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19/03/1998 | FRANCE | N°1995-10286

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19 mars 1998, 1995-10286


Suivant acte sous seings privés en date du 30 mars 1957, Monsieur Benoît X... et son épouse née Madeleine Y..., ont donné à bail à la SA "GRAND GARAGE JEAN JAURES", des locaux à usage industriel et commercial dépendant d'un ensemble immobilier sis à l'angle des rues Jean Jaurès et Rousselle à PUTEAUX (92).

Ce bail a fait l'objet de plusieurs renouvellement et, par acte extra judiciaire en date du 23 mars 1993, les consorts X..., désignés en tête de la présente décision, venant aux droits des époux Benoît X..., ont donné congé à la société GRAND GARAGE JEAN JAURE

S avec offre de renouvellement, moyennant un loyer déplafonné annuel de 600.0...

Suivant acte sous seings privés en date du 30 mars 1957, Monsieur Benoît X... et son épouse née Madeleine Y..., ont donné à bail à la SA "GRAND GARAGE JEAN JAURES", des locaux à usage industriel et commercial dépendant d'un ensemble immobilier sis à l'angle des rues Jean Jaurès et Rousselle à PUTEAUX (92).

Ce bail a fait l'objet de plusieurs renouvellement et, par acte extra judiciaire en date du 23 mars 1993, les consorts X..., désignés en tête de la présente décision, venant aux droits des époux Benoît X..., ont donné congé à la société GRAND GARAGE JEAN JAURES avec offre de renouvellement, moyennant un loyer déplafonné annuel de 600.000 francs à compter du 1er octobre 1993.

La société locataire a accepté, par courrier du 30 mars 1993, le principe du renouvellement mais elle a refusé le nouveau loyer proposé, estimant que celui-ci devait être fixé, en fonction de la seule évolution des indices, à la somme de 251.682 francs en principal.

Aucun accord n'ayant pu intervenir, les consorts X... ont saisi, après avis de la Commission Départementale, le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE.

Par un premier jugement en date du 17 mars 1994, ce magistrat a désigné Monsieur Z..., en qualité d'expert.

Après dépôt du rapport d'expertise, le même magistrat a, par un deuxième jugement en date du 05 octobre 1995 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause :

- Fixé le prix du nouveau loyer, à compter du 1er octobre 1993, à la somme annuelle de 253.690 francs.

- Ordonné l'exécution provisoire.

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

- Fait masse des dépens, en ce compris les frais d'expertise, et dit

qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties.

[*

Appelants de cette décision, les consorts X... font grief au premier juge d'avoir rejeté la demande de déplafonnement pourtant préconisée par l'expert Monsieur Z.... A cet égard, ils invoquent deux motifs de déplafonnement à savoir, le caractère monovalent des locaux et l'évolution favorable et notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail écoulé. Ils déduisent de là, en s'appuyant sur les différentes évaluations produites aux débats que le loyer en renouvellement doit être fixé à la somme de 600.000 francs par an à compter du 1er octobre 1993 et demandent que la société GRAND GARAGE JEAN JAURES soit condamnée d'ores et déjà à leur payer la somme de 807.424,13 francs, représentant la différence entre le loyer dû depuis le point de départ du nouveau bail jusqu'au 29 février 1996. ils réclament également une indemnité de 50.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*]

La société GRAND GARAGE JEAN JAURES s'oppose à l'argumentation adverse et conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de déplafonnement et fixé le nouveau loyer en fonction de la seule évolution des indices. Elle reproche, en revanche, au premier juge de l'avoir déboutée de la demande formée par elle au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile précité et d'avoir mis à sa charge une part des dépens.

Elle réclame du premier chef une indemnité globale de 40.000 francs et demande que les dépens, en ce compris les frais d'expertise, soient entièrement supportés par les bailleurs.

Subsidiairement, et pour le cas où la Cour admettrait le déplafonnement, elle demande que le nouveau loyer soit fixé, en fonction des seules surfaces retenues par l'expert Monsieur Z... qui n'ont pas été utilement critiquées et sur la base des éléments complémentaires qu'elle apporte aux débats, à la somme annuelle de 309.000 francs en principal. MOTIFS DE LA DECISION I - Sur les motifs de déplafonnement

a) Sur la monovalence des locaux

Considérant que l'article 23-8 du décret du 30 septembre 1953 prévoit que "le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux dispositions qui précèdent, être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée".

Considérant que le premier juge a écarté les conclusions de l'expert Monsieur Z... qui proposaient de retenir la monovalence des locaux au sens des dispositions précitées, motif pris essentiellement que lesdits locaux pouvaient être aisément affectés à une autre destination, compatible avec les clauses du bail, et ce, pour une dépense modique de l'ordre de 50.000 francs.

Considérant que, pour obtenir l'infirmation de cette décision, les consorts X... prétendent tout d'abord qu'il n'a pas été tenu compte dans cette motivation de la commune intention des parties qui était, nonobstant les clauses du bail, d'affecter les locaux au seul usage de garage ; qu'ils ajoutent que n'a pas été davantage prise en considération l'importance des installations et plus largement des travaux effectués par le locataire au cours du bail dont la nature traduit encore la volonté d'affecter le bâtiment à usage exclusif de garage et de station service ; qu'ils en veulent pour preuve notamment l'édification d'une piste pour la station service, d'une rampe d'accès, ainsi que la présence d'une cuve, de pompes

volumétriques et de quatre ponts élévateurs ; qu'ils estiment également que les frais de démontage desdites installations ont été manifestement sous-évalués, déduisant de l'ensemble de ces observations que la monovalence des locaux est suffisamment caractérisée en l'espèce.

Mais considérant que seuls peuvent être qualifiés de monovalents des locaux spécialement construits pour une exploitation déterminée et inaptes à tout autre usage ; que tel n'est pas le cas de locaux qui peuvent, sans transformation profonde et coûteuse, être affectés à une autre destination que celle qui leur avait été initialement donnée.

Considérant qu'en l'espèce, il apparaît des pièces des débats que les locaux litigieux ont été réaménagés en cours de bail et plus précisément dans le courant de l'année 1968, aux frais de la société locataire et dans un immeuble entièrement reconstruit, sans que pour autant ladite société ait entendu renoncer à la destination très large, prévue à la convention d'origine et reprise dans les baux ultérieurs, à savoir celle de "salle de garage, réparation, achat et vente de voitures automobiles, vente de tous carburants et lubrifiants, accessoires et pièces détachées pour tous véhicules et ainsi que l'industrie mécanique et en général l'exploitation de tous autres fonds industriels et commerciaux" ;

Qu'il suit de là que, bien que le caractère spécifique des installations dont s'agit révèle l'intention de la société locataire de poursuivre l'activité de garagiste et d'exploitant de station service qu'elle exerçait précédemment dans les mêmes locaux avant reconstruction, il ne résulte pas pour autant de cette constatation que ladite société ait renoncé définitivement à la faculté, qui lui reste ouverte par le bail, de réorienter un jour ses activités ou de céder son bail à d'autres fins que l'exploitation d'un garage ; que

la seule question posée à la Cour est celle de savoir si l'ampleur des transformations, qui seraient nécessaires à un tel changement d'activité, conforme à la destination contractuellement prévue, est réalisable à un coût raisonnable ne remettant pas en cause l'équilibre de l'opération de reconstruction réalisée en 1968.

Considérant que, comme il a été dit précédemment, les installations spécifiques visées par l'appelante portent essentiellement sur la présence de quatre volucompteurs, d'une aire d'atelier avec quatre ponts élévateurs et d'une rampe d'accès ; que la transformation des locaux en vue d'une autre destination exigerait donc nécessairement que soient supprimées ou neutralisées lesdites installations.

Considérant qu'en ce qui concerne les cuves, la société GRAND GARAGE JEAN JAURES justifie par une pièce émanant de la société ELF ANTAR FRANCE, propriétaire de ce matériel, que celles-ci peuvent être aisément neutralisées au moyen d'une chappe de béton, ce qui générerait une dépense de l'ordre de 30.000 à 50.000 francs, que les pompes volumétriques pourraient également être supprimées par un coût extrêmement modique ; qu'en ce qui concerne la dépose des ponts élévateurs, la société GRAND GARAGE JEAN JAURES produit des devis établis par une société MATIG établissant que la dépose des ponts élévateurs pourrait être réalisée pour un prix de 7.199,02 francs ; que ces évaluations sont confortées, si besoin était, par les conclusions de l'expertise amiable effectuée par Monsieur A... à la demande de la société intimée, chiffrant les opérations de transformation à un coût de l'ordre de 50.000 francs à 60.000 francs, étant observé que ces chiffres soumis à l'appréciation de l'expert Monsieur Z... n'ont pas été utilement contredits par ce dernier qui n'a pas orienté particulièrement ses investigations dans ce sens, pas plus qu'ils ne le sont par la société appelante ; qu'enfin, la rampe d'accès qui ne bénéficie que d'un droit d'utilisation précaire,

n'interdit pas une autre affectation des locaux.

Considérant qu'il résulte de ces observations que les locaux dont s'agit, peuvent être aisément transformés en vue d'une autre activité, comme l'a relevé le premier juge dans de justes motifs que la Cour s'approprie, et ce, pour une mise de fond modique de l'ordre de 50.000 francs à 60.000 francs sans commune mesure avec les frais d'aménagement d'origine ; que, dans ces conditions, la société locataire qui peut être amenée, notamment en raison de la baisse notable de vente de carburants, comme il sera vu ci-après, à réorienter ses activités ou à céder son bail ou même à sous-louer, comme le lui permet la convention, est fondée à voir écarter, eu égard à ces considérations particulières, la demande de déplafonnement, tenant au prétendu caractère monovalent des locaux qui lui est opposé d'autant que, comme cela est souvent le cas d'ancien garage en région parisienne, lesdits locaux peuvent être affectés en particulier à usage de superette, de magasins, d'entrepots, ou même de parc de stationnement par box individuels loués au mois ou à l'année.

b) - Sur l'évolution des facteurs locaux de commercialité

Considérant qu'une évolution notable des facteurs de commercialité ne peut être prise en compte que si elle a pu profiter, au cours du bail écoulé, au commerce dont s'agit.

Considérant que le premier juge a essentiellement retenu, pour écarter le deuxième motif du déplafonnement invoqué , la stagnation des entrées mensuelles de véhicules à l'atelier entre 1992 et 1993, la capacité limitée des postes de travail, une baisse notable de vente des carburants , la présence d'un environnement immédiat relativement défavorable et un emplacement à l'écart des grands axes de circulation, estimant que ces éléments ont contrebalancé l'augmentation de population constatée au cours du bail écoulé et

l'édification d'immeubles nouveaux.

Considérant que les consorts X... critiquent cette motivation rappelant que, comme l'a relevé l'expert Monsieur Z..., la population de PUTEAUX a connu une augmentation de 18 % entre 1982 et 1990 et qu'une progression du nombre de logements de 13,46 % a été constatée pendant la même période, ce qui a entraîné nécessairement, selon les appelants, une progression corrélative du nombre de véhicules et n'a pu que profiter, par voie de conséquence, à la société locataire.

Mais considérant tout d'abord que les photographies versées aux débats montrent que, comme l'a retenu le tribunal, le garage est situé dans un environnement relativement défavorable et entouré d'immeubles très vétustes ; qu'il est justifié également que ledit garage se trouve à l'écart des grands axes de circulation, sur une voie à sens unique, et relativement éloigné des constructions neuves édifiées à proximité du quartier d'affaires de la Défense ; qu'il n'est pas non plus sérieusement contestable que le garage ne dispose que d'installations relativement modestes ne lui permettant pas d'augmenter sensiblement ses capacités d'accueil ; qu'en outre et surtout, il apparaît que le garage dont s'agit s'est heurté, pendant la période considérée et à l'instar de tous les garages traditionnels, à la vive concurrence des grands centres commerciaux édifiés en proche banlieue qui disposent d'installations permettant d'effectuer l'entretien courant des véhicules et d'acquérir du carburant à des prix très inférieurs à ceux pratiqués au centre ville, ce qui s'est traduit au cours du bail écoulé pour le GRAND GARAGE JEAN JAURES par une baisse très sensible du volume de vente des carburants et également par une baisse des entrées de véhicules en atelier, sans que puisse être mise en cause la capacité des dirigeants de ladite société qui ne peuvent lutter à armes égales

contre cette concurrence ; qu'il suit de là qu'il est suffisamment établi que ni l'évolution démographique, ni la construction de nouveaux immeubles dans la commune du PUTEAUX, n'ont eu d'influence notable sur la commercialité des locaux dont s'agit ; que le jugement dont appel sera, en conséquence, également confirmé en ce qu'il a rejeté le deuxième motif de déplafonnement invoqué et fixé le nouveau loyer, en fonction de la seule variation des indices, à la somme annuelle de 253.690 francs en principal, à compter du 1er octobre 1993. II - Sur les autres demandes

Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait en l'espèce application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'en effet, il ne saurait être reproché aux consorts X... d'avoir engagé la présente procédure alors qu'ils disposaient d'un rapport d'expertise qui était favorable au déplafonnement et que les circonstances de la cause, notamment en ce qui concerne la monovalence, méritaient un débat judiciaire approfondi pour départager les parties.

Considérant, en revanche, que les appelants, qui succombent, supporteront les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise. PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit les consorts X... en leur appel, mais le dit mal fondé,

- Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf en ce qu'il a laissé une part des dépens à la charge de la société GRAND GARAGE JEAN JAURES SA,

- Infirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, après avoir dit n'y avoir lieu en la cause à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, condamne les consorts X... à supporter les

entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, et autorise la SCP d'Avoués LEFEVRE et TARDY à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-10286
Date de la décision : 19/03/1998

Analyses

BAIL COMMERCIAL

Aux termes de l'article 23-8 du décret du 30 septembre 1953, le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux dispositions qui précèdent être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée. Ne peuvent être considérés comme monovalents que des locaux spécialement construits pour une exploitation déterminée et inaptes à tout autre usage.Tel n'est pas le cas, en l'espèce, de locaux exploités à usage de garage qui, sans transformation profonde et coûteuse, peuvent être affectés à une destination autre que celle qui leur avait été initialement donnée


Références :

Décret du 30 septembre 1953, article 23-8

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-03-19;1995.10286 ?
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