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19/03/1998 | FRANCE | N°1995-7379

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19 mars 1998, 1995-7379


Monsieur René X... est l'auteur-réalisateur du film "LES MAITRES DU TEMPS", dessin animé (d'après l'oeuvre de science-fiction de Stephan WUL "L'ORPHELIN DE PERFIDE") auquel ont collaboré MOEBIUS pour le graphisme et Jean-Patrick MANCHETTE pour les dialogues. Le film est sorti en salles, en France, le 24 mars 1982. Les droits d'exploitation ont été cédés par l'auteur à la société TELECIP aux droits de laquelle se trouve la société PARAVISION INTERNATIONAL. Pour commercialiser les produits dérivés, la société titulaire des droits d'exploitation a déposé la dénomination "LES

MAITRES DU TEMPS" comme marque à l'INPI le 21 juin 1982.

La SA CHR...

Monsieur René X... est l'auteur-réalisateur du film "LES MAITRES DU TEMPS", dessin animé (d'après l'oeuvre de science-fiction de Stephan WUL "L'ORPHELIN DE PERFIDE") auquel ont collaboré MOEBIUS pour le graphisme et Jean-Patrick MANCHETTE pour les dialogues. Le film est sorti en salles, en France, le 24 mars 1982. Les droits d'exploitation ont été cédés par l'auteur à la société TELECIP aux droits de laquelle se trouve la société PARAVISION INTERNATIONAL. Pour commercialiser les produits dérivés, la société titulaire des droits d'exploitation a déposé la dénomination "LES MAITRES DU TEMPS" comme marque à l'INPI le 21 juin 1982.

La SA CHRONOPOST a, le 13 octobre 1989, déposé la marque dénominative "LES MAITRES DU TEMPS" pour désigner les services de télécommunication et de transport, et l'utilise pour ses services de messagerie rapide.

Par acte du 30 mars 1994, Monsieur René X... et la société PARAVISION INTERNATIONAL ont assigné la société CHRONOPOST en contrefaçon. Ils ont demandé au tribunal, sur le fondement de l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle de :

- prononcer la nullité de la marque déposée par la société CHRONOPOST,

- la condamner au paiement de :

500.000 francs à la société PARAVISION en réparation de son préjudice commercial,

250.000 francs à Monsieur X... en réparation de son préjudice moral.

Ils ont demandé, subsidiairement, s'il était jugé que la dénomination "LES MAITRES DU TEMPS" était dépourvue d'originalité, de retenir la responsabilité de la société CHRONOPOST du fait de ses agissements

parasitaires.

Par jugement du 28 juin 1995, le tribunal de grande instance de NANTERRE a débouté les demandeurs de leur action et les a condamnés à payer à la société CHRONOPOST la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal a considéré pour l'essentiel que :

- le titre "LES MAITRES DU TEMPS" est dépourvu de caractère original et ne peut bénéficier ni de la protection instituée par l'article L.112-4 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, ni de celle déterminée par l'alinéa 2 du même texte et que dès lors l'action en contrefaçon est mal fondée ;

- la société PARAVISION ne peut prétendre pour sa marque au bénéfice de la protection des marques notoirement connues car la renommée est liée à celle du film ;

- Monsieur X..., n'étant pas titulaire de la marque, est irrecevable à agir et, subsidiairement, s'agissant des produits désignés par la marque "LES MAITRES DU TEMPS", ils s'adressent à une clientèle de jeunes cinéphiles alors que la marque déposée par la société CHRONOPOST désigne des produits destinés à des utilisateurs différents ; qu'il n'existe aucun risque de confusion dans l'esprit du public et donc aucun préjudice.

Monsieur René X... a interjeté appel de cette décision et il a intimé uniquement la société CHRONOPOST devant la Cour.

Il expose qu'il limite son appel à la disposition du jugement qui le déboute de sa propre action au motif qu'il n'a pas d'intérêt à agir et que sa demande serait mal fondée. Il précise qu'il n'agit pas pour la protection de la marque des produits dérivés mais pour faire respecter son film qui, "investi par la société CHRONOPOST se trouve, de ce fait, déprécié et galvaudé". Il soutient que la responsabilité de la société CHRONOPOST est engagée à son égard, tant sur la base de

l'article 1382 du Code civil en raison de ses agissements parasitaires, que pour violation de l'article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle pour atteinte au respect de son oeuvre.

Il demande en conséquence à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- condamner la société CHRONOPOST à lui verser une somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, - faire interdiction à la société CHRONOPOST de poursuivre l'exploitation de la marque "LES MAITRES DU TEMPS", de quelque façon que ce soit, sous astreinte de 100.000 francs par infraction constatée.

La société CHRONOPOST, intimée, conclut au mal fondé de l'appel de Monsieur X... et à la confirmation de la décision déférée.

Elle fait valoir que :

- Monsieur X... n'a pas qualité pour agir sur le fondement d'agissements parasitaires puisqu'il n'est titulaire des droits d'exploitation ni sur le film, ni sur le titre "LES MAITRES DU TEMPS", les droits patrimoniaux appartenant à la société PARAVISION INTERNATIONAL, laquelle n'a pas relevé appel du jugement ;

- l'action de Monsieur X... est mal fondée car aucun agissement illicite ne peut être reproché à la société CHRONOPOST ;

- Monsieur X... n'établit nullement la renommée de son film, "qui n'a connu qu'une distribution confidentielle, il y a quinze ans" et ne justifie d'aucun préjudice ;

- aucune atteinte n'a été portée au droit moral de l'auteur, étant rappelé que Monsieur X... ne dispose pas du droit moral sur le titre "LES MAITRES DU TEMPS" qui est dépourvu d'originalité ;

- Monsieur X... n'établit pas que la société CHRONOPOST a porté

atteinte à l'intégrité ou à l'esprit de son oeuvre.

Elle conclut en conséquence au débouté de Monsieur X... en toutes ses prétentions et à sa condamnation au paiement d'une indemnité de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

SUR CE,

Considérant qu'à titre préliminaire, il y a lieu de constater que Monsieur René X... déclare clairement dans ses écritures qu'il renonce à prétendre au caractère original du titre de son oeuvre "LES MAITRES DU TEMPS" ; qu'en conséquence, il ne peut prétendre au bénéfice de la protection prévue par l'article L.112-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que Monsieur René X... a, par contrat du 2 juin 1979, cédé aux producteurs du film les droits d'exploitation tant sur le film que sur le titre de son oeuvre, ainsi que sur les droits dérivés ;

Que l'action qu'il poursuit seul devant la Cour (qui ne doit pas être confondue avec l'action en contrefaçon dont Monsieur X... et la société PARAVISION INTERNATIONAL, qui l'exerçaient ensemble, ont été déboutés) est cependant recevable, mais seulement en ce qu'elle porte sur la sauvegarde de son droit moral d'auteur tel que défini par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que Monsieur X... ne peut donc prétendre obtenir l'interdiction par la société CHRONOPOST de l'utilisation de sa marque "LES MAITRES DU TEMPS" ;

Considérant que contrairement aux affirmations de Monsieur René X..., en utilisant le slogan "LES MAITRES DU TEMPS", la société CHRONOPOST ne parasite nullement son film, dessin animé de science-fiction ; que les domaines d'activité de la société CHRONOPOST et du film d'animation sont étrangers l'un à l'autre ; que

l'idée de la maîtrise du temps suggérée par la société CHRONOPOST est celle de la rapidité des transmissions dans le monde entier ; que la représentation du globe terrestre et des avions de l'Aéropostale, comme celle d'un personnage volant, ne se rattachent pas aux thèmes de science-fiction mais à l'idée du voyage dans le monde entier et de la célérité ; que les thèmes de l'oeuvre de Monsieur X... ont une toute autre dimension et font appel à l'imaginaire puisqu'ils évoquent le voyage dans l'espace et la communication avec des personnages venant d'autres planètes ;

Que par aucun élément, si ce n'est le titre, la publicité de la société CHRONOPOST, au moyen du slogan "LES MAITRES DU TEMPS", ne se rattache à l'oeuvre de création de Monsieur René X... ;

Qu'en définitive, il ressort des pièces versées aux débats que la société CHRONOPOST ne bénéficie nullement de la renommée du film de Monsieur X... pour son activité commerciale ;

Considérant que selon l'article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son oeuvre, droit attaché à sa personne, imprescriptible et inaliénable ;

Considérant que l'utilisation intensive et sur une longue période, pour la désignation de services de messagerie, de la dénomination "LES MAITRES DU TEMPS", a des répercussions négatives sur l'oeuvre "LES MAITRES DU TEMPS" de Monsieur René X... en son entier, et non pas seulement sur son titre qui n'est pas protègeable ;

Que l'essor incontestable de la renommée des services de CHRONOPOST, ayant pour signe distinctif "LES MAITRES DU TEMPS", a pour effet de banaliser et de dévaloriser les termes "LES MAITRES DU TEMPS" ; qu'elle porte ainsi atteinte à la singularité de l'oeuvre cinématographique du même nom, en rendant communs et ordinaires la signification et l'esprit du film ;

Qu'il s'agit bien d'une atteinte à l'esprit, à la valeur, et au sens

de l'oeuvre ;

Que contrairement aux affirmations de la société CHRONOPOST, Monsieur René X... justifie que son film a connu un succès certain en France et à l'étranger, et qu'il a acquis, dans le domaine spécialisé du film d'animation, une renommée assurée ; que réalisé en 1982, ayant fait l'objet alors d'édition de livres et de bandes dessinées, il existe depuis le premier trimestre 1995 en cassette vidéo (Polygram Vidéo) ; que le film est diffusé régulièrement au cours de rétrospectives de l'oeuvre de Monsieur X... (auteur connu de longs métrages de dessins animés) et l'a été encore récemment en 1995, 1996 et 1997 ;

Que la société CHRONOPOST doit être tenue d'indemniser Monsieur X... de l'atteinte ainsi portée à son oeuvre ;

Que la Cour a les éléments lui permettant de fixer à la somme de 50.000 francs le préjudice moral subi par Monsieur X... ;

Considérant que la société CHRONOPOST sera condamnée aux dépens d'appel, ce qui prive de fondement sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'il sera alloué à Monsieur X... une somme de 30.000 francs en indemnisation de ses frais non taxables ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REFORME PARTIELLEMENT le jugement rendu entre les parties le 28 juin 1995 par le tribunal de grande instance de NANTERRE ;

STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE la société CHRONOPOST à payer à Monsieur René X... une somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000 francs) à titre d'indemnisation pour atteinte à son long métrage "LES MAITRES DU TEMPS" ;

DEBOUTE Monsieur X... du surplus de sa demande ;

CONDAMNE la société CHRONOPOST à payer à Monsieur X... une indemnité de TRENTE MILLE FRANCS (30.000 francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

CONDAMNE la société CHRONOPOST aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Marie-France MAZARS, Président,

Madame Catherine Y..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-7379
Date de la décision : 19/03/1998

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits patrimoniaux - Droit d'exploitation - Cession.

L'auteur d'une oeuvre cinématographique qui a cédé les droits d'exploitation de celle-ci, y compris son titre, n'est pas recevable en son action tendant à faire l'interdire l'utilisation du titre de ce film par une société commerciale dès lors que, ayant renoncé à prétendre à l'originalité du titre dudit film, il ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits moraux - Droit au respect de l'oeuvre - Atteinte.

L'utilisation du titre d'un dessin animé comme slogan publicitaire par une société commerciale ne parasite pas l'oeuvre, dans la mesure où les domaines d'activité de l'entreprise et du film d'animation en cause sont étrangers et que les thèmes respectivement développés par chacun sont différents. En revanche, l'utilisation intensive sur une longue période du titre de ce film pour désigner des services commerciaux a pour effet de le banaliser et le dévaloriser. Cette atteinte à l'esprit, à la valeur, et au sens de l'oeuvre constitue un préjudice moral ouvrant droit à réparation sur le fondement de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle


Références :

Code de la propriété intellectuelle, article L 112-4 et L 121-1

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-03-19;1995.7379 ?
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