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03/04/1998 | FRANCE | N°1995-7509G

France | France, Cour d'appel de Versailles, 03 avril 1998, 1995-7509G


Par acte régularisé le 21 juin 1995 Monsieur Pierre X... a fait donner assignation à la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS en demandant au Tribunal de la déclarer entièrement responsable des conséquences dommageables qu'il a subies à la suite de l'accident de la circulation dont il a été victime le 3 octobre 1994 à la gare d'Enghien les Bains, de la condamner à réparer intégralement son entier préjudice et de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport du Docteur Y..., expert désigné par ordonnance de référé ;

A l'appui de ses réclamations le

demandeur a exposé : - qu'il avait pris le train à 16h59 à la gare du Nord ...

Par acte régularisé le 21 juin 1995 Monsieur Pierre X... a fait donner assignation à la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS en demandant au Tribunal de la déclarer entièrement responsable des conséquences dommageables qu'il a subies à la suite de l'accident de la circulation dont il a été victime le 3 octobre 1994 à la gare d'Enghien les Bains, de la condamner à réparer intégralement son entier préjudice et de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport du Docteur Y..., expert désigné par ordonnance de référé ;

A l'appui de ses réclamations le demandeur a exposé : - qu'il avait pris le train à 16h59 à la gare du Nord et qu'il devait descendre à la gare d'Enghien pour rejoindre son domicile - que le train qui devait s'y arrêter ne l'a pas fait et a poursuivi sa trajectoire - qu'il est descendu pensant que le train allait s'arrêter - qu'il a chuté brutalement à terre, heurtant dans sa chute une jeune femme qui se trouvait sur le quai - qu'étant affecté d'autisme, à la suite d'un lourd travail d'éducation il avait pu acquérir une certaine autonomie grâce à un automatisme lui permettant de se rendre quotidiennement dans un hôpital de jour - que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS a reconnu explicitement que le conducteur du train avait commis une erreur en omettant de s'arrêter en gare d'Enghien - qu'il est ainsi acquis que La SNCF a manqué à son obligation contractuelle de résultat, aucune faute constitutive de force majeure, ni cause unique du dommage ne pouvant être relevée à son encontre

Pour la régularité de la procédure, Monsieur Pierre X... a assigné le 26 juin 1995 la CPAM du VAL d'Oise en déclaration de jugement commun ;

La SNCF a constitué avocat le 12 juillet 1995 et par écritures du 11 janvier 1996 a fait valoir : à titre principal, - que Monsieur Pierre X... était malheureusement atteint d'une maladie mentale grave qui

le privait de la capacité d'ester en justice à titre subsidiaire, - qu'aucun lien de causalité n'existait entre le dommage subi par Monsieur Pierre X... et le fait que le train ne se soit pas arrêté en gare d'Enghien, l'accident résultant de la seule initiative malencontreuse et surprenante d'un voyageur descendant d'un train en pleine vitesse ne pouvant s'expliquer que par l'autisme grave dont il était atteint - que la sécurité des passagers, à aucun moment, n'a été mise en danger par le non-respect de l'arrêt du train en gare et il ne saurait dés lors lui être reproché un manquement à l'obligation de sécurité dont elle est redevable à l'égard des voyageurs - que le comportement fautif de Monsieur Pierre X... qui a ouvert les portières du wagon, sauté d'un train roulant à vive allure (100 km/h) est seul à l'origine de l'accident - que cette grave imprudence constitue par ailleurs une infraction à la police des chemins de fer, l'article 74 du décret du 22 mars 1942 alinéa 5 interdisant à toute personne d'ouvrir les portières et de descendre pendant la marche d'un train avant son arrêt complet - que le droit positif reconnaît qu'il n'est pas besoin de rechercher si l'auteur d'une faute dispose de discernement au moment des faits - que cette faute imprévisible et irrésistible l'exonérait de toute responsabilité

Par écritures du 20 septembre 1996 sont intervenus volontairement aux débats, Monsieur Albert X... en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal de son fils Monsieur Pierre X..., fonction à laquelle il a été nommé par jugement du Juge des Tutelles de Montmorency du 12 mars 1996, et Madame Denise X... née Z... en son nom personnel pour solliciter pour chacun d'eux une somme de 30.000 F en réparation de leur préjudice moral et pour Monsieur Pierre X... la somme de 285.585 F hors créance sociale en réparation de son préjudice corporel sur la base du rapport du Docteur Y... ;

Ils ont conclu à l'application de l'article 1147 du code civil à

l'encontre de la SNCF et à l'absence de toute faute exonératoire à la charge de Monsieur Pierre X... ;

Ils ont soutenu que malgré la faute commise par le conducteur du train qui ne s'est pas arrêté à la gare prévue, la SNCF aurait pu éviter la survenance d'un tel accident en maintenant les portes fermées ou en prévenant d'urgence les passagers de l'absence d'arrêt en gare d'Enghien ;

Par conclusions du 24 octobre 1996 la SNCF a contesté toute responsabilité contractuelle de sa part, faute par le demandeur de justifier de l'existence d'un titre de transport et a rappelé qu'il appartenait à Monsieur Pierre X... de s'assurer avant d'ouvrir les portières du train que celui-ci était bien arrêté et que le comportement fautif de celui-ci constitue une double infraction à l'article 74 du décret du 22mars 19942 présentant les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure, l'exonérant de toute responsabilité ;

A titre subsidiaire, et pour le cas où une part de responsabilité serait retenue à sa charge, elle a fait observer en ce qui concerne les réclamations chiffrées - que le pretium doloris estimé à 5/7 ne saurait être indemnisé par une somme supérieure à 40.000 F et le préjudice esthétique de 2,5/7 par celle de 10.000 F - que pendant la période d'ITT de 3 mois, Monsieur Pierre X... avait continué à percevoir son allocation d'handicapé adulte - que l'IPP compte tenu de l'état antérieur sera réparée par la somme de 105.000 F soit sur la base de 7.000 F du point

- qu'aucune indemnité ne pouvait être accordée à Monsieur Albert X... et Madame Denise X... née Z... personnellement, le caractère exceptionnel des souffrances qu'ils auraient subies n'existant pas fort heureusement

Par écritures des 18, 29 novembre 1996, 24 février et 15 septembre

1997, Monsieur Daouda A... agissant en qualité de représentant légal de son enfant mineur, Hawa A..., est intervenu aux débats en demandant au Tribunal de déclarer la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS et Monsieur X... dans un premier temps sans indication de prénom puis les époux X... dans un second temps, responsables du préjudice causé à son enfant, de les condamner in solidum à lui payer une provision de 25.000 F et d'ordonner une mesure d'expertise médicale à l'effet de définir et évaluer les conséquences corporelles de l'accident pour Hawa A... ;

Il a en outre réclamé une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en sus des dépens ;

Il a fait valoir que la responsabilité de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS était engagée vis à vis de son enfant sur le plan contractuel , celle-ci munie d'un billet se trouver sur le quai dans l'attente de monter dans le train , voire à titre subsidiaire sur le plan délictuel du fait des fautes incontestables qu'elle a commises et que celle de Monsieur Pierre X... résultait de son comportement fautif même en admettant l'existence d'un trouble du comportement et que les deux se trouvaient à l'origine du préjudice subi par Hawa A... ;

Il a rappelé que la SNCF, contrairement à ses affirmations, n'avait pas respecté l'article 31.1 du Règlement qui prévoit le blocage des portes avant l'entrée en station de la première voiture et que l'article 29.1 spécifie que les portes sont maintenues fermées pendant la marche lorsque la vitesse est supérieure à 10 km/h et que l'une de ses filles présente sur le quai avec sa sour, Hawa, a indiqué que le train ne roulait pas vite dans la gare d'Enghien, qu'il avait ralenti laissant croire qu'il allait s'arrêter comme prévu ;

La SNCF, par conclusions des 18 novembre, 23 décembre 1996, 21 février et 23 juin 1997 a répliqué aux différents moyens soulevés de part et d'autre : - que la phase contractuelle se limite à la période du transport comprise entre le moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et celui où il achève d'en descendre - que pour Hawa A... l'accident s'est produit sur le quai, en dehors de tout commencement d'une montée dans le train qui s'avérait en l'état impossible - que l'origine de l'accident réside dans l'ouverture des portes par Monsieur Pierre X... et son saut sur le quai alors que le train roulait à plus de 100 km/h, comme le révèle le graphique de l'enregistreur dûment homologué - qu'il est indifférent que les portes soient ou non bloquées, le voyageur ayant l'interdiction de les manouvrer pour les ouvrir pendant la marche du train - qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le défaut d'arrêt du train et le préjudice subi par Hawa A... - qu'en ce qui concerne Monsieur Pierre X..., aucune preuve n'est rapportée quant à l'existence d'un billet de transport, les relevés bancaires produits par Monsieur Albert X... n'établissant pas que les coupons mensuels étaient destinés à son fils - qu'après avoir écarté toute responsabilité contractuelle, le Tribunal ne pourra que constater qu'aucune faute n'est démontrée à sa charge, l'obligation de blocage des portes prévue par l'article 31.1 de la consigne régionale S2D N°2 ne s'appliquant que lorsque les trains s'arrêtent en gare et non pas à ceux traversant les gares sans s'arrêter - que Monsieur B... n'a donc pas manqué à ses obligations en débloquant les portes lorsqu'il s'est rendu compte que le train n'allait pas s'arrêter - que les éléments du dossier tendant à démontrer que c'est Monsieur Pierre X... qui a ouvert personnellement les portes - que seules les rames modernes disposant d'une sonorisation intérieure, l'obligation d'annonce résultant de l 'article 52 ne peut s'appliquer à la rame

inox banlieue concernée lors de l'accident qui en était dépourvue - que ledit article ne s'applique d'ailleurs que pour les perturbations du trafic à l'origine du retard ou de l'arrêt du train mais non point pour un non-arrêt qui ne constitue pas une perturbation stricto sensu du trafic ferroviaire

Elle a en outre demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle sollicitait, pour le cas où le Tribunal l'estimerait nécessaire, que l'original de la bande graphique retirée pour les besoins de l'enquête pénale soit produit aux débats et soumis à une expertise judiciaire

Monsieur Albert X... et Madame Denise X... née Z..., les 9 janvier, 16 et 18 juin 1997, ont développé à nouveau leurs précédents arguments sur le principe de la responsabilité contractuelle de la SNCF et sur les fautes commises par ses préposés et sur l'importance du préjudice subi par Monsieur Pierre X... et des souffrances qu'ils ont éprouvées personnellement ;

En ce qui concerne la réclamation de Monsieur Daouda A..., si Monsieur Albert X... n'a pas contesté que son fils était nécessairement tenu à réparer le préjudice subi par la jeune victime, il a néanmoins demandé que la SNCF le garantisse de l'ensemble des condamnations pouvant être prononcé à son encontre tant au profit de Monsieur Daouda A... pour le compte de son enfant mineur qu'à celui de la CPAM du VAL d'Oise ;

La CPAM du VAL d'Oise a conclu les 27 juin, 8 octobre et 21 novembre 1997 du chef de Monsieur Pierre X... et le 21 novembre 1997 de celui de Hawa A... ;

Dans le dernier état actualisé de ses réclamations pour Monsieur Pierre X..., elle a réclamé : - le remboursement de ses débours soit 251.793,13 F se décomposant ainsi

frais médicaux et pharmaceutiques

7 313,14 F

frais d'hospitalisation

244 479,99 F avec intérêts de droit à compter du jour de la demande - 5.000 F à titre de dommages intérêts par application des dispositions de l'ordonnance du 24 janvier 1996 - - 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en sus des dépens

Pour Hawa A..., elle a demandé le remboursement de ses débours soit 62.547,43 F représentant les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation, une somme de 5.000 F par application des dispositions de l'ordonnance du 24 janvier 1996 et 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en sus des dépens ;

Elle a sollicité en outre pour les deux victimes des réserves pour les prestations non connues à ce jour et celles qui pourraient être versées ultérieurement et le bénéfice de l'exécution provisoire ;

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 1998 ;

L'affaire a été plaidée le 27 février 1998 et le délibéré fixé au 3 avril 1998 ;

Sur ce ;

Sur la demande de Monsieur Albert X... et Madame Denise X... née Z... du fait des blessures subies par Monsieur Pierre X...

Attendu que par jugement du 12 mars 1996, régulièrement versé aux débats, le Juge des Tutelles de Montmorency a désigné Monsieur Albert X... en qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire de son fils majeur Monsieur Pierre X... ;

Attendu que Monsieur Albert X... étant intervenu volontairement aux débats en qualité d'administrateur légal de son fils, Monsieur Pierre X..., la demande en réparation du préjudice subi par celui-ci à la suite de l'accident survenu le 3 octobre 1994 doit donc être déclarée recevable ;

Sur la demande en responsabilité dirigée à l'encontre de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS

Attendu que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS qui, dans ses premières conclusions, a souligné l'autisme grave dont était atteint Monsieur Pierre X... qui ne lui permettait pas d'ester en justice, prétend que le 3 octobre 1994 il voyageait sans titre de transport aux motifs qu'il n'avait pas été retrouvé dans les papiers personnels trouvés lors de l'accident et restitués à son frère ;

Attendu que Monsieur Albert X... verse aux débats la photocopie d'un chèque postal établi le 27 septembre 1984 à l'ordre de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS 27602 REC 009 SING S2GS et le relevé de compte chèques justifiant de son débit ;

Attendu que la somme de 395 F correspond au coût mensuel de la carte orange pour le trajet emprunté par Monsieur Pierre X... lorsqu'il se rendait à l'hôpital de jour qu'il fréquentait ;

Attendu que Monsieur Pierre X... a pu fort bien perdre son billet lors de sa chute ;

Que c'est avec pertinence que Monsieur Albert X... expose qu'il aurait été difficile de faire voyager son fils sans billet compte tenu de son état ;

Que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS ne peut non plus sérieusement prétendre que la carte orange réglée par Monsieur Albert X... aurait pu avoir un autre destinataire que Monsieur Pierre X..., Monsieur Albert X... et Madame Denise X... née Z... ayant mentionné leur qualité de retraité dans leurs premières conclusions avant même que ce moyen ne soit soulevé ;

Qu'il convient donc de retenir que Monsieur Albert X... avait réglé, pour le compte de son fils autiste, la carte orange pour le mois d'octobre 1994 ;

Que le problème de la responsabilité de la SOCIETE NATIONALE DES

CHEMINS DE FER FRANOEAIS, dans le cadre de l'accident du 3 octobre 1994, doit donc être examiné au regard des dispositions de l'article 1147 du code civil ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'en sa qualité de transporteur, la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS est tenue d'une obligation de résultat, qui consiste à conduire le voyageur sain et sauf à sa destination ;

Que pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur elle, il lui appartient de démontrer que l'accident est dû à une cause étrangère telle qu'une faute de la victime qu'elle ne pouvait ni prévoir ni éviter ;

Attendu qu'il est établi par les éléments du dossier et notamment les déclarations de deux employés de la SNCF, Monsieur Philippe C..., conducteur du train, et de Monsieur B..., agent commercial, que le train est parti de la gare de Paris-Nord à 17 H 01 et qu'il a traversé la gare d'Enghien les Bains sans s'arrêter, alors qu'un arrêt était prévu ;

Attendu qu'il est remarquable que la SNCF ne considère pas comme " une perturbation ferroviaire " le non-respect d'un arrêt affiché à la gare de départ constituant une violation manifeste de ses engagements contractuels ;

Attendu que si la SNCF affirme que la copie de la bande graphique du train, dont l'original a été remis aux autorités de police lors de l'enquête préliminaire, fait apparaître que le train a traversé la gare d'Enghien à 103 km/h, pour sa part, la jeune Fatoumata alors âgée de 12 ans, qui était sur le quai avec sa sour, Hawa, a indiqué le jour même de l'accident : " Nous attendions le train sur le quai direction ERMONT. Nous nous tenions debout à peu près au milieu du quai. Quant le train est arrivé, il a ralenti au point que nous avons

cru qu'il allait s'arrêter. Nous nous sommes approchées du train, mais il ne s'est pas arrêté "

Attendu que Monsieur D..., employé chargé notamment de la surveillance du système de blocage des portes, a établi, dans le cadre de l'enquête interne de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS, une attestation aux termes de laquelle il précise : " A l'entrée du tunnel j'ai bloqué les portes par le dispositif prévu à cet effet. J'ai alors été étonné de la vitesse du train dans le tunnel. J'ai donc pensé que ce train était direct ERMONT. J'ai alors débloqué mes portes afin d'aller vérifié dans l'indicateur. Le train ne s'est pas arrêté à Enghien les Bains "

Que s'il n'est pas contesté que le train a brûlé l'arrêt d'Enghien, les circonstances exactes de l'accident demeurent indéterminées, aucun témoin n'ayant assisté à l'ouverture des portes par la victime elle-même et à sa descente du train ;

Attendu que Monsieur Pierre X..., dans son autisme profond, avait acquis depuis un certain temps les automatismes nécessaires pour voyager seul au retour de l'hôpital de jour, en empruntant un train partant de Paris à une heure précise et lui assurant un arrêt à la gare d'Enghien ;

Attendu que la victime lors de l'expertise médicale était elle-même dans l'incapacité totale de s'exprimer et que les indications fournies à l'expert médical ou mentionnées dans les écritures ne sont que des hypothèses émises par la famille de la victime ;

Attendu qu'il est loin d'être certain que les instructions affichées sur les portières concernant la descente d'un train en marche aient pu avoir une portée efficace pour des handicapés dans l'état de Monsieur Pierre X... ;

Que le raisonnement prôné par la SNCF dans ses écritures s'inscrit

dans une attitude d'exclusion à l'égard des handicapés graves et de méconnaissance de leur particularité ;

Que l'on ne saurait reprocher à la victime de ne pas avoir inclus dans ses réflexes une situation absolument inhabituelle, entièrement imputable au conducteur du train négligeant l'arrêt programmé et ce, alors que les portes n'étaient pas bloquées et qu'aucune mise en garde verbale n'avait été faite aux voyageurs ;

Qu'en ne démontrant pas l'existence d'une faute imprévisible et inévitable ni même en l'espèce d'une faute réelle imputable à la victime, la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS ne s'exonère point de son obligation ;

Qu'elle doit donc en conséquence être condamnée à indemniser l'entier préjudice subi par Monsieur Pierre X... lors de l'accident survenu le 3 octobre 1994 à Enghien les Bains ;

Sur la fixation du préjudice corporel de Monsieur Pierre X...

Attendu que le Docteur Y..., expert désigné par ordonnance de référé en date du 14 juin 1995, a diligenté sa mission et a déposé le 22 octobre 1995 un rapport dont les conclusions sont les suivantes : - ITT trois mois - consolidation le 18 octobre 1995 - pretium doloris 5/7 - préjudice esthétique 2,5/7 - existence d'un autisme grave au moment de l'accident - IPP globale 15% - état de la victime susceptible d'aggravation - pas de changement sur l'exercice de son activité habituelle (prise en charge médico-psychologique)

Attendu que si dans ses écritures Monsieur Albert X... mentionne que notamment pour l'IPP le Docteur Y... a manifestement sous-évalué ce poste de préjudice, il ne sollicite cependant pas de nouvelle mesure d'expertise ;

Attendu que dés lors, il convient d'entériner le rapport du Docteur

Y... dont les conclusions ne sont pas sérieusement contestées par les parties et qui servira de base à l'évaluation du préjudice corporel de Monsieur Pierre X... ;

Qu'aux termes dudit rapport, Monsieur Pierre X... a présenté lors de l'accident un traumatisme crânien initial sans perte de connaissance, des fractures des arcs postérieurs des côtes inférieures droites, un grave traumatisme abdominal intéressant le foie et le rein droit ;

Attendu qu'il a été hospitalisé en urgence, polytransfusé (36 flacons sanguins), a subi une néphrectomie droite, une cholécystectomie et un tamponnement hépatique nécessitant une réintervention à J2 et la mise en place d'un drainage biliaire pendant 34 jours ;

Attendu que plusieurs scanners ont été pratiqués ;

Attendu qu'il a quitté l'hôpital le 10 novembre 1994 avec un drain tanscystique qui n'a été retiré que lors d'une nouvelle hospitalisation du 6 au 8 décembre 1994 ;

Attendu que le Docteur Y... retient comme séquelles de l'accident la perte d'organes (néphrectomie droite, cholécystectomie), la sensation d'essoufflement à l'effort, des troubles intestinaux à type d'accélération du transit et une régression notable des acquisitions cognitives par rapport aux indications fournies par les parents de la victime ;

Attendu que le pretium doloris a été quantifié à 5/7 en raison de la nature des lésions initiales, des deux interventions chirurgicales pratiquées en grande urgence, de la nature et de la durée des hospitalisations, des soins prodigués en réanimation, intubation, ventilation, drainage thoracique et biliaire ;

Que le préjudice esthétique a été quantifié à 2,5/7 du fait de la qualité médiocre de la médiane xyphopubienne, des nombreux orifices de drainages thoraciques, sous-costaux et du flanc droit et de la

petite zone de pelade crânienne ;

Que l'expert rappelle dans son rapport que Monsieur Pierre X... était au moment de l'accident suivi médicalement pour un autisme grave ;

Que le préjudice corporel de Monsieur Pierre X... peut donc être fixé de la façon suivante :

Préjudice corporel de Monsieur Pierre X... soumis au recours des organismes sociaux

Attendu que Monsieur Pierre X... ne faisant pas état de frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation restés à charge, seuls les débours exposés à ce titre par la CPAM du VAL d'Oise seront inclus dans le calcul du préjudice soumis à recours ;

Attendu que si Monsieur Pierre X... n'a pas supporté de pertes de revenus, son indemnité pour handicapé adulte ayant été réglée, il n'en demeure pas moins qu'il a subi une perturbation pendant 3 mois dans le cadre des activités habituelles qu'il avait réussi à acquérir et qui sera indemnisée par la somme forfaitaire de 10.000 F ;

Que l'IPP doit être fixée à la somme de 120.000 F soit sur la base de 8.000 F compte tenu de l'âge de la victime née en 1967, de la nature et du taux des séquelles et de l'état antérieur ;

Que le préjudice soumis à recours se chiffre donc ainsi : - frais médicaux et pharmaceutiques réglés par la CPAM du VAL d'Oise

7 313,14 F - frais d'hospitalisation réglés par la CPAM du VAL d'Oise

244 479,99 F - ITT

10 000,00 F - IPP 15% à 8.000 F du point

120 000,00 F soit au total

381 793,13 F

Qu'après déduction de la créance de la CPAM du VAL d'Oise, il revient

à Monsieur Pierre X... une indemnité complémentaire de 130.000 F ; Sur le préjudice corporel non soumis au recours des organismes sociaux

Attendu que le pretium doloris quantifié à 5/7 doit être indemnisé par la somme de 60.000 F et le préjudice esthétique de 2,5/7 par celle de 15.000 F ;

Sur les demandes de préjudice moral de Monsieur Albert X... et de Madame Denise X... née Z...

Attendu que Monsieur Pierre X... du fait de son handicap vivait encore chez ses parents ne fréquentant qu'un hôpital de jour ;

Attendu que l'accident survenu à leur enfant déjà atteint gravement d'autisme leur a donc occasionné de vives inquiétudes puis, lors de son retour à domicile, un surcroît de diligences et ce, malgré leur âge ;

Que le préjudice moral de Monsieur Albert X... et de Madame Denise X... née Z... résultant du seul accident doit donc être indemnisé, pour chacun d'eux, par une somme de 10.000 F ;

Sur la réclamation de Monsieur Daouda A... en réparation du préjudice subi par son enfant mineur, Hawa A...

Attendu que si Hawa A..., attendant sur le quai pour monter dans le train, ne peut invoquer les dispositions de l'article 1147 du code civil à l'encontre de la SNCF, elle est bien fondée, en son subsidiaire, à rechercher la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle de la SNCF ;

Attendu qu'une faute de la SNCF est d'ores et déjà établie étant donné que le conducteur de son convoi, par simple négligence, a omis de s'arrêter à la gare d'Enghien et que le contrôleur l'ayant constaté n'a même pas eu la prudence élémentaire de maintenir

jusqu'après la traversée de la gare le blocage des portes qu'il avait mis en ouvre à l'approche de la station et qu'il a relâché en voyant que le train continuait sur sa lancée ;

Que sans ces fautes l'accident, quel que soit son déroulement ne se serait pas produit et qu'il existe un lien direct entre les dites fautes et la réalisation du dommage pour Hawa A... ;

Attendu par conséquent que si aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de Monsieur Pierre X..., et si aucune faute n'est invoquée à la charge de la jeune Hawa A..., seules restent à l'origine de la situation dommageable les fautes des proposés de la SNCF qui doit être condamnée à réparer l'entier dommage en résultant ;

Que Monsieur Pierre X... doit être mis hors de cause ;

Que dés lors la demande en garantie de Monsieur Albert X... ès qualités de son fils Monsieur Pierre X... à l'encontre de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANOEAIS apparaît sans objet ;

Sur la demande de provision et d'expertise

Attendu que les documents médicaux versés aux débats et notamment le certificat du Docteur E... mentionnent que lors de l'accident Hawa A... a présenté une fracture fermée diaphysaire du tibia gauche et une contusion du genou droit et qu'elle souffre toujours de séquelles à évaluer par voie d'expertise ;

Que le Docteur Guillaume F... doit donc être désigné en qualité d'expert pour définir et évaluer les conséquences corporelles de l'accident poure d'expertise ;

Que le Docteur Guillaume F... doit donc être désigné en qualité d'expert pour définir et évaluer les conséquences corporelles de l'accident pour Hawa A... avec la mission définie au dispositif ;

Attendu que les honoraires de l'expert soit 3.000 F seront avancés

par Monsieur Daouda A... selon les modalités visées au dispositif ; Que compte tenu des indications fournies dans les pièces médicales, il y a lieu d'allouer à Hawa A... une provision de 20.000 F à valoir sur son préjudice corporel avec intérêts au taux légal à compte du présent jugement ;

Sur les réclamations de la CPAM du VAL d'Oise du chef de Monsieur Pierre X...

Attendu que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS doit être condamnée à rembourser à la CPAM du VAL d'Oise la somme de 251.793,13 F avec intérêts au taux légal sur la somme de 243.195,84 F à compter du 27 juin 1997 jusqu'au 21 novembre 1997 et sur celle de 251.793, 13 F à partir du 27 juin 1997 ;

Attendu que la demande relative à la condamnation des responsables au paiement d'une indemnité de 5.000 F est irrecevable devant la présente juridiction au regard des dispositions de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale modifié par l'ordonnance 96.51 du 24 janvier 1996 ;

Attendu qu'il y a lieu de donner acte à la CPAM du VAL d'Oise de ses réserves en ce qui concerne les prestations non encore connues à ce jour, celles qui pourraient être versées ultérieurement et sur lesquelles le Tribunal n'a pas en l'état à statuer ;

Sur les réclamations de la CPAM du VAL d'Oise du chef de Hawa A... Attendu qu'il convient de surseoir à statuer sur l'ensemble des réclamations en principal et sur les dispositions de l'ordonnance du 24 janvier 1996 jusqu'au résultat de la mesure d'expertise médicale ;

Attendu que l'exécution provisoire du jugement doit être ordonnée en totalité pour la mesure d'expertise médicale et la provision allouée à Hawa A... et pour la somme accordée à la CPAM du VAL d'Oise du chef de Monsieur Pierre X... et à concurrence des deux tiers des sommes allouées à Monsieur Albert X... et Madame Denise X... née Z... personnellement et à Monsieur Pierre X... après déduction de la créance de la CPAM du VAL d'Oise, eu égard à l'ancienneté de l'accident ;

Attendu qu'il apparaît équitable d'allouer à Monsieur Daouda A... une somme de 5.000 F, à la CPAM du VAL d'Oise du chef de Monsieur Pierre X... celle de 3.000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'ils ont pu exposer ;

Qu'il convient de surseoir à statuer sur la réclamation au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile de la CPAM du VAL d'Oise du chef de Hawa A... jusqu'au résultat de l'expertise médicale ordonnée ;

Attendu que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS supportera les entiers dépens exposés par Monsieur Albert X... personnellement et en qualité d'administrateur légal de son fils, Monsieur Pierre X..., par Madame Denise X... née Z... et par la CPAM du VAL d'Oise intervenant du chef de celui-ci ;

Attendu que les dépens exposés par Monsieur Daouda A... du chef de son enfant mineure, Hawa A..., et par la CPAM du VAL d'Oise intervenant au titre de cette victime doivent être réservés en l'état dans l'attente de l'expertise médicale ;

PAR CES MOTIFS ;

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Condamne la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANOEAIS, à indemniser Monsieur Albert X... en son nom personnel et en qualité de d'administrateur légal de son fils Monsieur Pierre X..., Madame Denise X... née Z... et Monsieur Daouda A... ès qualités de représentant légal de son enfant mineur, Hawa A..., de l'entier préjudice qu'ils ont subi lors de l'accident survenu le 3 octobre 1994 ;

Met hors de cause Monsieur Pierre X... représenté par Monsieur Albert X... dans le cadre de la demande présentée par Monsieur Daouda A... ès qualités de son enfant mineur, Hawa A... ;

Entérine le rapport du Docteur Y... ;

Fixe le préjudice corporel de Monsieur Pierre X... soumis au recours des organismes sociaux à la somme de 381.793,13 F et celui non soumis audit recours à celle de 75.000 F ;

Fixe le préjudice corporel complémentaire et personnel de Monsieur Pierre X... à la somme de 205.000 F déduction faite de la créance de la CPAM du VAL d'Oise ;

Condamne la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS à payer à Monsieur Albert X... et Madame Denise X... née Z... personnellement et à chacun la somme de 10.000 F en réparation du préjudice moral et à Monsieur Albert X..., en sa qualité d'administrateur sous contrôle judiciaire de son fils, Monsieur Pierre X..., celle de 205.000 F, les dites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du présent jugement fixant le préjudice ;

Dit et juge que Monsieur Albert X... recevra les sommes destinées à son fils, Monsieur Pierre X...,

à charge pour lui de se conformer pour leur emploi aux dispositions prévues par le jugement rendu le 12 mars 1996 par le Juge des Tutelles de Montmorency auquel sera adressée par le Greffe une copie

du jugement ;

Condamne la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS à payer à la CPAM du VAL d'Oise la somme de 251.7


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-7509G
Date de la décision : 03/04/1998

Analyses

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Obligation de sécurité - Transporteur - Obligation de résultat - Portée - /.

En sa qualité de transporteur la S.N.C.F. est tenue d'une obligation de résultat qui consiste à conduire le voyageur sain et sauf à destination. Elle ne peut s'exonérer de cette responsabilité contractuelle qu'en démontrant que l'accident, dont la personne transportée a été victime, est dû à une cause étrangère, telle qu'une faute de la victime, qu'elle ne pouvait ni prévoir ni éviter. Lorsqu'il est établi qu'en violation des engagements contractuels un arrêt programmé dans une gare n'a pas eu lieu par suite d'une négligence du conducteur du train, et que, consécutivement à ce manquement contractuel, un voyageur, autiste empruntant ce train depuis plusieurs années, descend en marche et se blesse gravement, il ne saurait être reproché à la victime de ne pas avoir inclus dans ses réflexes une situation inhabituelle entièrement imputable au transporteur, alors que la portée de l'affichage des instructions prohibant la descente d'un train en marche n'est pas démontrée

CHEMIN DE FER - SNCF - Responsabilité - Responsabilité quasi délictuelle.

Le voyageur victime d'un dommage alors qu'il stationne sur le quai d'une gare dans l'attente d'un train n'est pas fondé à rechercher la responsabilité du transporteur sur le fondement de la responsabilité contractuelle, mais seulement sur le terrain de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle. Dès lors qu'il est établi que l'accident survenu à la victime, consécutif à la chute d'un passager sur le quai, résulte des fautes du transporteur, en l'espèce, le non respect d'un arrêt programmé et l'absence de fermeture des portes lors du passage de la rame en gare, et qu'il existe un lien de causalité directe entre ces fautes et la réalisation du dommage, le transporteur doit être condamné à la réparation de l'entier dommage


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-04-03;1995.7509g ?
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