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07/05/1998 | FRANCE | N°JURITEXT000006935199

France | France, Cour d'appel de Versailles, 07 mai 1998, JURITEXT000006935199


La Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (ci-après C.B.C.) a souhaité se doter d'un outil informatique lui permettant la saisie des réserves pouvant être émises par un maître d'ouvrage lors de la réception d'un chantier.

Pour ce faire, elle a passé le 31 juillet 1991 une convention avec la société SYLOGIC.

Il était notamment stipulé à l'article 4 que les parties seraient tenues à une obligation de confidentialité et à l'article 5 que la société C.B.C. serait propriétaire du logiciel.

La société SYLOGIC a ainsi développé un logiciel

dénommé RECEPTEL qu'elle a écrit, livré et installé conformément au cahier des charges de C...

La Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (ci-après C.B.C.) a souhaité se doter d'un outil informatique lui permettant la saisie des réserves pouvant être émises par un maître d'ouvrage lors de la réception d'un chantier.

Pour ce faire, elle a passé le 31 juillet 1991 une convention avec la société SYLOGIC.

Il était notamment stipulé à l'article 4 que les parties seraient tenues à une obligation de confidentialité et à l'article 5 que la société C.B.C. serait propriétaire du logiciel.

La société SYLOGIC a ainsi développé un logiciel dénommé RECEPTEL qu'elle a écrit, livré et installé conformément au cahier des charges de C.B.C.

Ayant appris que la société SYLOGIC commercialisait un logiciel dénommé EDL qui présenterait de larges similitudes avec le logiciel RECEPTEL, la société C.B.C. a fait pratiquer le 22 avril 1992 une saisie-contrefaçon, puis a assigné la société SYLOGIC devant le tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement en date du 24 mars 1993, cette juridiction a désigné Mr CAILLEAU en qualité d'expert.

Dans un rapport déposé le 20 février 1994, l'expert a essentiellement conclu que le logiciel EDL correspondait à un domaine d'utilisation différent de celui initialement voulu par CBC puisqu'il concernait la gestion des logements locatifs, mais que pour le développer, la société SYLOGIC avait repris une partie importante du logiciel RECEPTEL tout en l'étendant de façon importante.

Par jugement en date du 21 décembre 1994, le tribunal de commerce de Versailles a :

- entériné le rapport de l'expert en ce qui n'était pas contraire au jugement,

- dit non établie la contrefaçon,

- condamné la société SYLOGIC à payer à la société C.B.C. la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu à publication et affichage du jugement,

- fait interdiction à la société SYLOGIC de commercialiser le logiciel E.D.L.,

- ordonné à la société SYLOGIC de détruire ledit logiciel,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société SYLOGIC à payer à la société C.B.C. la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C.,

- condamné la société SYLOGIC aux dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges, après avoir considéré que le droit de propriété conféré à la société CBC sur le logiciel ne privait pas la société SYLOGIC du droit d'utiliser par ailleurs son

savoir-faire, ont retenu que néanmoins celle-ci avait violé son engagement contractuel de confidentialité en reprenant pour son logiciel E.D.L. une partie importante du logiciel développé pour C.B.C.

La société SYLOGIC a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 1er février 1995.

Elle a approuvé les premiers juges d'avoir rejeté l'action en contrefaçon, dès lors que la société CBC n'était devenue propriétaire que de l'objet matériel que constituait un exemplaire de reproduction de l'oeuvre de l'auteur, tandis qu'elle-même en tant qu'auteur de l'oeuvre restait titulaire d'un droit de propriété exclusif et opposable à tous, et que la société C.B.C. ne démontrait pas que les similitudes entre E.D.L. et RECEPTEL se rapportaient à une partie protégeable parce qu'impliquant une création originale de la société C.B.C.

Elle a contesté toute violation de son obligation de confidentialité dès lors que les états des lieux et les procès-verbaux de réception ne constituaient pas une méthode originale protégeable ou relevant d'un savoir-faire particulier, que l'organisation des données et la structure des programmes des deux logiciels étaient différentes, que la présentation des écrans résultait de son savoir-faire et non de celui de C.B.C.

Elle a soutenu que, de toute manière, la société C.B.C. n'avait subi aucun préjudice, contrairement à elle qui avait fait l'objet d'une saisie-contrefaçon injustifiée.

Elle a demandé la mainlevée de cette saisie-contrefaçon, le paiement d'une somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial, outre une somme de 40.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C., et enfin qu'interdiction fût donnée à la société C.B.C. de faire usage de tout logiciel résultant de modification de RECEPTEL pour l'adapter à la gestion des locations d'immeubles.

La société CBC, après avoir fait grief à la société SYLOGIC d'avoir dénaturé les termes du rapport d'expertise, ainsi que d'avoir opéré une distinction sans fondement entre droit de propriété et droit d'auteur, a soutenu que la contrefaçon, laquelle s'étendait au cahier des charges, était établie en raison des très nombreux emprunts illicites de SYLOGIC au logiciel RECEPTEL et à son cahier des charges.

Elle a, en outre, fait valoir que des éléments couverts par la clause de confidentialité avaient été reproduits illicitement, en particulier les "fonctionnalités", la structure des données, la description des fichiers, la description des écrans de saisie et leur enchaînement.

Elle a conclu à l'infirmation partielle du jugement entrepris pour demander à la cour de :

- condamner la société SYLOGIC au titre des actes constitutifs de contrefaçon de propriété littéraire et artistique,

- fixer à la somme de 400.000 F le préjudice qu'elle avait subi au titre des frais d'études et de développements que s'était indûment appropriés SYLOGIC,

- fixer à la somme de 100.000 F son préjudice commercial complémentaire,

- ordonner la publication de l'arrêt dans cinq journaux ou revues de son choix et aux frais de SYLOGIC dans la limite de 100.000 F,

- ordonner l'affichage de la décision dans les locaux de SYLOGIC pendant un mois,

- lui allouer les intérêts légaux à compter de l'assignation et avec capitalisation,

- condamner SYLOGIC à lui payer la somme de 60.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C.

SUR CE, LA COUR

Sur les droits des parties

Considérant que le code de la propriété intellectuelle pose en règle générale dans son article L 111-1 que l'existence ou la conclusion d'un contrat de louage ou de services par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1er de ce texte, lequel dispose que l'auteur d'une

oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ;

Considérant que l'article L 111-3 précise encore que la propriété incorporelle définie par l'article L 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel ;

Considérant que la société SYLOGIC, qui seule a développé le logiciel RECEPTEL, est titulaire du droit de propriété incorporelle ci-dessus énoncé, à moins qu'elle n'ait expressément cédé tout ou partie de ses droits;

Considérant qu'en l'espèce, la convention des parties énonce en son article 5 intitulé "propriété industrielle, exploitation et commercialisation" : "C.B.C. est propriétaire du produit logiciel résultant du développement réalisé par SYLOGIC" ;

"C.B.C. est libre de toute commercialisation, exploitation, utilisation et modification du produit" ;

Considérant qu'à aucun moment, les parties n'ont convenu d'une cession des droits de l'auteur telle que régie par le code de la propriété intellectuelle dans son titre III du livre premier ;

Considérant qu'au contraire, les termes "propriété industrielle" et

"produit" apparaissent peu compatibles avec la notion de droit d'auteur ;

Que le second alinéa de l'article 5 n'aurait aucune utilité si l'ensemble des droits avait été cédé, alors qu'en revanche il prend tout son sens dès lors qu'il a pour but de délimiter précisément le cadre des autorisations consenties par l'auteur de l'oeuvre à son utilisateur, conformément aux dispositions de l'article 47 de la loi n°85-660 du 3 juillet 1985, applicable en l'espèce ;

Que le prix payé par C.B.C., 87.000 F, correspond exclusivement au coût du travail de développement, et qu'il apparaît inconcevable que SYLOGIC ait pu céder gratuitement l'ensemble de ses droits incorporels ;

Que la mise à disposition de C.B.C. des sources de l'application développées pour son compte n'est pas de nature à établir une cession de tous les droits de l'auteur, dès lors qu'elle était rendue nécessaire par les autorisations données à l'article 5 alinéa 2 de la convention ;

Considérant qu'en définitive, la société CBC ne s'est vu céder que le support matériel du logiciel, et non pas les droits incorporels qui s'attachent à celui-ci ;

Sur la contrefaçon

Considérant qu'une éventuelle contrefaçon ne pourrait concerner que la prestation de C.B.C., à savoir le cahier des charges ;

Considérant que la loi du 3 juillet 1985 ne confère aucune protection particulière au cahier des charges, lequel reste toutefois protégeable en tant qu'oeuvre de l'esprit conformément au droit commun ;

Considérant que le cahier des charges doit donc notamment répondre à l'exigence d'originalité ;

Considérant que la société CBC n'explique pas en quoi son cahier des charges serait original et qu'il est de fait que le principe des réceptions de chantier est du domaine public dès lors qu'il s'agit d'une technique utilisée par l'ensemble des sociétés de construction et d'une tâche courante pour elles, dont les règles sont parfaitement définies et existent d'ailleurs souvent sous forme de formulaires préimprimés, ce qui exclut qu'il ait pu s'agir d'une procédure originale que la société C.B.C. aurait pu mettre en oeuvre au sein de son entreprise ;

Considérant qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit non établie la contrefaçon ;

Sur l'obligation de confidentialité

Considérant qu'est insérée à l'article 4 de la convention la clause de confidentialité suivante :

"Les soussignés s'engagent et engagent leurs sous-traitants éventuels à garder confidentiels le développement, la structure des données et le cahier des charges. De plus, ils s'interdisent de communiquer à des "tiers" toute "information confidentielle" qu'ils seraient amenés à connaître dans le cadre de ce développement ;

"On entend par "information confidentielle" toute information qui n'est pas du domaine public ou qui n'a pas fait l'objet de communication ou de publication et dont la divulgation nuirait ou constituerait une perte de substance pour l'entreprise" ;

Considérant tout d'abord que, dès lors qu'il a été reconnu à la société CBC le droit de céder l'exemplaire de l'oeuvre qui lui avait été remis, il n'apparaît pas que l'obligation de confidentialité puisse survivre au-delà de la livraison à CBC de cet exemplaire ;

Considérant ensuite, que la divulgation d'une chose confidentielle suppose au moins que celui qui reçoit une information quelconque soit en mesure de redécouvrir cette chose à partir des éléments portés à sa connaissance ;

Considérant qu'il ne suffit pas qu'une partie importante du logiciel RECEPTEL soit repris dans le logiciel EDL pour que l'engagement de confidentialité soit violé, comme l'ont retenu les premiers juges en raisonnant comme en matière de contrefaçon ;

Considérant que les éléments du RECEPTEL repris pour EDL ont été suffisamment modifiés et il existe assez de différences entre les autres pour qu'un possesseur du logiciel EDL ne puisse pas reconstituer les éléments essentiels confidentiels du logiciel RECEPTEL, alors qu'au surplus les deux logiciels ont des domaines d'application différents et que ce qui découle plus particulièrement du savoir-faire de CBC ne présente pas, ainsi qu'il a déjà été dit, une originalité particulière ;

Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement de ce chef et de débouter la société CBC de l'ensemble de ses demandes ; Sur les demandes de SYLOGIC

Considérant qu'il convient d'annuler la saisie-contrefaçon et d'en ordonner mainlevée ;

Considérant que privée de la possibilité de développer son logiciel

EDL en raison d'une saisie-contrefaçon injustifiée, la société SYLOGIC subit un préjudice commercial certain, en réparation duquel la cour dispose des éléments suffisants pour lui allouer une somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que conformément à l'article 47 de la loi du 3 juillet 1985 et à l'article 5 alinéa 2 de la convention, la société CBC peut procéder pour son usage personnel à la modification du logiciel RECEPTEL ; qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande d'interdiction générale sollicitée;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société SYLOGIC une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit non établie la contrefaçon et dit n'y avoir lieu à publications et affichage du jugement ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Déboute la Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction de l'ensemble de ses demandes,

Déclare nulle la saisie-contrefaçon diligentée le 22 avril 1992 et en ordonne mainlevée ;

Condamne la Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction à payer à la société SYLOGIC la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial ;

Dit n'y avoir lieu d'interdire à la Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction tout usage du logiciel RECEPTEL modifié ;

Condamne la Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction à payer à la société SYLOGIC la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel à la SCP LISSARRAGUE ET DUPUIS le bénéfice de l'article 699 du N.C.P.C.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. LE X...

J-L GALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006935199
Date de la décision : 07/05/1998

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droit d'auteur - Droit de propriété incorporelle exclusif - Dérogation - Contrat de louage d'ouvrage (non) - /.

Il résulte des dispositions des articles L 111-1 alinéa 1er et 3 et L 111-3 du Code de la propriété intellectuelle que l'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1er de l'article L 111-1 aux termes duquel " l'auteur d'oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ", laquelle est indépendante de la propriété de l'objet matériel. Dès lors qu'une société conceptrice d'un logiciel est titulaire du droit de propriété incorporelle ci-dessus évoqué, sauf à en avoir expressément cédé tout ou partie, une clause contractuelle intitulée " propriété industrielle, exploi- tation et commercialisation ", qui stipule que le client est propriétaire du produit logiciel développé par le concepteur et que le client est libre de toute commercialisation, exploitation, utilisation et modification du produit, ne saurait être analysée en une cession des droits de l'auteur telle que régie par le code de la propriété intellectuelle dans son titre III du livre premier. Qu'en effet, la dé- limitation par une clause contractuelle des droits du client, conformément à l'article 47 de la loi 85-660 du 3 juillet 1985, n'a d'utilité qu'autant que la cession des droits n'est que partielle et que, en l'occurrence, la modicité du prix payé par le client exclut que le prestataire ait pu céder l'ensemble de ses droits incorporels

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Oeuvre de l'esprit - Protection - Conditions.

Si en application de la loi du 3 juillet 1985 un cahier des charges est, en tant qu'ouvre de l'esprit, protégeable conformément au droit commun, cette protection reste subordonnée à l'exigence d'originalité.Dès lors que l'objet d'un cahier des charges -la réception de chantier- est du domaine public, s'agissant d'une technique utilisée par l'ensemble des entreprises de construction, il est exclu qu'il puisse s'agir d'une procédure originale ; il ne saurait donc y avoir contrefaçon

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Faute.

La divulgation d'une chose confidentielle suppose que celui qui reçoit une information quelconque est mis en mesure de redécouvrir cette chose à partir des éléments portés à sa connaissance.La reprise dans un logiciel d'éléments développés dans un autre n'implique pas nécessairement la violation d'une obligation de confidentialité. En l'espèce, lorsque les éléments de logiciels repris ont été suffisamment modifiés en sorte que l'utilisateur du logiciel dérivé ne puisse pas reconstituer les éléments essentiels confidentiels contenus dans le produit originel, que de surcroît les deux produits ont des domaines d'application différents, la violation de l'obligation de confidentialité n'est pas établie


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-05-07;juritext000006935199 ?
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