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19/03/1998 | FRANCE | N°1997-6510

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19 mars 1998, 1997-6510


La société TIR GROUPÉ est spécialisée dans la distribution de chèques cadeaux à des entreprises et des collectivités.

Prétendant avoir entretenu avec la société KIABI des relations commerciales suivies, concrétisées notamment par un contrat en date du 29 février 1996, la société TIR GROUPÉ a saisi le juge des référés du Tribunal de Commerce de NANTERRE, sur le fondement de l'article 872 du Nouveau Code de Procédure Civile, pour voir :

- "ordonner à la société KIABI d'honorer la commande n° 1159 du 02 mai 1997 sous astreinte de 5.000 francs par jour de r

etard, en livrant les chèques KIABI".

- "ordonner à la société KIABI de se conform...

La société TIR GROUPÉ est spécialisée dans la distribution de chèques cadeaux à des entreprises et des collectivités.

Prétendant avoir entretenu avec la société KIABI des relations commerciales suivies, concrétisées notamment par un contrat en date du 29 février 1996, la société TIR GROUPÉ a saisi le juge des référés du Tribunal de Commerce de NANTERRE, sur le fondement de l'article 872 du Nouveau Code de Procédure Civile, pour voir :

- "ordonner à la société KIABI d'honorer la commande n° 1159 du 02 mai 1997 sous astreinte de 5.000 francs par jour de retard, en livrant les chèques KIABI".

- "ordonner à la société KIABI de se conformer aux dispositions de l'article 2 relatif à la durée du contrat du 29 février 1996 en exécutant, sous astreinte de 5.000 francs par jour de retard, toute commande de chèque KIABI passée par la société TIR GROUPÉ".

La société KIABI a soulevé, in limine litis, l'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de Commerce de ROUBAIX-TOURCOING dans le ressort duquel elle a son siège social, en arguant notamment de l'inopposabilité de la clause attributive de compétence insérée dans le contrat du 29 février 1996 qui, selon elle, n'a jamais été signée par l'un de ses représentants, et subsidiairement, elle a conclu au mal fondé des demandes formées à son encontre.

Par ordonnance en date du 25 juin 1997, le juge des référés sus-désigné, après avoir constaté une absence totale de ressemblance entre la signature officielle de Monsieur Marc X..., censé avoir signé le contrat litigieux, et celle figurant sur ledit contrat et relevé que la contestation dont s'agit, ne relevait pas de l'appréciation du juge des référés a, après avoir fait application de l'article 42 du Nouveau Code de Procédure Civile, renvoyé les parties à se mieux pourvoir devant le Tribunal de Commerce de ROUBAIX, lieu

du siège social de KIABI, et laissé les dépens à la charge de la société TIR GROUPÉ.

*

Appelante de cette décision, la société TIR GROUPÉ prétend tout d'abord que la société KIABI ne justifie pas de la contestation qu'elle élève et que cette contestation est d'autant plus mal fondée que le contrat du 29 février 1996 a été partiellement exécuté par ladite société, et ce, pendant plus d'une année. Elle déduit de là que la clause attributive de compétence ne peut que sortir son plein et entier effet et que la société KIABI doit être condamnée à satisfaire aux obligations par elle contractées aux termes du contrat.

Subsidiairement, et même si cette argumentation n'était pas suivie, elle soutient qu'il n'est pas contestable qu'un courant d'affaires a existé entre elle et la société KIABI, que cette dernière y a mis fin brutalement en refusant de continuer à lui fournir des chèques-cadeaux et que cette rupture s'analyse en un refus de vente, engageant la responsabilité délictuelle de son auteur, dont elle est en droit de demander réparation sur le fondement de l'article 46 alinéa 3 du Nouveau Code de Procédure Civile, au juge des référés du lieu où le fait dommageable a été subi, à savoir celui de son propre siège social. Elle demande, en conséquence, que lui soit alloué, soit sur un fondement contractuel, soit un fondement quasi délictuel l'entier bénéfice de son exploit introductif d'instance et réclame une indemnité de 50.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

[*

La société KIABI s'oppose à l'argumentation adverse et conclut, à titre principal, à la confirmation de l'ordonnance déférée, subsidiairement au mal fondé des demandes formées à son encontre et, plus subsidiairement encore, à l'existence en l'espèce d'une contestation sérieuse. Elle réclame aussi une indemnité de 10.000 francs en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer. MOTIFS DE LA DECISION

*] Sur le contrat du 29 février 1996.

Considérant que la société TIR GROUPÉ se prévaut de la clause attributive de compétence insérée au contrat du 29 février 1996 ; qu'elle soutient plus particulièrement que non seulement ledit contrat a bien été signé par Monsieur X..., représentant de la société KIABI, mais que, de surcroît, la validité de cet engagement ne peut être mis en doute dès lors qu'il a été mis à exécution.

Mais considérant que le premier juge a relevé à juste titre qu'il existait une contestation sérieuse quant à l'existence même de ce contrat que Monsieur X... a toujours contesté avoir signé et paraphé ; qu'à cet égard, il apparaît notamment que les signatures officielles produites par Monsieur X... ne ressemblent en rien à celles figurant sur le document litigieux ; que le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article 872 du Nouveau Code de Procédure Civile en a déduit à bon droit que la clause attributive de compétence figurant dans ce document, dont seule la juridiction du fond avait la possibilité d'apprécier la portée et la validité, ne pouvait être opposée à la société KIABI ; que la société appelante est d'autant plus mal fondée à nier le caractère sérieux de cette contestation qu'elle a de sa propre initiative saisi, comme il en est justifié, le juge d'instruction de Versailles d'une plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux, tentative

d'escroquerie et qui vise expressément le contrat dont s'agit et plus particulièrement la signature qui a été apposée sur ce document au nom de la société KIABI ; qu'il suit de là que même si l'existence de relations contractuelles suivies entretenues entre les parties n'est pas contestable, ni contestée, il n'en reste pas moins qu'il n'est en rien établi en l'état que lesdites relations procéderaient du contrat susvisé dès lors que, à supposer qu'il soit établi qu'il s'agirait d'un faux, celui-ci a parfaitement pu intégrer les relations commerciales antérieures dont s'agit pour qu'il en soit tiré toutes conséquences ultérieures quant à leur rupture et leur durée ; que cette deuxième contestation, qu'il n'appartient pas davantage à la Cour, statuant en matière de référé, de trancher, interdit encore qu'il soit fait application en l'état de la clause attributive de compétence.

Considérant que le premier juge n'a cependant pas répondu au moyen subsidiaire déjà invoqué devant lui, tenant à l'existence d'un refus de vente engageant la responsabilité délictuelle de son auteur et susceptible de relever de la compétence de ce magistrat par application de l'article 46 alinéa 3 du Nouveau Code de Procédure Civile.

* Sur le refus de vente

Considérant qu'il est de principe que le refus de vente entre professionnel constitue un délit civil et non une faute contractuelle, même lorsqu'il survient entre des parties se trouvant déjà en relation d'affaires, et que la victime est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 46 alinéa 3 du Nouveau Code de Procédure Civile aux termes desquelles, en matière délictuelle, le demandeur peut saisir, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, de sorte que, à supposer le refus

de vente établi en l'espèce, la société TIR GROUPÉ était fondée à saisir le juge des référés du Tribunal de Commerce de son siège social, lieu où le dommage a été subi à savoir celui de NANTERRE ; que l'ordonnance déférée sera, en conséquence, infirmée en ce qu'elle a, sans répondre à ce chef de demande subsidiaire, décliné la compétence.

Mais considérant que si les articles 872 et 873 du Nouveau Code de Procédure Civile combinés aux dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, donnent compétence au juge des référés pour ordonner toute mesure propre à rétablir la victime d'un refus de vente dans ses droits, encore faut-il que le délit visé soit parfaitement établi et qu'il s'analyse en un trouble manifestement illicite.

Or considérant qu'en l'espèce, les faits dénoncés ne relèvent manifestement pas de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précité selon lequel engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout producteur, commerçant ou industriel ou artisan de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestation de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 ; qu'en effet, les demandes formées par la société appelante, tendant à voir satisfaire à ses commandes de livraison de chèques-cadeaux "KIABI", ne s'inscrivent pas dans un rapport classique fournisseur-client mais dans le cadre d'engagements synallagmatiques particuliers, prévoyant des obligations réciproques à la charge de chaque partie à savoir, une action publicitaire menée par la société TIR GROUPÉ auprès de sa clientèle d'entreprise au profit de la société KIABI, en contrepartie de laquelle ladite société KIABI devait fournir à la société TIR

GROUPÉ des chèques-cadeaux que celle-ci placait ensuite auprès de sa propre clientèle, ce que n'a jamais contesté, au demeurant, la société appelante ; que, dans ces conditions, la société TIR GROUPÉ ne peut, en se prévalant d'un prétendu refus de vente, contraindre la société KIABI à poursuivre des relations contractuelles concrétisées soit par la convention litigieuse, soit par un courant d'affaires continu ; qu'il appartiendra au seul juge du fond, à ce jour d'ailleurs saisi, de sanctionner, conformément au droit commun, l'éventuelle responsabilité de la société KIABI pour rupture abusive desdites relations contractuelles qui constitue le fondement réel de ce procès ; que l'ordonnance déférée sera, en conséquence, infirmée en ce qu'elle a renvoyé les parties à se mieux pourvoir devant le juge du Tribunal de Commerce de ROUBAIX sans examiner au préalable la question du refus de vente, laquelle relevait de la compétence du premier juge ; que cependant, la société KIABI sera déboutée de ce chef de demande dès lors que les prétentions émises par cette dernière ne relèvent pas d'un refus de vente, mais comme il a été dit précédemment d'une éventuelle responsabilité pour rupture abusive d'un contrat ou de relations d'affaires suivies dont le juge du fond est déjà saisi et qu'il n'appartient pas à la Cour statuant en référé de trancher.

Considérant qu'au stade actuel de la procédure, l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens. PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Dit recevable et partiellement fondé l'appel interjeté par la société TIR GROUPÉ SARL,

- Infirmant l'ordonnance déférée,

- Dit que le premier juge aurait dû retenir sa compétence sur le fondement de l'article 46 alinéa 3 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Constate cependant que la société TIR GROUPÉ SARL ne justifie pas d'un refus de vente, au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et renvoie les parties devant le juge du fond déjà saisi quant à une prétendue rupture abusive des relations commerciales imputée à la société KIABI SA, dès lors qu'il n'y a lieu à référé sur ce point,

- Dit n'y avoir lieu au stade actuel de la procédure à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Laisse les entiers dépens de première instance et d'appel à la charge de la société TIR GROUPÉ SARL et autorise la SCP d'Avoués LISSARRAGUE etamp; DUPUIS etamp; ASSOCIES, à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-6510
Date de la décision : 19/03/1998

Analyses

REFERE - Référé - Compétence - Compétence territoriale - Refus de vente - Faute délictuelle - article 46 du NCPC - Référé - Mesures conservatoires ou de remise en état - Trouble manifestement illicite - Refus de vente - Engagements synallagmatiques particuliers (non).

1) Lorsque la réalité de la signature d'un contrat est contestée par l'une des parties, un juge des référés saisi sur le fondement de l'article 872 du NCPC, en déduit à bon droit que la clause attributive de compétence qu'il contient et qu'invoque l'une des parties n'est pas opposable à l'autre en raison de l'existence d'une contestation sérieuse.2) Dès lors qu'il est de principe qu'un refus de vente entre professionnels constitue un délit et non une faute contractuelle, même lorsqu'il survient entre des parties se trouvant déjà en relations d'affaires, il en résulte que, en application de l'article 46 alinéa 3 du NCPC, la victime peut saisir la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort duquel le dommage a été subi. En l'espèce, c'est donc à bon droit qu'une victime, à supposer le refus de vente établi, saisit le juge des référés de son siège social.3) Si les dispositions combinées des articles 872 et 873 du NCPC et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 donnent compétence au juge des référés pour ordonner toute mesure propre à rétablir la victime d'un refus de vente dans ses droits, encore faut-il que le délit visé soit parfaitement établi et qu'il s'analyse en un trouble manifestement illicite.Selon l'article 36 de l'ordonnance précitée, la responsabilité et l'obligation de réparer d'un producteur, commerçant ou industriel ou artisan naît du fait de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par l'article 10. En l'espèce, la relation établie entre deux entreprises consistant pour la première à

fournir des chèques cadeaux à la seconde, en contrepartie de quoi cette dernière en assure le placement, aux fins de promotion, auprès de sa clientèle ne s'inscrit pas dans le cadre d'un rapport classique client/fournisseur mais dans celui d'engagements synallagmatiques particuliers.Il en résulte que la non remise de chèques cadeaux par l'un en dépit de la demande de l'autre ne peut s'analyser en un refus de vente, mais relève, le cas échéant, d'une éventuelle responsabilité pour rupture abusive des relations d'affaires interrompues, dont il appartient au seul juge du fond de connaître.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-03-19;1997.6510 ?
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