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15/01/1998 | FRANCE | N°1994-9516

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15 janvier 1998, 1994-9516


FAITS ET PROCÉDURE

La société CLM BBDO a embauché Monsieur Christophe X..., 25 ans, en qualité de chauffeur le 26 octobre 1992 et a mis fin à la période d'essai le 26 novembre 1992.

Le 4 décembre 1992, Monsieur X... s'est présenté à l'Agence EUROPCAR de PARIS, Parc des Princes, et a demandé la location d'une voiture Mercedes 300 SE en présentant un billet de location à en-tête d'EUROPCAR et en signant le contrat de location au nom de CLM BBDO.

Il a rendu le véhicule le 7 janvier 1993 à la suite de quoi CLM BBDO a reçu d'EUROPCAR une facture de 36.950,0

1 TTC restée impayée.

Trois lettres de mise en demeure auraient été délivrées par...

FAITS ET PROCÉDURE

La société CLM BBDO a embauché Monsieur Christophe X..., 25 ans, en qualité de chauffeur le 26 octobre 1992 et a mis fin à la période d'essai le 26 novembre 1992.

Le 4 décembre 1992, Monsieur X... s'est présenté à l'Agence EUROPCAR de PARIS, Parc des Princes, et a demandé la location d'une voiture Mercedes 300 SE en présentant un billet de location à en-tête d'EUROPCAR et en signant le contrat de location au nom de CLM BBDO.

Il a rendu le véhicule le 7 janvier 1993 à la suite de quoi CLM BBDO a reçu d'EUROPCAR une facture de 36.950,01 TTC restée impayée.

Trois lettres de mise en demeure auraient été délivrées par EUROPCAR à sa cliente (11 janvier 1993, 4 mai et 11 mai 1993) lesquelles sont restées vaines.

Après l'assignation en date du 23 juin 1993 formée par EUROPCAR à l'encontre de CLM BBDO devant le T.C de NANTERRE, celui-ci, par jugement du 18 mars 1994 après avoir refusé le sursis à statuer sollicité par la défenderesse au motif qu'elle avait préalablement déposé une plainte pénale pour abus de confiance à l'égard de son ancien stagiaire, a estimé d'une part, que CLM BBDO avait commis l'imprudence de laisser à la disposition du chauffeur en période d'essai des bons de location en blanc et de n'avoir pas réclamé ces bons lors du départ du stagiaire ; d'autre part, il y avait lieu de retenir que EUROPCAR avait pour sa part accepté ces bons d'un jeune homme se disant chauffeur de CLM BBDO sans lui demander justification de sa qualité et en lui confiant un véhicule de luxe pendant plus d'un mois sans effectuer la moindre vérification.

En conséquence, il a condamné la S.A CLM BBDO à payer le tiers du prix qui avait été demandé par EUROPCAR, soit la somme de 12.000 Francs TTC et a ordonné l'exécution provisoire.

Le 26 décembre 1994, la S.A EUROPCAR a interjeté appel du jugement.

THÈSES EN PRÉSENCE

L'appelante prétend que, selon la Cour de Cassation, le mandant, (l'intimée), peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence de faute susceptible de lui être reprochée, si le tiers a pu légitimement être abusé sur l'étendue des pouvoirs du mandataire litigieux.

Or, elle soutient, que Monsieur X... était bien salarié de l'intimée, que son identité a été vérifiée mais qu'il n'était pas possible matériellement de vérifier l'étendue et la durée de pouvoir confié à ce jeune homme par son employeur.

Par ailleurs, elle reprend son moyen tiré de la faute grave qu'aurait commise CLM BBDO qui a donné à un salarié en période d'essai un certain nombre de bons de location en blanc.

En conséquence, l'appelante sollicite l'infirmation de la décision entreprise et la condamnation de l'intimée au paiement de la totalité du solde dû (36.950,01 F) avec intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 1993 sur la somme de 20.018,11 F et du 4 mai 1993 sur le surplus.

L'appelante sollicite en outre la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an par application de l'article 1154 du code civil ainsi que la condamnation de l'intimée à lui verser la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 9 juillet et 17 octobre 1997, en réponse à l'intimée qui invoque les termes d'un contrat "Recap", qu'elle estime inapplicable en l'espèce, l'appelante estime que les conditions mêmes de la "convention-entreprise" type dont elle verse un exemplaire obligeait CLM BBDO à l'informer de l'arrêt du contrat de travail de son stagiaire.

EUROPCAR sollicite enfin la condamnation de l'intimée à lui payer la

somme de 2.000 F à titre de dommages et intérêts.

L'intimée s'attache à réfuter l'argumentation de son adversaire en soutenant notamment :

- que l'appelante aurait pu téléphoner à l'intimée pour connaître la situation de Monsieur X..., l'étendue et la durée du pouvoir de celui-ci,

- que le jeune homme avait disparu brusquement, qu'elle ne pouvait en conséquence rien faire,

- que l'appelante donne des dates d'exécution du contrat invoqué qui ne concordent pas avec les factures litigieuses,

- que les parties entre elles avaient signé le 3 juillet 1990 un contrat spécifique intitulé "accord Récap Société" qui prévoyait un protocole d'identification que EUROPCAR n'aurait pas respecté.

En conséquence, l'intimée sollicite l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de EUROPCAR au remboursement des 12.000 F déjà versés à titre provisoire, ce avec intérêts au taux légal à compter du 27 avril 1994 ainsi que 5.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A titre subsidiaire, l'intimée demande la confirmation de la décision entreprise mais conteste le point de départ des intérêts moratoires et sollicite la condamnation de l'appelante "... à lui porter..." et à lui payer la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 octobre 1997 et l'affaire a été examinée le 26 novembre 1997. SUR CE, LA COUR

A - SUR LE BIEN-FONDE DE L'ACTION EN PAIEMENT

Considérant qu'une personne est réputée comme représentant d'une autre à l'égard des tiers en vertu d'un mandat apparent, lorsque les tiers ont légitimement pu croire qu'elle agissait au nom et pour le compte de cette dernière, notamment par la présentation d'un titre

accréditant la qualité invoquée par celui qui contracte dans des circonstances qui autorisent les tiers à ne pas vérifier le pouvoir réel du mandataire ;

Considérant qu'en l'espèce le 4 décembre 1992 Monsieur X... s'est présenté auprès de la société EUROPCAR, pour effectuer une location, muni d'un "billet de location" "EUROPCAR" (n°577872) dont la raison sociale de l'émetteur "CLM BBDO" était préimprimée, conformément aux opérations habituelles entretenues par les sociétés ;

Qu'après facturation du service rendu, EUROPCAR était informée par son partenaire que le bénéficiaire de la location avait quitté CLM BBDO depuis le 26 novembre 1992 et avait utilisé au-delà de cette date le "billet de location" qui avait été mis à disposition du salarié pendant son contrat;

Considérant que l'ancienneté des relations commerciales entre les parties n'est pas contestée par elles et notamment pas par CLM BBDO, qui invoque pour s'opposer à l'action en paiement, un "accord récap société" qui remonte à l'année 1990 (pièce n°3 SCP MERLE etamp; DORON, Avoué) ;

Que toutefois cet accord, dont l'objet est de faire bénéficier le personnel de CLM BBDO de tarifs préférentiels, n'est pas applicable en l'espèce dès lors que la mise en oeuvre de cet accord requiert, des personnels concernés, la présentation d'un autocollant d'identification RECAP spécifique, circonstances que n'établit pas l'intimée ;

Considérant en revanche que CLM BBDO en délivrant à son préposé des "billets de location" que lui avait remis EUROPCAR conformément à leurs usages, ne pouvait ignorer qu'en omettant d'une part de retirer au salarié en partance la possession de ces titres, d'autre part d'informer le loueur de ce départ, le salarié X... apparaîtrait accrédité pour l'engager par une location ;

Que d'ailleurs CLM BBDO ne dénie pas l'étendue de ses obligations résultant des conditions générales rappelées au verso du contrat litigieux signé le 4 décembre 1992 (n°100120042.1), qu'elle ne pouvait ignorer du fait de l'ancienneté des relations entretenues avec EUROPCAR :

"Les personnes dont les références figurent en case Facturation au recto du contrat et les conducteurs agréés par le loueur s'obligent subsidiairement à payer conformément aux articles 1200 et suivants du code civil" (article 4 "paiements") ;

Qu'en outre il résulte de l'article 3 des mêmes conditions générales ("location-paiement") que "les titulaires des titres de crédit agréés par le loueur ne sont pas tenus d'effectuer de prépaiement et des prépaiements complémentaires pour prolongation dans les limites particulières au titre de crédit présenté..."

Qu'en conséquence des observations ci-dessus CLM BBDO ne peut reprocher à EUROPCAR à qui il était présenté un titre régulier de crédit agréé (bon de location) qu'elle lui avait délivré préalablement dans le cadre de relations commerciales habituelles, d'avoir accepté la location querellée sans mettre en oeuvre un contrôle a priori que la délivrance préalable de titres personnalisés de crédit avait justement pour but d'alléger ;

Considérant surabondamment qu'il résulte d'un contrat type "société", dont EUROPCAR verse une copie aux débats, que la société cliente "...s'engage à informer EUROPCAR par lettre recommandée, des éventuels départs de ses collaborateurs et à restituer leurs cartes" et que cette cliente demeure responsable de l'utilisation des billets de location dont elle sera en fin de compte facturée ;

Que CLM BBDO estime que n'ayant pas signé une telle convention, elle n'était pas soumise à ces stipulations ;

Que même à supposer, pour les besoins du raisonnement, que CLM BBDO

n'ait pas signé une telle convention, les prescriptions de bon sens qui y sont mentionnées, constituent au-delà de ce qui était exprimé jusque là entre les parties, la suite que les usages instaurés entre elles, dont le système du "billet de location" préimprimé au nom de la société cliente établit la réalité, donnent à leurs relations contractuelles ;

Qu'ainsi CLM BBDO, bénéficiant de la confiance de EUROPCAR qui lui remettait des titres de crédit en blanc, ne peut, pour échapper à ses obligations dont elle connaissait l'étendue, se plaindre des conséquences de sa propre défaillance qui, au jour du départ de son préposé, est, à l'égard du cocontractant, à l'origine même du litige ;

Qu'en conséquence des motifs qui précèdent, il y a lieu de constater que l'appel de EUROPCAR est fondé et le jugement entrepris doit être réformé dès lors qu'il a procédé à un partage de responsabilité ;

B - SUR LE MONTANT DE LA CREANCE

Considérant en revanche que l'intimée demande à bon droit de revoir, le point de départ des intérêts moratoires générés par la créance de 36.950,01 F TTC, admise par la Cour comme justifiée par les factures non contestables en leur décompte au regard des autres documents versés au dossier ;

Qu'en effet la lettre de EUROPCAR du 11 janvier 1993 ne peut être considérée comme une mise en demeure valable relativement au présent litige dès lors que la facturation précitée n'a été établie qu'en mars 1993 ;

Qu'en conséquence les intérêts moratoires auxquels a droit l'appelante seront calculés au taux légal à compter de l'assignation du 23 juin 1993 ;

Que toutefois le règlement définitif de la créance sera effectué par

CLM BBDO en deniers ou quittances pour tenir compte des sommes déjà réglées au jour de la signification du présent arrêt ;

C - SUR LES AUTRES DEMANDES

Considérant que l'intimée qui succombe sur le principal du litige sera déboutée de toutes ses demandes incidentes nécessairement mal fondées, et devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;

Que de même EUROPCAR sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts dès lors qu'elle ne justifie en rien d'un préjudice spécifique qui n'ait déjà été réparé par les intérêts moratoires ;

Qu'en revanche rien ne s'oppose à ce que l'appelante bénéficie de la capitalisation des intérêts moratoires selon les modalités de l'article 1154 du code civil à compter de la demande du 13 avril 1995 ;

Qu'en outre considérant qu'il serait inéquitable que cette société supporte les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour soutenir ses intérêts en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 5.000 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en cause d'appel ; PAR CES MOTIFS

Et ceux non contraires des premiers juges,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit la S.A EUROPCAR en son appel, régulier en la forme,

Le dit bien fondé,

Réforme partiellement le jugement entrepris (n° RG 93F04096) par substitution de motifs, sur le montant de la créance de EUROPCAR, sur les intérêts moratoires et les dépens,

Et statuant à nouveau,

Condamne la S.A CLM BBDO à régler à la S.A EUROPCAR la somme principale de 36.950,01 F TTC (TRENTE SIX MILLE NEUF CENT CINQUANTE FRANCS ZERO UN CENTIME) avec intérêts au taux légal à compter du 23

juin 1993,

Dit que les intérêts générés par la créance principale seront capitalisés à compter du 13 avril 1995, selon les dispositions de l'article 1154 du code civil,

Dit que la créance sera réglée par CLM BBDO en deniers ou quittances pour tenir compte de l'exécution provisoire du jugement entrepris et réformé par le présent arrêt ;

Condamne la S.A CLM BBDO à verser à la S.A EUROPCAR la somme de 5.000 F (CINQ MILLE FRANCS) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en cours d'appel,

Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires comme étant irrecevables, mal fondées ou sans objet,

Condamne la S.A CLM BBDO aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés par la SCP LISSARRAGUE etamp; DUPUIS conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET : LE GREFFIER

LE PRESIDENT M. LE Y...

J-L GALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1994-9516
Date de la décision : 15/01/1998

Analyses

MANDAT - Mandat apparent - Engagement du mandant - Conditions - Croyance légitime du tiers - Circonstances autorisant celui-ci à ne pas vérifier les pouvoirs du mandataire apparent

A l'égard des tiers, une personne est réputée être le représentant d'une seconde, en vertu d'un mandat apparent, lorsque les tiers ont légitimement pu croire qu'elle agissait au nom et pour le compte de la seconde, notamment lorsque la présentation d'un titre accrédite la qualité de mandataire de celui qui contracte dans des circonstances autorisant les tiers à ne pas vérifier le pouvoir réel du mandataire. Un chauffeur licencié qui, resté débiteur de billets de location émis par une société de louage de véhicules et pré-imprimés au nom d'une entreprise cliente -ancien employeur-, procède à la location d'un véhicule au nom de son ancien employeur engage nécessairement ce dernier dès lors que le billet présenté était conforme aux opérations habituelles entretenues par les deux entreprises et qu'il appartenait à la société cliente de retirer au salarié licencié les billets précédemment remis et de prévenir le loueur du départ de ce salarié


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-01-15;1994.9516 ?
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