La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/1998 | FRANCE | N°1996-8649

France | France, Cour d'appel de Versailles, 02 juillet 1998, 1996-8649


FAITS ET PROCEDURE :

Monsieur X... était concessionnaire exclusif de la marque Volvo depuis le 13 septembre 1968.

A ce titre, il était lié depuis le 1er janvier 1986 à la société VOLVO AUTOMOBILES FRANCE, importateur en France des automobiles de marque Volvo (ci-après désignée société VOLVO), par un contrat à durée indéterminée, succédant à une précédente convention, ouvrant à chacune des parties la faculté de rompre les relations sans indemnité à la seule condition de respecter un préavis d'une année.

Par lettre du 16 octobre 1995, la société

VOLVO a notifié à Monsieur X... son intention de mettre fin au contrat, cette décision prena...

FAITS ET PROCEDURE :

Monsieur X... était concessionnaire exclusif de la marque Volvo depuis le 13 septembre 1968.

A ce titre, il était lié depuis le 1er janvier 1986 à la société VOLVO AUTOMOBILES FRANCE, importateur en France des automobiles de marque Volvo (ci-après désignée société VOLVO), par un contrat à durée indéterminée, succédant à une précédente convention, ouvrant à chacune des parties la faculté de rompre les relations sans indemnité à la seule condition de respecter un préavis d'une année.

Par lettre du 16 octobre 1995, la société VOLVO a notifié à Monsieur X... son intention de mettre fin au contrat, cette décision prenant effet à compter du 17 octobre 1996.

Estimant cette rupture abusive et injustifiée, Monsieur X... a fait assigner, par acte du 27 février 1996, la société VOLVO pour obtenir réparation de son préjudice.

Par jugement en date du 11 septembre 1996, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de Commerce de VERSAILLES a :

[* Dit la "résolution" du contrat de concession conforme aux dispositions contractuelles prises en application des dispositions de l'article 123/85 du Règlement Européen.

*] Dit que la société VOLVO a agi avec légèreté pendant l'exécution du préavis.

[* Condamné la société VOLVO à payer à Monsieur X... la somme de 150.000 francs en réparation du préjudice subi.

*] Rejeté les demandes reconventionnelles formées par la société VOLVO.

[* Condamné, en outre, la société VOLVO à payer à Monsieur X... une indemnité de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

*]

Appelant de cette décision, Monsieur X... fait grief aux premiers juges de ne pas avoir admis le caractère abusif et déloyal de la rupture et d'avoir sous-estimé le dommage qui en est résulté pour lui en limitant la réparation qui lui a été alloué à l'atteinte portée par la société VOLVO à l'exclusivité territoriale dont il aurait dû bénéficier jusqu'à la fin du préavis.

Pour caractériser le caractère abusif de la rupture, Monsieur X... allègue tout d'abord que celle-ci a été motivée en fait par des publicités qu'il a fait paraître concernant l'importation parallèle de véhicules de marque VOLVO, alors que, selon lui, cette activité lui était permise, notamment par le règlement C.E.E. /123/85, et qu'elle était rendue nécessaire par les difficultés d'approvisionnement rencontrées auprès du concédant. Il en veut notamment pour preuve le fait que la société VOLVO, lorsqu'elle a eu connaissance de ces annonces publicitaires, a tenté de mettre en oeuvre une procédure pour résiliation fautive du contrat en lui reprochant une activité de mandataire indépendant, ce qui ne correspondait à aucune réalité ainsi que VOLVO a fini par admettre. Il soutient ensuite que la société VOLVO a encouragé les lourds investissements qu'il a été amené à effectuer dans les dernières années du contrat pour promouvoir la marque, en lui donnant à penser que le contrat allait se poursuivre, investissements qui ont généré d'excellents résultats, comme en font foi les pièces des débats alors que les objectifs de vente de véhicules VOLVO étaient sans cesse à la baisse sur le marché français. Il invoque également l'alourdissement de sa gestion tenant à ce que la société VOLVO a exigé, à compter du 31 mars 1995, et contrairement aux pratiques antérieures, paiement immédiat des véhicules commandés. Il se prévaut encore des violations du contrat imputables à VOLVO qui a réduit unilatéralement et considérablement son territoire pendant la période du préavis, comme l'a admis le tribunal. Il reproche également à VOLVO de l'avoir fait exclure du réseau avant même la fin du préavis en ne lui adressant plus les circulaires destinées aux concessionnaires et en ne mettant pas à sa disposition des véhicules de présentation. Il déduit de là que le caractère abusif de la rupture est suffisamment établi et demande que la société VOLVO soit condamnée à lui payer en réparation, la somme globale de 3.617.470 francs ventilée ainsi qu'il suit :

[* 3.117.470 francs au titre du préjudice né de la résiliation du contrat.

*] 400.000 francs au titre de la réduction de territoire pendant la durée du contrat de préavis.

[* 100.000 francs au titre du préjudice moral.

Il réclame, en outre, une indemnité de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*]

La société VOLVO fait valoir en réplique qu'elle a mis fin au contrat, en application de la procédure conventionnellement prévue, et déduit de là qu'il ne peut y avoir abus dans l'exercice d'un droit de rupture librement ouvert à chacune des parties et prévu expressément dans un contrat conforme aux dispositions de règlement C.E.E. 123.85. Elle sollicite donc sur ce point la confirmation du jugement déféré. Elle reproche, en revanche, aux premiers juges d'avoir retenu le caractère fautif de l'amputation du territoire du concessionnaire pendant le délai de préavis alors que, selon elle, cette situation relève d'une simple erreur matérielle de ses services et conclut à l'infirmation du jugement entrepris sur ce point, réclamant restitution de la somme de 150.000 francs qu'elle a été contrainte de verser au titre de l'exécution provisoire. Subsidiairement, pour le cas où la Cour estimerait devoir examiner les conditions de la rupture, elle estime que celle-ci est entièrement imputable à Monsieur X... qui ne saurait utilement se prévaloir d'investissements qu'il a effectués de sa propre initiative et sans la moindre approbation de sa part et qui fait état de motifs inopérants, pour tenter de masquer un désengagement avéré de sa part dans la commercialisation des produits de la marque. Elle en veut pour preuve la volonté manifestée par celui-ci de céder ses activités, le développement d'une activité parallèle d'importation de véhicules, ce qui a entraîné une baisse notable des résultats dans les deux dernières années d'application du contrat et une perte de confiance réciproque de nature à compromettre la poursuite d'un quelconque partenariat. En réparation de ces agissements, elle réclame à Monsieur X..., dans le cadre d'un appel incident, la somme de 250.000 francs, soulignant le caractère "fantaisiste" du chiffrage du préjudice prétendument subi par Monsieur X.... Plus subsidiairement, elle conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a limité à 150.000 francs le préjudice subi par l'appelant. Enfin, elle réclame à ce dernier une indemnité de 50.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DECISION

[* Sur les conditions de la rupture :

Considérant qu'il est de principe que, lorsqu'un contrat de concession a été conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties est en droit de le résilier sans indemnité et sans avoir à fournir de motifs, sous réserve toutefois de respecter un préavis suffisant et sauf le cas d'un abus de droit imputable à l'auteur de la rupture.

Considérant qu'en l'espèce, le contrat de concession conclu le 23 janvier 1986 entre les parties, prévoyait à l'article 1-2 :

*] que "sous réserve de l'application des cas de résiliation prévus par le présent contrat, celui-ci est conclu pour une durée indéterminée commençant à courir le 1er janvier 1986".

[* que " les parties pourront mettre fin au présent contrat à durée indéterminée en respectant un préavis d'un an à compter de la date de réception de la lettre qui sera envoyée par l'une ou l'autre des parties".

*] que "la résiliation du contrat à durée indéterminée prendra donc effet après que le préavis d'un an aura couru".

Considérant qu'en application de ces dispositions contractuelles, la société VOLVO a signifié à Monsieur X..., par lettre recommandée avec accusé de réception non motivée en date du 16 octobre 1995, qu'elle entendait mettre un terme au contrat après respect d'un préavis d'une durée d'une année prenant effet à la date de réception de ce courrier.

Considérant qu'une telle décision, conforme à la commune intention des parties, et qui repose sur la prohibition en droit français des engagements perpétuels, ne revêt en elle-même aucun caractère fautif ; qu'il appartient donc à Monsieur X... d'établir le contexte abusif dans lequel serait intervenue la rupture et notamment que celle-ci serait entachée d'une légèreté blâmable, d'une intention de nuire ou encore de promesses non tenues.

Considérant qu'en ce qui concerne tout d'abord la politique d'investissement, Monsieur X... invoque en premier lieu un emprunt de 2.000.000 francs contracté en 1989, qu'il invoque ensuite un apport personnel de 400.000 francs effectué en 1994, et un emprunt de 1.000.000 francs contracté en 1995.

Mais considérant que le premier emprunt est beaucoup trop ancien pour être pris en compte dans l'appréciation du caractère abusif de la rupture, qu'il en va de même de l'apport personnel d'autant que l'affectation précise de ces fonds n'est pas déterminée ; que surtout, il n'est nullement établi, si ce n'est par voie d'affirmation, que ces initiatives relèveraient d'une quelconque incitation de la société VOLVO à prendre de tels engagements ; qu'il en va de même du prêt de 1 million de francs contracté en juillet 1995, soit à quelques mois de la décision de rupture ; qu'en effet, la société VOLVO n'a été informée de l'existence de cet emprunt que par lettre du 04 août 1995, alors que l'engagement était déjà pris, et n'a nullement approuvée cette décision, comme il est prétendu, dans sa lettre en réponse du 09 août 1995, alors qu'au contraire elle écrivait "en fonction de l'emprunt que vous avez contracté, nous aimerions connaître vos intentions concernant le futur de vos activités" ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a écarté ce grief en retenant "que Monsieur X... n'apporte pas la preuve que la société VOLVO lui ait demandé de réaliser ces investissements".

Considérant par ailleurs, qu'il apparaît des pièces des débats que dans le courant de l'année 1995, Monsieur X... a pris divers contacts pour tenter de vendre son entreprise et qu'il a réorienté celle-ci vers une activité d'importateur , comme en font foi les annonces parues dans la presse.

Considérant que, s'il est exact que la société VOLVO a estimé dans un premier temps cette activité d'importations parallèles critiquable au regard du texte des premières annonces parues qui pouvaient donner à penser qu'il s'agissait d'une importation de véhicule de toute marque, incompatible avec le contrat de concession, la même société VOLVO a par la suite admis le droit de Monsieur X... de pratiquer une telle activité conforme à la réglementation européenne dans la mesure où n'étaient importés que des véhicules de marques VOLVO ; qu'il n'en reste pas moins que ces informations étaient de nature à mettre en péril la relation de confiance sur laquelle repose nécessairement un accord de partenariat tel que le contrat de concession, d'autant que, pendant la même période, et quoiqu'il s'en défende, les résultats commerciaux obtenus par Monsieur X..., nonobstant une stagnation du marché, étaient notoirement en baisse, puisqu'ils étaient tombés en dessous de 50 % des objectifs fixés par les parties en début d'année 1995, chute qui s'est d'ailleurs confirmée en 1996 ; qu'il suit de là qu'aucun abus n'est venu entacher la décision de rupture prise par la société VOLVO dès le 16 octobre 1995 et qu'il n'est nullement établi, sauf à dénaturer les pièces des débats, que juste avant cette date ladite société ait laissé espérer à Monsieur X... une poursuite de contrat.

Considérant qu'en revanche, il ne saurait être contesté utilement que, alors que la rupture du contrat était déjà consommée, la société VOLVO a commis une faute contractuelle en réduisant en cours de préavis le territoire du concessionnaire ; qu'à cet égard, la société intimée ne saurait se prévaloir utilement d'une "erreur administrative de ses services" ; qu'en effet, à supposer que cela soit le cas, elle doit répondre de ce défaut de surveillance et réparer le préjudice qui en est résulté pour Monsieur X... ; étant observé qu'il n'est nullement établi que toujours en cours de préavis, la société VOLVO aurait volontairement fait obstacle à la poursuite des activités de Monsieur X..., notamment en l'excluant de toute information destinée au réseau ou en s'abstenant volontairement de livrer des véhicules de présentation, alors que ceux-ci s'avéraient non disponibles et déjà engagés dans une autre opération ; que le jugement dont appel qui a fait une exacte appréciation du chef du préjudice susévoqué sera sur ce point confirmé par adoption de motifs, l'appelant ne justifiant pas d'un préjudice complémentaire.

[* Sur l'appel incident de la société VOLVO :

Considérant que la société VOLVO ne saurait faire grief à Monsieur X... de lui avoir volontairement occasionné un préjudice commercial important en se "désintéressant de la présentation de la marque" et en négligeant la commercialisation des véhicules de la marque dans les derniers mois d'application du contrat alors qu'elle reconnait d'une part que l'activité d'importation parallèle n'avait rien d'illicite et que la pénétration du marché connaissait à la même période au niveau national une certaine stagnation ; qu'elle ne démontre pas davantage que Monsieur X... aurait volontairement laissé les choses se dégrader ; que ce grief est d'autant plus infondé que, toujours à la même période le territoire concédé à Monsieur X... se trouvait imputé d'environ 25 % ; que l'appel incident formé par la société intimée sera, en conséquence, rejeté.

*] Sur les autres demandes :

Considérant que l'équité ne commande pas devant la Cour qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Considérant que Monsieur X... qui succombe dans l'exercice du recours qu'il a engagé, supportera les entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit Monsieur X... en son appel principal et la société VOLVO AUTOMOBILES FRANCE SA en son appel incident,

- Dit ces appels mal fondés,

- Confirme, en conséquence, en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu devant la Cour à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Condamne l'appelant aux entiers dépens d'appel et autorise la SCP d'Avoués LISSARRAGUE-DUPUIS etamp; ASSOCIES à en poursuivre directement le recouvrement, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-8649
Date de la décision : 02/07/1998

Analyses

VENTE - Vente commerciale - Exclusivité - Concession exclusive de vente - Rupture - Contrat à durée indéterminée

Lorsqu'un contrat de concession a été conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties est en droit de le résilier sans indemnité et sans avoir à fournir de motifs, sous réserve toutefois de respecter un préavis suffisant et sauf le cas d'un abus de droit imputable à l'auteur de la rupture. La décision par laquelle une société, en application des dispositions contractuelles, signifie à son concessionnaire qu'elle entend mettre un terme au contrat les unissant après respect d'un préavis d'une durée d'une année prenant effet à la date de réception du courrier ne revêt en elle-même aucun caractère fautif et il appartient alors au concessionnaire d'établir le contexte abusif dans lequel serait intervenue la rupture et notamment que celle-ci serait entachée d'une légèreté blâmable, d'une intention de nuire ou encore de promesses non tenues. En l'espèce, un concessionnaire ne saurait se prévaloir des investissements réalisés pour prétendre que son cocontractant lui avait donné à penser que le contrat allait se poursuivre dès lors qu'il n'établit nullement que ces initiatives relèveraient d'une quelconque incitation du concédant à prendre de tels engagements. Par ailleurs, le fait que le concessionnaire avait pris divers contacts pour tenter de vendre son entreprise et de réorienter celle-ci vers une activité d'importateur est de nature à mettre en péril la relation de confiance sur laquelle repose nécessairement un accord de partenariat tel que le contrat de concession. Si aucun abus n'est ainsi venu entacher la décision de rupture, il n'en reste pas moins que le concédant a commis une faute contractuelle en réduisant en cours de préavis le territoire du concessionnaire et qu'il ne peut se prévaloir à cet égard d'une "erreur administrative" de ses services, car à supposer que tel soit le cas, il ne doit pas moins répondre de ce défaut de surveillance et du préjudice qui en est résulté pour le concessionnaire


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : M. Assié

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-07-02;1996.8649 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award