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14/11/1997 | FRANCE | N°1995-2782

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14 novembre 1997, 1995-2782


Par ordonnance du 14 juin 1994, sur requête de Madame X..., le Président du Tribunal d'Instance de MANTES LA JOLIE a enjoint à Madame Y... de payer à la requérante la somme de 50.000 Francs en principal, majorée des intérêts au taux légal.

Cette ordonnance a été signifiée le 23 juin 1994. Madame Y... a formé opposition le 29 juin 1994.

Devant le tribunal, Madame X... a exposé que la somme de 50.000 Francs réclamée correspondait à un prêt consenti à Madame Y... au moyen de trois chèques, celle-ci ayant reconnu sa dette par acte du 18 août 1993. Elle a sollic

ité la confirmation de l'ordonnance d'injonction de payer, ainsi que la condamna...

Par ordonnance du 14 juin 1994, sur requête de Madame X..., le Président du Tribunal d'Instance de MANTES LA JOLIE a enjoint à Madame Y... de payer à la requérante la somme de 50.000 Francs en principal, majorée des intérêts au taux légal.

Cette ordonnance a été signifiée le 23 juin 1994. Madame Y... a formé opposition le 29 juin 1994.

Devant le tribunal, Madame X... a exposé que la somme de 50.000 Francs réclamée correspondait à un prêt consenti à Madame Y... au moyen de trois chèques, celle-ci ayant reconnu sa dette par acte du 18 août 1993. Elle a sollicité la confirmation de l'ordonnance d'injonction de payer, ainsi que la condamnation de Madame Y... à lui payer la somme de 5.000 Francs à titre de dommages et intérêts et celle de 5.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame Y... a contesté être l'auteur de la signature apposée sur la reconnaissance de dette, laquelle au surplus, est dépourvue de la mention manuscrite exigée par l'article 1236 du Code Civil. Elle a soutenu qu'en réalité les fonds ont été prêtés à Michel X..., le frère de Madame Nicole X..., qui à l'époque était son concubin; qu'ils n'ont que transité sur son compte et pour une partie d'entre eux seulement. Elle a donc conclu à la rétractation de l'ordonnance

attaquée.

Par jugement en date du 6 janvier 1995, le Tribunal d'Instance de MANTES LA JOLIE a rendu la décision suivante:

- reçoit Madame Y... Z... en son opposition contre l'ordonnance du 14 juin 1994, - la déclare bien fondée, En conséquence, substituant le présent jugement à l'ordonnance ci-dessus énoncée, - déboute Madame Nicole X... de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de Madame Z... Y..., - met les dépens à la charge de Madame Z... Y....

Le 8 mars 1995, Madame X... a interjeté appel.

Elle fait valoir que la somme qu'elle a prêtée à Madame Y... devait permettre à celle-ci de créer une entreprise sous la forme d'une S.A.R.L ; que par la reconnaissance de dette du 18 août 1993, Madame Y... a reconnu avoir emprunté cette somme et s'est engagée à en verser les intérêts conventionnellement arrêtés à la somme de 630 Francs par mois ; que le tribunal a reconnu à l'acte du 18 août 1993 le caractère de commencement de preuve par écrit, lequel doit donc être corroboré par d'autres éléments de preuve ; que Madame Y... a implicitement reconnu l'existence de sa dette en versant les intérêts

convenus jusque fin février 1994, commençant ainsi à exécuter son obligation de remboursement ; qu'elle verse au dossier trois chèques, émis les 17 et 19 août 1993, l'un de 43.370 Francs au profit de Madame Y..., le second d'un montant de 3.170 Francs au profit de Monsieur A..., assureur et le troisième de 3.640 Francs au profit de la Société UNI EUROPE ; que ces deux derniers chèques ont permis de régler, à la demande de Madame Y..., deux primes d'assurances pour les véhicules appartenant à la société RLV, dont elle était la gérante ; que rien ne permet de supposer qu'elle-même connaissait les accords prétendument passés entre son frère Michel et Madame Y... ; que si elle avait souhaité prêter de l'argent à son frère, elle n'aurait pas eu besoin de recourir aux services de Madame Y....

En ce qui concerne la contestation de sa signature par l'intimée, elle souligne que les différents exemplaires de la signature de Madame Y... versés aux débats ne font que confirmer qu'elle est bien l'auteur de la signature apposée sur la reconnaissance de dette. Elle demande à la Cour de :

- dire l'appel interjeté par Madame X... recevable, - le déclare bien fondé, - condamner Madame Y... au paiement de la somme de 50.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 1994, - la condamner au paiement de la somme de 5.000 francs à titre de

dommages et intérêts, - la condamner au paiement de la somme de 5.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - la condamner aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la SCP GAS, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame Y... réplique que le véritable emprunteur de la somme de 50.000 Francs est Michel X..., frère de l'appelante ; qu'en effet, elle n'avait la qualité de gérante de droit de la S.A.R.L. RLV, que pour rendre service à celui-ci, qui en était le gérant de fait ; que la somme de 50.000 Francs prêtée par Madame Nicole X... était ainsi destinée à son frère, mais que celui ne pouvant la percevoir directement, la somme lui a été versée par l'intermédiaire de sa concubine, Z... Y... ; que les deux chèques du 18 août 1994 correspondent à un prêt destiné à permettre à Monsieur Michel X... de payer des primes d'assurances de véhicules qu'il louait ; que cela ressort clairement de la lettre de celui-ci en date du 10 juin 1994, destinée à sa soeur Nicole, ainsi que de son attestation écrite; qu'au surplus, le chèque de 43.370 Francs a été endossé par Michel X... ; qu'il ressort du projet de statuts de la société ABC que sa gérante devait être Madame X..., ce qui permet d'écarter sa prétention selon laquelle l'intimée aurait eu besoin de 50.000 Francs pour la constitution d'une société.

Elle conteste formellement avoir signé la reconnaissance de dette.

A titre subsidiaire, elle soutient qu'elle ne pourrait valoir que comme commencement de preuve par écrit et elle conteste les éléments complémentaires allégués par l'appelante. Elle fait valoir que le versement d'intérêts ne peut s'analyser qu'en un service supplémentaire rendu à son ami et que le paiement pour autrui ne peut valoir reconnaissance de dette, laquelle doit être expresse et non équivoque.

Elle forme appel incident et demande à la Cour de : - débouter Madame Nicole X... de son appel, et subsidiairement dire celui-ci abusif car mal fondé, - réformant partiellement le jugement du 6 juin 1995 : - annuler pour les motifs sus-énoncés la reconnaissance de dette du 18 août 1993 non signée ni rédigée de la main de Madame Danielle Y..., Subsidiairement, ordonner la vérification d'écriture en application de l'article 285 du Nouveau Code de Procédure Civile, En tout état de cause, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que Madame Nicole X... ne rapporte pas la preuve, conformément aux exigences de la jurisprudence sur le commencement de preuve par écrit, de faits ou présomptions permettant d'établir que le prêt dont s'agit a été consenti à Madame Danielle Y..., En conséquence, débouter Madame Nicole X... de toutes ses demandes, fins et prétentions, - dire que les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge exclusive de Madame Nicole X..., Y ajoutant, recevoir Madame Danielle Y... en ses demandes additionnelles de dommages et intérêts, l'en dire bien fondée, -

condamner Madame Nicole X... à lui verser la somme de 5.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs et 5.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - condamner Madame Nicole X... aux entiers dépens de première instance et d'appel et autoriser la SCP LEFEVRE ET TARDY, avoués à recouvrer ceux la concernant, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été signée le 9 octobre 1997 et l'affaire a été plaidée pour l'appelante à l'audience du 17 octobre 1997, tandis que l'intimée faisait déposer son dossier.

SUR CE, LA COUR,

1) Sur la force probante de l'acte de reconnaissance de dette du 18 août 1993,

Considérant que Madame Y..., qui dénie la signature portée sur cet

acte, verse aux débats des éléments de comparaison, à savoir la copie de sa carte nationale d'identité et d'un contrat de location de véhicule qu'elle a contracté le 21 juillet 1993, lesquels, si l'on y ajoute la lettre du 28 juin 1994 comportant opposition à l'ordonnance d'injonction de payer, permettent de procéder à la vérification de la signature contestée ;

Considérant que l'examen comparé de la signature portée sur l'acte du 18 août 1993 et de celles figurant sur les documents produits par l'intimé et la lettre écrite le 20 juin 1994, fait apparaître clairement leur similitude dans le tracé des lettres, l'inclinaison du paraphe et son caractère ferme ; que d'ailleurs, il convient de souligner que l'intimée ne précise pas les détails qui pourraient différencier ces deux types de signature ; que les éléments de comparaison sont suffisants pour convaincre la Cour que la signature contestée a bien été apposée par Madame Y..., sans qu'il soit besoin de procéder à des investigations complémentaires, en particulier de faire composer des échantillons d'écriture sous la dictée ;

Considérant que cependant, c'est à juste titre que le premier juge a relevé que cet acte, (dont il vient d'être vérifié par la Cour qu'il a été signé par Madame Y...), ne comporte pas la mention manuscrite de la somme que l'une des parties s'engage à payer et ne peut donc

valoir comme preuve écrite de la reconnaissance de dette, en vertu des dispositions de l'article 1326 du code civil; que néanmoins, cet acte émane de Madame Y... et rend vraisemblable le prêt allégué par Madame X... ; qu'il vaut donc comme commencement de preuve par écrit, en vertu des dispositions de l'article 1347 du même code ;

2) Sur les éléments de preuve complémentaires du prêt litigieux,

Considérant que Madame X... verse aux débats le relevé de son compte bancaire du 31 août 1993, faisant apparaître au débit trois chèques d'un montant respectif de 3.170 Francs, 43.370 Francs et 3.460 Francs, soit un total de 50.000 Francs ;

Considérant que Madame Y..., après avoir déclaré que le chèque de 43.370 Francs "n'avait que transité par son compte", expression reprise par Monsieur Michel X... dans son attestation du 29 septembre 1994 rédigée pour la présente instance, prétend dans ses dernières écritures signifiées le 15 septembre 1997, que ce chèque aurait été endossé par celui-ci, lequel le confirme dans une seconde attestation du 1er octobre 1997 ; qu'il convient de souligner le caractère tardif de ces déclarations nouvelles ; que certes, la forme de la signature figurant au verso du chèque litigieux ressemble à

celle de Monsieur Michel X..., mais que les chiffres tapés sur ce paraphe ne permettent pas d'affirmer que ce chèque a été endossé par ce dernier ; qu'en tout état de cause, ce chèque a été établi en faveur de Madame Y..., qui reconnaît l'avoir déposé (ou tout au moins fait déposer) sur son compte personnel; qu'en revanche, elle ne justifie pas de ses allégations quant au caractère "transitoire de ce dépôt" et ne prouve pas avoir reversé la somme correspondante sur un autre compte ; que Monsieur Michel X..., dont il est allégué qu'il aurait été le bénéficiaire réel du prêt et qui déclare qu'il était interdit bancaire à cette époque, ne fournit aucune précision sur la façon dont cette somme lui aurait été reversée et quel usage il en aurait fait ;

Considérant qu'il est établi et non contesté que les deux autres chèques ont été émis en faveur de Monsieur A... et de la Société UNI EUROPE ; que dans une attestation régulière en la forme du 3 août 1997, Monsieur A... déclare qu'au moment des faits, il était courtier en assurances, que la transaction entre Mme X... et Madame Y... s'est faite chez lui, où était installé son cabinet ; que compte tenu des arriérés sur les primes d'assurances de la Société RLV, dont Madame Y... était la gérante, il a été décidé que Madame X... ferait trois chèques pour un montant total de 50.000 Francs, dont deux destinés au paiement de ces primes; que dans une attestation également régulière en la forme, Monsieur B..., comptable chargé d'entamer la comptabilité de l'exercice 1993 de la Société RLV, témoigne de l'existence du prêt de 50.000 F consenti par Madame X... à Madame Y... ;

Considérant que Madame Y... a reconnu dans sa lettre du 28 juin 1994, par laquelle elle a formé opposition à l'ordonnance d'injonction de payer, qu'elle avait accepté de reverser les intérêts mensuels de 630 Francs, selon elle sur demande de Monsieur Michel X... ; qu'elle ne conteste pas avoir réglé ces intérêts conventionnels jusqu'en février 1994, ce qui constitue à l'évidence un commencement d'exécution des obligations telles que prévues au contrat de prêt ;

Considérant que ces éléments concordants, l'encaissement du chèque principal sur le compte personnel de l'intimée, la remise des deux autres pour payer les primes d'assurances des véhicules de société dont elle était la gérante en droit, les attestations de Messieurs A... et B..., ainsi que le fait pour Madame Y... d'avoir commencé à exécuter personnellement les obligations résultant du contrat de prêt, sont des preuves complémentaires à la reconnaissance de dette du 18 août 1993; qu'en regard, les deux attestations régulières en la forme de Monsieur Michel X..., frère de l'appelante, mais tiers à l'acte qui déclare être le véritable emprunteur, ne suffisent pas, en dehors de tout autre élément probant, pour établir la réalité des prétentions de l'intimée sur ce point et à rapporter la preuve contraire à l'existence du prêt que lui a consenti l'appelante ;

Considérant que la preuve étant rapportée de l'existence de ce prêt, la Cour infirme le jugement déféré et condamne Madame Y... à payer à Madame X... la somme de 50.000 Francs avec les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 23 juin 1994 ;

3) Sur les demandes en paiement de dommages et intérêts et au titre des frais irrépétibles,

Considérant que Madame X... ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant du retard dans le paiement que lui aurait causé l'attitude dolosive de l'intimée ; que la Cour la déboute de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à Madame X... la somme de 4.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau :

Condamne Madame Y... à payer à Madame X... la somme de 50.000 Francs (CINQUANTE MILLE FRANCS) avec les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 23 juin 1994 ;

Déboute Madame X... de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Déboute Madame Y... des fins de toutes ses demandes ;

Condamne Madame Y... à payer à Madame X... la somme de 4.000 Francs (QUATRE MILLE FRANCS) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La condamne à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par la SCP GAS, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile et à la loi sur l'aide juridictionnelle.

Et ont signé le présent arrêt:

Le Greffier,

Le Président,

Sylvie RENOULT

Alban CHAIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-2782
Date de la décision : 14/11/1997

Analyses

PREUVE LITTERALE - Acte sous seing privé - Reconnaissance de dette - Mentions de l'article 1326 du Code civil - Défaut - Portée - /

Un acte écrit de reconnaissance de dette, régulièrement signé, qui ne comporte pas, conformément aux dispositions de l'article 1326 du Code civil, la mention manuscrite du montant de l'engagement, a valeur de commencement de preuve par écrit de l'obligation contractée par le débiteur. Dès lors que le créancier démontre que le débiteur a personnellement encaissé un chèque, qu'il produit des attestations de tiers attributaires d'une partie de la somme prêtée et qu'il établit que le débiteur a commencé à exécuter les obligations nées du contrat de prêt, il rapporte par ces éléments concordants la preuve de l'existence du prêt


Références :

Code civil, article 1326

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-11-14;1995.2782 ?
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