La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/05/1998 | FRANCE | N°1997-9353

France | France, Cour d'appel de Versailles, 22 mai 1998, 1997-9353


I-1

Considérant que la société LILLY FRANCE (L.F.) commercialise sous la marque "Prozac" la fluoxétine, médicament destiné au traitement des épisodes dépressifs, comme le fait la société LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES SMITHKLINE BEECHAM (L.P.S.B.) sous la marque "Deroxat" s'agissant de la paroxétine ; qu'en octobre 1997 la seconde société a déploré de la part de la première des publicités rédactionnelles objets d'une communication préalable du 17 octobre 1997 et intitulées d'une part "Syndrome d'interruption d'un traitement antidépresseur : Quelles conséquences en pr

atique ä" et d'autre part "Les risques de l'interruption brutale d'un trait...

I-1

Considérant que la société LILLY FRANCE (L.F.) commercialise sous la marque "Prozac" la fluoxétine, médicament destiné au traitement des épisodes dépressifs, comme le fait la société LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES SMITHKLINE BEECHAM (L.P.S.B.) sous la marque "Deroxat" s'agissant de la paroxétine ; qu'en octobre 1997 la seconde société a déploré de la part de la première des publicités rédactionnelles objets d'une communication préalable du 17 octobre 1997 et intitulées d'une part "Syndrome d'interruption d'un traitement antidépresseur : Quelles conséquences en pratique ä" et d'autre part "Les risques de l'interruption brutale d'un traitement antidépresseur", comportant une comparaison entre le "Prozac" et la paroxétine s'agissant des "risques d'effets indésirables et de modification de la symptomatologie dépressive lors de l'interruption brutale d'un traitement sérotoninergique" ; que de cette publicité il ressortait, chiffres à l'appui, que "seuls les patients traités par Prozac n'ont pas présenté d'effets indésirables significatifs... ou de variations des scores aux échelles évaluant les symptômes dépressifs à la suite (d'un) arrêt temporaire du traitement" et que "les données de la littérature montrent que le Prozac est le sérotoninergique qui expose le moins au risque de syndrome d'interruption brutale" ; qu'avant la communication du 17 octobre une ordonnance de référé du 14 octobre avait prononcé, "jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond" la suspension d'annonces objets de communications antérieures datées des 16 et 30 septembre 1997 ; I-2

Considérant que par ordonnance du 13 novembre 1997 le Juge des Référés du Tribunal de Commerce de Nanterre, saisi par la société L.P.S.B. qui voyait dans la diffusion de ces publicités un trouble

manifestement illicite, a prononcé, en visant sa précédente ordonnance du 14 octobre, la "suspension de toutes publicités ou annonces comparatives pour le Prozac publiées par la société LILLY FRANCE", ce sous une astreinte de 100.000,00 F par infraction et "jusqu'il soit statué sur le fond" ; que cette décision a relevé en substance que l'ordonnance du 14 octobre 1997 avait déjà ordonné la suspension d'annonces publicitaires dont les articles litigieux n'étaient "qu'une déclinaison" ;

II II-1

Considérant que la société L.F., appelante, conclut à l'annulation de l'ordonnance ; qu'à titre subsidiaire elle sollicite son infirmation, les publications en cause ne constituant selon elle ni une faute ni un trouble manifestement illicite ; qu'elle réclame à la société L.P.S.B. un franc de dommages-intérêts et une somme de 30.000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; II-2

Considérant que la société L.P.S.B. conclut à la confirmation de l'ordonnance ; qu'elle demande que l'astreinte prononcée par le premier juge soit liquidée à 200.000,00 F ; qu'elle réclame à la société L.F. une somme de 30.000,00 F pour frais hors dépens ;

III

Sur le grief de nullité III-1

Considérant que pour taxer l'ordonnance de nullité la société L.F. soutient qu'elle n'est pas valablement motivée ; qu'elle fait valoir

qu'en prononçant une interdiction générale "de toutes publicités ou annonces comparatives" elle a statué en dehors d'une demande ne visant qu'à l'interdiction des deux publicités objets de la communication du 17 octobre 1997, textes sur lesquels s'était engagé le seul débat à trancher ; III-2

Considérant certes qu'en présence d'une interdiction déjà faite et qui avait un objet déterminé, savoir les textes publi-rédactionnels objet des communications des 16 et 30 septembre 1997, l'assignation du 27 octobre 1997 tendait à titre principal, au vu d'un manquement allégué à cette interdiction, à la stipulation d'une astreinte pour garantir sa meilleure application, ce qui paraissait circonscrire le débat de la façon évoquée par l'appelante ; III-3

Mais considérant qu'à titre subsidiaire la même assignation poursuivait la cessation d'un trouble caractérisé par la diffusion de "publicités irrégulières " dont était demandée la cessation "sous quelque forme que ce soit (suivait une énumération de moyens)" sous une astreinte de 100.000,00 F par manquement ; que cela prive de pertinence le reproche fait au premier juge d'être sorti du cadre de sa saisine ; que la lecture de la décision fait apparaître un exposé de prétentions et une discussion, certes succincte, interdisant de la tenir pour non motivée ; que les moyens de nullité seront donc rejetés ; IV

Sur les causes du référé IV-1

Sur l'ordonnance du 14 octobre 1997 et

ses suites a.

Considérant que l'ordonnance de référé du 14 octobre 1997 ayant, sans qu'appel n'en soit relevé, ordonné la suspension d'annonces dont il n'est pas sérieusement contesté que les annonces litigieuses ne sont qu'une reprise, la société L.P.S.B. expose en substance que l'ordonnance dont appel ne peut qu'être confirmée puisqu'elle n'a fait que réitérer cette interdiction en y ajoutant l'astreinte commandée par la persévérance de la société L.F. à y manquer ; b.

Mais considérant que sur ce point la société L.F. fait pertinemment valoir que cette interdiction avait été prononcée au motif que les annonces, qui apparaissaient dans leur contenu "pertinentes et vérifiables", étaient tirées "d'observations et d'études qui ne sembl(aient) pas avoir été déposées à la Commission de Contrôle de la publicité de l'Agence du Médicament" ; que tout en soulignant que la référence à un tel dépôt était erronée elle observe qu'après signification de la décision par la société S.B. elle a procédé, pour les annonces communiquées le 17 octobre, audit dépôt en adressant copie des publicités à la commission susmentionnée ; que si, contrairement à l'opinion de l'appelante, la décision du 14 octobre a parfaitement pu statuer pour l'avenir, ce qui permettrait actuellement de la lui opposer puisqu'elle n'a pas été frappée d'appel, la disparition apparente du motif, certes erroné, qui semble en avoir été le soutien nécessaire autorise à réexaminer l'interdiction qu'elle contient puisqu'elle constitue à tout le moins, au sens de l'article 488 du Nouveau Code de Procédure Civile, une circonstance nouvelle autorisant à la rapporter ; IV-2

Sur l'interdiction litigieuse a.

Considérant que pour interdire les annonces le premier juge les a tenues pour manifestement illicites en relevant qu'elles contrevenaient aux dispositions de l'article L 121-1 du Code de la Consommation prohibant "toute publicité comportant... des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur" ; qu'il a énoncé qu'elles constituaient de plus un "dénigrement... de la spécialité Deroxat... par la mise en avant de symptômes défavorables à (sa) prescription" ; b.

Considérant qu'à ce raisonnement, qu'elle approuve, la société L.P.S.B. ajoute qu'en lui communiquant au préalable deux textes avec faculté de n'en publier qu'un la société L.F. n'a pas respecté l'obligation d'information édictée par l'article L 121-12 du Code de la Consommation ; qu'elle déclare que le rapprochement effectué ne satisfait pas à l'impératif de comparaison "des caractéristiques essentielles, significatives, permanentes et vérifiables" énoncé à l'article L 121-8 du même code, le critère de comparaison adopté étant unique et selon elle "marginal" puisque postérieur à l'administration du médicament ; qu'elle fait encore grief à la société L.F. de n'avoir pas respecté des recommandations de l'Agence du Médicament prônant une comparaison "la plus exhaustive possible sans privilégier exclusivement les éléments favorables" ; qu'elle qualifie de "rares et bénins" les symptômes liés à un arrêt du traitement ; qu'elle rappelle que la publicité pour le médicament ne doit pas, selon l'article L 551-1 du Code de la Santé publique, être "trompeuse" et que les informations données doivent, selon l'article R 5047-1 du même code, être "exactes, à jour, vérifiables et suffisamment complètes pour permettre au destinataire de se faire une idée personnelle de la valeur thérapeutique du médicament", conditions que ne rempliraient pas les annonces litigieuses ;

qu'enfin elle qualifie de manoeuvre de concurrence déloyale et de "dénigrement" la présentation faite des symptômes inhérents à l'arrêt brutal du traitement par le DEROXAT, en prenant argument de la rareté, soulignée par l'autorisation de mise sur le marché du médicament, de ces symptômes ; c.

Mais considérant qu'il n'est pas évident que soit ignorante des droits d'un concurrent la notification faite à ce concurrent, pour qu'il puisse y faire obstacle comme le veut l'article L 121-12 du Code de la Consommation, d'une publicité comparative sous deux versions avec possible retenue d'une seule ; que si la survenance d'effets déterminés lors de l'arrêt inopiné du traitement par un médicament n'est évidemment pas une propriété intrinsèque de la substance administrée il peut cependant être sérieusement soutenu, puisqu'un médicament ne vaut que par l'usage qu'on en fait, que la vertu d'un tel médicament à produire ou non, par l'arrêt de son administration, de tels effets de façon "permanente" et "vérifiable" est une caractéristique assez importante pour apparaître, aux yeux de qui le prescrit ou l'absorbe, comme "essentielle" ou encore "significative" encore que lesdits effets puissent apparaître "rarement", ce qui n'est pas une façon de les quantifier ou un motif suffisant pour les ravaler à l'accessoire ; que l'éventuelle nécessité d'un pluriel s'agissant "des caractéristiques" mentionnées à l'article L 121-8 du code précité nécessite une interprétation dépassant l'aptitude du juge des référés ; qu'aborder de façon avantageuse et au préjudice du "Deroxat" la caractéristique susmentionnée dans une publicité comparative sans aborder d'autres points ne pourra être jugé déloyal, dénigrant, trompeur et dénué d'objectivité au sens de l'article L 551-1 du Code de la Santé publique, incomplet au sens de l'article R 5047-1 du même code, ou

encore ignorant de l'exhaustivité voulue par les recommandations de l'Agence du Médicament, que lorsqu'il sera établi ou suffisamment présumé, devant un juge qui sera forcément celui du fond, que sur les terrains autres que la caractéristique abordée existent des différences en faveur du même "Deroxat", différences dont le passage sous silence pourra alors constituer, pour les annonces litigieuses, la série de vices alléguée ; qu'en l'état la possible illicéité du trouble déploré par la société S.B. n'apparaît donc pas de la façon manifeste qui autoriserait le Juge des Référés à faire cesser ledit trouble ; qu'il sera dit, en conséquence, n'y avoir lieu à référé sur les demandes de cette société, ce qui reviendra à infirmer l'ordonnance ; que cette infirmation prive de tout intérêt la discussion subsidiairement instaurée sur l'astreinte ; V

Et considérant qu'il n'y a évidemment pas lieu à allocation de dommages-intérêts, fussent-ils symboliques, en référé ; que les données de la cause ne font ressortir aucun motif particulier d'équité autorisant une application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en faveur de la société L.F. ; que ce texte ne peut profiter à la société L.P.S.B., partie perdante à condamner aux dépens. PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirmant l'ordonnance entreprise,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES SMITHKLINE BEECHAM,

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces

derniers droit de recouvrement direct au profit de la S.C.P. FIEVET-ROCHETTE-LAFON, Avoués. Dit n'y avoir lieu à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRÊT : Monsieur GILLET, Président, qui l'a prononcé, Mademoiselle X..., Greffier, qui a assisté au prononcé, LE GREFFIER

LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-9353
Date de la décision : 22/05/1998

Analyses

PUBLICITE COMMERCIALE - Publicité comparative.

Selon l'article L 121-12 du code de la consommation, la diffusion d'une annonce comparative par un annonceur doit être précédée d'une communication de celle-ci aux professionnels visés. Un annonceur qui com- munique à son concurrent deux versions d'un même projet de publicité compa- rative, en se réservant la possibilité de n'en retenir qu'une seule pour la dif- fusion, n'ignore pas, du moins d'une façon évidente, les droits de son concurr- ent

PUBLICITE COMMERCIALE - Publicité comparative.

Il résulte de l'article L 121-8 du code de la consommation que la survenance d'effets déterminés et "vérifiables" à l'issue de l'arrêt brusque d'un traitement médicamenteux constitue une caractéristique suffisamment importante d'une spécialité pharmaceutique pour qu'elle puisse être qualifiée d' "essentielle" tant du point de vue du prescripteur que du patient, et la nécessité d'un pluriel s'agissant "des caractéristiques" relève d'une interprétation du texte étrangère à la compétence du juge des référés

REFERE - Mesures conservatoires ou de remise en état - Trouble manifestement illicite - Applications diverses - Publicité commerciale.

La comparaison avantageuse d'un médicament aux dépens d'un autre, sur la base d'une seule caractéristique essentielle, ne peut être jugée déloyale, dénigrante, trompeuse et dénuée d'objectivité au sens de l'article L 551-1 du code de la santé publique, ou incomplète au sens de l'article R 547-1 du même code, donc constituant un trouble manifestement illicite, tant que n'est pas établie devant le juge du fond l'occultation éventuelle d'autres caractéristiques essentielles favorables au médicament faire-valoir


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-05-22;1997.9353 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award