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06/02/1998 | FRANCE | N°1996-5710

France | France, Cour d'appel de Versailles, 06 février 1998, 1996-5710


Par acte du 21 janvier 1974, Madame X... a pris en location un appartement appartenant à Mademoiselle Y... (d'une superficie de 60 à 65 m), ... à BOULOGNE BILLANCOURT ; par acte d'huissier du 13 juillet 1995, la bailleresse a fait signifier à sa locataire un congé pour vendre (au visa de l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989), pour un prix de 850.000 Francs

Mademoiselle X... a contesté ce congé et a saisi, à ces fins, le tribunal d'instance de BOULOGNE BILLANCOURT qui, par jugement contradictoire du 9 mai 1996, n'a pas retenu de fraude à l'encontre de la propriétaire et

a donc rendu la décision suivante :

- déboute Madame X... de...

Par acte du 21 janvier 1974, Madame X... a pris en location un appartement appartenant à Mademoiselle Y... (d'une superficie de 60 à 65 m), ... à BOULOGNE BILLANCOURT ; par acte d'huissier du 13 juillet 1995, la bailleresse a fait signifier à sa locataire un congé pour vendre (au visa de l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989), pour un prix de 850.000 Francs

Mademoiselle X... a contesté ce congé et a saisi, à ces fins, le tribunal d'instance de BOULOGNE BILLANCOURT qui, par jugement contradictoire du 9 mai 1996, n'a pas retenu de fraude à l'encontre de la propriétaire et a donc rendu la décision suivante :

- déboute Madame X... de ses demandes,

- valide le congé délivré par Mademoiselle Y... à Madame X... le 18 juillet 1995 sur le fondement de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 et concernant le logement dont Madame X... était locataire au 65, rue de Thiers à BOULOGNE BILLANCOURT,

- ordonne à défaut de départ volontaire dans le délai de six mois à compter de la signification de la présente décision, l'expulsion de Madame X... et de tous occupants de son chef, avec si besoin est l'assistance de la force publique,

- ordonne la séquestration des meubles laissés dans les lieux dans le garde-meubles au choix de Mademoiselle Y... et aux frais et risques de Madame X...,

- condamne Madame X... au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel, révisé éventuellement selon l'indice prévu au bail et majoré des charges locatives et taxes et majoré, six mois après la signification de la présente décision de 20 % et ce jusqu'à la libération définitive des lieux,

- déboute Mademoiselle Y... de sa demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision,

- condamne Madame X... aux dépens.

Le 19 juillet 1996, Madame X... a interjeté appel.

Elle demande à la Cour de :

A titre principal,

- constater le caractère manifestement excessif du prix du congé de reprise pour vente du 18 juillet 1995 délivré à Madame X... par Mademoiselle Y...,

Et par conséquent,

- réformer le jugement du tribunal d'instance de BOULOGNE BILLANCOURT du 9 mai 1996,

- prononcer la nullité de la procédure de congé de reprise pour vente engagée par Mademoiselle Y... à l'encontre de Madame X...,

A titre subsidiaire,

- désigner un expert ayant pour mission d'évaluer l'appartement du 65, rue de Thiers à BOULOGNE BILLANCOURT,

- condamner Mademoiselle Y... au paiement par Madame X... de la somme de 5.000 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamner Mademoiselle Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant pourra être recouvré par la SCP GAS, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Dans ses conclusions ultérieures du 23 mai 1997, l'appelante demande expressément à la Cour de "constater la fraude" à ses droits et a élevé sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile à un montant de 10.000 Francs.

Mademoiselle Y... demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du tribunal d'instance de BOULOGNE BILLANCOURT du 9 mai 1996 en toutes ses dispositions,

- condamner Madame X... à payer à Mademoiselle Y... la somme de 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour "appel abusif et dilatoire",

- condamner Madame X... au paiement d'une somme de 8.000 Francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - condamner Madame X... aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant pourra être recouvrés par Maître BOMMART, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été signée le 18 décembre 1997 et l'affaire plaidée à l'audience du 9 janvier 1998.

SUR CE LA COUR

Considérant que la bailleresse doit exécuter de bonne foi le contrat de bail la liant à Madame X... (article 1134 du code civil), ce qui signifie nécessairement qu'elle devait dans le cadre des dispositions d'ordre public de l'article 15-II de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, proposer dans son congé, un prix de vente qui soit conforme à la valeur vénale réelle et objective de son appartement et qu'il est manifeste que ces dispositions légales ne peuvent lui permettre de réclamer un prix délibérément dissuasif, excessif et déloyal, dans l'intention de faire échec frauduleusement aux droits de sa locataire ;

Considérant, de manière plus précise, qu'il est constant que Mademoiselle Y... ne fournit aucune référence suffisamment significative datant de l'époque de délivrance de son congé (c'est-à-dire le 18 juin 1995) qui démontrerait que ce prix litigieux de 850.000 Francs était celui du marché immobilier, correspondant à des appartements de caractéristiques comparables, dans le voisinage ; que ce n'est que le 12 mars 1996, que Mademoiselle Y..., pour les besoins de sa défense devant le tribunal d'instance a fait établir une "attestation" (sic) par un agent immobilier (agence VANEAU) qui n'a même pas visité le logement et qui a cru cependant pouvoir estimer que la valeur de ce dernier se situait "dans une fourchette... allant de 13.000 Francs à 13.500 Francs le m ; que ce professionnel s'est borné à fournir une seule référence qui correspondait à une vente de février 1996 (c'est-à-dire postérieure de 7 mois à la date du congé litigieux) pour un appartement de 100 m, à 1.300.000 Francs, ce qui ne constitue donc pas une superficie comparable à celle de l'appartement litigieux ; que l'intimée n'a, quant à elle, fourni que trois références d'avril 1995, consistant en la vente de trois appartements de 64 m, 42 m et 110 m qui, certes, sont situés à BOULOGNE BILLANCOURT, mais dont les superficies ne sont pas comparables à celles du logement litigieux (qui serait de 60 m ou de 65 m environ) ; que la première référence fournie de 64 m ne suffit pas, à elle seule, à démontrer la sincérité du prix, demandé par Mademoiselle Y... ; que de plus, celle-ci n'a même pas communiqué un plan de son appartement, daté et signé, et établi par un professionnel de l'immobilier ou par un expert ;

Considérant qu'ainsi, cette bailleresse ne démontre toujours pas que le prix de 850.000 Francs qu'elle a réclamé correspondait bien au prix du marché immobilier de l'époque ;

Considérant en outre et surtout que Mademoiselle Y... n'a jamais donné aucun mandat de vente à aucun agent immobilier, ni fait aucune publicité en vue d'une vente, qu'elle ne fait état d'aucune visite de son appartement par d'éventuels acheteurs, ni d'aucune proposition d'achat qu'elle aurait reçues ; qu'elle ne démontre pas que Madame X... aurait "refusé" ces visites ; que rien donc ne prouve que l'intimée avait eu la volonté sincère et réelle de vendre ; que ce congé litigieux n'est donc pas "justifié" (au sens de l'article 15-II) par une prétendue décision de vendre ;

Considérant que de son côté, Madame X... verse aux débats une estimation établie le 14 novembre 1995 par l'agent immobilier Monsieur Jean-Claude Z... qui, lui, a visité et a décrit le logement litigieux et qui, pour la superficie de 60 m environ qu'il a retenue, propose une valeur bien inférieure, comprise entre 585.000 Francs et 617.000 Francs ;

Considérant qu'il résulte donc de l'ensemble de ces données de fait constantes, qu'il est manifeste que le prix proposé de 850.000Francs (que Mademoiselle Y... indiquait comme étant pour elle un prix "minimum" ; dans sa lettre du 16 août 1995) est volontairement dissuasif et que la bailleresse a eu l'intention frauduleuse évidente d'empêcher ainsi Madame X... d'exercer son droit légal de préemption ; que la Cour retient donc la fraude commise par Mademoiselle Y... et infirmant en son entier le jugement déféré, prononce la nullité du congé dont s'agit ; que Mademoiselle Y... est donc déboutée des fins de toutes ses demandes, étant retenu que cet appel est fondé et justifié et qu'il n'a rien d'"abusif" ou de "dilatoire" comme le prétend, à tort, l'intimée ;

II)

Considérant que compte-tenu de l'équité, Mademoiselle Y... qui succombe en ses moyens et ses demandes, est condamnée à payer à Madame X... la somme de 10.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Vu l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989 :

Vu la fraude :

- ANNULE le congé pour vendre donné par Mademoiselle Y... le 18 juin 1995 ;

Par conséquent :

- INFIRME en son entier le jugement déféré et DEBOUTE Mademoiselle Y... des fins de toutes ses demandes ;

Et statuant à nouveau :

- CONDAMNE Mademoiselle Y... à payer à Madame X... la somme de 10.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- CONDAMNE Mademoiselle Y... à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par la SCP d'avoués GAS, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-5710
Date de la décision : 06/02/1998

Analyses

BAIL A LOYER (loi du 6 juillet 1989) - Congé - Congé pour vendre - Prix de l'offre - Estimation - Caractère exorbitant et intention frauduleuse du bailleur

Selon les dispositions de l'article 1134 du Code civil les conventions " doivent être exécutées de bonne foi ". En conséquence, un bailleur qui, dans le cadre des dispositions d'ordre public de l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989, donne congé à son locataire au motif de la vente de l'appartement loué, doit proposer dans son congé un prix de vente conforme à la valeur vénale réelle et objective de ce bien.Tel n'est pas le cas d'un propriétaire qui, non seulement, n'est pas en mesure de démontrer que le prix réclamé correspond à celui du marché, mais, en outre, n'établit pas avoir effectué quelque démarche concrétisant son intention de vendre. Ainsi, à défaut de preuve de la volonté sincère et réelle de vendre, un tel congé n'est pas " justifié " au sens de l'article 15-II de la loi précitée et le prix proposé, volontairement dissuasif, traduit l'intention frauduleuse évidente du propriétaire de faire échec au droit légal de préemption du locataire


Références :

Loi du 06 juillet 1989 art. 15-II

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-02-06;1996.5710 ?
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