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26/02/1998 | FRANCE | N°1995-5172

France | France, Cour d'appel de Versailles, 26 février 1998, 1995-5172


Les époux X... (aujourd'hui décédés) étaient propriétaires de terrains sur lesquels se trouvaient des locaux industriels 37 rue Klock et 4-6 rue Pierre Curie à CLICHY LA GARENNE (92), les deux parcelles étant cadastrées section Z n° 158 et n° 171, et d'une surface totale de 1.737 m.

Après décision du conseil municipal, le préfet des Hauts-de-Seine a, par arrêté du 21 septembre 1970, déclaré d'utilité publique l'acquisition par la commune de CLICHY LA GARENNE de ces terrains, ainsi que d'une parcelle voisine de 550 m cadastrée Z 170, au 39 rue Klock, en vue d'y édif

ier une maison municipale des sports.

L'ordonnance d'expropriation a été...

Les époux X... (aujourd'hui décédés) étaient propriétaires de terrains sur lesquels se trouvaient des locaux industriels 37 rue Klock et 4-6 rue Pierre Curie à CLICHY LA GARENNE (92), les deux parcelles étant cadastrées section Z n° 158 et n° 171, et d'une surface totale de 1.737 m.

Après décision du conseil municipal, le préfet des Hauts-de-Seine a, par arrêté du 21 septembre 1970, déclaré d'utilité publique l'acquisition par la commune de CLICHY LA GARENNE de ces terrains, ainsi que d'une parcelle voisine de 550 m cadastrée Z 170, au 39 rue Klock, en vue d'y édifier une maison municipale des sports.

L'ordonnance d'expropriation a été rendue le 11 janvier 1971. En exécution de la décision du juge de l'expropriation du 7 mars 1972, les époux Y... ont perçu une indemnité d'expropriation de 2.658.430 francs.

Modifiant ses projets, la commune de CLICHY LA GARENNE a, par délibération du 20 décembre 1976, décidé de céder le terrain, tout en conservant une parcelle de 421 m nouvellement cadastrée Z 206, en vue de la construction d'un foyer pour personnes âgées par l'OPHLM qui bénéficiait à cette fin d'un prêt de 6.335.200 francs.

Par arrêté du 17 mars 1980, le préfet des Hauts-de-Seine a déclaré d'utilité publique l'acquisition d'un terrain de 2287 m par l'OPHLM en vue de la construction d'un foyer pour personnes âgées équivalent à 45 logements d'HLM.

Cet arrêté devait être modifié par un arrêté du 1er octobre 1980, lequel a rectifié l'erreur commise quant à la superficie du terrain concerné mentionnée pour 1863 m au lieu de 2287 m.

La vente des terrains à l'OPHLM a été constatée par acte notarié du 16 décembre 1980 lequel, notamment, reprend les termes des déclarations d'utilité publique.

Deux immeubles de studios, avec parkings, ont été réalisés par l'OPHLM sur son terrain, et la commune de CLICHY a construit un restaurant, l'ensemble étant destiné aux personnes âgées.

Par acte du 2 mars 1994, Madame Odette Y... veuve Z..., ayant-droit des époux Y..., a assigné la Commune de CLICHY LA GARENNE devant le tribunal de grande instance de NANTERRE pour faire valoir, sur le fondement de l'article L.12-6 du Code de l'expropriation, son droit à rétrocession, et, la restitution de l'immeuble étant impossible du fait de la cession intervenue, obtenir sa condamnation au paiement, à titre provisionnel, d'une somme de 5.000.000 francs à titre de dommages-intérêts, et voir désigner un expert pour évaluer son préjudice.

Par jugement rendu contradictoirement le 11 janvier 1995, le tribunal de grande instance de NANTERRE a :

- dit bien fondée la demande de rétrocession de Madame Z...,

- faisant droit en son principe à la demande subsidiaire de dommages-intérêts, ordonné avant-dire droit une expertise en vue de recueillir tous éléments permettant d'évaluer le préjudice,

- dit n'y avoir lieu à allouer une indemnité provisionnelle,

- condamné la commune de CLICHY LA GARENNE aux dépens et au paiement de la somme de 8.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La commune de CLICHY LA GARENNE, appelante, demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- constater qu'une nouvelle déclaration d'utilité publique est intervenue par arrêté du 17 mars et 1er octobre 1980,

- en conséquence, dire qu'en application des dispositions de l'article L.12-6 du code de l'expropriation, la demande de rétrocession est irrecevable et mal fondée,

- débouter Madame Z... de toutes ses prétentions et la condamner au paiement d'une indemnité de 8.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Madame Odette Y... veuve Z..., intimée, demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris.

Le rapport d'expertise étant déposé, elle demande à la Cour d'évoquer et,

- de dire que le préjudice résultant de l'impossibilité de "faire jouer" son droit de rétrocession s'élève à la somme de 41.867.903 francs,

- condamner la commune de CLICHY LA GARENNE à lui payer cette somme avec intérêts de droit à compter du 2 mars 1994,

- ordonner la capitalisation des intérêts échus conformément à l'article 1154 du code civil.

A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour n'évoquerait pas, elle demande que lui soit allouée une provision de 1.900.000 francs.

Elle réclame en outre une somme de 80.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La commune DE CLICHY LA GARENNE a conclu en réplique à l'irrecevabilité et au mal fondé de toutes les demandes de Madame Z....

SUR CE,

Considérant que l'alinéa 1 de l'article L.12-6 du code de l'expropriation dispose : "si les immeubles expropriés en application du présent code n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants-droits à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique";

Considérant que pour statuer comme il l'a fait le premier juge, après avoir rappelé que l'expropriation, en 1971, avait été ordonnée en vue d'édifier une maison des sports dans un but de prévention de la délinquance juvénile, qu'il n'était pas contesté que dans le délai de cinq ans, prévu par l'article L.12-6, la destination prévue n'avait pas été réalisée, a constaté que la destination actuelle des biens (soixante dix studios et cent cinquante parkings rapportant à la Ville de CLICHY LA GARENNE un revenu locatif annuel de 2.000.000 francs) n'était conforme ni à l'arrêté initial du 21 septembre 1970, ni à l'arrêté du 17 mars 1980, modifié par l'arrêté du 1er octobre 1980 ; qu'il a également relevé que la cession du 16 décembre 1980 à l'OPHLM n'avait pas été notifiée aux consorts Y... ;

Considérant qu'il est constant que la construction, initialement prévue par la première déclaration d'utilité publique, d'une maison des sports, n'a pas été réalisée dans le délai de cinq ans, et que ce n'est qu'en 1980, soit neuf ans après l'ordonnance d'expropriation, qu'a été prise par l'autorité administrative une seconde déclaration d'utilité publique;

Considérant que la commune de CLICHY LA GARENNE soutient que les consorts Y... n'ont pas acquis le droit à rétrocession automatiquement du fait que le délai de cinq ans s'est écoulé sans qu'aucune construction n'ait été entreprise ou que n'ait été obtenue une nouvelle déclaration d'utilité publique ; qu'il est de principe qu'une nouvelle déclaration d'utilité publique fait échec au droit à rétrocession, sauf s'il est établi que l'administration, en sollicitant ou en obtenant une nouvelle déclaration d'utilité publique, a commis un détournement de procédure ;

Considérant que Madame Z... réplique que cette interprétation revient à neutraliser le délai de cinq ans ;

Qu'elle soutient (notamment dans ses dernières écritures) qu'il est possible d'agir en rétrocession si cinq années se sont écoulées à compter de la déclaration d'utilité publique sans que celle-ci ait été prorogée ou qu'une nouvelle déclaration d'utilité publique ait été prise avant l'expiration du délai de cinq ans ; que le délai de cinq ans ne peut renaître par l'effet d'une nouvelle déclaration d'utilité publique prise plusieurs années après l'expiration du délai de cinq ans alors que le droit à rétrocession est né ; qu'elle ajoute que le droit à rétrocession ne peut naître, puis disparaître, par l'effet d'une nouvelle déclaration d'utilité publique ;

Qu'elle prétend en définitive que son droit à rétrocession est né à compter du 11 janvier 1976 et que la nouvelle déclaration d'utilité publique prise quatre ans après l'expiration du délai de cinq ans ne peut faire obstacle à son droit à rétrocession ;

Mais considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article L.12-6 que les anciens propriétaires, ou leurs ayants-droits, peuvent exercer l'action en rétrocession "pendant un délai de trente ans ... à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique", ce qui implique qu'une nouvelle déclaration d'utilité publique puisse être requise par l'autorité expropriante au delà du délai de cinq ans ;

Que comme le soutient à juste titre la commune, la deuxième déclaration d'utilité publique interdit aux consorts Y... d'exercer une action en rétrocession ;

Considérant que Madame Z... prétend ensuite que la deuxième déclaration d'utilité publique ne saurait faire échec à son droit à rétrocession dans la mesure où elle n'a pas le même objet que la première déclaration d'utilité publique, et en outre qu'elle a été prise au profit d'un autre bénéficiaire, l'OPHLM ;

Mais considérant qu'il résulte de la jurisprudence relative à l'application et à l'interprétation de l'article L.12-6 du code de l'expropriation que la réquisition d'une nouvelle déclaration d'utilité publique peut émaner d'un tiers aussi bien que de l'ancien expropriant et avoir un objet différent de celui initialement prévu ;

Considérant enfin que Madame Z... fait valoir que, comme l'ont estimé justement les premiers juges, l'affectation actuelle des lieux n'est nullement conforme à la deuxième déclaration d'utilité publique ;

Que sur ce point, la commune réplique essentiellement qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer sur la réalisation de l'affectation des biens expropriés au regard de la déclaration d'utilité publique, argument auquel Madame Z... rétorque que cette objection s'analyse en une exception d'incompétence, irrecevable comme soulevée pour la première fois en cause d'appel ;

Mais considérant que pour apprécier la demande de Madame Z..., qui agit sur le fondement de l'article L.12-6 du code de l'expropriation, le juge judiciaire doit examiner si l'autorité administrative n'a pas détourné la réquisition de la déclaration d'utilité publique de son objet ; que tel serait le cas si les terrains expropriés avaient été utilisés à une autre fin que la destination prévue par la déclaration d'utilité publique ;

0r considérant que les pièces versées aux débats (et notamment le rapport d'expertise) démontrent que sur les terrains expropriés, et cédés en grande partie à l'OPHLM, ont été construits deux immeubles aménagés pour l'essentiel en soixante-dix studios où résident des personnes âgées, accompagnés de locaux collectifs et d'un restaurant pour cent personnes (construit sur le terrain resté propriété de la commune), destinés aux locataires des studios mais aussi aux personnes âgées venant de l'extérieur pour les repas et les loisirs ; qu'il y a également cent parkings qui sont donnés en location ;

Que les loyers qui sont perçus par la commune, gestionnaire de ce complexe, concernent pour l'essentiel le règlement par les personnes âgées des prestations dont elles bénéficient ;

Qu'il résulte clairement des données du rapport d'expertise et d'une attestation de la directrice de ce foyer pour personnes âgées que la destination prévue dans la déclaration d'utilité publique a été respectée, soixante-dix studios pour personnes âgées (au lieu de quarante-cinq prévus) ayant été réalisés ;

Considérant qu'à l'évidence, l'organisation de logements pour personnes âgées, accompagnés des structures et des prestations qui entourent ces types de résidence, est conforme à l'intérêt général et constitue une cause d'utilité publique ;

Qu'en conséquence, Madame Z... est mal fondée en ses moyens tirés du principe de l'inaliénabilité du droit de propriété résultant notamment du protocole de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;

Considérant que ne pouvant prétendre, en raison de la deuxième déclaration d'utilité publique, à un droit de rétrocession sur le fondement de l'article L.12-6 du code de l'expropriation, Madame Z... ne peut reprocher à la commune de ne pas lui avoir notifié sa décision d'aliéner l'immeuble par application de l'article R.12-6 du même code ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Madame Z... est mal fondée en toutes ses prétentions et doit être déboutée de ses demandes d'indemnisation ;

Que le jugement déféré sera donc infirmé ;

Que la demande d'évocation devient en conséquence sans objet ;

Considérant que succombant, Madame Z... sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, ce qui prive de fondement sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Qu'il y a lieu d'allouer une somme de 8.000 francs à la commune de CLICHY LA GARENNE pour l'indemniser des frais irrépétibles qu'elle a exposés ;

PAR CES MOTIFS,

STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

INFIRME le jugement rendu entre les parties le 11 janvier 1995 par le tribunal de grande instance de NANTERRE ;

STATUANT A NOUVEAU ;

DEBOUTE Madame Odette Y... veuve Z... de toutes ses prétentions ; LA CONDAMNE à verser à la commune de CLICHY LA GARENNE la somme de HUIT MILLE FRANCS (8.000 francs) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

LA CONDAMNE aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-5172
Date de la décision : 26/02/1998

Analyses

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

Dès lors que l'article L. 12-6 du Code de l'expropriation énonce que les anciens propriétaires ou leurs ayants droits peuvent exercer l'action en rétrocession "pendant un délai de trente ans ... à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique ", ces dispositions impliquent qu'une nouvelle déclaration d'utilité publique puisse être requise par l'autorité expropriante au-delà du délai de cinq ans. L'existence d'une seconde déclaration d'utilité publique s'oppose donc nécessairement à l'exercice d'une action en rétrocession, peu important que la réquisition de cette déclaration d'utilité publique émane d'un tiers ou de l'ancien expropriant et qu'elle ait un objet différent de celui initialement prévu


Références :

Code de l'expropriation 12-6

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : Mme Mazars

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-02-26;1995.5172 ?
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