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19/02/1998 | FRANCE | N°1997-648

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19 février 1998, 1997-648


Par jugement en date du 15 janvier 1997, le tribunal de commerce de VERSAILLES a prononcé sur la compétence dans un litige opposant la société P I à la société D.

La société D a formé un contredit contre cette décision.

Au soutien de ce recours, elle fait valoir que l'action diligentée par la société P I à son égard tend à voir réparer un préjudice subi par une prétendue campagne de dénigrement à son encontre. Or, si l'article 631 du code de commerce attribue compétence aux tribunaux de commerce pour connaître des contestations entre commerçants se rapp

ortant à l'exercice du commerce, c'est à l'exclusion des litiges qui, en raison de l...

Par jugement en date du 15 janvier 1997, le tribunal de commerce de VERSAILLES a prononcé sur la compétence dans un litige opposant la société P I à la société D.

La société D a formé un contredit contre cette décision.

Au soutien de ce recours, elle fait valoir que l'action diligentée par la société P I à son égard tend à voir réparer un préjudice subi par une prétendue campagne de dénigrement à son encontre. Or, si l'article 631 du code de commerce attribue compétence aux tribunaux de commerce pour connaître des contestations entre commerçants se rapportant à l'exercice du commerce, c'est à l'exclusion des litiges qui, en raison de leur nature ressortissent de la compétence exclusive notamment des tribunaux d'instance.

Tel est le cas du litige, la société P I prétendant faire juger une action qui ressortit, par application de l'article R 321-8 du code de l'organisation judiciaire, de la compétence du tribunal d'instance. Ce texte prévoit en effet que ce sont ces juridictions qui connaissent des actions civiles pour diffamation ou pour injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites autrement que par voie de la presse lorsque les parties ne se sont pas pourvues par la voie répressive.

La société D souligne que les propos que ses préposés auraient tenus sont tous de même nature : " la société P I faisait la copie d'un logiciel", "les prix de la société P I ne pouvaient être que des logiciels piratés", la société P I utilisait des copies illégales de logiciels", "la provenance des logiciels était suspecte", "il s'agissait de licences non valides de ce logiciel". La société P I, dans ses conclusions, qualifiait elle-même les faits de "campagne de dénigrement" et parlait des "propos tenus par chacun des défendeurs".

De tels propos constituent l'allégation ou l'imputation de faits qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle elle est imputée et seraient, à les supposer établis, constitutifs de diffamation. Tenus au cours d'une conversation et concernant une personne autre que celle à laquelle ils sont adressés, ils peuvent, par voie d'assimilation, constituer la contravention d'injures non publiques s'ils sont exprimés dans des conditions exclusives d'un caractère confidentiel.

La société D considère que ces propos sont dirigés contre elle, et non contre les produits qu'elle commercialise et souligne qu'il n'appartient pas à la société P I de choisir comme fondement juridique de son action les dispositions de l'article 1382 du code civil par préférence à celles de la loi du 29 juillet 1881 dont les dispositions sont d'ordre public.

Elle demande à la cour, juridiction d'appel de la juridiction compétente, le tribunal d'instance de VERSAILLES, d'évoquer le fond et de constater la prescription de l'action.

Elle demande, en outre, condamnation de la société P I à lui payer 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société P I considère que la loi du 29 juillet 1881 est inapplicable aux faits litigieux dès lors qu'une jurisprudence constante estime qu'il n'existe pas de diffamation en cas de dénigrement d'un produit, une diffamation supposant une imputation dirigée contre une personne. Elle estime ainsi qu'en jetant le discrédit sur les produits vendus par son plus direct concurrent, en prétendant qu'ils étaient contrefaits (sic) et constituaient des copies illégales des logiciels ARCADA, la société D a incontestablement commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Elle demande confirmation de la décision déférée, condamnation de la société D à lui payer 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour frais irrépétibles exposés en appel.

SUR CE LA COUR

Attendu que si, selon l'article 631 du code de commerce, les tribunaux de commerce connaîtront des contestations relatives aux engagements et transactions entre commerçants, marchands et banquiers, parmi lesquelles il faut entendre les contestations fondées sur l'allégation d'une concurrence déloyale, cette compétence ne saurait s'étendre aux actions qui, même si elles reposent sur l'allégation d'agissements contraires aux usages loyaux du commerce, ont un fondement juridique qui ressortit de la compétence exclusive d'une autre juridiction ;

Attendu que selon l'article R.321-8 du code de l'organisation judiciaire, les tribunaux d'instance connaissent des actions civiles pour diffamation ou pour injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites, autrement que par voie de presse, lorsque les parties ne se sont pas pourvues par la voie répressive ;

Attendu que, par l'assignation qu'elle a délivrée à la société D , la société P I demandait la condamnation de celle-ci à lui payer 1 franc de dommages intérêts et à publier la décision à intervenir en réparation du préjudice qu'elle avait subi du fait d'une campagne de dénigrement à son encontre, campagne résultant des propos qu'auraient tenus, devant des clients ou clients potentiels de la société P I, des préposés de la société D ;

Attendu que ces propos étaient les suivants : Madame L , parlant à Monsieur D , de la société O, lui aurait "indiqué que la société P I pratiquait des prix plus bas que la société D car ils leurs semblaient (sic) que la société P I faisait de la copie du logiciel A", puis aurait ajouté "qu'il y avait un litige entre (les) sociétés à ce sujet là" ; Madame M aurait "déclaré (à Monsieur D de la société F S) être l'unique représentant de la société A(logiciels de sauvegarde) et que les prix de la société P I ne pouvait (sic) être que des logiciels piratés", précisant "que la société D était en procès avec la société P I pour piratage"; Monsieur T aurait, quant à lui, déclaré à Monsieur M de la société F I "que la société P I utilisait des copies illégales de logiciels A" ;

Attendu que constitue l'infraction de diffamation toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne auquelle le fait est imputé ; que lorsque cette diffamation est non publique, elle constitue, selon l'article R.621-1 du code pénal, une contravention de la première classe ;

Attendu que les propos imputés aux préposés de la société D constituent des allégations de faits précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la société P I dans la mesure où, seraient-ils même explicitement dirigés contre les produits commercialisés par cette société, ils impliquent nécessairement l'imputation d'un comportement délictueux à l'encontre de cette société ; qu'en effet, la diffamation est réalisée quand bien même les allégations ou imputations ne seraient formulées que par voie d'insinuation ;

Attendu cependant que l'action dont la société P I a saisi le tribunal de commerce est dirigée non contre les personnes physiques auteurs des propos, mais contre la société D , personne morale ; que l'article R.621-1 du code pénal ne prévoit pas que les personnes morales puissent être déclarées responsables pénalement de l'infraction qu'il édicte et réprime ; que dès lors l'action en recherche de responsabilité dirigée contre une personne morale et fondée sur l'allégation d'une faute qui aurait résulté de sa part à organiser une campagne de dénigrement à l'encontre d'un concurrent ne ressortit pas de la compétence du tribunal d'instance, ces dénigrements seraient-ils constitués par la tenue de propos diffamatoires ; qu'en effet, en telle hypothèse, la partie qui s'estime victime des agissements de son concurrent, personne morale, n'aurait pu, en aucune manière, se pourvoir contre lui, selon les termes de l'article R.321-8 du code de l'organisation judiciaire, par la voie répressive ;

Attendu en effet que ce texte ne prévoit la compétence du tribunal d'instance pour connaître des actions civiles pour diffamation ou injures que "lorsque les parties ne se sont pas pourvues par la voie répressive", ce qui implique qu'elles auraient pu le faire ;

Attendu que l'article R 321-8 du code de l'organisation judiciaire est le fondement juridique expressément invoqué par la société D au soutien de son contredit ; qu'il est dans le débat et qu'il n'y a dès lors pas lieu d'inviter les parties à s'expliquer plus avant qu'elles ne l'ont fait sur son application ;

Attendu que le moyen pris de la délivrance, antérieurement à l'assignation dont le tribunal de commerce a été saisi, d'un autre acte, qui n'a pas été placé et par lequel il aurait été formé des demandes non seulement contre la société D , mais encore contre les préposés de cette société auteurs des propos reprochés, est inopérant ;

Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer la décision déférée ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de la société D à payer à la société P I la somme de 5.000 francs pour frais irrépétibles exposés en appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement et contradictoirement,

- Confirme le jugement déféré et renvoie les parties devant le tribunal de commerce de VERSAILLES pour qu'il y soit statué sur le fond du litige,

- Statuant plus avant, condamne la société D SA à payer à la société P I SA la somme de 5.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code procédure civile,

- La condamne aux frais du présent contredit.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-648
Date de la décision : 19/02/1998

Analyses

PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Allégation ou imputation portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne - Produits, services ou prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale - Exclusion

Les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne concernent pas une personne physique ou morale


Références :

Code de l'organisation judiciaire R321-8
Loi du 29 juillet 1881 art. 29

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-02-19;1997.648 ?
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