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14/05/1998 | FRANCE | N°1996-721

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14 mai 1998, 1996-721


La société MOISSELLES DISTRIBUTION exploitait un hypermarché sous l'enseigne Edouard X... à MOISSELLES (95). A ce titre, elle bénéficiait de ristournes consenties par différents fournisseurs aux adhérents du Groupement X....

Par courrier du 06 juillet 1993, le Groupement Leclerc a avisé l'un des fournisseurs, la société BISCUITS SAINT-MICHEL, que la société MOISSELLES DISTRIBUTION ne faisait plus partie de ses adhérents depuis le 30 juin 1993.

Estimant n'être plus tenue, à compter de cette date, de consentir des avantages particuliers à la société MOISSELLES

DISTRIBUTION, la société BISCUITS SAINT-MICHEL a, pour les six derniers mois d...

La société MOISSELLES DISTRIBUTION exploitait un hypermarché sous l'enseigne Edouard X... à MOISSELLES (95). A ce titre, elle bénéficiait de ristournes consenties par différents fournisseurs aux adhérents du Groupement X....

Par courrier du 06 juillet 1993, le Groupement Leclerc a avisé l'un des fournisseurs, la société BISCUITS SAINT-MICHEL, que la société MOISSELLES DISTRIBUTION ne faisait plus partie de ses adhérents depuis le 30 juin 1993.

Estimant n'être plus tenue, à compter de cette date, de consentir des avantages particuliers à la société MOISSELLES DISTRIBUTION, la société BISCUITS SAINT-MICHEL a, pour les six derniers mois de l'exercice 1993, refusé de verser des ristournes à la société MOISSELLES DISTRIBUTION.

Cette dernière a bloqué le paiement de diverses factures et, par ordonnance de référé en date du 05 juillet 1994, régulièrement signifiée et non frappée d'appel, la société MOISSELLES DISTRIBUTION a été condamnée à titre provisionnel à payer à la société BISCUITS SAINT-MICHEL, en couverture de cet arriéré, la somme de 194.450,96 francs.

Parallèlement, et par acte du 05 octobre 1994, la société MOISSELLES DISTRIBUTION a saisi le Tribunal de Commerce de PONTOISE pour obtenir paiement de la somme de 20.045,05 francs qu'elle estimait devoir lui revenir au titre des ristournes jusqu'à son changement définitif d'enseigne et la vente de son fonds de commerce à la société SODIAM intervenus au début du mois de janvier 1994.

Par jugement en date du 16 novembre 1995, la 3ème Chambre de la juridiction précitée a débouté la société MOISSELLES DISTRIBUTION de ses prétentions et l'a condamnée, avec exécution provisoire, à payer à la société BISCUITS SAINT-MICHEL la somme de 15.000 francs à titre de dommages et intérêts, outre celle de 4.000 francs en application

de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*

Appelante de cette décision, la société MOISSELLES DISTRIBUTION fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les éléments de la cause. Elle soutient tout d'abord que les ristournes dont s'agit ont été négociées sur la base des accords passés l'année précédente et estime qu'elles lui sont contractuellement dues pour la totalité de l'année 1993, conformément à l'usage précédemment établi, et ce, quand bien même LE GALEC, centrale de référencement du Groupement Leclerc, serait intervenu dans ces négociations dès lors que cet organisme coopératif n'agit que pour le compte de ses adhérents. Elle déduit de là que la société BISCUITS SAINT-MICHEL ne pouvait unilatéralement mettre fin à ces accords contractuels en se fondant sur une simple information donnée par le Groupement Leclerc, tiers auxdits accords. Elle ajoute qu'en tout état de cause, elle est en droit de prétendre au paiement des ristournes pour toute la durée de l'exercice 1993 dès lors que la décision d'exclusion dont elle a fait l'objet n'a pris effet que postérieurement au 31 décembre 1993, comme il en est justifié. Elle estime également dépourvue de tout fondement la condamnation complémentaire à dommages et intérêts dont elle a fait l'objet. Pour l'ensemble de ces motifs, elle demande que la société BISCUITS SAINT-MICHEL soit déclarée tenue de lui payer, au titre des remises contractuelles, la somme de 20.045,05 francs, et ce, avec intérêts de droit à compter du 05 octobre 1994, date de l'exploit introductif d'instance. Elle réclame également restitution de la somme de 15.000 francs de dommages et intérêts qu'elle a été contrainte de verser au titre de l'exécution provisoire.

Elle réclame enfin une indemnité de 5.960 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*

La société BISCUITS SAINT-MICHEL s'oppose pour sa part à l'argumentation adverse et conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré sauf à se voir allouer de nouveaux dommages et intérêts à hauteur de 20.000 francs et une indemnité complémentaire de 15.000 francs en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour. MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que le litige trouve son origine dans la rupture, par un fournisseur, d'une pratique de remises précédemment accordées à un distributeur.

Considérant en effet qu'il est établi par les pièces des débats et non contesté que, au titre de chacun des mois de janvier à juin 1993, et à l'instar des pratiques instaurées l'année précédente, la société BISCUITS SAINT-MICHEL a accordé à la société MOISSELLES DISTRIBUTION, sous forme d'avoirs, une ristourne de 9,40 % sur les chiffres d'affaires mensuel et une ristourne de 0,50 % du chiffre d'affaires du semestre.

Considérant que, informée par un courrier en date du 06 juillet 1993 émanant du Groupement Edouard Leclerc de l'exclusion de la société MOISSELLES DISTRIBUTION du mouvement de même nom, la société BISCUITS SAINT-MICHEL a refusé de verser à cette société, à compter du 1er juillet 1993, les ristournes précédemment consenties.

Considérant que, pour rejeter la demande en paiement formée par la société MOISSELLES DISTRIBUTION, les premiers juges ont essentiellement retenu que les pièces versées par ladite société, en l'occurrence une fiche intitulée "Accord Fournisseur", n'avaient aucun caractère probant ou contractuel ; que rien ne permet d'affirmer qu'au moment de la vente de marchandise émanant de la

société BISCUITS SAINT-MICHEL, celle-ci était obligée d'octroyer les ristournes alléguées ; qu'en ce qui concerne la date de fin d'appartenance de la société MOISSELLES DISTRIBUTION au Groupement Leclerc, celle-ci n'est d'aucune influence ; que dès l'instant où la société BISCUITS SAINT-MICHEL a été avisée que la société MOISSELLES DISTRIBUTION ne faisait plus partie des centres distributeurs X..., elle était parfaitement fondée à renoncer unilatéralement, et sans préavis, à continuer d'accorder cette remise de 9,40 %, que la seule crainte de perdre son référencement auprès de la Centrale d'achats GALEC l'avait obligé à consentir ; que, dès le 06 juillet 1993, la société BISCUITS SAINT-MICHEL GRELLIER a retrouvé sa liberté juridique de fixation de ses prix que seule la contrainte et la pression économique lui avaient fait perdre.

Mais considérant que cette analyse ne saurait être suivie.

Considérant en effet qu'il est de principe, en matière de relations commerciales, que les conditions de vente et de prix doivent être égales pour tous les distributeurs appartenant à un même réseau de distribution et qu'une discrimination tarifaire ne peut être à titre exceptionnel admise que si elle est fondée sur des critères objectifs, effectifs et contrôlables ; qu'il est également de principe que la brusque cessation de l'octroi de remises, sans motif légitime, engage la responsabilité du fournisseur.

Considérant qu'en l'espèce, il apparaît que, comme il a été dit précédemment, la société MOISSELLES DISTRIBUTION s'était vue consentir par la société BISCUITS SAINT-MICHEL diverses ristournes sous forme d'avoirs constitués par un pourcentage de chiffre d'affaires réalisé mensuellement et semestriellement ; que cette pratique, déjà instaurée pour l'année 1992, a été reconduite dans les mêmes conditions pour le premier semestre 1993, ainsi qu'en font foi les justificatifs produits ; qu'il n'est par ailleurs pas contesté

que la pratique ainsi instaurée était la résultante de négociations conduites par la centrale de référencement du Groupement Leclerc, à savoir LE GALEC, mouvement coopératif agissant pour compte de ses adhérents qui sont l'ensemble des centres distributeurs X... ; qu'elle a dès lors valeur contractuelle contrairement à ce que la société BISCUITS SAINT-MICHEL tente de soutenir.

Considérant que le refus de continuer à faire bénéficier des ristournes la société MOISSELLES DISTRIBUTION au seul motif que la société BISCUITS SAINT-MICHEL aurait été informée par le "Groupement Leclerc", tiers à ces accords, de l'exclusion dudit groupement de la société appelante, revêt incontestablement en l'espèce un caractère fautif dans la mesure où cette décision est intervenue brutalement, sans préavis, et sans vérification approfondie de l'information donné par le Groupement Leclerc et surtout sans possibilité pour la société MOISSELLES DISTRIBUTION de faire valoir son point de vue ; que cette rupture à effet immédiat est d'autant plus imputable à faute à la société BISCUITS SAINT-MICHEL qu'il apparaît que la société MOISSELLES DISTRIBUTION a obtenu l'autorisation en justice de poursuivre ses activités sous l'enseigne Edouard X... jusqu'à la fin de l'année 1993 ; qu'il en résulte que, à compter du 1er juillet 1993, la société MOISSELLES DISTRIBUTION a fait l'objet de la part de la société BISCUITS SAINT-MICHEL d'un traitement discriminatoire dès lors qu'elle n'a pu bénéficier des mêmes conditions tarifaires que les autres distributeurs appartenant à la même enseigne, et ce, sans motif légitime et admissible ; que, dans ces conditions, l'appelante est fondée à réclamer à la société BISCUITS SAINT-MICHEL le montant des ristournes qu'elle aurait dû continuer à percevoir, sur la base des accords précédemment négociés, jusqu'au 31 décembre 1993 ; que le jugement dont appel sera dès lors infirmé en toutes ses dispositions et la société BISCUITS SAINT-MICHEL condamnée à payer à la société

MOISSELLES DISTRIBUTION la somme de 20.045,05 francs, correspondant auxdites ristournes comme il en est justifié par les pièces comptables produites, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 05 octobre 1994, date de l'exploit introductif d'instance valant mise en demeure.

Considérant que la société BISCUITS SAINT-MICHEL sera, par ailleurs, condamnée à restituer à la société MOISSELLES DISTRIBUTION la somme de 15.000 francs qu'elle a indûment perçue en exécution forcée du jugement entrepris, et ce, avec intérêts de droit à compter de la notification de la présente décision.

Considérant qu'il serait, en outre, inéquitable de laisser à la charge de la société MOISSELLES DISTRIBUTION, eu égard à la solution du litige, les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits ; que la société BISCUITS SAINT-MICHEL sera condamnée à lui payer une indemnité de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Considérant enfin que la société BISCUITS SAINT-MICHEL, qui succombe, supportera les entiers dépens. PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit la société MOISSELLES DISTRIBUTION SA en son appel,

Y faisant droit,

- Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau,

- Condamne la société BISCUITS SAINT-MICHEL GRELLIER SA à payer, au titre d'arriéré de ristourne, à la société MOISSELLES DISTRIBUTION SA, la somme de 20.045,05 francs, et ce, avec intérêts de droit à compter du 05 octobre 1994, date de l'exploit introductif d'instance valant mise en demeure,

- Condamne également la société BISCUITS SAINT-MICHEL GRELLIER SA à

restituer à la société MOISSELLES DISTRIBUTION SA la somme de 15.000 francs perçue au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts de droit à compter de la notification de la présente décision,

- Condamne, en outre, la société BISCUITS SAINT-MICHEL GRELLIER SA à payer à la société MOISSELLES DISTRIBUTION SA une indemnité de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Condamne enfin la société BISCUITS SAINT-MICHEL GRELLIER SA aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'Avoués JULLIEN etamp; LECHARNY etamp; ROL à en poursuivre directement le recouvrement, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-721
Date de la décision : 14/05/1998

Analyses

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Faute

En matière commerciale, les conditions de vente et de prix doivent être égales pour tous les distributeurs appartenant à un même réseau de distribution et, si une discrimination tarifaire peut, à titre exceptionnel, être admise, elle doit être fondée sur des critères objectifs, effectifs et contrôlables. En outre, la brusque cessation de l'octroi de remises, sans motif légitime, engage la responsabilité du fournisseur. Les ristournes consenties par un industriel à un supermarché client, en application de négociation commerciale conduites par une centrale de référencement, auquel adhère le supermarché précité, ont valeur contractuelle dès lors que la centrale agit pour le compte de ses adhérents. Un fournisseur qui, informé par la centrale coopérative de ce que l'un de ses clients n'est plus membre de celle-ci, décide de le priver du bénéfice des ristournes, sans préavis ni vérification approfondie de la réalité de l'information donnée, et ce, sans appeler ledit client à faire valoir son point de vue, engage sa responsabilité à raison de la rupture immédiate, fautive, des engagements contractuels. En l'espèce, et de surcroît, le supermarché, autorisé en justice à conserver son enseigne, ne pouvait, sans motif légitime et admissible faire l'objet de pratiques discriminatoires par rapport aux conditions tarifaires consenties aux autres distributeurs


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : M. Assié

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-05-14;1996.721 ?
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