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30/04/1998 | FRANCE | N°1995-10006

France | France, Cour d'appel de Versailles, 30 avril 1998, 1995-10006


La société SAFETOOL, qui fabrique et distribue des fournitures de bureau, a déposé le 18 octobre 1989 la marque "LES MAGNETTES" en lettres blanches sur fond rouge, laquelle a été enregistrée à l'INPI sous le n° 1629790 dans les classes 16 et 28, pour désigner notamment des "plots magnétiques, punaises magnétiques, barettes magnétiques, bandes magnétiques, aimants de bureau, aimants de papeterie, aimants scolaires, aimants pour photographies, aimants pour jeux et jouets", ainsi représentée :

La société LESIEUR ALIMENTAIRE a développé, de février 1993 à août 1994,

une campagne promotionnelle, réalisée par l'agence de publicité TOPAZE, au c...

La société SAFETOOL, qui fabrique et distribue des fournitures de bureau, a déposé le 18 octobre 1989 la marque "LES MAGNETTES" en lettres blanches sur fond rouge, laquelle a été enregistrée à l'INPI sous le n° 1629790 dans les classes 16 et 28, pour désigner notamment des "plots magnétiques, punaises magnétiques, barettes magnétiques, bandes magnétiques, aimants de bureau, aimants de papeterie, aimants scolaires, aimants pour photographies, aimants pour jeux et jouets", ainsi représentée :

La société LESIEUR ALIMENTAIRE a développé, de février 1993 à août 1994, une campagne promotionnelle, réalisée par l'agence de publicité TOPAZE, au cours de laquelle elle offrait des petits objets aimantés décoratifs en forme de bouteille d'huile "LESIEUR", de sablier ou de porte-papier, désignés sous le vocable "LES MAGNETS" ou "LES MAGNETS MALINS" aux couleurs blanche rouge et jaune caractéristiques de sa marque "LESIEUR".

Estimant que le mot "MAGNETS" constituait une contrefaçon de sa marque "LES MAGNETTES", la société SAFETOOL a adressé le 15 février 1994 à la société LESIEUR ALIMENTAIRE une lettre recommandée la mettant en demeure de cesser toute utilisation de sa marque.

Elle a fait procéder à une saisie-contrefaçon des objets argués de contrefaçon.

Puis, par acte du 15 juin 1994, elle a assigné la société LESIEUR ALIMENTAIRE devant le tribunal de grande instance de NANTERRE pour voir prononcer à son encontre une interdiction de l'utilisation du nom "MAGNET" ou "MAGNETS" et obtenir réparation de son préjudice.

La société LESIEUR ALIMENTAIRE a formé une demande reconventionnelle pour voir annuler la marque "LES MAGNETTES" pour défaut de distinctivité et dépôt frauduleux. Subsidiairement, elle a conclu à l'absence de contrefaçon et à la déchéance de la marque. Elle a sollicité du tribunal qu'il lui alloue des dommages-intérêts pour

procédure abusive.

Elle a aussi assigné en garantie la société TOPAZE.

Le tribunal de grande instance de NANTERRE, par jugement du 9 octobre 1995, a :

- dit n'y avoir lieu à annuler le dépôt de la marque "LES MAGNETTES", - dit qu'en utilisant le terme "MAGNET" au singulier et au pluriel, la société LESIEUR ALIMENTAIRE n'a pas contrefait la marque "LES MAGNETTES" dont la société SAFETOOL est propriétaire et n'a pas commis de pratique parasitaire ou de concurrence déloyale,

- débouté la société SAFETOOL de ses demandes,

- rejeté la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- déclaré sans objet les autres demandes,

- condamné la société SAFETOOL à payer à la société LESIEUR ALIMENTAIRE la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société SAFETOOL a interjeté appel de cette décision.

Elle demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a validé la marque "LES MAGNETTES" qu'elle a déposée le 18 octobre 1989, mais de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

- dire que l'utilisation par la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE des termes "MAGNET" et/ou "MAGNETS" constitue une contrefaçon de marque et à tout le moins une pratique parasitaire et une concurrence déloyale,

- condamner ces sociétés à cesser cette utilisation sous astreinte de 2.000 francs par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE à lui

verser chacune la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ainsi qu'à titre provisionnel, une somme de 500.000 francs au titre de son préjudice commercial,

- ordonner une expertise pour déterminer, au vu des documents comptables, le montant de son préjudice,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux quotidiens de diffusion nationale aux frais des sociétés intimées, à concurrence de 100.000 francs,

- condamner la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE à lui payer la somme de 70.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société LESIEUR ALIMENTAIRE, intimée, forme appel incident et demande à la Cour de :

- en réformant la décision entreprise, déclarer nulle la marque "LES MAGNETTES" déposée le 18 octobre 1989,

- subsidiairement, dire qu'en employant le terme générique "MAGNET" au singulier ou au pluriel sur les étiquettes de ses produits, elle n'a pas porté atteinte au signe différent "LES MAGNETTES" et confirmer sur ce point le jugement entrepris,

- condamner en toutes hypothèses l'appelante à lui payer la somme de 50.000 francs "TVA en sus" au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société TOPAZE, intimée, demande à la Cour de débouter la société SAFETOOL de son appel principal. Par voie d'appel incident, elle demande à la Cour de réformer partiellement la décision des premier juges et, statuant à nouveau, de :

- constater l'absence de distinctivité de la marque "LES MAGNETTES" par rapport au terme usuel descriptif "magnétique",

- en conséquence, prononcer la nullité de la marque "LES MAGNETTES".

Elle conclut subsidiairement, pour le cas où il ne serait pas fait droit à son appel incident, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande une indemnité de 25.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

SUR CE,

SUR LE CARACTERE DISTINCTIF DE LA MARQUE "LES MAGNETTES" ET LE CARACTERE FRAUDULEUX DU DEPOT DE LA MARQUE

Considérant que la société LESIEUR ALIMENTAIRE soutient que la marque nominale "LES MAGNETTES" pour désigner des objets aimantés n'a aucun caractère distinctif car elle n'ajoute rien de particulier au mot "magnétique" à l'instar d'autres termes de la langue française tels que magnéto, magnétophone ou magnétoscope ; qu'elle est banale et ne remplit pas les conditions de distinctivité exigées par les conditions légales ; qu'elle affirme qu'ayant perçu le succès ancien et grandissant aux Etats-Unis de ces objets aimantés, destinés à être fixés sur les portes des réfrigérateurs, en anglais "magnets", et sachant que comme la mode des "pin's", celle de ces "magnets" parviendrait en France, la société SAFETOOL a de mauvaise foi déposé sa marque "LES MAGNETTES" dans le but de nuire à ses concurrents ; qu'elle a ainsi détourné le droit des marques de sa finalité ;

Que la société TOPAZE expose que le terme "LES MAGNETTES" qui résulte d'une amputation phonétique de l'adjectif "magnétique", lequel définit les objets ayant la propriété de l'aimant, présente un lien de nécessité évident avec le produit désigné ; que la similitude entre l'appellation "les magnettes" et le terme descriptif "magnétique" établit l'absence de caractère distinctif, ce qui doit entraîner le prononcé de la nullité de la marque ;

Mais considérant que le terme "les magnettes" ne saurait être considéré comme étant descriptif ou générique pour désigner des aimants ou objets magnétiques ;

Qu'au contraire, à la date du dépôt de la marque, soit en 1989, ce mot était tout à fait arbitraire et original, même si plus tard le mot anglais "magnet" dont la prononciation est différente du terme français "magnette", a pu être utilisé pour désigner ce type d'objet dont la commercialisation s'est considérablement développée ;

Qu'il ne ressort nullement des éléments versés aux débats que le terme "magnet's" est devenu un terme courant pour désigner les objets aimantés décoratifs ou publicitaires, ni d'ailleurs qu'en 1989, on pouvait prévoir l'engouement des consommateurs pour ce type d'objets et le développement de ces produits dans le marché de la publicité ; Que la demande d'annulation de la marque est mal fondée ;

SUR LA CONTREFAOEON

Considérant que pour écarter la demande de la société SAFETOOL, le tribunal a considéré que la marque "LES MAGNETTES" était une marque faible car peu distinctive ; qu'elle a estimé qu'il n'y avait ni reproduction identique ou illicite de la marque "LES MAGNETTES" par l'emploi des expressions "magnet pince, magnet sablier, magnet porte crayon ou les magnets malins", s'agissant de la part des sociétés intimées de l'utilisation du mot anglais "magnet's" qu'il soit prononcé "maGnet" ou "maGNet" ; que par ailleurs les couleurs des lettres rouges sur fond jaune étant celles de la marque de la société LESIEUR ALIMENTAIRE, il n'y avait aucune imitation pouvant créer un risque ;

Que devant la Cour, la société LESIEUR ALIMENTAIRE reprend et développe la même argumentation ;

Considérant que s'il est établi que certaines autres entreprises ont utilisé pour la promotion de leurs produits le mot anglais "magnet", sous la forme "les magnets" ou un "mag'net", ces campagnes publicitaires sont postérieures à 1992 alors que la société SAFETOOL

avait déposé sa marque "LES MAGNETTES" en 1989 ;

Que la marque "LES MAGNETTES" n'est pas particulièrement évocatrice des petits objets aimantés ;

Que les mots "magnet", "magnets", et "magnettes" présentent tant sur le plan visuel que sur le plan phonétique une ressemblance certaine telle qu'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public, d'autant plus que les couleurs utilisées par la société LESIEUR ALIMENTAIRE sont proches de celles, rouge et blanche, de la marque "LES MAGNETTES" ;

Que dans ces conditions, la contrefaçon est caractérisée ;

Qu'il convient donc d'interdire aux sociétés intimés l'utilisation des termes "magnet" et "magnets" dans les conditions ci-dessous précisées ;

SUR LE PRÉJUDICE

Considérant que la société SAFETOOL prétend que l'utilisation de sa marque par une société dont la renommée est beaucoup plus importante que la sienne lui occasionne un préjudice certain ; qu'elle demande à la Cour d'ordonner une expertise pour évaluer ce préjudice en sollicitant une indemnisation provisionnelle de son préjudice moral et de son préjudice commercial ;

Considérant toutefois que la société SAFETOOL ne produit aucun élément de preuve d'une baisse de son chiffre d'affaires ou d'une perte de clientèle ;

Que la campagne publicitaire de la société LESIEUR ALIMENTAIRE a eu une durée limitée d'un peu plus d'un an ;

Qu'en réalité le dommage résulte seulement de la banalisation de la marque "LES MAGNETTES" ;

Que la Cour a les éléments suffisants pour lui allouer la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts ; qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner une mesure complémentaire de réparation par la

publication de la présente décision dans des revues spécialisées ;

Considérant que succombant les sociétés LESIEUR et TOPAZE seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel et déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'il sera alloué à la société SAFETOOL une indemnité de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REFORME le jugement rendu entre les parties le 9 octobre 1995 par le tribunal de grande instance de NANTERRE en toutes ses dispositions excepté sur le rejet de la demande d'annulation du dépôt de la marque "LES MAGNETTES" ;

STATUANT A NOUVEAU,

DIT qu'en utilisant les termes "magnet" et "magnets" la société LESIEUR ALIMENTAIRE a contrefait la marque "LES MAGNETTES" déposée par la société SAFETOOL sous le n° 1629790 ;

FAIT INTERDICTION à la société LESIEUR ALIMENTAIRE et à la société TOPAZE d'utiliser ces termes sous astreinte de MILLE FRANCS (1.000 francs) par infraction constatée ;

CONDAMNE in solidum la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE à payer à la société SAFETOOL la somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

DEBOUTE la société SAFETOOL du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE de toutes leurs prétentions ;

CONDAMNE en outre in solidum la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE à payer à la société SAFETOOL une indemnité de VINGT

MILLE FRANCS (20.000 francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum la société LESIEUR ALIMENTAIRE et la société TOPAZE aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés directement conformément à l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

Madame Catherine X..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-10006
Date de la décision : 30/04/1998

Analyses

MARQUE DE FABRIQUE - Eléments constitutifs - Caractère distinctif - Appréciation - Terme générique.

Dès lors qu'à la date du dépôt d'une marque, en l'espèce " les magnettes ", ce mot était tout à fait arbitraire et original pour désigner des petits objets sur supports magnétique, même si postérieurement le terme anglais " magnet " , dont la prononciation reste différente, a été utilisé pour désigner un même type d'objet, une demande d'annulation de cette marque est mal fondée

MARQUE DE FABRIQUE - Protection - Contrefaçon - Contrefaçon par imitation - Risque de confusion.

Lorsque postérieurement au dépôt d'une marque désignant des petits objets aimantés, en l'occurrence " les magnettes ", une entreprise utilise les termes " magnet ", " magnets " et " magnettes " pour désigner des objets similaires, alors que ces appellations comportent des similitudes certaines sur le plan visuel et phonétique susceptibles de créer un risque de confusion dans l'esprit du public et que, en outre, les couleurs utilisées par la société concurrente sont proches de celle de la marque protégée, la contrefaçon de marque est caractérisée


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-04-30;1995.10006 ?
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