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29/01/1998 | FRANCE | N°1996-6532

France | France, Cour d'appel de Versailles, 29 janvier 1998, 1996-6532


Selon acte reçu le 22 mars 1990 par la SCP LACOURTE, BERCY, AUBRON, JOURDAIN, MARECHAL et LEFEVRE (ci-dessous appelée la SCP LACOURTE et associés), la société SOFAL a prêté à la SCI CHANSE une somme de huit millions de francs, pour financer l'acquisition et les travaux de rénovation d'un bien immobilier situé à ARGENTEUIL, 111 et 113 boulevard du Général Delambre .

Le remboursement de cet emprunt était garanti à hauteur de quatre millions de francs par les privilèges du vendeur et du prêteur de deniers, et à hauteur de quatre millions de francs par une hypothèque con

ventionnelle, outre la délégation au profit du prêteur des loyers produi...

Selon acte reçu le 22 mars 1990 par la SCP LACOURTE, BERCY, AUBRON, JOURDAIN, MARECHAL et LEFEVRE (ci-dessous appelée la SCP LACOURTE et associés), la société SOFAL a prêté à la SCI CHANSE une somme de huit millions de francs, pour financer l'acquisition et les travaux de rénovation d'un bien immobilier situé à ARGENTEUIL, 111 et 113 boulevard du Général Delambre .

Le remboursement de cet emprunt était garanti à hauteur de quatre millions de francs par les privilèges du vendeur et du prêteur de deniers, et à hauteur de quatre millions de francs par une hypothèque conventionnelle, outre la délégation au profit du prêteur des loyers produits par le bien acquis et d'une assurance groupe contractée par Monsieur Sedrik X....

Selon acte du 7 octobre 1993, la société SOFAL a délivré à la SCI CHANSE un commandement de payer la somme de 9.350.120,75 francs due en vertu de l'acte de prêt et a poursuivi la vente sur saisie immobilière de l'immeuble acquis au moyen du prêt.

Par dire déposé au greffe le 8 décembre 1994, la SCI a formé opposition à ce commandement, demandant au tribunal de le déclarer nul.

Elle faisait valoir que l'acte de prêt du 22 mars 1990 n'avait pas été soumis à l'autorisation du juge des tutelles, alors pourtant que le capital social de la SCI emprunteuse était détenu à concurrence de 96 % par Monsieur Sedrik X..., mineur au moment de l'emprunt (comme étant né le 18 avril 1976), et concluait en conséquence à sa nullité, en application de l'article 389-5 du code civil, et par voie de conséquence à celle du commandement aux fins de saisie.

La S.A. SOFAL s'est opposée à cette demande, et a appelé en garantie la SCP LACOURTE et associés, en vue de lui rendre opposable la décision à intervenir.

Par jugement incident du 20 juin 1996, le tribunal de grande instance

de PONTOISE a :

- déclaré sa décision opposable à la SCP LACOURTE et associés,

- constaté que l'acte d'emprunt du 22 mars 1990 n'avait pas été soumis à l'autorisation du juge des tutelles, et déclaré ledit acte nul et de nul effet, pour vice de forme,

- déclaré en conséquence nul et de nul effet le commandement délivré le 7 octobre 1993 et tous les actes subséquents de la procédure de saisie immobilière,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Appelante de cette décision, la SCP LACOURTE et associés demande à la Cour, en l'infirmant et en statuant à nouveau, de :

- débouter la SCI CHANSE de sa demande en nullité de l'acte de prêt consenti à son profit par la société SOFAL, Sedrik X... (associé majoritaire de la SCI et mineur à l'époque du prêt) ayant seul qualité pour invoquer la nullité résultant de l'inobservation des dispositions de l'article 389-5 du code civil,

- à titre subsidiaire, rejeter la dite demande de nullité, débouter en conséquence la société SOFAL de ses demandes à son encontre, la mettre hors de cause et condamner la SCI CHANSE à lui payer la somme de 15.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société SOFAL SA, également appelante, prie la Cour, de :

- juger la SCI CHANSE et Monsieur Sedrik X... irrecevables et subsidiairement mal fondés à invoquer la nullité du prêt conclu le 22 mars 1990,

- subsidiairement, dans l'hypothèse où l'acte de prêt serait annulé, condamner la SCI CHANSE à lui restituer les sommes mises à disposition, avec intérêts de droit depuis le 22 mars 1990 et capitalisation, conformément à l'article 1154 du code civil,

- dire et juger qu'à défaut de restitution, la procédure de saisie immobilière pourra être poursuivie sur ses derniers errements,

- condamner la SCI CHANSE à lui payer une somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur Sedrik X..., devenu majeur le 18 avril 1994, est intervenu volontairement à l'instance et demande à la Cour de débouter tant la société SOFAL que la SCP LACOURTE de leurs prétentions, sollicitant en outre une somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La SCI CHANSE, intimée, prie la Cour de :

- déclarer irrecevable l'appel diligenté par la société SOFAL par voie d'assignation motivée contenant acte d'appel,

- subsidiairement, confirmer le jugement entrepris et condamner la société SOFAL à lui payer une somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

SUR CE,

Considérant qu'il convient de rejeter des débats, en application de l'article 445 du nouveau code de procédure civile, les écritures qui ont été adressées à la Cour, postérieurement à la clôture, hors l'invitation du président ;

SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL DE LA SA SOFAL

Considérant que la SCI CHANSE soutient que le débat soumis au premier juge, concernant la nullité de l'acte de prêt, ne relève pas des dispositions des articles 731 et 732 du code de procédure civile, et que l'appel ne pouvait dès lors être valablement formé par la société SOFAL que selon les règles du droit commun, c'est-à-dire par voie de déclaration au greffe ;

Mais considérant que la contestation au fond dont était saisi le premier juge s'analyse comme une opposition au commandement délivré le 7 octobre 1993, ayant elle-même la nature d'un incident de saisie immobilière, dans la mesure où elle a été élevée postérieurement à la publication dudit commandement ;

Qu'il en résulte que l'appel du jugement rendu est soumis aux règles de forme énoncées à l'article 732 du code de procédure civile, et qu'il a valablement été formé par voie d'assignation ;

Qu'il s'ensuit que l'appel interjeté par la SA SOFAL doit être déclaré recevable ;

SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE EN NULLITE DE L'ACTE DE PRET

Considérant que la SA SOFAL fait valoir à juste raison que la SCI CHANSE n'a pas qualité pour se prévaloir de l'inobservation des dispositions de l'article 389-5 du code civil (prévoyant que les parents ne peuvent contracter d'emprunt au nom du mineur, sans l'autorisation du juge des tutelles), ce texte étant sanctionné par une nullité relative qui peut être invoquée par la seule personne protégée, en l'occurrence Monsieur Sedrik X..., qui était mineur au moment de l'acte ;

Que cependant, Monsieur Sedrik X..., dont la Cour constate l'intervention volontaire en cause d'appel, est sans conteste recevable à solliciter l'annulation dudit acte de prêt, puisque cette demande procède directement de la demande originaire et tend aux mêmes fins ;

SUR LE FOND

Considérant que Monsieur X..., s'appropriant les écritures signifiées précédemment au nom de la SCI CHANSE, fait valoir que le prêt consenti le 22 mars 1990 à la SCI CHANSE, alors qu'il était âgé de treize ans et demi, requérait l'autorisation du juge des tutelles, en application de l'article 389-5 du code civil ; qu'en effet, il détient neuf mille six cents parts parmi les dix mille parts sociales qui composent le capital social de la société CHANSE, et se trouve tenu indéfiniment des dettes sociales, en sa qualité d'associé et à proportion de ses parts dans le capital social, en application de l'article 1857 du code civil ;

Qu'il ajoute que les engagements souscrits par la SCI doivent être considérés comme souscrits par les associés à titre personnel, la personnalité morale d'une société civile immobilière étant totalement artificielle ; que du reste, la SOFAL n'ignorait pas qu'elle contractait avec une SCI dont l'associé majoritaire était un mineur, et qu'il est significatif de constater qu'elle avait consenti un prêt important à ladite SCI, dont le capital était seulement de 10.000 francs, sans solliciter aucune garantie ;

Qu'il énonce encore qu'il est inexact de prétendre qu'il n'est pas intervenu à l'acte de prêt ; qu'en effet, à la page 19 de l'acte, à la rubrique "engagement de non cession des parts", il est indiqué :

"A l'instant et aux présentes sont intervenus :

Madame X... et Monsieur X..., ce dernier agissant en sa qualité d'administrateur légal pur et simple de Monsieur Sedrik X..., mineur,

en leur qualité de seuls associés de la SCI CHANSE.

Il se sont engagés à ne pas céder leurs parts de la SCI CHANSE, sans l'accord de la Banque.

Madame X..., intervenant aux présentes, en qualité de gérante de la SCI CHANSE, s'engage à demander l'accord de SOFAL avant d'autoriser des cessions de parts d'associés à toute personne physique ou morale. Le non respect de cette clause entraînera l'exigibilité anticipée du prêt".

Que soutenant en définitive que la SOFAL ne peut sérieusement exciper de la capacité de la SCI à s'engager, et que s'agissant d'obliger personnellement les associés à la dette contractée par la SCI, il lui appartenait, en sa qualité de professionnelle, de prendre toutes les précautions nécessaires, Monsieur X... conclut à la nullité du prêt souscrit en l'absence d'autorisation du juge des tutelles, et corrélativement à la nullité du commandement et des poursuites ;

Considérant toutefois que la SCI CHANSE, immatriculée au registre du commerce et des sociétés, jouit d'une personnalité distincte de celle des associés ainsi que d'un patrimoine propre ; que sa capacité à s'engager résulte tant de la loi que de son objet social, et ne dépend pas de la capacité de ses associés ; que s'il est vrai que ceux-ci répondent des dettes sociales à l'égard des tiers, en vertu de l'article 1857 du code civil, le débiteur de l'obligation contractée par le gérant, agissant au nom et pour le compte de la société civile n'en est pas moins la société elle-même ;

Qu'il en résulte que l'emprunteur est la SCI CHANSE, et non pas Monsieur Sedrik X..., qu'ainsi l'article 389-5 du code civil n'avait pas lieu de s'appliquer, et que par voie de conséquence l'acte de prêt litigieux doit être déclaré valable, contrairement à la solution retenue par le jugement déféré ;

Qu'il convient dans ces conditions, en infirmant le jugement entrepris, de déclarer valables, et le commandement délivré le 7 octobre 1993, et les poursuites de saisie immobilière exercées par la société SOFAL ;

Considérant que le jugement déféré, tout comme le présent arrêt, doivent être déclarés opposables à la SCP LACOURTE et associés, compte tenu de sa présence aux débats ; qu'ayant rédigé l'acte de prêt litigieux, cette société n'est pas fondée à solliciter sa mise hors de cause ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, en équité, de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Que les entiers dépens de première instance doivent être mis à la charge de la SCI CHANSE, ceux d'appel devant être suppportés par cette société et Monsieur Sedrik X... ;

PAR CES MOTIFS,

STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

REJETTE les écritures adressées à la Cour postérieurement à la clôture des débats ;

RECOIT la SCP LACOURTE et associés et la SA SOFAL en leur appel ;

RECOIT Monsieur Sedrik X... en son intervention volontaire ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit qu'il est opposable à la SCP LACOURTE et associés et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

L'INFIRME pour le surplus ;

STATUANT à nouveau et y ajoutant ;

DECLARE la SCI CHANSE irrecevable en sa demande d'annulation fondée sur l'application de l'article 389-5 du code civil ;

DECLARE Monsieur Sedrik X... recevable mais mal fondé en sa demande en nullité de l'acte de prêt contracté par la SCI CHANSE le 22 mars 1990 ;

DECLARE valables le commandement délivré le 7 octobre 1993 et les poursuites de saisies immobilières exercées par la société SOFAL;

DECLARE le présent arrêt opposable à la SCP LACOURTE et associés ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

REJETTE les prétentions et conclusions plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la société CHANSE aux entiers dépens de première instance, et la société CHANSE et Monsieur X... aux entiers dépens d'appel, lesquels pourront être directement recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-6532
Date de la décision : 29/01/1998

Analyses

SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE - Personnalité morale.

Une société civile immobilière (SCI) immatriculée au registre de commerce et des sociétés jouit d'une personnalité morale distincte de celle des associés ainsi que d'un patrimoine propre. La capacité à s'engager de cette société résulte tant de la loi que de son objet social, elle est indépendante de la capacité personnelle de ses associés

SOCIETE CIVILE - Associés - Engagement à l'égard des tiers.

A l'égard des tiers, l'obligation de répondre des dettes sociales pesant sur les associés, en vertu de l'article 1857 du Code civil, coexiste avec l'engagement propre de la société qui reste débitrice de l'obligation contractée par son gérant agissant au nom et pour le compte de celle-ci. Il en résulte que la validité d'un acte de prêt immobilier, régulièrement souscrit par le gérant de cette même société civile, au nom et pour le compte de celle-ci, n'est pas affectée par l'irrégularité de l'engagement d'un associé majoritaire, du fait de sa minorité et de l'absence d'autorisation préalable du juge des tutelles


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : Mme Mazars

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-01-29;1996.6532 ?
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