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12/11/1997 | FRANCE | N°1995-8163

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12 novembre 1997, 1995-8163


Le 17 avril 1986, puis le 31 décembre 1986, Madame X... délivrait un nouveau congé à ses locataires Monsieur Y... et Madame Z..., en faisant valoir, alors, que l'état de santé de sa mère, Madame A... ne permettait plus à celle-ci de vivre seule désormais (et ce, au visa de l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948).

Madame X... assignait Monsieur Y... et Madame Z... devant le Tribunal d'Instance de SAINT DENIS aux fins notamment de :

* se voir reconnaître le droit de reprise au profit de sa mère en vertu des dispositions de l'article 19 de la loi du 1er septembre

1948,

* valider le congé donné à cette fin à Monsieur Y... et Madame...

Le 17 avril 1986, puis le 31 décembre 1986, Madame X... délivrait un nouveau congé à ses locataires Monsieur Y... et Madame Z..., en faisant valoir, alors, que l'état de santé de sa mère, Madame A... ne permettait plus à celle-ci de vivre seule désormais (et ce, au visa de l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948).

Madame X... assignait Monsieur Y... et Madame Z... devant le Tribunal d'Instance de SAINT DENIS aux fins notamment de :

* se voir reconnaître le droit de reprise au profit de sa mère en vertu des dispositions de l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948,

* valider le congé donné à cette fin à Monsieur Y... et Madame Z... le 17 avril 1986 et, à défaut, l'intératif congé du 31 décembre 1986,

* autoriser l'expulsion des défendeurs.

Le Tribunal d'Instance de SAINT DENIS, par jugement rendu le 15 mai 1987 a, sur la demande reprise :

- écarté des débats le congé du 17 avril 1986,

- dit le congé du 31 décembre 1986 régulier en la forme,

- dit que l'acquisition par Madame X... le 15 octobre 1980 des lieux litigieux avait été faite dans un intérêt familial et légitime,

- avant-dire-droit,

- prescrit une mesure d'instruction afin de vérifier les conditions dans lesquelles Madame A..., bénéficiaire de la reprise, disposerait à LUCHAPT (Vienne) d'une habitation située en face de la propriété d'une de ses soeurs.

Monsieur Y... et Madame Z... ont formé appel de cette décision.

La Cour d'Appel de PARIS par arrêt rendu le 13 mars 1989 a confirmé partiellement la décision entreprise.

La Cour a :

- confirmé le jugement déféré en ce qu'il disait le congé délivré le 31 décembre 1986 régulier en la forme et l'acquisition des lieux litigieux par Madame X... faite dans un intérêt légitime,

- réformé le jugement pour le surplus et déclaré les conditions de la reprise du pavillon loué à Monsieur Y... et Madame Z... pour

assurer le logement de Madame A... réunies,

- validé le congé du 31 décembre 1986,

- ordonné l'expulsion de Monsieur Y... et de Madame Z....

Monsieur Y... et Madame Z... ont formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt.

La troisième Chambre Civile de la Cour de cassation, par arrêt rendu le 21 novembre 1990, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 13 mars 1989, par la Cour d'Appel de PARIS, remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyés devant la Cour d'Appel de REIMS.

La Cour d'Appel de REIMS, par arrêt rendu le 6 avril 1993, a :

- confirmé en son principe le jugement rendu le 15 mai 1987 par le Tribunal d'Instance de SAINT DENIS,

Y ajoutant a :

- dit que les conditions reprises par l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948 quant à l'exercice du droit de reprise sont bien réunies en l'espèce,

- validé le congé délivré à Monsieur Y... et à Madame Z... le 5 août 1989,

- et les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

Monsieur Y... et Madame Z... ont également formé un pourvoir en cassation à l'encontre de cet arrêt.

La troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation s'est donc, à nouveau, prononcée dans cette affaire.

Par arrêt rendu le 19 juillet 1995, elle a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 1993, remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'Appel de céans.

Au visa de l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948, la Cour de

cassation a jugé que le bénéficiaire du droit de reprise est tenu de mettre à la disposition du locataire ou de l'occupant dont il reprend le local, le logement qui, le cas échéant, pourrait être rendu vacant par l'exercice de ce droit et cette obligation n'est pas subordonnée à l'occupation effective et permanente de ce logement à la date du congé.

Les deux dossiers pendant devant la Cour de renvoi de céans (RG N° 8163/95 et N° 8793/95) ont été joints par ordonnance du Conseiller de la mise en état du 19 septembre 1996. Monsieur Y... et Madame Z... demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il écarte des débats le congé du 17 avril 1986,

- le réformer pour le surplus et, statuant à nouveau,

A titre principal :

Vu l'article 19 alinéas 6 et 8 de la loi du 1er septembre 1948,

- dire nul et de nul effet le congé du 31 décembre 1986,

A titre subsidiaire,

Vu l'article 19 alinéas 1 et 2 de la loi du 1er septembre 1948,

- constater en tout état de cause le défaut de réunion des conditions de la reprise,

- débouter purement et simplement Madame X... de toutes demandes, fins et conclusions contraires,

- condamner Madame X... à régler conjointement à Monsieur Y... et Madame Z... les sommes de :

[* 30.000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

*] 255.620 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel et financier,

* 60.000 francs à titre d'indemnité en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Vu l'article 639 du Nouveau Code de Procédure Civile, mettre à la charge de Madame X... tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents aux deux arrêts cassés,

- condamner enfin Madame X... aux entiers dépens du présent appel, dont distraction au profit de Maître Johny JUPIN, avoué à la Cour, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame B... née X... demande à la Cour de :

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel des consorts Y... et Z...,

- les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que les conditions de la reprise étaient réunies,

- dire et juger que l'irrégularité de dorme dont était entaché le congé n'a causé aucun grief aux consorts Y... et Z...,

- dire que ceux-ci n'établissent nullement la réalité et le montant de leur préjudice,

- les débouter de ce chef de demande,

- dire et juger que le harcèlement procédurier des consorts Y... et Z... a causé à Madame X... un préjudice moral qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 20.000 francs,

En tout état de cause,

- condamner les appelants in solidum au paiement de la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP FIEVET ROCHETTE LAFON, titulaire d'un office d'avoué près la Cour d'appel de VERSAILLES, conformément aux dispositions des articles 639 et 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été signée le 22 mai 1997 et l'affaire plaidée à l'audience du 24 septembre 1997.

SUR CE, LA COUR,

A/ I. Considérant qu'aux termes de l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948 (d'ordre public) le congé doit, à peine de nullité, notamment :

- faire connaître le nom et l'adresse du propriétaire qui loge le bénéficiaire de la reprise réclamée, ainsi que l'emplacement et le nombre de pièces du local occupé par ce dernier, et ce, en se plaçant au jour de la signification du congé ;

Considérant, en la présente espèce, qu'il est constant que l'acte d'huissier du 31 décembre 1986, valant congé au visa expres de l'article 13 de la loi du 1er septembre 1948, a indiqué que la bénéficiaire, Madame A..., demeurait à ADRIERS (86430) Couvent de Bellevue à ASNIERES SUR BLOUR, mais qu'elle "effectuait/de brefs séjours chez sa fille pour des contrôles médicaux" ;

Considérant, en droit, que le bénéficiaire du droit de reprise est tenu de mettre à la disposition du locataire ou de l'occupant dont il reprend le local, le logement qui, le cas échéant, pourrait être rendu vacant par l'exercice de ce droit ;

Considérant qu'il est constant que le congé litigieux du 31 décembre 1986 n'a pas indiqué expressément le nom et l'adresse du propriétaire qui logeait Madame A..., ainsi que l'emplacement et le nombre de pièces du local que celle-ci aurait occupé, ni le loyer (article 18 alinéa 4) ; que de plus, il était soutenu devant le premier juge que la bénéficiaire, en raison de son état de santé, ne pouvait plus résider dans son logement du couvent de BELLEVUE (qu'elle avait d'ailleurs mis en vente) et qu'elle n'aurait été logée qu'à titre précaire et provisoire chez les membres de sa famille ;

Mais considérant que l'obligation de proposer au locataire le local

libéré par le bénéficiaire de la reprise n'est pas subordonné à l'occupation effective et permanente de ce logement à la date du congé ; que le congé litigieux du 31 décembre 1986 n'a pas indiqué quel était, en fait, ce local libéré ; et qu'il est patent que le couvent de BELLEVUE, seul mentionné, ne pouvait constituer que le domicile légal (ou "fiscal") de la bénéficiaire ; que de plus, il est à nouveau rappelé que ce bien immobilier était déjà mis en vente et qu'il est donc manifeste qu'il n'était pas libéré ni proposé aux locataires ;

Considérant, par ailleurs et en tout état de cause, qu'il est constant que ce congé n'a pas mentionné les indications obligatoires relatives au nombre de pièces, et au degré de confort du local occupé par la bénéficiaire de la reprise ;

Considérant, quant aux conséquences de ces omissions, que rien dans les circonstances de la cause ne démontre que Monsieur Y... et Madame Z... auraient été dans l'impossibilité d'accepter la proposition d'habiter dans ce couvent de BELLEVUE (dans la VIENNE), comme le soutient Madame B... épouse X... qui n'est donc pas fondée à prétendre que ces omissions, certaines, n'auraient cependant causé aucun grief aux locataires ;

Considérant, au contraire, qu'en 1986, ceux-ci qui étaient

respectivement magasinier et aide maternelle dans une école, étaient en mesure d'envisager de trouver des emplois équivalents dans la VIENNE et que, par ailleurs, rien n'établit qu'à cette époque, ils auraient eu la possibilité d'aller s'installer dans leur maison, en BRETAGNE ;

Considérant que ces omissions et l'absence de ces précisions exigées par la loi (l'ordre public) ont empêché les locataires d'être pleinement informés à la date du 31 décembre 1986, sur la consistance du local libéré mis à leur disposition, et qu'ainsi, de manière certaine et directe, ils n'ont pas été mis en mesure de prendre parti, en toute connaissance de cause, et qu'ils n'ont pas pu exercer un vrai contrôle sur les conditions dans lesquelles ils allaient être évincés ;

Considérant qu'il est donc patent que ces omissions leur ont causé un grief personnel, certain et direct (au sens de l'article 114 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile) ; que la Cour prononce la nullité de ce congé du 31 décembre 1986 et que le jugement déféré du tribunal d'instance, du 15 mai 1987 et, par conséquent, infirmé ;

II/ Considérant qu'il est constant qu'à la suite de l'arrêt rendu contre eux par la Cour d'Appel de PARIS le 13 mars 1989, les appelants ont dû quitter, le 5 août 1989, les lieux litigieux, à SAINT DENIS, qu'ils occupaient depuis 1972 ; que par l'effet de ce congé irrégulier, fautivement délivré, les intéressés ont donc subi des préjudices certains et directs ;

Considérant d'abord, que ces deux locataires ont dû brutalement quitter leur cadre de vie (pavillon avec jardin) qui était le leur

depuis 17 années et qu'ils ont ainsi subi un préjudice, direct d'ordre moral ;

Considérant, ensuite, qu'ils ont eu à supporter des frais de déménagement dont il est justifié ;

Considérant, par contre, que le préjudice dit "financier" dont ils font état, n'est pas certain ni direct, puisque c'est librement qu'ils ont choisi d'aller habiter dans un appartement dont le loyer était de 2.082,77 francs par mois, donc beaucoup plus élevé que leur ancien loyer chez Madame X... ; que l'évaluation qu'ils font d'un "différentiel de loyer" qu'ils calculent jusqu'en mai 2000 (date de leur départ à la retraite) pour un total de 235.325 francs (+ 20.295 francs de taxes d'habitation) ne constitue pas un préjudice direct dont ils peuvent demander réparation à l'intimée ; qu'ils sont donc déboutés de ce chef de demande de dommages et intérêts ;

Considérant que la Cour a les éléments d'appréciation qui lui permettent de fixer à 50.000 francs les dommages et intérêts à accorder aux deux appelants en réparation des deux premiers chefs de préjudices ci-dessus retenus ;

Considérant que, compte tenu de l'équité, Madame X... est condamnée à payer aux appelants la somme de 25.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

B) Considérant que l'analyse de tous les autres moyens de fond subsidiairement développés et ayant trait aux conditions de fond de la reprise réclamée (c'est-à-dire, appréciation des "besoins normaux" de la bénéficiaire Madame A..., au sens de l'article 19 alinéa 1er de la loi du 1er septembre 1948, recherche des conditions d'acquisition du pavillon litigieux par Madame X..., en 1990, au regard des dispositions de l'alinéa 2 de cet article 19 relatives à "l'intérêt familial légitime" recherché par cette acquisition, "à l'exception de toute idée de spéculation", et analyse de la consistance du pavillon et de sa capacité à accueillir Madame A...), devient, par conséquent, sans objet ;

Considérant que le présent appel est fondé ainsi que l'a retenu la motivation ci-dessus développée et que Madame X... n'est donc pas fondée à prétendre que les appelants auraient fait preuve d'un "harcèlement procédurier" ; qu'elle est donc déboutée de sa demande en paiement de 20.000 francs de dommages et intérêts, de ce chef, pour son prétendu préjudice dit "moral" ;

Considérant que l'intimée succombe et que, compte tenu de l'équité, elle est donc déboutée de sa demande en paiement de la somme de 50.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure

Civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, en audience solennelle, sur renvoi après cassation :

VU l'ordonnance de jonction du Conseiller de la mise en état du 19 septembre 1996 ;

VU l'article 19 de la

VU l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948 :

VU l'article 114 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile :

A) . DECLARE nul le congé-reprise délivré le 31 décembre 1986 ;

. INFIRME le jugement déféré, du 15 mai 1987 ;

. CONDAMNE Madame Paule B... épouse X... à payer 50.000 francs (CINQUANTE MILLE FRANCS) de dommages et intérêts à Monsieur Robert Y... et Madame Yvette Z... ; DEBOUTE les appelants de leur demande de dommages et intérêts pour "préjudice financier" ;

. CONDAMNE Madame X... à leur payer la somme de 25.000 francs (VINGT CINQ MILLE FRANCS) en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

B) DEBOUTE Madame X... de ses demandes en paiement de 20.000 francs de dommages et intérêts et de la somme de 50.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

LA CONDAMNE à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par Maître JUPIN, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de

Procédure Civile.

Et ont signé le présent arrêt :

Le Greffier en Chef,

Le Président,

C. BOUCHER

A. CHAIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-8163
Date de la décision : 12/11/1997

Analyses

BAIL D'HABITATION - Bail soumis à la loi du 1er septembre 1948 - Reprise - Article 19 - Congé

Il résulte des dispositions d'ordre public de l'article 19 de la loi du 1er septembre 1948 qu'un propriétaire exerçant son droit de reprise doit, à peine de nullité du congé, faire connaître le nom et l'adresse du propriétaire qui loge le bénéficiaire de la reprise, ainsi que l'emplacement et le nombre de pièces du local occupé par ce dernier, et ce en se plaçant au jour de la signification du congé. Un congé se bornant à indiquer la seule adresse du bénéficiaire du droit de reprise, sans autres précisions quant à la composition du local suscep- tible d'être libéré, est irrégulier, les prescriptions légales n'étant pas subor- données à l'occupation effective et permanente, au moment de la délivrance du congé, du logement susceptible d'être vacant


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-11-12;1995.8163 ?
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