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09/04/1998 | FRANCE | N°1995-5627

France | France, Cour d'appel de Versailles, 09 avril 1998, 1995-5627


Madame Sylvie X..., comédienne, a participé à l'enregistrement, en 1953, aux côtés de Gérard Y..., de Georges Z... et d'autres acteurs, du texte de SAINT EXUPERY "LE PETIT PRINCE", où elle tenait le rôle de la Rose.

Cet enregistrement a été édité et diffusé par la société FESTIVAL sur disque microsillons, puis en cassettes, et sera gravé, à compter de mai 1985, en disques compacts.

La société MUSIDISC a acquis en 1970 le fonds de commerce de la société FESTIVAL.

La société FESTIVAL avait signé, le 5 novembre 1953, avec Monsieur Gérard Y... et av

ec Monsieur Georges Z..., le 12 novembre 1953, un contrat d'enregistrement pour la réalisa...

Madame Sylvie X..., comédienne, a participé à l'enregistrement, en 1953, aux côtés de Gérard Y..., de Georges Z... et d'autres acteurs, du texte de SAINT EXUPERY "LE PETIT PRINCE", où elle tenait le rôle de la Rose.

Cet enregistrement a été édité et diffusé par la société FESTIVAL sur disque microsillons, puis en cassettes, et sera gravé, à compter de mai 1985, en disques compacts.

La société MUSIDISC a acquis en 1970 le fonds de commerce de la société FESTIVAL.

La société FESTIVAL avait signé, le 5 novembre 1953, avec Monsieur Gérard Y... et avec Monsieur Georges Z..., le 12 novembre 1953, un contrat d'enregistrement pour la réalisation du disque 33 tours. Mais aucun contrat écrit n'avait été conclu entre la société FESTIVAL et les autres artistes-interprètes, Michel A..., Jacques GRELLO, Pierre LARQUEY et Sylvie X..., dont les noms apparaissent sur chaque pochette de disque.

Par acte d'huissier du 20 janvier 1994, Madame Sylvie X... a fait assigner la société MUSIDISC devant le tribunal de grande instance de NANTERRE pour qu'il soit jugé qu'en ne sollicitant pas son autorisation écrite pour fixer, reproduire et communiquer au public sa prestation sous forme de compact disque, la société MUSIDISC a violé l'article 18 de la loi du 3 juillet 1985, et obtenir en réparation de la faute ainsi commise une indemnisation de son préjudice. Elle demandait que cette société soit condamnée à lui payer une somme de 500.000 francs sauf à parfaire à titre de dommages-intérêts et qu'il soit fait interdiction à la société MUSIDISC de fixer sa prestation sur disque compact tant qu'elle n'aurait pas obtenu son autorisation et un accord sur le montant de ses droits.

Monsieur Michel A... (interprète du rôle du serpent) est intervenu

volontairement à l'instance pour former les mêmes demandes à l'encontre de la société MUSIDISC.

Le tribunal de grande instance de NANTERRE, par jugement du 8 mars 1995, a débouté Madame X... et Monsieur A... de toutes leurs demandes et les a condamnés à payer à la société MUSIDISC une somme de 8.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal a relevé que même en l'absence d'écrit, les prestations fournies avaient un caractère contractuel. Il a estimé que "l'exploitation jusqu'à nos jours de l'enregistrement phonographique auquel ils (Madame X... et Monsieur A...) ont participé trouve sa source dans le contrat initial de 1953 dont elle n'est que l'exécution et la modification du support de cette exploitation ( disque microsillon, cassette, disque compact) et n'est pas de nature à créer un lien distinct dès lors que l'exploitation reste du domaine du phonogramme". Il a jugé que la loi du 3 juillet 1985 n'était pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur. Après avoir noté que la jurisprudence antérieure retenait que sauf démonstration contraire, la participation d'un artiste-interprète emportait cession implicite, globale et définitive de ses droits de reproduction, sauf à limiter cette cession à l'utilisation en vue de laquelle l'artiste avait fourni sa prestation, le tribunal a considéré qu'en l'espèce Madame X... et Monsieur A..., en participant à l'enregistrement phonographique du "PETIT PRINCE", avaient cédé le droit au producteur de reproduire cet enregistrement sur des phonogrammes quelqu'en soit le support. Il a en outre relevé que les intéressés n'avaient formulé aucune protestation lors de la diffusion en cassette, puis en disque compact.

Madame Sylvie X... a interjeté appel de cette décision.

Elle expose que l'enregistrement initial a été réalisé pour la station RADIO LUXEMBOURG, pour laquelle elle avait travaillé très régulièrement à cette époque. Elle affirme qu'elle-même et Monsieur Michel A... n'ont pas été informés que l'enregistrement avait pour objet l'édition et la commercialisation d'un disque ; qu'à la fin de la séance d'enregistrement, elle a seulement signé une feuille de présence, ce qui lui a donné droit au versement d'un cachet convenu pour une émission de radio.

Elle explique son inaction jusqu'en 1994 par l'ignorance dans laquelle elle était de ses droits.

Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de :

vu la jurisprudence protectrice des droits des artistes-interprètes antérieure à la loi du 3 juillet 1985,

vu l'article 2 du Code civil et les principes de non-rétroactivité de l'application générale des lois nouvelles,

- dire qu'elle n'a jamais autorisé ni expressément ni tacitement RADIO LUXEMBOURG (aujourd'hui RTL) à exploiter sous forme phonographique l'enregistrement du "PETIT PRINCE" réalisé en 1953 dans les locaux de cette radio exclusivement dans un but radiophonique,

- dire que la société MUSIDISC ne peut se prévaloir d'aucun contrat exprès ou tacite couvrant l'exploitation phonographique de cet enregistrement radio ; qu'elle exploite cet enregistrement sans droit, de façon continue et jusqu'à ce jour, sous forme de microsillon, de cassettes et aujourd'hui de disques compacts,

- faire interdiction à la société MUSIDISC de diffuser l'enregistrement sous quelque forme que ce soit jusqu'au règlement de ses droits,

- la condamner à réparer son préjudice en raison de l'exploitation

commerciale continue depuis 1953 de supports phonographiques,

- condamner la société MUSIDISC à lui régler pour le futur les droits sur la diffusion phonographique de l'enregistrement une somme de 1.000.000 francs à valoir sur ses droits avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- ordonner une expertise aux fins de recueillir les renseignements sur le nombre de disques, cassettes et disques compacts vendus depuis 1953 et les droits lui étant dus par application des usages en vigueur antérieurement au 1er janvier 1986 et des dispositions en vigueur par application de la loi du 3 juillet 1985.

Subsidiairement, elle demande à la Cour de lui accorder le bénéfice des droits sur la diffusion phonographique et l'enregistrement à compter de son assignation et pour le futur et demande que la mesure d'expertise porte sur l'évaluation de ses droits à compter de l'assignation, tout en maintenant sa demande en paiement d'une somme de 1.000.000 francs.

Elle réclame en outre en toute hypothèse une indemnité de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile. La société MUSIDISC, intimée, sollicite de la Cour qu'elle déboute Madame Sylvie X... de toutes ses demandes et qu'elle confirme le jugement entrepris. Elle forme une demande incidente pour voir condamner l'appelante à lui payer une somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et une somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile. Elle réplique que la version des faits, telle qu'elle est exposée en cause d'appel, est contraire à celle développée dans les écritures de première instance où Madame X... reconnaissait avoir participé à l'enregistrement du disque microsillon.

Elle fait valoir notamment que :

- l'action exercée sur le fondement de l'article 1382 est prescrite, puisque l'enregistrement a été réalisé en 1953,

- Madame X..., dans le cadre de cet enregistrement, a eu un rôle très subsidiaire et n'était qu'un artiste de complément, ce qui explique qu'aucun contrat écrit n'ait été signé à l'époque avec la société FESTIVAL,

- Madame X... ne saurait valablement prétendre qu'elle n'aurait pas consenti à la reproduction phonographique de l'enregistrement.

La société MUSIDISC souligne que Madame X... est la seule parmi les différents intervenants à cet enregistrement à prétendre n'avoir pas consenti à la reproduction litigieuse.

Dans ses dernière écritures, la société MUSIDISC soutient à titre subsidiaire que le préjudice de Madame X... est quasi-inexistant et qu'il n'excéderait pas, compte tenu de la durée de son intervention, une somme de 826 francs.

SUR CE,

SUR LA PRESTATION DE MADAME X... ET LES CIRCONSTANCES DE L'ENREGISTREMENT

Considérant que Madame X... soutient qu'elle a participé à l'enregistrement du texte "LE PETIT PRINCE" dans le rôle de la Rose dans les studios de RADIO LUXEMBOURG pour une diffusion à la radio, et qu'ayant signé la feuille de présence, elle a perçu, comme de coutume, un cachet ; qu'elle affirme qu'elle ignorait que l'enregistrement était destiné à devenir un disque microsillon ;

Considérant que la société MUSIDISC conteste cette affirmation et fait observer que dans son assignation et ses écritures de première instance, Madame X... avait au contraire indiqué qu'elle avait participé à l'enregistrement du disque microsillon ;

Mais considérant qu'en réalité les précédentes déclarations de Madame

X... sur les circonstances de fait de l'enregistrement et ses allégations devant la Cour ne sont pas contradictoires, puisqu'il ressort de l'analyse des documents produits que l'enregistrement initial dans le studio de RADIO LUXEMBOURG est celui qui a été reproduit par le disque microsillon ;

Que Madame X... justifie par les pièces qu'elle produit qu'il s'est bien agi initialement d'un enregistrement radiophonique ;

Qu'en effet, dans une attestation du 21 juillet 1995, Monsieur André B..., producteur à RADIO LUXEMBOURG puis à RTL, réalisateur du disque "LE PETIT PRINCE", précise qu'il a engagé pour le rôle de la Rose, Mademoiselle X..., laquelle enregistrait régulièrement pour cette station de radio des rôles dans les dramatiques ou les feuilletons, et qu'elle n'a signé pour cet enregistrement qu'une "feuille de présence type" ; qu'il ajoute : "elle ignorait qu'il allait devenir un disque 33 tours" ;

Que Monsieur A... a lui aussi rapporté qu'il avait été engagé pour cet enregistrement sans avoir été informé qu'il s'agirait d'un disque et qu'il avait perçu un cachet comme il était d'usage pour sa participation à ce type d'enregistrement radiophonique ;

Qu'en outre Madame X... a versé aux débats la copie d'une page de couverture du magazine "RADIO CINEMA TELEVISION", daté du dimanche 27 décembre 1953, portant la photographie du jeune acteur Georges Z..., sous le nom duquel il est écrit :

"le jeune garçon de "JEUX INTERDITS" sera le Petit prince de SAINT EXUPERY (à la radio)" ;

Que la preuve est ainsi faite que l'enregistrement dirigé par Monsieur André B... a été initialement réalisé pour une diffusion radiophonique ;

Considérant que devant la Cour, la société MUSIDISC a produit les deux contrats écrits, dits "contrats d'enregistrement", qui ont été signés entre la société LES DISQUES DE FRANCE FESTIVAL avec Monsieur

Gérard Y... et avec Monsieur Georges Z... ; que ces contrats prévoient la rémunération par des royalties sur les ventes au détail des disques et contiennent l'autorisation donnée par l'artiste à toute reproduction et utilisation sous quelque forme que ce soit de l'oeuvre interprétée et cession de tous les droits s'y rattachant ;

Considérant qu'aucun contrat n'a été passé entre l'éditeur du disque et Madame X..., de telle sorte qu'il est inexact de qualifier les rapports entre cette dernière et la société MUSIDISC, qui vient aux droits de la société FESTIVAL, de rapports contractuels ;

Que le contrat initial en exécution duquel Madame X... a fourni une prestation d'artiste-interprète, a existé entre cette dernière et la station RADIO LUXEMBOURG où elle a signé la feuille de présence et perçu son cachet selon les usages alors en vigueur, comme elle l'établit en versant aux débats les documents datant de cette période concernant d'autres prestations qu'elle a fournies en enregistrant des feuilletons ou des textes de publicité ;

Que la situation entre Madame X... et la maison de disques est extracontractuelle ;

SUR LA LOI APPLICABLE

Considérant que la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, en son titre II des droits voisins du droit d'auteur, article 18, a institué une protection spécifique qui n'existait pas dans la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;

Que ce texte dispose : "Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public ... cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les

dispositions des articles L.761-1 et L.761-2 du Code du travail sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 19." ;

Que le 4ème alinéa de l'article 19 est le suivant : "Les contrats passés antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi entre un artiste interprète et un producteur d'oeuvre audiovisuelle ou leurs cessionnaires sont soumis aux dispositions qui précèdent en ce qui concerne les modes d'exploitation qu'ils excluaient. La rémunération correspondante n'a pas le caractère de salaire. Ce droit à rémunération s'éteint au décès de l'artiste-interprète." ;

Considérant que si aux termes de l'article 2 du Code civil, "la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif", la loi nouvelle s'applique immédiatement aux situations juridiques non contractuelles existant lors de son entrée en vigueur ;

Considérant que tel est le cas en l'espèce, dès lors qu'il n'existait aucun contrat et aucun acte juridique consacrant la situation de Madame X... relativement à la reproduction de l'enregistrement par le disque et sa diffusion par les sociétés FESTIVAL et MUSIDISC ;

Qu'en réalité, Madame X... n'a donné aucune autorisation, n'a cédé aucun droit et n'a perçu aucune rémunération ;

Qu'elle est en droit d'invoquer l'application de la loi nouvelle ;

SUR LA QUALIFICATION INVOQUEE D'ARTISTE DE COMPLEMENT

Considérant que l'article 16 de la loi du 3 juillet 1985 dispose : "A l'exclusion de l'artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l'artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes." ;

Considérant que la société MUSIDISC soutient qu'étant intervenue dans cet enregistrement pour un petit rôle, donnant la réplique à Georges Z... pendant une minute quarante secondes, Madame X... n'a été

qu'un artiste de complément de telle sorte qu'elle ne peut revendiquer la qualité d'artiste-interprète ; que les seules prestations dominant cet enregistrement sont celles de Monsieur Gérard Y... (de SAINT EXUPERY) et de Monsieur Georges Z... (Le Petit Prince), ce qui explique d'ailleurs que ces seuls comédiens aient conclu un contrat écrit ;

Mais considérant que l'artiste de complément est défini par les usages et la jurisprudence comme celui qui joue un rôle secondaire, qui est "interchangeable" et le plus souvent non identifiable ; que sa personnalité ne transparaît pas dans sa prestation, à la différence de l'artiste interprète ;

Que tel n'est pas le cas de Madame X... dans le rôle de "la Rose" ; que s'il est exact que la durée de ses répliques est très inférieure à celle des deux interprètes principaux, sa voix et son interprétation sont identifiables ;

Que Monsieur André B... a d'ailleurs précisé dans son attestation : "avoir engagé Mademoiselle Sylvie X... pour sa voix très particulière qui convenait au rôle de la rose, elle et pas une autre" ; qu'il ajoute :

"J'ai mis un soin très précis à choisir mes interprètes ce qui a contribué au succès de ce disque inégalé ... De plus, à l'époque, elle était une jeune actrice de théâtre très appréciée, en pleine ascension, et venait de tourner "FANFAN LA TULIPE", film à gros succès avec Gérard Y... J'ai beaucoup insisté pour l'avoir, car aucune autre comédienne n'aurait pu la remplacer. Son timbre de voix, je le répète, convenait parfaitement à ce rôle qui est crucial dans le récit de SAINT EXUPERY ..." ;

Que Monsieur Philippe C..., historien du cinéma, rappelle également dans son attestation écrite le succès que rencontra le film "FANFAN LA TULIPE" et fait observer que le "générique" de l'enregistrement du "PETIT PRINCE" a été choisi pour la réunion

d'artistes qui étaient à l'époque des "valeurs sûres" pour le public ;

Considérant que Madame X... ne peut donc être considérée dans cet enregistrement comme un artiste de complément ;

SUR LES PRETENTIONS DE MADAME X...

1) SUR LA PERIODE ANTERIEURE AU 1ER JANVIER 1986

Considérant que la reproduction et la diffusion de l'enregistrement ayant été constantes et continuelles de 1953 jusqu'à la date de l'assignation, la prescription de l'action, en ce qu'elle est engagée sur un fondement délictuel, ne peut être opposée par la société MUSIDISC ;

Considérant que Madame X... demande à la Cour, pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985, d'apprécier son préjudice selon les critères retenus antérieurement par la jurisprudence en invoquant particulièrement :

- l'arrêt FURTWANGLER du 4 janvier 1964,

- l'arrêt SPEDIDAME c/ ORTF du 15 mars 1977,

- l'arrêt SNEPA c/ RADIO FRANCE du 5 novembre 1980,

- l'arrêt RADIO FRANCE du 25 janvier 1984 ;

Qu'elle soutient que n'ayant pas été informée lors de l'enregistrement du "PETIT PRINCE" de ce qu'il était destiné à devenir un disque, elle n'a donné aucune autorisation à cette utilisation ; que son inaction judiciaire s'explique par l'ignorance de ses droits et non par une acceptation tacite de l'exploitation commerciale de l'enregistrement sous forme de disques microsillons, de cassettes et de disques compacts ;

Mais considérant que l'exploitation commerciale du disque a connu dès l'origine un succès important pour avoir reçu le prix de l'Académie Charles CROS en 1954 ; que Madame X... ne s'est à aucun moment opposée à l'utilisation de l'enregistrement du disque ainsi réalisé

qui se trouve depuis cette époque dans le catalogue des collections de la société FESTIVAL, puis de la société MUSIDISC ; que l'utilisation de son interprétation dans ces circonstances ne peut être considérée comme abusive et ne saurait caractériser une faute de la maison de disques ;

Considérant que Madame X... est mal fondée à prétendre à une indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

2) SUR LA PERIODE POSTERIEURE AU 1ER JANVIER 1986

Considérant qu'en revanche, la demande en paiement des rémunérations dues sur le fondement de l'article 18 alinéa 2 de la loi du 3 juillet 1985, devenu article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle, est fondée à partir de la date de l'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985, soit à compter du 1er janvier 1986 ;

Que cette demande formée en janvier 1994, s'agissant de rémunérations prévues par l'article L.761-2 et L.762-3 du Code du travail, ne se heurte nullement à la prescription de dix ans invoquée par la société MUSIDISC ;

Considérant qu'avant-dire droit sur le montant des sommes dues à Madame X..., il convient d'ordonner une mesure d'instruction et d'allouer à Madame X... une provision de 5.000 francs ;

Considérant que la reproduction et la communication au public étant soumises à la nécessité de l'autorisation écrite de l'artiste interprète, il y a lieu de renvoyer les parties à conclure un accord écrit ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dès à présent, d'ordonner l'interdiction de la diffusion des disques par la société MUSIDISC puisqu'une autorisation écrite de Madame X... moyennant la fixation des rémunérations devant lui revenir, est susceptible de régulariser la situation au regard des dispositions du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que succombant, la société MUSIDISC devra supporter les dépens de première instance et d'appel et en conséquence sera déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'il est équitable, en l'état de la procédure, d'allouer à Madame X... une indemnité de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement déféré ;

STATUANT A NOUVEAU,

DIT qu'aucun contrat n'a lié la maison de disques et Madame Sylvie X..., artiste-interprète ;

DIT la demande de Madame Sylvie X... fondée à compter du 1er janvier 1986, date d'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 ; DIT que Madame X... et la société MUSIDISC devront faire application de l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle et conclure un accord contenant :

1) l'autorisation écrite de Madame X... pour la reproduction et la communication au public de sa prestation dans l'enregistrement du "PETIT PRINCE" de SAINT EXUPERY de 1953,

2) la fixation du montant des rémunérations auxquelles doivent donner lieu les reproductions ainsi que les ventes de disques par application des articles L.761-1 et L.761-2 du Code du travail ;

DIT que la société MUSIDISC devra payer les rémunérations dues à Madame X..., compte tenu du nombre de disques ou cassettes vendus depuis le 1er janvier 1986 ;

AVANT-DIRE DROIT sur le montant des sommes dues à Madame X...,

ORDONNE une expertise ;

DESIGNE pour y procéder :

Monsieur Gérard D...

67-69 avenue Paul Doumer - 75116 PARIS

Téléphone : 01.46.60.50.28 avec pour mission, les parties et leurs conseils dûment convoqués, de fournir à la Cour tous éléments de renseignements permettant, en fonction des barèmes en vigueur dans le secteur d'activité, compte tenu de l'importance de sa prestation, de déterminer les sommes dues à Madame X... à compter du 1er janvier 1986, et jusqu'à la date du dépôt de son rapport, au titre des rémunérations prévues par les articles L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle, L.761-1 et L.762-3 du Code du travail pour la reproduction et la vente des disques de l'enregistrement du texte "LE PETIT PRINCE" réalisé en 1953 ;

DIT que les frais de la présente expertise seront avancés par le TRESOR PUBLIC conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle ;

DIT que l'expert devra déposer son rapport avant le 15 octobre 1998 ; CONDAMNE la société MUSIDISC à payer à Madame X... une provision de CINQ MILLE FRANCS (5.000 francs) ;

DEBOUTE Madame X... de ses autres demandes ;

CONDAMNE la société MUSIDISC à payer à Madame X... une somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

CONDAMNE la société MUSIDISC aux dépens de première instance, et aux dépens d'appel exposés à ce jour, lesquels seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle et, le cas échéant, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

Madame Catherine E..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-5627
Date de la décision : 09/04/1998

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits voisins du droit d'auteur - Droits des artistes-interprètes - Prestation - Utilisation.

Lorsqu'il est établi que l'engagement d'un interprète avait pour objet la seule réalisation d'un enregistrement radiophonique, le contrat signé entre une maison de disques et d'autres artistes participants, en vue de la réalisation d'un disque à partir du même enregistrement, n'est pas opposable à l'interprète précité, les rapports entre la maison de disques et ledit interprète demeurant extra contractuels

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits voisins du droit d'auteur - Droits des artistes-interprètes - Artiste-interprète - Distinction avec un artiste de complément - /.

Dès lors que la voix et l'interprétation d'un interprète sont identifiables, quand bien même la durée de cette prestation serait de courte durée, moins de deux minutes, il ne peut être considéré comme artiste de complément

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits voisins du droit d'auteur - Droits des artistes-interprètes - Droits de reproduction.

Un interprète qui poursuit, sur un fondement délictuel, l'indemnisation afférente à la reproduction sans autorisation, dans un disque, d'une prestation intervenue antérieurement au 1er janvier 1985, date d'entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1985, est mal fondé en sa demande lorsqu'il est établi que l'exploitation commerciale de ce disque a connu dès l'origine un succès important, pour avoir reçu le prix de l'Académie Charles Cros en 1954, et que l'intéressé ne s'est à aucun moment opposée à l'utilisation du disque ainsi réalisé. En effet, la reproduction de cette interprétation dans ces circonstances ne peut être considérée comme abusive et caractériser une faute de la maison de disque


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-04-09;1995.5627 ?
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