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18/09/1998 | FRANCE | N°1997-4357

France | France, Cour d'appel de Versailles, 18 septembre 1998, 1997-4357


Le 13 août 1996, Madame X... épouse Y... a fait assigner Madame Z... épouse Y... devant le tribunal d'instance de RAMBOUILLET.

Madame X... épouse Y... a exposé qu'elle est l'épouse du fils de la défenderesse et que de leur union est née une enfant âgée de 3 ans, E ; qu'un conflit est survenu avec les grands-parents paternels de l'enfant, qui ont sollicité un droit de visite et d'hébergement devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de CHARTRES ; que lors de l'audience devant ce juge, le 20 juin 1996, Madame Z... épouse Y... a versé aux débats

une attestation sur l'honneur, rédigée de sa main et accompagnée d'u...

Le 13 août 1996, Madame X... épouse Y... a fait assigner Madame Z... épouse Y... devant le tribunal d'instance de RAMBOUILLET.

Madame X... épouse Y... a exposé qu'elle est l'épouse du fils de la défenderesse et que de leur union est née une enfant âgée de 3 ans, E ; qu'un conflit est survenu avec les grands-parents paternels de l'enfant, qui ont sollicité un droit de visite et d'hébergement devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de CHARTRES ; que lors de l'audience devant ce juge, le 20 juin 1996, Madame Z... épouse Y... a versé aux débats une attestation sur l'honneur, rédigée de sa main et accompagnée d'un document d'état civil, remise à son avocat pour communication, dont les termes étaient injurieux et calomnieux à son encontre ; que les allégations contenues dans cette attestation lui ont causé un grave préjudice moral pour lequel elle devait être indemnisée.

Elle a donc demandé au tribunal de condamner Madame Z... épouse Y... à lui payer la somme de 30.000 Francs à titre de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil et celle de 6.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame Z... épouse Y... a répliqué qu'elle avait été préalablement insultée par sa belle-fille, qui avait mis en cause son état mental lors de l'enquête sociale ordonnée par le juge aux affaires familiales ; qu'en droit, la lettre versée aux débats constitue une simple version des faits à l'appui de sa demande ; que Madame X... épouse Y... n'a pas sollicité son rejet des débats ; que la présente assignation en paiement de dommages-intérêts a été délivrée pour étayer la procédure d'appel contre l'ordonnance rendue par le juge aux affaires

familiales faisant droit à sa demande de droit de visite et d'hébergement concernant sa petite fille.

A titre reconventionnel, elle a sollicité la condamnation de Madame X... épouse Y... à lui payer la somme de 10.000 Francs à titre de dommages-intérêts et celle de 7.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement en date du 25 février 1997, le tribunal d'instance de RAMBOUILLET a rendu la décision suivante:

- déboute Madame C X... épouse Y... de sa demande, - déboute Madame M Z... épouse Y... de sa demande reconventionnelle, - condamne Madame C X... épouse Y... à payer Madame M A... épouse Y... la somme de DEUX MILLE FRANCS (2.000 Francs) en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civil, - et aux dépens.

Le 20 mai 1997, Madame X... épouse Y... a interjeté appel.

Elle soutient que si le tribunal a justement rappelé que des propos attentatoires à l'honneur ou à la considération peuvent constituer

une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, il a en revanche minimisé les termes contenus dans l'attestation litigieuse ; qu'en effet, celle-ci comporte des accusations totalement outrancières, mettant en cause sa moralité et sa santé et constitue une atteinte au droit au respect de sa vie privée et à l'obligation de réserve que doit s'imposer chaque partie à un procès, ainsi que les témoins ; que de surcroît, c'est à tort que le premier juge a tiré argument de la non démonstration du caractère erroné des faits énoncés dans ce document ; que cette démonstration aurait été inutile, le préjudice ayant résulté pour elle des propos tenus et ne pouvant être réparé par le rétablissement de la vérité ; que de plus, elle aurait été dommageable, car elle l'aurait obligée à produire des attestations et témoignages, en augmentant ainsi le nombre de personnes informées du contenu de l'attestation ; que la preuve de l'atteinte à son honneur et à sa considération résulte de la simple lecture de cette pièce versée aux débats ; qu'elle y est décrite comme une personne sans moralité, de moeurs légères, volage et machiavélique; qu'il apparaît que sa belle-mère, lui reprochant de lui avoir "enlevé" son fils, a cherché par tout moyen à lui nuire dans sa réputation.

Elle demande à la Cour de :

- recevoir Madame C X... épouse Y... en son appel, l'y dire bien fondée, - infirmer le jugement entrepris. Et statuant à nouveau : - condamner Madame Z... à payer à Madame C Y... la somme de 30.000 Francs à titre de dommages et intérêts, - condamner Madame Z... à payer la somme de 10.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel et autoriser la SCP LEFEVRE ET TARDY à recouvrer ceux la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame Z... épouse Y... répond que l'attestation litigieuse ne fait que contenir les faits auxquels elle a assisté ou qu'elle a personnellement constatés ; qu'elle ne comporte aucune expression outrageante, susceptible de heurter la moralité; que d'ailleurs, Madame X... épouse Y... n'a soulevé aucune protestation devant le juge aux affaires familiales et ne rapporte pas la preuve du caractère mensonger ou erroné des faits; qu'un témoin ne peut commettre une faute en mettant les autorités compétentes au courant des faits dont il a eu connaissance et en fournissant au juge des renseignements, même défavorables, si son attestation est sincère ; que l'appelante ne démontre pas l'absence de sincérité de sa belle-mère.

Elle demande à la Cour de :

- débouter Madame X... épouse Y... de toutes ses demandes, - confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner Madame X... épouse Y... à lui payer la somme de 10.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire, -

condamner Madame X... épouse Y... à lui payer la somme de 10.000 Francs en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - condamner Madame X... épouse Y... en tous les dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés directement par Maître JOUAS, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le 26 mai 1998, M. O Y..., époux de Madame X..., a fait signifier des conclusions d'intervention volontaire.

Il expose qu'il s'était abstenu jusqu'alors de faire connaître son opinion dans ce conflit, dans l'espoir qu'il allait s'apaiser; qu'il n'avait pas eu connaissance de l'attestation litigieuse avant sa production en justice; qu'elle est à l'évidence préjudiciable à son épouse.

IL demande à la Cour de :

- donner acte à Monsieur O Y... de son intervention volontaire en la cause, - lui donner acte de ce qu'il ne sollicite aucune condamnation à l'encontre de sa mère, - lui donner acte qu'il s'associe néanmoins pour le principe aux demandes de Madame C Y..., son épouse dont l'honneur et la réputation ont été lourdement bafoués auprès de lui au risque de faire éclater leur ménage fragile à l'époque, et qu'il souhaite simplement que la décision à intervenir rétablisse par

principe la réputation de son épouse, - statuer ce qu'il appartiendra sur les dépens qui seront recouvrés par la SCP LEFEVRE ET TARDY Avoués à VERSAILLES, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été signée le 28 mai 1998 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 16 juin 1998.

SUR CE, LA COUR,

1) Sur la demande principale de Madame X... épouse Y... :

Considérant que le document litigieux, versé aux débats, consiste en une attestation en date du 2 juin 1996, écrite et signée par l'intimée, produite par elle devant le juge aux affaires familiales dans le cadre de sa demande d'un droit de visite et d'hébergement

concernant sa petite fille Emilie, fille de l'appelante ;

Considérant qu'on peut relever dans ce document de 5 pages, notamment les termes suivants: "les clientes (du cabinet d'esthétique géré par l'intimée) m'ont affirmé que certains jours où j'étais absente, la cabine de soins (où travaillait l'appelante) était un lieu de rencontres avec des inconnus. La rumeur ne vient pas de moi."; ou encore "Elle (Madame X... épouse Y...) ne pourra pas nier ses galipettes dans la camionnette de son entreprise. La rumeur dit que Madame Y... à l'heure du Ricard chez PREHEL, société où elle travaille, est jouée aux dés. Monsieur B... (cité comme l'amant de l'appelante) l'aura gagnée ainsi." ; qu'on peut y lire plus loin: "les belles-filles ne sont pas toujours à la recherche d'un partenaire pour calmer leurs ardeurs maladives" ; que ces propos, en eux-mêmes outrageants, sont insérés dans un texte qui présente l'appelante comme une femme de moeurs légères, plus préoccupée de ses ébats sexuels avec divers partenaires que de son enfant ; que par conséquent, les propos tenus dans l'attestation litigieuse portent incontestablement atteinte à l'honneur, à la considération et à la réputation de Madame X... épouse Y... ;

Considérant que contrairement à ce qu'elle déclare dans ses écritures, l'intimée ne fait pas que rapporter des faits auxquels elle aurait assisté ou qu'elle aurait constatés, puisqu'elle précise dans cette attestation qu'elle fait part de rumeurs ; que d'ailleurs, elle ne produit aucune pièce de nature à démontrer la véracité de ces

soit-disant rumeurs ; que la possibilité pour un témoin de donner connaissance au juge des faits dont il a eu connaissance ne l'autorise pas à rapporter, dans le cadre solennel d'un débat judiciaire, de simples ragots ou rumeurs portant atteinte à l'honneur d'une personne ;

Considérant qu'il est toujours délicat de démontrer la fausseté de tels ragots ; qu'une fois énoncés, le mal en quelque sorte est irrémédiablement fait ; que susciter des témoignages qui les contredisent ne pourrait que les alimenter ;

Considérant que les propos excessifs tenus par l'intimée par le biais de cette attestation ont reçu une certaine publicité dans le cadre d'un débat judiciaire, lequel implique nécessairement plus de réserve; qu'ils révèlent de la part de leur auteur, la volonté certaine de dénigrement et l'intention de nuire, alors que la reconnaissance des droits de Madame Z... épouse C... ne nécessitait pas de telles marques d'hostilité ;

Considérant que l'intimée, en rédigeant cette attestation et en la produisant en justice, a donc commis une faute et a ainsi directementoccasionné un préjudice certain à Madame X... épouse Y..., que la Cour évalue à la somme de 5.000 Francs ; que la Cour condamne Madame Z... à payer cette somme à Madame X... ;

2) Sur l'intervention volontaire de Monsieur O Y...

Considérant que Monsieur O Y..., époux de l'appelante, a certes un intérêt à agir en réparation du préjudice personnel qu'il a subi du fait de l'atteinte portée à la réputation de son épouse quant à ses moeurs, mais qu'il s'agit là d'un droit propre ; que par conséquent, Monsieur O Y... est recevable en son intervention volontaire, mais qu'il n'est pas fondé à s'associer à la demande de Madame C Y... en réparation de son propre préjudice ;

3) Sur l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à Madame X... épouse Y... la somme de 4.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

ET STATUANT À NOUVEAU :

CONDAMNE Madame Z... épouse Y... épouse à payer à Madame X... épouse Y... la somme de CINQ MILLE FRANCS (5.000 Francs) à titre de dommages et intérêts ;

REOEOIT Monsieur O Y... en son intervention volontaire mais LE DÉCLARE non fondé en ses demandes ;

DÉBOUTE Madame Z... épouse Y... des fins de toutes ses demandes ;

CONDAMNE Madame Z... épouse Y... à payer à Madame X... épouse Y... la somme de

QUATRE MILLE FRANCS (4.000 Francs) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

LA CONDAMNE à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par la SCP LEFEVRE TARDY, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

ET ONT SIGNÉ LE PRÉSENT ARRÊT :

Le Greffier,

Le Président,

Marie-Hélène EDET

Alban CHAIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-4357
Date de la décision : 18/09/1998

Analyses

PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Allégation ou imputation portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne

Une attestation qui rapporte des propos, en eux-mêmes outrageants, et les applique à l'endroit d'un tiers, porte incontestablement atteinte à l'honneur et à la réputation de la personne qu'elle désigne.Si un témoin peut faire connaître au juge des faits dont il a eu connaissance, le témoignage ne l'autorise pas à faire état de simples ragots ou rumeurs portant atteinte à l'honneur d'une personne. En l'espèce, dès lors que les propos tenus dans une attestation sont excessifs, qu'ils ont reçu une certaine publicité dans le cadre du débat judiciaire, et révèlent de la part de leur auteur une volonté certaine de dénigrement, sans que la reconnaissance des droits de l'attestant ait nécessité de telles marques d'hostilité, la rédaction et la production en justice d'une telle attestation est fautive et cause directement à la personne désignée un préjudice certain qui doit être réparé par l'attribution de dommages et intérêts


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-09-18;1997.4357 ?
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