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02/04/1998 | FRANCE | N°1995-370

France | France, Cour d'appel de Versailles, 02 avril 1998, 1995-370


La société MARSEILLAISE DE CREDIT est appelante du jugement rendu le 6 octobre 1994 par le tribunal de commerce de VERSAILLES qui l'a déboutée de sa demande introduite le 6 juillet 1992 à l'encontre de la société MORRY FRANCE et tendant au paiement par cette dernière, en tant que maître d'ouvrage de travaux d'aménagement d'un parcours de golf et de construction d'un club house à FEUCHEROLLES, de la somme de 1.385.879,00 frs correspondant à la créance professionnelle que lui a cédée, le 12 mars 1992, la société BATPRO, filiale de la société Groupe JEANJEAN, entreprise princip

ale chargée de la réalisation des travaux et objet d'une procédure...

La société MARSEILLAISE DE CREDIT est appelante du jugement rendu le 6 octobre 1994 par le tribunal de commerce de VERSAILLES qui l'a déboutée de sa demande introduite le 6 juillet 1992 à l'encontre de la société MORRY FRANCE et tendant au paiement par cette dernière, en tant que maître d'ouvrage de travaux d'aménagement d'un parcours de golf et de construction d'un club house à FEUCHEROLLES, de la somme de 1.385.879,00 frs correspondant à la créance professionnelle que lui a cédée, le 12 mars 1992, la société BATPRO, filiale de la société Groupe JEANJEAN, entreprise principale chargée de la réalisation des travaux et objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 16 avril 1992.

Le tribunal a noté que la société BATPRO, entrepreneur principal, avait sous-traité la plupart des travaux qui lui avaient été confiés, sans obtenir le cautionnement personnel et solidaire prévu par l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, de sorte qu'elle a cédé un droit qui ne lui appartenait pas en raison de son indisponibilité, étant ajouté que la société MORRY FRANCE, déjà actionnée par les sous-traitants à hauteur de plus de 5 millions de francs, n'a pas accepté cette cession.

Par conclusions déposées le 8 mars 1995 et signifiées le 20 février 1996, la société MARSEILLAISE DE CREDIT, appelante, indique que la sanction prévue par l'article 14 n'est ni l'indisponibilité ni la nullité mais l'inopposabilité de la cession aux sous-traitants ayant exercé l'action directe en concours avec un banquier, ajoutant n'être en concours avec aucun sous-traitant, de sorte que l'inopposabilité ne peut être invoquée par le maître de l'ouvrage. Elle soutient que

la société MORRY FRANCE ne pourrait se prévaloir des dispositions de l'article 14 qu'en rapportant la preuve que des sous-traitants sont intervenus sur le chantier et ont exercé utilement l'action directe et qu'elle n'est plus débitrice d'une somme d'argent au titre du marché concerné.

Elle fait valoir que la quasi totalité des entreprises sont intervenues sur le chantier du club house et non sur celui du parcours de golf, que les conditions de l'action directe ne sont pas réunies et que la société MORRY FRANCE n'est pas libérée de ce qu'elle doit dans le cadre du marché de 37 millions de francs. En outre, elle invoque la responsabilité pour faute de la société MORRY FRANCE qui, invitée à procéder à toutes vérifications utiles concernant l'existence de cette créance et à informer la banque de toute difficulté, a gardé le silence, laissant ainsi croire qu'elle ne s'opposerait pas au paiement et l'empêchant de prendre des dispositions pour la sauvegarde de ses intérêts. En conséquence, elle demande à la cour de :

- déclarer la Société Marseillaise de Crédit recevable et bien fondée en son appel du jugement entrepris,

En conséquence,

- condamner la société MORRY FRANCE à lui payer la somme principale de 1.396.000,76 frs avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 1992,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil,

- subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour estimerait ne pas devoir faire droit à son action fondée sur la créance qui lui a été cédée, constater que la société MORRY FRANCE a engagé sa responsabilité à son égard et, en conséquence, condamner la société MORRY FRANCE à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 2.000.000,00 frs,

- condamner la société MORRY FRANCE en tous les dépens, tant de première instance que d'appel dont distraction au profit de la SCP LEFEVRE TARDY, avoués aux offres de droit, qui en poursuivra le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du N.C.P.C.;

- condamner la société MORRY FRANCE à payer à la Société Marseillaise de Crédit la somme de 20.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du N.C.P.C.

Par conclusions signifiées le 22 octobre 1996, la société MORRY FRANCE soutient que l'article 13-1 de la loi relative à la sous-traitance énonce une interdiction de céder une créance relative à des travaux sous-traités lorsque le cautionnement personnel et

solidaire visé à l'article 14 n'a pas été obtenu, et donc organise une indisponibilité. Elle fait état aussi de nombreuses oppositions de sous-traitants pour un montant de plus de 5 millions de francs, qui font échec à la demande de la société MARSEILLAISE DE CREDIT.

Réfutant l'argumentation de cette dernière, elle affirme que les sous-traitants sont bien intervenus sur le marché du golf et ont exercé l'action directe, et qu'elle s'est libérée des sommes dues au titre du marché. Elle conteste toute responsabilité, son silence n'ayant rien de fautif, et ajoute que la société MARSEILLAISE DE CREDIT était parfaitement au courant des difficultés financières de la société GROUPE JEANJEAN et de sa filiale BATPRO. Elle demande à la cour de :

- débouter la Société Marseillaise de Crédit de son appel et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner la SMC à payer à la société MORRY FRANCE la somme de 10.000,00 frs (dix mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC dans le cadre de l'instance d'appel,

- la condamner en tous les dépens de première instance et d'appel

avec distraction, pour ceux la concernant, au profit de la SCP MERLE CARENA DORON, avoués aux offres de droit, qui en poursuivra le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du N.C.P.C.

Par conclusions signifiées les 4 octobre 1996 et 8 décembre 1997, Maître Philippe PERNAUD, es-qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société GROUPE JEANJEAN et de la société BATPRO fait observer qu'aucune demande n'est formulée contre les sociétés qu'il administre, et indique n'avoir aucune observation à formuler, de sorte qu'il sollicite sa mise hors de cause.

Maître FABRE, es-qualité d'administrateur judiciaire de la société GROUPE JEANJEAN, assigné, n'a pas constitué avoué.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 9 décembre 1997 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 11 février 1998.

SUR CE, LA COUR

Considérant que, selon l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, "l'entrepreneur principal ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement. Il peut,

toutefois, céder ou nantir l'intégralité de ces créances sous réserve d'obtenir, préalablement et par écrit, le cautionnement personnel et solidaire visé à l'article 14 de la présente loi vis-à-vis des sous-traitants" ;

Qu'il résulte de ce texte que de telles créances sont indisponibles tant que l'entrepreneur principal, qui recourt à des sous-traitants, n'a pas obtenu, préalablement, une caution personnelle et solidaire d'un établissement agréé ;

Considérant, en l'espèce, qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que la société BATPRO, entreprise principale, qui a sous-traité tous les travaux d'aménagement du parcours de golf qu'elle devait réaliser pour le compte de la société MORRY FRANCE selon contrat du 3 octobre 1989, a sollicité et obtenu le cautionnement personnel et solidaire prévu par l'article 14 de la loi relative à la sous-traitance ;

Qu'elle ne pouvait, en conséquence, céder à la société MARSEILLAISE DE CREDIT la créance de 2.194.000,00 frs qu'elle détenait sur le maître de l'ouvrage au titre des 5 % du montant du marché, stipulés payables à la réception définitive des ouvrages ;

Qu'il s'ensuit que cette cession, par la remise d'un bordereau en date du 12 mars 1992 à la société MARSEILLAISE DE CREDIT, n'a pu transfèrer au profit de cette dernière la propriété de la créance cédée et, en tout cas, est inopposable à la société MORRY FRANCE,

laquelle est recevable et fondée à invoquer cette fin de non-recevoir tirée des dispositions d'ordre public de la loi précitée ;

Considérant, au surplus, que la société MORRY FRANCE, débitrice cédée, qui n'a pas accepté la cession, est en droit d'opposer à la société MARSEILLAISE DE CREDIT, cessionnaire, les exceptions tirées de ses rapports avec la société BATPRO, cédante ;

Qu'à cet égard, contrairement à ce que prétend la société MARSEILLAISE DE CREDIT, il ressort des courriers, produits aux débats et non critiqués, des 15 avril, 23 avril, 29 avril 1992 et du 10 février 1992, émanant respectivement de la S.A. TIS, de la S.A. LAQUET, de la société MAURY, et de la société SCREG, que ces entreprises sont intervenues, en qualité de sous-traitants pour l'exécution des travaux afférents à la réalisation du golf de FEUCHEROLLES, lequel est visé dans ces courriers, et non pour la réalisation du club-house ; que ces mêmes courriers établissent que ces entreprises sous-traitantes ont exercé leur action directe à l'encontre de la société MORRY FRANCE, pour un montant total de 5.133.130,00 frs, sans qu'il soit établi que cette dernière, seule recevable à leur opposer l'absence d'agrément, ait contesté l'exercice de cette action;

Qu'il est, en tout cas, établi, que la SCREG, sous-traitant agréé par la société MORRY FRANCE selon acte signé le 8 janvier 1992, a exercé son action directe, dès le 10 février 1992, soit antérieurement à la cession litigieuse, et obtenu du maître de l'ouvrage le paiement de

sa créance sur la société BATPRO, à hauteur de 1.674.234,00 frs, au terme d'une transaction conclue entre l'une et l'autre le 15 avril 1993 ; que ce paiement a épuisé les fonds disponibles entre les mains de la société MORRY FRANCE au titre du solde définitif du marché (2.194.100,00 frs), compte tenu du versement de la somme de 597.121,00 frs à la société MARSEILLAISE DE CREDIT, étant relevé, d'une part, que les sept échéances précédentes, représentant un total supérieur à 41.000.000,00 frs, ont été réglées, comme le démontrent expressément les mentions figurant sur certaines des situations correspondantes, en sorte que la société MORRY FRANCE se trouve libérée, eu égard au prix global du marché de 37 millions, et, d'autre part, que des sous-traitants de la société BATPRO demeurent impayés pour plus de 5 millions de francs ;

Considérant que, même si elle contient, comme en l'espèce, une demande de vérification quant à l'existence de la créance et d'information en cas de difficultés, la notification de la cession par bordereau n'entraîne pas à la charge du débiteur cédé une obligation d'information au profit du cessionnaire sur l'existence et la valeur de la créance cédée ; que le simple silence gardé par la société MORRY FRANCE à la suite de la notification du 16 mars 1992, ne caractèrise, en l'espèce et en l'absence de tout comportement frauduleux ou dolosif, aucune faute, dès lors qu'il n'est pas démontré, qu'à cette date et jusqu'au redressement judiciaire de la société BATPRO, prononcé le 10 avril 1992, elle a connu les incertitudes affectant la créance cédée, alors qu'en revanche, il ressort de la lettre du 17 avril 1992 du Groupe JEANJEAN-BATPRO, adressée à la société MORRY FRANCE, que la banque était, elle-même, parfaitement informée de la situation financière de l'entreprise

principale ; qu'il faut, encore, remarquer que la société MARSEILLAISE DE CREDIT s'est abstenue de demander à la société MORRY FRANCE l'acceptation de la cession, et que, dès le 10 juin 1992, cette dernière lui a fait part de l'impossibilité de donner suite à la demande de règlement ;

Qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris;

Considérant que l'équité commande que la société MORRY FRANCE n'ait pas à assumer l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer dans la procédure d'appel ; que la cour est en mesure de fixer à 10.000,00 frs la somme que la société MARSEILLAISE DE CREDIT devra lui payer à ce titre ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et en dernier ressort,

- déclare recevable l'appel formé par la société MARSEILLAISE DE CREDIT à l'encontre du jugement rendu le 6 octobre 1994 par le tribunal de commerce de VERSAILLES,

- le dit mal fondé,

- met hors de cause Maître Philippe PERNAUD, es-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société GROUPE JEANJEAN,

- confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées, y ajoutant,

- condamne la société MARSEILLAISE DE CREDIT à payer à la société MORRY FRANCE la somme de 10.000,00 frs en application de l'article 700 du NCPC,

- la condamne aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement, chacun pour ce qui le concerne, par Maître BINOCHE et par la SCP MERLE-CARENA-DORON, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC,

- déboute les parties de leurs autres conclusions contraires ou plus amples.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. LE X...

J-L GALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-370
Date de la décision : 02/04/1998

Analyses

CONTRAT D'ENTREPRISE

Aux termes de l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance " L'entrepreneur principal ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement. Il peut toutefois, céder ou nantir l'intégralité de ces créances sous réserve d'obtenir, préalablement et par écrit, le cautionnement personnel et solidaire visé à l'article 14 de la présente loi, vis-à-vis des sous- traitants". Il résulte de ce texte que de telles créances sont indisponibles tant que l'entrepreneur principal qui recourt à des sous-traitants, n'a pas obtenu, préalablement, une caution personnelle et solidaire d'un établissement agréé. En l'espèce, un entrepreneur principal, à défaut d'avoir sollicité et obtenu le cautionnement solidaire et personnel prévu par l'article 14 de la loi précitée, ne peut céder à un établissement de crédit la créance détenue à l'encontre du maître de l'ouvrage au titre du pourcentage du marché stipulé payable à réception définitive des ouvrages


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-04-02;1995.370 ?
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