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17/09/1998 | FRANCE | N°1996-4458

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17 septembre 1998, 1996-4458


Suivant acte sous seing privé en date du 17 décembre 1984, Madame Marguerite X... a donné à bail à la société PERIPHERIQUE NORD pour une durée de trois, six, neuf années, commençant à courir à compter du 1er octobre 1984, divers locaux à usage commercial dont elle est propriétaire, situés 7 rue du Docteur Y... à CLICHY (Hauts de Seine). Suivant acte en date du 11 mai 1988, la société PERIPHERIQUE NORD a cédé son fonds de commerce, en ce inclus le droit au bail à la société GARAGE CLICHY NORD.

Par exploit d'huissier en date du 06 juin 1994, Madame X... a fait dél

ivrer à la société GARAGE CLICHY NORD, un congé pour le 31 décembre 1994, ave...

Suivant acte sous seing privé en date du 17 décembre 1984, Madame Marguerite X... a donné à bail à la société PERIPHERIQUE NORD pour une durée de trois, six, neuf années, commençant à courir à compter du 1er octobre 1984, divers locaux à usage commercial dont elle est propriétaire, situés 7 rue du Docteur Y... à CLICHY (Hauts de Seine). Suivant acte en date du 11 mai 1988, la société PERIPHERIQUE NORD a cédé son fonds de commerce, en ce inclus le droit au bail à la société GARAGE CLICHY NORD.

Par exploit d'huissier en date du 06 juin 1994, Madame X... a fait délivrer à la société GARAGE CLICHY NORD, un congé pour le 31 décembre 1994, avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction.

Par un nouvel exploit en date du 08 décembre 1994, Madame X... a confirmé le congé du 06 juin 1994, mais elle a entendu dénier tout droit à indemnité d'éviction au profit de la société locataire, motif pris que celle-ci n'exerçait plus aucune activité dans les locaux loués.

Par exploit du 26 mai 1995, la société GARAGE CLICHY NORD a saisi le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE pour voir reconnaître son droit à indemnité d'éviction et obtenir à ce titre 1.300.000 francs en principal, outre le remboursement des frais de déménagement et de transfert ainsi que des dommages et intérêts.

Madame X... a persisté dans son refus du paiement d'une indemnité d'éviction pour le motif susindiqué et, à toutes fins elle a appelé en déclaration de jugement commun la société TAXIS G.M. à qui la société GARAGE CLICHY NORD a consenti un contrat de location gérance assorti d'une promesse de vente du fonds de commerce, sous réserve de l'issue de la précédente procédure. *

Par un premier jugement en date du 20 mars 1996, le Tribunal a statué

dans les termes ci-après :

- Déclare le présent jugement opposable à la société TAXIS G.M. ;

Vu le congé du 06 juin 1994,

- Dit que la société GARAGE CLICHY NORD a droit à une indemnité d'éviction pour les locaux qu'elle occupe 7 rue du Docteur Y... à CLICHY appartenant à Madame X... ;

- Avant dire droit sur le montant de cette indemnité, ordonne une expertise et commet pour y procéder :

Monsieur Z...

19 rue Pasteur

78000 VERSAILLES

Avec mission : - de visiter les locaux du principal établissement 7 rue du Docteur Emile Y... ainsi que ceux de l'établissement secondaire 31 rue du Landry, les décrire ; - donner tous éléments au Tribunal conformément aux dispositions de la loi permettant d'évaluer le préjudice réellement subi du fait de l'éviction et donc le montant de l'indemnité d'éviction. Préciser l'incidence de la création d'un établissement secondaire et de la perte du local du 9 rue du Docteur Emile Y... sur ce préjudice ; - donner tous éléments permettant au Tribunal de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation à compter de la date d'effet du congé ;

- Ordonne l'exécution provisoire du chef de la mesure d'expertise ;

- Sursoit à statuer pour le surplus ;

- Réserve les dépens. *

Par un deuxième jugement en date du 25 juin 1997, le même Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a notamment :

- Fixé l'indemnité d'éviction due par Madame X... à la société GARAGE CLICHY NORD à la somme de 942.119,36 francs, outre intérêts au

taux légal à compter du jugement ;

- Condamné Madame X... à payer cette somme à la société locataire ainsi que celle de 5.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- Débouté la société GARAGE CLICHY NORD de sa demande de dommages et intérêts ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- Déclaré le jugement opposable à la société TAXIS G.M. ;

- Condamné Madame X... aux dépens comprenant les frais d'expertise ; *

Appel de ces deux jugements a été interjeté par Madame X...

Pour une bonne administration de la justice et afin de donner une solution définitive au litige, il convient d'ordonner la jonction des procédures issues des deux actes d'appel susvisés et de statuer par une seule et même décision.

Au soutien de son recours, Madame X... fait valoir, en se fondant sur divers constats d'huissiers qu'elle fait grief aux premiers juges d'avoir écartés, que la société GARAGE CLICHY NORD a cessé d'exploiter son fonds de commerce dans les locaux pris à bail depuis la fin de l'année 1993, pour transférer ses activités dans un autre local situé à proximité, et déduit de là qu'en application de l'article 4 du décret du 30 septembre 1953, la société locataire ne peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction. En ce qui concerne le montant de cette indemnité, elle estime qu'à supposer que la Cour soit en mesure de statuer, l'expert a fait une appréciation erronée des droits du locataire qui, selon elle, n'a subi en réalité aucune perte compte-tenu de la réorganisation de ses services effectuée bien avant la date du congé, se réservant toutefois de critiquer plus avant les conclusions de l'expert Z..., ce qu'elle s'est abstenue de faire avant le prononcé de l'ordonnance de clôture

rendue sans opposition de sa part. Enfin, elle réclame une indemnité de 15.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société GARAGE CLICHY NORD, par des conclusions auxquelles s'est associée la société TAXIS G.M., s'oppose, comme elle l'avait fait en première instance, à l'argumentation adverse et conclut à la confirmation des deux jugements déférés en toutes leurs dispositions, sauf en celle ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts.

Relevant appel incident sur ce point, elle réclame à Madame X... la somme de 200.000 francs à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, outre une indemnité complémentaire de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. *

MOTIFS DE LA DECISION

. Sur le droit à indemnité d'éviction

Considérant que l'article 9.1 du décret du 30 septembre 1953 permet au bailleur de refuser le renouvellement du bail sans indemnité d'éviction s'il est justifié d'un motif grave et légitime ; que, plus particulièrement, le défaut d'exploitation d'un fonds, dès lors qu'il est prolongé et définitif constitue un motif légitime de refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction que le bailleur peut opposer au locataire même, si les conditions particulières exigées par l'article 4.1 du décret susvisé ne sont pas réunies, à savoir la prise en compte d'une exploitation effective au cours des trois dernières années précédent la date d'expiration du bail ; qu'il suffit, contrairement à ce que soutient la société intimée que le défaut d'exploitation dénoncé par le bailleur ait entraîné, de fait, la disparition du fonds de commerce ;

Considérant que, reprenant son argumentation de première instance, Madame X... se prévaut de divers constats d'huissier tendant à

démontrer qu'à plusieurs reprises le garage exploité dans les lieux loués était fermé ou que lors de son ouverture, aucune activité n'était visible à l'intérieur ;

Mais considérant que ces constatations effectuées ponctuellement et sans que l'huissier ait pu pénétrer à l'intérieur des locaux loués sont contredites par de nombreuses attestations et constats de la partie adverse qui démontrent que, sans contestation possible, une activité soutenue et continue était encore exercée dans les locaux litigieux à la date du congé et même au-delà, comme l'a fait apparaître le premier juge au terme d'une exacte analyse que la Cour s'approprie ; que notamment il apparaît que la société GARAGE CLICHY NORD a régulièrement acquitté des factures E.D.F. importantes pendant la période considérée, ce qui suppose une utilisation commerciale des locaux ; que par ailleurs divers clients du groupe ont attesté s'être rendus dans les locaux dont s'agit avant la date du congé pour réalisations de diverses prestations ; que le comptable du garage a témoigné dans le même sens ; que si besoin était, la continuation de l'exploitation est encore attestée par un constat d'huissier dressé le 07 avril 1995, soit postérieurement à la date d'effet du congé, qui révélait à cette date une activité soutenue de même que par un expert automobile ainsi que par un rapport d'un inspecteur de la salubrité publique établi le 22 décembre 1995 ; qu'il suit de là que le motif allégué par la bailleresse, pour refuser le paiement d'une indemnité d'éviction, est dépourvu de tout fondement sérieux et que le premier jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE ne peut être que confirmé en toutes ses dispositions ;

. Sur le montant de l'indemnité d'éviction

Considérant que, comme il a été dit précédemment, l'appelante a été parfaitement mise en mesure de critiquer le rapport déposé par l'expert Z..., ce qu'elle s'est abstenue de faire, se contentant

de souligner que ledit expert n'a pas pris en compte la situation réelle du locataire qui avait bien avant la date du congé déjà transféré l'essentiel de ses activités et qui n'aurait, de ce fait, subi aucun préjudice ;

Mais considérant que, contrairement à ce qui est prétendu, l'expert a, aux termes d'investigations approfondies, pris en compte les conditions particulières affectant l'exploitation ; qu'il a, selon les méthodes habituelles, estimé à :

- 1.339.976,80 francs la valeur vénale du fonds

- 214.396,28 francs les frais de remploi

- 15.000,00 francs les frais de déménagement

- 138.571,23 francs les frais de réinstallation

- 5.000,00 francs les frais de publicité soit au total de 1.712.944,31 francs ;

Qu'il a néanmoins proposé de corriger ces données en soulignant que la qualité de la gestion du dirigeant de la société GARAGE CLICHY NORD lui avait permis d'anticiper les conséquences du congé en évitant une perte totale de clientèle, proposant, eu égard à cette situation, de minorer de 45 % l'indemnité d'éviction globale telle que précédemment arrêtée, soit une indemnité définitive après correction de 942.119,36 francs ; que cette évaluation, précise et étayée, qui n'est pas utilement critiquée et qui traduit le préjudice réel subi par la société locataire, ne peut être que retenue par la Cour, comme l'a fait à bon droit le premier juge au terme d'une exacte motivation que la Cour fait sienne ;

. Sur les autres demandes

Considérant que Madame X..., qui a pu de bonne foi se méprendre sur la portée de ses droits, au vu notamment des premiers constats dont elle disposait, et dont la résistance au paiement d'une indemnité d'éviction ne peut dans ces conditions être qualifiée d'abusive, ne

saurait être condamnée à payer des dommages et intérêts à la société locataire qui ne justifie, de surcroît, d'aucun préjudice autre que celui qui a été précédemment réparé ;

Considérant en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à la société GARAGE CLICHY NORD la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour ; que Madame X... sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 8.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle déjà accordée au même titre par le premier juge ;

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe dans l'exercice de son recours, supportera les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise ; * PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- DIT recevable en la forme les deux appels formés par Madame X... et ordonne la jonction des procédures 4458/96 et 5973/97 issues de ces actes d'appel séparés ;

Statuant sur l'ensemble du litige,

- CONFIRME en toutes leurs dispositions les jugements déférés et rejette, par voie de conséquence l'appel incident formé par la société GARAGE CLICHY NORD ;

Ajoutant aux jugements entrepris,

- CONDAMNE Madame Marguerite A... épouse X... à payer à la société GARAGE CLICHY NORD une indemnité complémentaire de 8.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- DIT la présente décision opposable à la société TAXIS G.M. ;

- CONDAMNE Madame Marguerite A... épouse X... aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise et autorise la SCP d'Avoués LEFEVRE etamp; TARDY à poursuivre

directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ C. DAULTIER

F. LAPORTE, CONSEILLER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-4458
Date de la décision : 17/09/1998

Analyses

BAIL COMMERCIAL

En application de l'article 9-1 du décret du 30 septembre 1953, un bailleur commercial peut refuser le renouvellement du bail, sans indemnité d'éviction, s'il justifie d'un motif grave et légitime. Le défaut d'exploitation du fonds, dès lors qu'il est prolongé et définitif et qu'il a entraîné, de fait, la disparition du fonds de commerce, constitue un motif légitime de refus de renouvellement sans indemnité opposable au locataire, et ce, même si les conditions particulières exigées par l'article 4-1 du décret précité ne sont pas réunies, à savoir la prise en compte d'une exploitation effective durant les trois dernières années qui précèdent la date d'expiration du bail. Ainsi, dès lors que les constatations effectuées ponctuellement par un huissier, sans que celui-ci ait pu pénétrer à l'intérieur des lieux loués, sont contredites par de nombreuses attestations et constats de la partie adverse démontrant, incontestablement, qu'une activité soutenue et continue était encore exercée dans les locaux à la date de délivrance du congé et s'est prolongée postérieurement à celui-ci, le motif allégué par le bailleur pour refuser le paiement d'une indemnité d'éviction est dépourvu de tout fondement sérieux


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-09-17;1996.4458 ?
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