AGS, se prévaloir de leur inobservation;

Considérant que le fait d'avoir accepté pendant plusieurs années des missions d'interim successives ne peut valoir renonciation de la salariée à former une demande de requalification;

Considérant que l'article 124-7 du code du travail précise que lorsqu'un utilisateur a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en violation caractérisée des dispositions des article L 124-2 à L 124-2-4 dudit code, ce salarié peut faire valoir auprès de l'utilisateur les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission;

Considérant qu'aucun texte ne précise le délai pendant lequel le salarié peut faire valoir lesdits droits et notamment n'impose à celui-ci de les exercer avant la rupture des relations contractuelles;

Considérant que les demandes de Madame X..., lesquelles sont dirigées contre la seule société utilisatrice, sont donc recevables; Sur la requalification :

Considérant que l'article L 124-2 du code du travail dispose que le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise utilisatrice, l'article L 124-2-2 du même code que, sauf

dans les cas précisés audit article, la durée totale du contrat ne peut excéder 18 mois, l'article L 124-7 que si la société utilisatrice continue à faire travailler un salarié temporaire au delà de la durée légale maximale visée par l'article L 124-2-2 , le salarié est réputé lié à la société utilisatrice par un contrat à durée indéterminée;

Considérant qu'il apparait des contrats de mise à disposition établis par la société ECCO, que du 22 juin 1992 au 14 avril 1995, soit pendant 34 mois, Madame X... a travaillé sans interruption en qualité de secrétaire sur le même poste de travail pour la société NORMANDE DE PEINTURE laquelle motivait ses recours aux salariés de la société ECCO par un accroissement temporaire d'activité;

Considérant que la durée légale maximale de 18 mois visée par l'article L 124-2-2 étant dépassée, le contrat de Madame X... est réputé à durée indéterminée et ce, depuis le 22 juin 1992, date d'entrée de celle-ci dans la société NORMANDE DE PEINTURE pour y effectuer sa 1ére mission;

Sur la rupture du contrat :

Considérant qu'il résulte du dossier que les relations de travail entre Madame X... et la société NORMANDE DE PEINTURE ont pris fin le 14 avril 1995 du fait de l'arrivée à son terme du dernier contrat de mission de Madame X...;

Considérant que ce contrat étant réputé à durée déterminée, la société NORMANDE DE PEINTURE n'aurait pu y mettre fin qu'en respectant la procédure de licenciement des articles 122-14 et suivants du code du travail et en envoyant à sa salariée une lettre motivée de licenciement;

Considérant que ladite lettre ayant pour objet de fixer les limites du litige, son absence suffit à rendre le licenciement abusif;

Considérant que la société NORMANDE DE PEINTURE doit en conséquence,

en application de l'article L 122-14-4 du code du travail, indemniser Madame X... du préjudice subi par elle du fait de la rupture de leurs relations contractuelles;

Considérant que Madame X..., qui percevait un salaire mensuel moyen de 8 450 F, justifie avoir perçu des indemnités de l'ASSEDIC jusqu'au mois de juillet 1998;

Considérant que le jugement, en ce qu'il condamne la société NORMANDE DE PEINTURE à lui payer une somme de 101 400 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s'ajoutant à celle de 8 450 F due au titre de l'article L 124-7-1 du code du travail sera donc confirmé;

Considérant que Madame X... a été licenciée de fait sans préavis; Considérant qu'elle avait dans l'entreprise une ancienneté supérieure à deux ans;

Considérant qu'il y a lieu dans ces conditions de faire droit à ses demandes de paiement d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés y afférent et d'indemnité de licenciement;

Sur l'indemnité de précarité :

Considérant que du fait de la qualification de ses contrats Madame X... a perçu des indemnités de fin de mission auxquelles elle n'avait pas droit et ce , pour un total de 25 440,35 F;

Considérant que cette somme a été intégrée dans le calcul des sommes réglées à la société ECCO par la société NORMANDE DE PEINTURE;

Considérant que le remboursement doit donc en être ordonné au profit de la société NORMANDE DE PEINTURE;

Sur la garantie de la société ECCO :

Considérant que la garantie financière que doit prendre l'entrepreneur de travail temporaire prévue par l'article L 124-8 du code du travail concerne, aux termes dudit article, les paiements

incombant audit entrepreneur et non les sommes éventuellement dues du fait des fautes commises;

Considérant, en toute hypothèse, que la société NORMANDE DE PEINTURE, qui a elle même employé Madame X... du 22 juin 1992 au 14 avril 1995 sans interruption sur le même poste de travail en motivant ses recours aux salariés de la société ECCO par un accroissement temporaire d'activité, ne devait pas ignorer que les missions de Madame X... excédant la durée de 18 mois, les contrats de celle-ci seraient réputés à durée indéterminée;

Considérant que la société ECCO n'avait aucune obligation de conseil à son égard;

Considérant qu'en l'absence de faute de la société ECCO, le recours en garantie de la société NORMANDE DE PEINTURE sera rejeté;

Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Considérant que l'équité commande de ne pas laisser à la salariée la charge de la totalité des frais engagés pour faire valoir ses droits devant le Conseil des Prud'hommes puis la Cour et de laisser aux sociétés NORMANDE DE PEINTURE et ADECCO la charge de la totalité des leurs;

Considérant que la société ADECCO sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et la société NORMANDE DE PEINTURE condamnée à verser à Madame X... une somme de 4 000 F à ce titre; PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement;

Y ajoutant,

Condamne Madame Viviane X... à rembourser à la SA NORMANDE DE PEINTURE la somme de 25 440,35 F (VINGT CINQ MILLE QUATRE CENT QUARANTE FRANCS ET TRENTE CINQ CENTIMES);

Condamne ladite société à payer à Madame Viviane X... les sommes suivantes : - 8 450 F (HUIT MILLE QUATRE CENT CINQUANTE FRANCS) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, - 845 F (HUIT CENT QUARANTE CINQ FRANCS) à titre de congés payés y afférent, - 2 535 F (DEUX MILLE CINQ CENT TRENTE CINQ FRANCS) à titre d'indemnité de licenciement, - 4 000 F (QUATRE MILLE FRANCS) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Déboute les parties de toute autre demande;

Condamne la SA NORMANDE DE PEINTURE aux dépens.

Et ont signé le présent arrêt, Madame BELLAMY, Président de Chambre et Madame Y..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-21179
Date de la décision : 07/10/1998

Analyses

TRAVAIL REGLEMENTATION - Travail temporaire - Contrat de mission - Requalification en contrat à durée indéterminée - Demande - Procédure officielle - /

En application de l'article 124-7 du code du travail, lorsqu'un utilisateur a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en violation caractérisée des dispositions des articles L 124-2 à L 124-2-4 du même code, ce salarié peut faire valoir auprès de l'utilisateur les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de la mission.Dès lors que la circonstance qu'un salarié a accepté pendant plusieurs années des missions successives ne peut valoir de sa part renonciation à former une demande de requalification du contrat, et qu'en outre, aucun texte ne précise le délai pendant lequel le salarié peut faire valoir ses droits, notamment en imposant à celui-ci de les exercer avant la rupture des relations contractuelles, la demande de requalification formée par un salarié contre l'entreprise utilisatrice, huit mois après la fin de la dernière mission, doit être déclarée recevable


Références :

articles L.124-7 et L.124-4 à L.124-2-4 du Code du travail

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-10-07;1997.21179 ?
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