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10/09/1998 | FRANCE | N°1995-2553

France | France, Cour d'appel de Versailles, 10 septembre 1998, 1995-2553


Par assignation en date du 3 août 1993, la compagnie LES MUTUELLES DU MANS a attrait la société allemande JURETZKY devant le tribunal de commerce de Pontoise en remboursement des sommes qu'elle avait versées à son assurée, la société SONAUTO, à la suite d'un sinistre survenu au cours d'un transport routier international.

Elle exposait que selon lettre de voiture du 19 juillet 1992, la société PORSCHE avait confié à la société JURETZKY le transport d'un chargement de 4.997 kilogrammes de pièces détachées neuves depuis Ludwigsburg (Allemagne) jusqu'à Cergy-Pontoise à

destination de la société SONAUTO ; qu'en cours de route, sur l'autoroute...

Par assignation en date du 3 août 1993, la compagnie LES MUTUELLES DU MANS a attrait la société allemande JURETZKY devant le tribunal de commerce de Pontoise en remboursement des sommes qu'elle avait versées à son assurée, la société SONAUTO, à la suite d'un sinistre survenu au cours d'un transport routier international.

Elle exposait que selon lettre de voiture du 19 juillet 1992, la société PORSCHE avait confié à la société JURETZKY le transport d'un chargement de 4.997 kilogrammes de pièces détachées neuves depuis Ludwigsburg (Allemagne) jusqu'à Cergy-Pontoise à destination de la société SONAUTO ; qu'en cours de route, sur l'autoroute A4, à proximité de Verdun, le conducteur avait perdu le contrôle de son véhicule en raison de sa vitesse excessive ; que son engin s'était alors renversé sur le bas-côté de la route, avec pour effet de projeter les marchandises à l'extérieur de la remorque ; que les gendarmes avaient infligé au chauffeur une amende ; qu'après avoir été redressé, le camion avait poursuivi sa route, avec les pièces détachées grossièrement rechargées dans une remorque non bâchée, alors que de violents orages sévissaient ; que les marchandises avaient été livrées le 22 juillet 1992 à la société SONAUTO qui émettait des réserves sur la totalité du chargement ; qu'elle avait indemnisé son assurée à hauteur de la somme de 64.248,47 F au vu d'un rapport d'expertise.

Par jugement en date du 10 janvier 1995, le tribunal de commerce de Pontoise a condamné la société JURETZKY à payer à la compagnie LES MUTUELLES DU MANS la somme de 5.007,95 F avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 1992.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que ne constituaient pas des fautes lourdes d'une part, un excès de vitesse sanctionné par une amende pénale de 600 F dû apparemment à l'assoupissement du chauffeur, et d'autre part le fait de ne pas bâcher une remorque contenant des pièces de rechange automobiles pour un transport ne devant pas durer plus de trois heures.

La compagnie LES MUTUELLES DU MANS a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 6 février 1995.

Elle a fait valoir qu'était constitutif d'une faute lourde le fait pour un véhicule à fort tonnage de rouler en excès de vitesse, alors que le conducteur était dans un état de somnolence très avancé.

Elle a soutenu que la négligence grossière du transporteur s'était poursuivie après l'accident, puisque des marchandises avaient été perdues et d'autres détériorées par la pluie, alors qu'il lui appartenait de ne pas laisser les pièces détachées au gré des intempéries et d'informer son donneur d'ordre de la situation.

Elle a donc conclu à l'infirmation du jugement et a sollicité le paiement de la somme de 64.248,47 F, outre intérêts légaux à compter de la réclamation écrite du 1er décembre 1992, la capitalisation des intérêts, 10.725,20 F au titre des frais d'expertise et 10.000 F sur

le fondement de l'article 700 du N.C.P.C.

La société JURETZKY a été régulièrement assignée à parquet étranger, selon actes des 10 août 1995 et 20 mai 1997.

Il n'est pas établi qu'elle ait eu connaissance de l'assignation, le présent arrêt sera donc rendu par défaut.

SUR CE, LA COUR

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le chauffeur de la société TRANSPORTS JURETZKY a perdu le contrôle de son camion, alors qu'il circulait à vive allure sur l'autoroute A4, à proximité de Verdun, venant d'Allemagne et se dirigeant vers la région parisienne ; que les gendarmes ont infligé au conducteur une amende forfaitaire de 600 F pour excès de vitesse ; que la remorque s'est renversée et que des colis contenant les pièces détachées ont été endommagés ; que la remorque a été redressée et que les colis y ont été remis en désordre ; que le chauffeur a poursuivi sa route avec son chargement mal arrimé et non bâché ; que de violents orages sont survenus entre Verdun et Paris ; qu'à l'arrivée, il a été constaté que des pièces étaient manquantes, et que d'autres étaient déformées ou détériorées par la pluie ;

Considérant que la perte du contrôle de son véhicule par le chauffeur, sur une autoroute où il n'existait aucune difficulté

particulière de circulation, est révélatrice de ce que ce chauffeur était inapte à la conduite au moment des faits ;

Que la circonstance qu'il se serait assoupi au volant n'atténue en rien la faute du transporteur, mais révèle au contraire que celui-ci ne veille pas à ce que ses préposés respectent la réglementation sur les temps de conduite et les temps de repos ;

Qu'il est de fait que le chauffeur, parti de bon matin d'Allemagne, avait effectué plusieurs centaines de kilomètres lorsque l'accident est survenu en fin de matinée et qu'il a ensuite parcouru les 300 kilomètres qui le séparaient de sa destination dans l'état qui était le sien et avec un camion accidenté ;

Que par ailleurs, il était impératif que le véhicule ne repartît pas sans que le chargement ait été préalablement arrimé et bâché convenablement, et ce alors même que le trajet restant à parcourir n'était pas trop important;

Considérant qu'en définitive, en laissant circuler un véhicule de fort tonnage à une vitesse excessive, alors que le conducteur se trouvait dans un état de somnolence avancé, puis, en faisant repartir, après accident, le même véhicule avec un chargement mal arrimé et non bâché, exposé délibérément aux intempéries, la société TRANSPORTS JURETZKY a commis une faute lourde qui exclut toute limitation de responsabilité et permet l'indemnisation intégrale de

la victime, conformément aux dispositions de l'article 29 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 ;

Considérant que le préjudice a été évalué par expertise à la somme de 64.248,47 F ;

Considérant que la société TRANSPORTS JURETZKY sera condamnée à payer cette somme à la compagnie LES MUTUELLES DU MANS, régulièrement subrogée dans les droits de son assurée ;

Considérant que les intérêts légaux demandés seront dus à compter du 1er décembre 1992, date de la première réclamation écrite au transporteur ;

Considérant que leur taux ne pourra toutefois pas dépasser les 5% l'an, pour se conformer aux dispositions de l'article 27 de la C.M.R. ;

Considérant que les intérêts seront capitalisés à compter du 10 août 1995, date de la demande, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;

Considérant que les frais d'expertise sont à intégrer dans les frais relevant des dispositions de l'article 700 du N.C.P.C. ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à l'appelante une somme de 10.000 F en vertu de ce texte ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant par défaut et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dit que la société TRANSPORTS JURETZKY a commis une faute lourde,

La condamne à payer à la compagnie LES MUTUELLES DU MANS, subrogée dans les droits de la société SONAUTO, la somme de 64.248,47 Frs, avec intérêts légaux à compter du 1er décembre 1992 sans que toutefois leur taux puisse dépasser 5 % l'an ;

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 10 août 1995 conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;

Condamne la société TRANSPORTS JURETZKY à payer à la compagnie LES MUTUELLES DU MANS la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel à la SCP KEIME GUTTIN le bénéfice de l'article 699 du N.C.P.C. ;

Rejette toutes autres demandes comme étant non fondées ou sans objet. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. X...

J-L GALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-2553
Date de la décision : 10/09/1998

Analyses

TRANSPORTS TERRESTRES - Marchandises - Transport international - Convention de Genève du 19 Mai 1956 (CMR) - Responsabilité - Limitation - Exclusion - Faute lourde

En vertu des dispositions de l'article 29 de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, la faute lourde du transporteur exclut toute limitation de responsabilité et permet l'indemnisation intégrale de la victime. En l'espèce, dès lors que, en l'absence de toute difficulté particulière de circulation, la perte de contrôle d'un véhicule sur une autoroute révèle l'inaptitude à la conduite du chauffeur au moment du sinistre, que l'assoupissement du chauffeur n'atténue en rien la faute du transporteur mais au contraire témoigne de ce qu'il ne veille pas à ce que ses préposés respectent la réglementation sur les temps de conduite et les temps de repos, qu'enfin le trajet restant à parcourir a été effectué par le camion accidenté et son chauffeur, dans l'état qui était le sien, après que les marchandises transportées aient été rechargées sans arrimage ni bâchage, le transporteur qui laisse circuler un véhicule dans ces conditions commet une faute lourde


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-09-10;1995.2553 ?
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