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07/05/1998 | FRANCE | N°1995-7109

France | France, Cour d'appel de Versailles, 07 mai 1998, 1995-7109


Monsieur X... Y..., journaliste et employé par l'agence GAMMA, a réalisé en 1987 un reportage photographique lors d'une conférence de presse organisée par l'association FRANCE PLUS en vue de favoriser la participation active des jeunes "beurs" à la vie politique française et les inviter à s'inscrire sur les listes électorales en vue des élections présidentielles. Il a pris dans ces circonstances une photographie de quatre jeunes gens, d'origine maghrébine, parmi lesquels se trouvaient Monsieur D X... et Monsieur X... Z..., montrant leurs cartes d'électeurs ou leurs cartes d'identi

té de Français.

Cette photographie a été publiée dans "LES...

Monsieur X... Y..., journaliste et employé par l'agence GAMMA, a réalisé en 1987 un reportage photographique lors d'une conférence de presse organisée par l'association FRANCE PLUS en vue de favoriser la participation active des jeunes "beurs" à la vie politique française et les inviter à s'inscrire sur les listes électorales en vue des élections présidentielles. Il a pris dans ces circonstances une photographie de quatre jeunes gens, d'origine maghrébine, parmi lesquels se trouvaient Monsieur D X... et Monsieur X... Z..., montrant leurs cartes d'électeurs ou leurs cartes d'identité de Français.

Cette photographie a été publiée dans "LES CAHIERS DE l'EXPRESS" hors série d'avril 1990 intitulé "DOSSIER IMMIGRATION", puis dans "LE NOUVEL OBSERVATEUR" numéro 1517 du 2 au 9 décembre 1993 dans un article "CE QUE VEULENT LES BEURS" et a aussi figuré dans le générique de l'émission de télévision "LA MARCHE DU SIECLE" réalisée à la même époque sur le même sujet en coordination avec cet hebdomadaire.

Elle a été également publiée dans le journal algérien "L'HEBDO" en février 1992.

Par acte du 25 juillet 1994, Monsieur D X... et Monsieur X... Z... ont assigné la société GAMMA PRESSE IMAGES devant le tribunal de grande instance de NANTERRE pour :

- se faire remettre le négatif de la photographie litigieuse,

- voir interdire, sous astreinte, à la société GAMMA de vendre à l'avenir cette photographie,

- condamner la société GAMMA à payer à chacun d'eux, la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts.

Le tribunal de grande instance de NANTERRE, par jugement du 10 mai 1995, a :

- donné acte à la société GAMMA de ce qu'elle indique avoir retiré le cliché litigieux de l'exploitation et de ce qu'elle s'engage à ne

plus l'exploiter à l'avenir,

- déclaré irrecevable la demande en restitution du négatif, la société n'étant pas titulaire du support matériel resté dans le patrimoine du photographe,

- condamné la société GAMMA à payer à chacun des demandeurs la somme de 30.000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 5.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile. Après avoir constaté que la photographie avait été prise avec l'accord de Messieurs X... et Z..., lesquels avaient posé devant l'objectif, le tribunal a considéré que cet accord n'emportait pas consentement général pour l'utilisation de cette photographie sans limitation de durée et de support et que l'utilisation qui en avait été faite ultérieurement était fautive.

La société GAMMA PRESSE IMAGES a interjeté appel de cette décision.

Elle soutient essentiellement que Messieurs X... et Z..., ayant posé pour un photographe de presse spécialement sollicité à cet effet par l'association FRANCE PLUS, sont mal venus de prétendre qu'ils n'ont pas donné leur accord pour sa parution dans la presse ; que la publication de cette photographie pour illustrer des reportages sur l'intégration dans la société et la promotion sociale des jeunes maghrébins ne leur a occasionné aucun préjudice ; qu'elle l'a définitivement retirée de la diffusion.

Elle fait aussi valoir que cette photographie a un caractère purement informatif et qu'elle pouvait être publiée en l'absence de tout accord des personnes représentées et elle souligne que le cliché n'a été exploité qu'à de strictes fins d'information et non dans le cadre d'opérations publicitaires ou promotionnelles.

Subsidiairement, la société GAMMA fait observer que Messieurs X... et Z... n'établissent aucun préjudice.

La société appelante demande en conséquence à la Cour de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle lui a donné acte du retrait de la photographie et de son engagement ne plus l'exploiter pour l'avenir ainsi qu'en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande en restitution du négatif,

- réformer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, débouter Monsieur X... et Monsieur Z... de toutes leurs demandes,

- les condamner au remboursement des sommes qu'elle a versées en vertu de l'exécution provisoire.

Monsieur D X... et Monsieur X... Z..., intimés, exposent que la photographie litigieuse continue d'être publiée et produisent un exemplaire du journal algérien "LA TRIBUNE" du 11 mars 1996 où elle illustre un article sur le "durcissement" de la législation française sur l'immigration.

Formant appel incident, ils demandent à la Cour de réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de :

- condamner la société GAMMA PRESSE IMAGES à leur remettre le négatif de la photographie ainsi que l'original du cliché, sous astreinte de 5.000 francs par jour de retard,

- condamner la société GAMMA PRESSE IMAGES à leur payer à chacun d'eux une somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

SUR CE,

Considérant que contrairement à l'analyse développée par la société GAMMA PRESSE IMAGES en cause d'appel, la diffusion de la photographie des quatres jeunes maghrébins, prise en 1987 ou 1988 dans le cadre des actions de l'association FRANCE PLUS, n'étaient nullement justifiée en 1990 et en 1993 à des fins d'information et d'actualité ;

Que la photographie a été cédée par l'agence GAMMA pour servir d'illustration à des reportages dans les "CAHIERS DE L'EXPRESS" et "LE NOUVEL OBSERVATEUR" et qu'elle a ainsi été exploitée dans un contexte sans rapport avec l'actualité, ni avec une nécessité de l'information ;

Considérant que si la photographie a été prise initialement avec l'accord des quatre jeunes gens, ceux-ci n'ont nullement consenti à sa publication et à sa diffusion ultérieure sans limite et en toutes circonstances ;

Qu'il appartenait à l'agence GAMMA de s'assurer de leur consentement à ces publications ;

Que le tribunal, par des motifs pertinents que la Cour adopte, a exactement caractérisé les atteintes au droit à l'image dont Monsieur X... et Z... sont fondés à demander réparation ;

Considérant que s'il est établi que la photographie litigieuse a été publiée une nouvelle fois, en cours d'instance, dans le journal algérien "LA TRIBUNE" du 11 mars 1996, toutefois rien ne permet d'imputer à la société GAMMA PRESSE IMAGES la responsabilité de cette nouvelle publication ;

Que les intimés ne prouvent pas que la société GAMMA PRESSE IMAGES n'a pas respecté l'engagement dont il lui a été donné acte par le jugement déféré ;

Considérant que Monsieur X... et Monsieur Z... n'ont pas mis en cause le photographe Monsieur Y... ;

Que le jugement déféré ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de remise sous astreinte du négatif dont il n'est pas contesté qu'il est resté la propriété du photographe ;

Qu'il convient de relever que devant la Cour, l'agence GAMMA a produit un engagement écrit de Monsieur X... Y... en date du 27 mars 1997 ainsi rédigé :

"Je soussigné, X... Y..., rédacteur à la société GAMMA

PRESSE IMAGES, propriétaire d'un négatif d'une photographie représentant Messieurs D X... et X... Z... ainsi que deux autres personnes montrant leurs cartes d'électeurs ou cartes d'identité publiée dans "LE NOUVEL OBSERVATEUR" n° 1517 du 2 au 8 décembre 1993, m'engage à ne faire aucun usage public ou privé, notamment commercial de cette photographie." ;

Considérant qu'à l'appui de leur appel incident tendant à voir élever le montant des dommages-intérêts qui leur ont été alloués, les intimés soutiennent qu'ils subissent un préjudice important du fait de la publication répétée de la photographie litigieuse en dehors du contexte dans laquelle elle avait été prise, et que leur préjudice est aggravé du fait que la situation politique et sociale s'est dégradée en Algérie depuis le mois de mai 1988 ;

Que la société appelante fait valoir au contraire qu'ils n'ont subi aucun dommage et qu'il ne devrait leur être alloué qu'une indemnité symbolique ;

Mais considérant qu'en allouant à Monsieur X... ainsi qu'à Monsieur Z... une somme de 30.000 francs en réparation du dommage que leur a occasionné les publications fautives dont la société GAMMA PRESSE IMAGES est responsable, les premiers juges ont justement évalué l'importance de leur préjudice et leur ont alloué une indemnité qui n'est ni excessive ni insuffisante ; qu'il n'est pas démontré que la société GAMMA PRESSE IMAGES a cédé la photographie et permis sa publication dans les journaux algériens de telle sorte que cette agence ne peut se voir condamner à réparer le dommage qui en résulte ;

Considérant que succombant en son appel principal, la société GAMMA PRESSE IMAGES sera condamnée aux dépens ;

Qu'il sera alloué aux intimés une somme complémentaire de 5.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile

;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 10 mai 1995 par le tribunal de grande instance de NANTERRE ;

CONDAMNE la société GAMMA PRESSE IMAGES à payer à chaque intimé une indemnité complémentaire de CINQ MILLE FRANCS (5.000 francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

DIT que les dépens d'appel seront supportés par la société GAMMA PRESSE IMAGES et qu'ils seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle et, le cas échéant, selon l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

Madame Catherine A..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-7109
Date de la décision : 07/05/1998

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Droit à l'image - Atteinte - Photographies - Publication

Si la réalisation d'une photographie avec l'accord initial des personnes qu'elle représente, implique que les intéressés ont consenti à sa publication à des fins d'information et d'actualité, il n'en découle pas que le consentement donné à la diffusion de cette image s'étende sans limite de temps ou de circonstances. En l'espèce, la diffusion ultérieure d'un tel cliché, sans autorisation des personnes représentées, caractérise une atteinte au droit à l'image engageant la responsabilité de l'auteur de la diffusion


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-05-07;1995.7109 ?
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