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30/04/1998 | FRANCE | N°1995-6721

France | France, Cour d'appel de Versailles, 30 avril 1998, 1995-6721


Madame Gisèle X... et Monsieur René Y... ont vécu en situation d'union libre douze années durant, jusqu'au décès de Monsieur Y... survenu le 8 août 1990.

Un compte joint avait été ouvert à leurs deux noms dans les livres du CREDIT LYONNAIS sous le n° 009526 T.

Monsieur Y... était en outre titulaire de divers comptes de titres et de dépôt auprès du CREDIT LYONNAIS, et notamment d'un PLAN EPARGNE LOGEMENT n° 960128 K, sur lequel Madame X... bénéficiait d'une procuration.

Madame X... ayant retiré de ce compte, le 23 mai 1990, en vertu de sa procuration,

une somme de 99.534,22 francs (correspondant à la totalité du solde créditeur), Mada...

Madame Gisèle X... et Monsieur René Y... ont vécu en situation d'union libre douze années durant, jusqu'au décès de Monsieur Y... survenu le 8 août 1990.

Un compte joint avait été ouvert à leurs deux noms dans les livres du CREDIT LYONNAIS sous le n° 009526 T.

Monsieur Y... était en outre titulaire de divers comptes de titres et de dépôt auprès du CREDIT LYONNAIS, et notamment d'un PLAN EPARGNE LOGEMENT n° 960128 K, sur lequel Madame X... bénéficiait d'une procuration.

Madame X... ayant retiré de ce compte, le 23 mai 1990, en vertu de sa procuration, une somme de 99.534,22 francs (correspondant à la totalité du solde créditeur), Madame Roselyne Y... et Madame Michèle Y... épouse Z... (filles de René Y...), ès-qualités d'héritières de Monsieur Y..., l'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de NARBONNE, en vue, notamment, de l'entendre condamner à restitution de la somme de 99.534,22 francs.

Par jugement du 9 juin 1993, le tribunal de grande instance de NARBONNE s'est déclaré incompétent sur cette demande au profit du tribunal de grande instance de NANTERRE, lequel a, par décision du 1er juin 1995 :

- déclaré Mesdames Y... et Z..., ès-qualités d'héritières de René Y..., recevables à "demander raison" (en application de l'article 1993 du code civil) à la compagne, mais néanmoins mandataire de ce dernier, raison de ce qu'elle a reçu en vertu de sa procuration, ce sans avoir à agir en compte, liquidation et partage de la succession du défunt,

- constaté que Madame X... admet avoir prélevé le 23 mai 1990 la somme de 99.534,22 francs sur le PLAN EPARGNE LOGEMENT dont René Y... était titulaire,

- dit que le fait de donner procuration sur un compte ne manifeste

pas une intention libérale du mandant et que la simple possession de fonds par le mandataire, en vertu de la procuration, ne vaut pas titre de propriété en sa faveur,

- dit que la preuve par témoins d'une donation de 99.534,22 francs n'est pas admissible en application de l'article 1341 du code civil, - dit que Madame X... n'établit pas que sur le PLAN EPARGNE LOGEMENT, sur lequel elle a effectué le prélèvement reproché, figurait des sommes lui appartenant, qu'elle aurait simplement placées,

- en conséquence, condamné Madame X... à reverser aux demanderesses, ès-qualités d'héritières de René Y..., donc entre les mains du notaire liquidateur de la succession de ce dernier ou entre celles de la SCP BEAULIEU LEMOINE DERIAT-MAILLARD, leur avocat postulant, la somme de 99.534,22 francs qu'elle a cru devoir prélever sur le PLAN EPARGNE LOGEMENT dudit René Y..., le 23 mai 1990, et ce, avec intérêts légaux à compter du 28 octobre 1991, la capitalisation en étant ordonnée en fonction du texte qui la régit,

- rejeté comme infondée la demande en dommages-intérêts et en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile dirigée par les demanderesses contre la défenderesse et sur cette dernière base par la défenderesse contre les demanderesses,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Madame X... aux dépens.

Appelante de cette décision, Madame X... demande à la Cour, en l'infirmant et en statuant à nouveau, de :

- déclarer irrecevables Mesdames Y... et Z... en l'ensemble de leurs prétentions,

subsidiairement :

- débouter les mêmes de leurs prétentions,

- dire et juger qu'elle était fondée à opérer un prélèvement de la moitié des sommes figurant au crédit du compte concerné, soit 49.767,11 francs,

- dire qu'elle ne saurait être redevable d'intérêts au titre de la restitution d'une quelconque somme que ce soit,

- lui allouer la somme de 12.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Mesdames Y... et Z..., intimées, concluent à la confirmation du jugement déféré et sollicitent additionnellement une somme de 10.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une somme de 5.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

SUR CE,

SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE

Considérant que les prétentions litigieuses émises par Mesdames Y... et Z..., héritières de Monsieur Y..., s'analysent non pas comme une opération de compte, liquidation et partage, qui serait soumise aux règles prévues aux articles 966 et suivants du code de procédure civile, mais comme une action en restitution, fondée sur les règles du mandat, relevant des attributions et de la procédure de droit commun du tribunal saisi ;

Qu'il apparait en outre que le tribunal de grande instance de NARBONNE, initialement saisi, ne s'est pas prononcé sur lesdites prétentions, de sorte qu'elles ne se heurtent pas à l'autorité de la chose jugée prétendue ;

Que dès lors, Mesdames Y... et Z... ont justement été déclarées recevables en leurs demandes ;

SUR LE FOND

Considérant que Madame X... se prétend propriétaire, en application de l'article 2279 du code civil, de la somme de 99.543,22

francs qu'elle a retirée sur le compte de Monsieur Y..., le 23 mai 1990, grâce à la procuration que celui-ci lui avait remise ;

Qu'elle ajoute que ses droits de propriétaire sur ces fonds sont d'autant plus indiscutables que leur appréhension revêt le caractère d'une gratification, divers témoins attestant que le bénéfice du PLAN EPARGNE LOGEMENT dont il s'agit devait revenir à Madame X..., dans l'intention de Monsieur Y... ;

Que reprochant au tribunal d'avoir retenu que l'intention libérale de Monsieur Y... à son égard ne pouvait être établie par témoignages, en application de l'article 1341 du code civil, elle conclut à l'infirmation de la décision entreprise, qui a accueilli la demande de restitution des parties adverses ;

Qu'elle fait encore valoir subsidiairement que le PLAN EPARGNE LOGEMENT était alimenté, depuis l'origine, par des versements périodiques pratiqués par le débit d'un compte joint 4934 009526 T ouvert aux deux noms de Monsieur Y... et Madame X..., d'où elle déduit être à tout le moins propriétaire de la moitié des sommes portées au crédit du compte épargne, en application de la règle selon laquelle les sommes qui figurent au crédit d'un compte joint appartiennent indivisément et par moitié aux co-titulaires de ce compte, étant observé que la déclaration de succession effectuée après le décès de Monsieur Y... a été rédigée en ce sens, avec l'approbation de tous les co-indivisaires ;

Considérant toutefois que le mandataire qui prélève des fonds sur un compte appartenant à un tiers, en vertu d'une procuration donnée par celui-ci, ne peut, sauf conventions particulières, se prévaloir de l'application de l'article 2279 du code civil et se prétendre en conséquence propriétaire de ces fonds, leur possession n'étant pas alors exercée à titre de propriétaire, mais en vertu des règles du mandat, c'est-à-dire pour le compte du mandant ;

Que pareillement, l'appréhension de fonds, dans les mêmes conditions, ne vaut pas tradition réelle, au sens des règles relatives au don manuel, à moins que ne soit établie la volonté du mandant de gratifier le mandataire, la preuve d'une telle intention libérale pouvant du reste être rapportée par tous moyens, contrairement aux énonciations du jugement déféré qu'il convient de réformer sur ce point ;

Que si divers témoins, proches de Monsieur Y..., attestent dans des termes d'ailleurs différents que celui-ci s'était ouvert de son intention que le compte épargne litigieux "revienne" à Madame X..., il n'apparait pas néanmoins que Monsieur Y... ait en fait concrétisé ce projet de quelque manière que ce soit, et qu'il ait dépassé le cadre de la simple intention, alors que s'agissant de la maison que "le couple" avait acquis en commun, la Cour relève que Monsieur Y... a expressément institué Madame X... légataire de l'usufruit de la moitié indivise lui appartenant, par testament olographe du 1er août 1981 ;

Que dès lors, Madame X... est malvenue à prétendre à la propriété de la somme litigieuse de 99.534,22 francs ;

Et considérant qu'à supposer même que Monsieur Y... et Madame X... aient entendu que les sommes figurant au crédit de leur compte courant joint leur appartiendraient indivisément et par moitié, cette propriété indivise ne pourrait - eu égard à la nature du compte courant et sauf convention spéciale non alléguée en l'occurrence - s'appliquer qu'au solde de ce compte (lequel s'élevait à la somme de 28.102,65 francs au décès de Monsieur Y..., et a de fait été attribué pour moitié à Madame X... par le notaire liquidateur), et ne saurait dès lors concerner les sommes prélevées de ce compte, en leur temps, pour alimenter le PLAN EPARGNE LOGEMENT ouvert au seul nom de Monsieur Y... ;

Qu'il s'ensuit que Madame X... n'est pas davantage fondée à se prétendre propriétaire de la moitié du retrait litigieux de 99.534,22 francs, et que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné Madame X... au paiement de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts ;

Considérant que les intimées ne justifient d'aucun préjudice à l'appui de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, dont elles seront déboutées ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, en équité, de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT Madame X... en son appel ;

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit que "la preuve par témoins d'une donation de 99.534,22 francs n'est pas admissible en application de l'article 1341 du code civil" ;

STATUANT A NOUVEAU,

DIT que la prohibition de prouver par témoins, édictée par l'article 1341 du code civil, n'est pas applicable s'agissant d'établir l'intention libérale ;

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Y AJOUTANT,

DEBOUTE Madame Roselyne Y... et Madame Michèle Y... épouse Z... de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame Gisèle X... aux dépens d'appel, lesquels pourront être directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article

699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Monsieur Gérard MARTIN, Conseiller,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

Madame Catherine A..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-6721
Date de la décision : 30/04/1998

Analyses

MANDAT - Mandataire - Perception de fonds - Effets

Un mandataire qui, en vertu d'une procuration, prélève des fonds sur un compte appartenant à un tiers ne peut, sauf convention particulière, se prévaloir de l'application de l'article 2279 du Code civil et, en conséquence, se prétendre propriétaire de ces fonds. De même, l'appréhension des fonds ne vaut pas tradition réelle, au sens des règles relatives au don manuel, sauf à établir l'intention libérale du mandant, laquelle peut être rapportée par tous moyens


Références :

Code civil, article 2279

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-04-30;1995.6721 ?
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