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06/11/1997 | FRANCE | N°JURITEXT000006934648

France | France, Cour d'appel de Versailles, 06 novembre 1997, JURITEXT000006934648


La société de droit américain MARSHALL FARMS INC (ci-après société MARSHALL) et sa filiale la société BUTLER FARMS INC (ci-après société BUTLER) sont spécialisées dans l'élevage de chiens de race et de furets.

Depuis une dizaine d'années, ces sociétés entretenaient des relations commerciales suivies avec la SARL LES ELEVAGES CHRISTIAN X... (L.E.C.L.) qui leur achetait leurs produits pour les revendre sur le marché français.

Aucun contrat écrit, autre que des commandes ponctuelles, ne matérialisait cependant ces relations.

En fin d'année 1993, Monsi

eur Christian X..., dirigeant de la société L.E.C.L. a informé la société MARSHALL de s...

La société de droit américain MARSHALL FARMS INC (ci-après société MARSHALL) et sa filiale la société BUTLER FARMS INC (ci-après société BUTLER) sont spécialisées dans l'élevage de chiens de race et de furets.

Depuis une dizaine d'années, ces sociétés entretenaient des relations commerciales suivies avec la SARL LES ELEVAGES CHRISTIAN X... (L.E.C.L.) qui leur achetait leurs produits pour les revendre sur le marché français.

Aucun contrat écrit, autre que des commandes ponctuelles, ne matérialisait cependant ces relations.

En fin d'année 1993, Monsieur Christian X..., dirigeant de la société L.E.C.L. a informé la société MARSHALL de son intention de se retirer et de vendre son entreprise à la société américaine CHARLES RIVER.

Il s'en est suivi des discussions entre les parties et les sociétés MARSHALL et BUTLER ont finalement décidé, après une offre transactionnelle qui n'a pas abouti, de créer une antenne en FRANCE en vue de distribuer directement leurs produits et de rompre les accords qui les liaient à la société L.E.C.L. à compter du 31 octobre 1994.

Estimant cette rupture abusive, la société L.E.C.L. a refusé d'honorer certaines factures et les sociétés américaines ont saisi le juge des référés de VERSAILLES pour en obtenir le règlement.

Par ordonnance en date du 04 juin 1995, ce magistrat a condamné à titre provisionnel la société L.E.C.L. à payer aux sociétés américaines la contre-valeur en francs français de 277.173 dollars U.S.

Un commandement délivré en suite de cette décision étant demeuré infructueux, les sociétés MARSHALL et BUTLER ont fait procéder à une saisie de véhicules utilitaires, de mobiliers et d'animaux d'élevage

appartenant à la société L.E.C.L.

Celle-ci a obtenu du juge de l'exécution des délais de paiement et parallèlement elle a saisi le Tribunal de Commerce de VERSAILLES d'une action au fond pour obtenir notamment réparation du préjudice que lui a occasionné la rupture du contrat. [*

Par jugement en date du 12 juillet 1995, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la 2ème chambre de la juridiction précitée a :

- débouté la société L.E.C.L. de sa demande en paiement d'une indemnité pour rupture du contrat de concession exclusive ;

- condamné solidairement les sociétés MARSHALL etamp; BUTLER à payer à la société L.E.C.L. la somme de 304.990 francs avec intérêts au taux légal à compter du 31 mars 1995, ladite somme représentant un manque à gagner sur des commandes enregistrées avant le 31 octobre 1994 et non réglées par les sociétés américaines du fait de la rupture ;

- condamné la société L.E.C.L., comme l'avait fait le juge des référés, à payer, au titre d'un arriéré de factures, la contre-valeur en francs français au jour du jugement de 231.738 dollars U.S. à la société MARSHALL et de 45.435 dollars U.S. à la société BUTLER, soit au total 277.173 dollars U.S., outre les intérêts de droit sur ces sommes à compter du 18 novembre 1994 ;

- dit n'y avoir lieu à mainlevée des saisies pratiquées sur les biens de la société L.E.C.L. et à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- et partagé les dépens par moitié entre les parties. *]

Appelante de cette décision, la société L.E.C.L. fait grief aux premiers juges d'avoir mal qualifié le contrat la liant aux sociétés américaines. A cet égard, elle soutient que celui-ci serait de nature "hybride" et qu'il relèverait pour l'essentiel du contrat d'agence commerciale. Elle en veut pour preuve notamment la propre

terminologie employée par la société MARSHALL dans les correspondances qu'elle lui a faites parvenir, l'immixtion permanente de cette société dans les ventes, les relations d'origine qui fonctionnaient à partir d'un système de commissionnement variable. Elle déduit de là qu'elle est en droit de prétendre, comme tout agent commercial, au paiement d'une indemnité de rupture. Elle ajoute que quand bien même la Cour retiendrait, comme l'a fait le Tribunal, la qualification de concession exclusive, il apparait en l'espèce, à l'analyse des pièces produites, que les relations ont été rompues sans un préavis suffisant et dans des conditions dolosives, ce qui a permis aux sociétés MARSHALL etamp; BUTLER de capter et de s'approprier sa clientèle. Elle y voit aussi, de la part de ces sociétés un abus de position dominante et de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait à leur égard. Elle reproche également auxdites sociétés d'avoir faussé le jeu de la concurrence et d'avoir ainsi contrevenu à l'article 85.1 du traité de Rome et à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elle demande, dès lors, à être indemnisée sur la base des propres propositions transactionnelles de la société MARSHALL, mais réactualisées et complétées et réclame en réparation du préjudice que lui a occasionné la rupture la somme de 3.828.153 francs avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 1995, sauf à compenser cette somme avec celles qu'elle-même reste devoir aux sociétés américaines et à ajouter celle de 304.990 francs, outre les intérêts, représentant son manque à gagner sur les commandes transmises avant la rupture du contrat. Elle réclame également une indemnité de 60.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. *

Les sociétés MARSHALL et BUTLER concluent, pour leur part, à la confirmation du jugement déféré, sauf à se voir allouer la somme de 60.000 francs à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et

une indemnité de 40.000 francs en couverture des frais qu'elles ont été contraintes d'exposer dans le cadre de la présente instance. Elles demandent également à être déchargées des dépens.

En réplique, elles font essentiellement valoir que les relations qu'elles ont entretenues avec la société L.E.C.L. ne sauraient être qualifiées de contrat d'agence commerciale et que celles-ci relèvent incontestablement d'un contrat de concession exclusive comme l'a retenu à bon droit le premier juge. Elles ajoutent qu'elles ont rompu de manière tout à fait loyale, et avec un préavis suffisant, lesdites relations et que les pourparlers engagés pour parvenir à une solution amiable ont cessé de la seule volonté de la société appelante qui a rejeté toutes les propositions qui lui ont été faites. Elles soutiennent également que les conditions d'un abus de domination ne sont pas réunies en l'espèce et que, contrairement à ce qui est prétendu, la concurrence reste tout à fait ouverte sur le marché français voire européen des chiens de race, nonobstant la mise en place par elles d'un réseau de distribution directe. *

MOTIFS DE LA DECISION

. Sur la qualification juridique des relations entretenues entre les parties

Considérant que la société L.E.C.L. soutient à titre principal que les relations suivies qu'elle a entretenues avec les sociétés du groupe MARSHALL relèvent pour l'essentiel d'un contrat d'agence commerciale ; que les sociétés intimées estiment, pour leur part, comme il a été dit, que le premier juge a, à juste titre, qualifié lesdites relations de contrat de concession commerciale ;

Considérant que l'agent commercial se définit comme un mandataire qui exerce une activité civile et qui négocie et conclut des contrat pour le compte et au nom de son mandant ; que le concessionnaire est, pour

sa part, un commerçant qui agit pour son propre compte en achetant personnellement à un opérateur des marchandises qu'il se charge de revendre par la suite à sa clientèle ;

Qu'il découle de ces définitions que, dans le premier cas, l'agent commercial n'acquiert à aucun moment, dans le circuit économique, la propriété des marchandises destinées au client final ;

Que dans le second cas en revanche, le concessionnaire achète pour son compte et à ses risques, des produits destinés à être revendus à sa propre clientèle ;

Considérant qu'en l'espèce, il apparaît à l'analyse des pièces des débats, qu'à aucun moment, exception faite des premiers mois d'application du contrat, la société L.E.C.L. n'a pu avoir la qualité d'agent commercial puisqu'elle achetait, auprès des sociétés MARSHALL et BUTLER, des animaux dont le prix était réglé à 30 jours, puis les revendait à un prix discrétionnairement fixé par elle-même à sa propre clientèle, en demandant généralement à celle-ci paiement comptant ; que de surcroît, elle n'a jamais été inscrite au registre des agents commerciaux pas plus qu'elle ne s'est vue imposer l'obligation de rendre compte de sa gestion à ses prétendus mandants ; que le terme "d'agent", figurant sur certains documents rédigés en langue anglaise émanant des sociétés intimées, ne saurait être d'une quelconque influence sur la qualification du contrat dès lors que ce terme, dans le vocabulaire anglais des affaires, a une portée générale et s'applique aussi bien à un représentant qu'à un distributeur ou à un concessionnaire, voire même à un commissionnaire ou à un sous-traitant, comme en droit des transports ; que cela est d'autant moins contestable que l'agent commercial ne bénéficie pas en droit américain d'un statut particulier comme c'est le cas en droit français ;

Considérant que la société appelante ne saurait davantage se

prévaloir d'une immixtion des sociétés américaines dans ses ventes en prétendant notamment qu'elle a passé commande à ces sociétés en fonction des propres demandes de la clientèle française ; qu'en effet, le fait que la société L.E.C.L. démarche d'abord ses clients pour ensuite ajuster ses commandes auprès de la société MARSHALL et de la société BUTLER correspond tout simplement à une pratique habituelle des distributeurs qui vise à éviter, autant que faire se peut, des frais de stockage et des immobilisations de capitaux ; que de même, l'appelante ne saurait soutenir que les courriers que lui ont adressés les 8 mai 1992 et 20 novembre 1986 les sociétés intimées traduiraient de leur part une politique avérée d'immixtion ; qu'en effet, outre qu'il s'agit de deux faits isolés sur une longue période de collaboration, le premier courrier n'était qu'une simple lettre de félicitations adressée par la société MARSHALL à son revendeur ; quant à la lettre du 20 novembre 1986, elle avait seulement pour objet de répondre à une réclamation du CENTRE INTERNATIONAL DE TOXICOLOGIE concernant des animaux de laboratoire qui lui avaient été livrés ; qu'il suit de là qu'aucun de ces courriers ne traduit la volonté des sociétés américaines de se conduire comme un mandant donnant des instructions précises à son mandataire et lui dictant la conduite à tenir auprès de la clientèle ; qu'enfin et comme il a été dit précédemment, la société appelante avait toute liberté depuis de nombreuses années pour déterminer sa politique de tarification ;

Considérant qu'il en résulte que le premier juge a justement analysé les relations des parties en les qualifiant de contrat de concession ; que toute autre analyse serait d'ailleurs incompatible avec les demandes de réparation faites par la société appelante qu'elle asseoit sur les marges bénéficiaires espérées et non une perte de commission, ainsi que sur une appropriation déloyale par ses anciens partenaires de sa clientèle propre, ce qui exclut de plus fort la

qualification revendiquée d'agent commercial ;

. Sur la rupture des relations

Considérant que, sous réserve d'un délai de préavis suffisant, un contrat à durée indéterminée de concession peut être résilié à tout moment par l'une des parties ; que cependant un fournisseur peut engager sa responsabilité lorsqu'il utilise des procédés déloyaux, visant à éliminer un distributeur dans le but de récupérer, à son seul profit, les fruits d'efforts commerciaux auxquels il est demeuré étranger ;

Considérant qu'en l'espèce il ressort des pièces des débats que la rupture des relations, intervenue à compter du 31 octobre 1994, a été précédée de longs pourparlers, lesquels ont duré plus d'une année ; qu'à cet égard, il convient de rappeler que, fin Octobre 1993, Monsieur X... s'est rendu aux Etats-Unis où il a rencontré les dirigeants de la société MARSHALL FARMS pour leur annoncer son intention de vendre son affaire à une société CHARLES RIVER, ce qui n'a jamais été contesté ; que ce projet de cession à une société concurrente du groupe MARSHALL imposait à ce dernier de revoir le système de distribution qu'il avait mis en place depuis une dizaine d'années ; que, dès le 03 novembre 1993, Monsieur Y..., dirigeant de la société MARSHALL écrivait d'ailleurs à Monsieur X... en ces termes ; "Je comprends bien que vous devez décider si vous allez ou non abandonner le commerce des animaux de laboratoire. C'est évidemment votre droit. Si vous le faites, nous regretterons la perte de vos services qui ont été plus que satisfaisants. Le cas échéant, MARSHALL FARMS devrait prendre ses dispositions pour poursuivre la vente et la distribution de nos chiens en France" ;

Que, par courrier du 03 février 1994, le groupe MARSHALL évoquait à nouveau le possible retrait de Monsieur X... de la manière suivante

: "Cela nous ramène à nos précédentes discussions sur vos projets de retrait. Ainsi que je l'ai déjà mentionné, nous avons un candidat pour vendre les produits MARSHALL en Europe" ;

Que les échanges qui se sont poursuivis par la suite traduisent encore la volonté des sociétés américaines de parvenir à une solution négociée, associant la société L.E.C.L. à leur nouvelle stratégie de développement ; que, notamment, dans un courrier du 22 juin 1994, la société MARSHALL a proposé à Monsieur X... d'accepter son aide pour favoriser l'implantation en France d'une antenne qu'elle entendait créer pour distribuer ses produits moyennant une indemnisation de 2.034.000 francs, à charge pour Monsieur X... en contrepartie d'une part, de présenter sa clientèle aux représentants de la société MARSHALL et de ne plus vendre ni beagles ni furets sur le marché européen pendant 3 années, ce courrier marquant également la volonté ferme des sociétés américaines de mettre un terme aux relations commerciales entretenues jusque là ; que cette proposition a été renouvelée en des termes voisins dans un courrier daté du 03 août 1994, rappelant à Monsieur X... que l'offre d'indemnisation était subordonnée à l'engagement de ne plus vendre de chiens "beagles" sur le marché européen, exception faite de certains marchés réservés ; que la société L.E.C.L. a rejeté ces propositions en refusant en outre, d'honorer certaines factures, ce qui a donné lieu à la procédure de référé ;

Considérant qu'il résulte de ces constatations que la décision du groupe MARSHALL de créer une antenne en France pour assurer la distribution directe de ses produits trouve son origine dans l'intention avérée 13 mois auparavant de Monsieur X... de céder sa société à un groupe concurrent ; que les pourparlers qui s'en sont suivis ont été conduits de manière loyale par les sociétés MARSHALL et BUTLER, lesquelles ont régulièrement tenu informé la société

L.E.C.L. de leurs projets et proposé à cette dernière de s'y associer ; que lesdites propositions ont été refusées sans motif légitime par ladite société, laquelle ne pouvait utilement prétendre à indemnisation que dans la mesure où elle acceptait de faciliter l'implantation des sociétés du groupe MARSHALL en Europe et de ne pas les concurrencer soit directement, soit indirectement en se vendant à la concurrence ; que la société L.E.C.L. a, par ailleurs, bénéficié d'un délai de préavis suffisant pour prendre toutes dispositions utiles à une éventuelle reconversion puisque, dès le début de l'année 1994, la décision de rupture du partenariat voulue par l'appelante elle-même, apparaissait définitivement acquise sous réserve des modalités restant à négocier et que, dès le 22 juin 1994, un préavis ferme avait été fixé ; que la stratégie qu'a été contrainte d'adopter la société MARSHALL n'a jamais eu pour objectif de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence comme il est allégué, et non démontré, mais au contraire de permettre à ladite société de répondre à une situation nouvelle que la société L.E.C.L. a contribué à créer ; que, dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société L.E.C.L. tendant au paiement d'une indemnité de rupture ;

. Sur le détournement de clientèle

Considérant que la société MARSHALL EUROPE a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de LYON le 21 octobre 1994 ; que le 20 octobre, soit à quelques jours seulement de la date "butoir" du 31 octobre 1994, elle a adressé une lettre circulaire type à ses clients en les informant qu'à compter du 1er novembre 1994, elle assurerait directement la distribution des élevages MARSHALL et BUTLER ; que s'agissant d'un simple courrier informatif ne comportant aucune allusion à la collaboration entretenue jusque là avec la

société L.E.C.L., celle-ci ne saurait y voir une tentative déloyale d'appropriation ou de détournement de sa propre clientèle, alors le jeu de la concurrence, compte-tenu du rejet par l'appelante des propositions qui lui avaient été faites, était appelé à devenir ouvert dès réception même de ces courriers par leur destinataire ; que ce fait peut d'autant moins être imputé à faute aux sociétés intimées que, dès le 27 septembre 1994, elles avaient avisé Monsieur X... de leur intention d'envoyer une lettre circulaire à la clientèle en ces termes : "...nous pensons envoyer un mailing mi-octobre pour informer les clients européens du démarrage de la filiale le 1er novembre..." et que celui-ci n'avait émis aucune protestation ;

. Sur l'abus de domination

Considérant que la société L.E.C.L. soutient que "les agissements de MARSHALL caractérisent un abus de l'état de dépendance économique tel que défini par l'ordonnance 86.1243 du 1er décembre 1986, en son article 8.2" ; qu'elle en veut pour preuve notamment le fait que les relations suivies qu'elle entretenait avec la société MARSHALL représentaient en moyenne 40 % de son chiffre d'affaires ; qu'elle ajoute que la société MARSHALL détient désormais les deux tiers du marché des chiens "beagle" et qu'elle-même se trouve actuellement dans l'impossibilité de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs ;

Mais considérant que l'abus de domination ne peut se concevoir qu'autant qu'un distributeur ou un fournisseur se voit contraint par une entreprise ou groupe d'entreprises disposant d'une position dominante sur le marché, de réorienter sa politique économique dans des conditions qui lui sont particulièrement défavorables, telles que notamment l'impossibilité de s'adresser à d'autres opérateurs pour se fournir en produits équivalents ;

Or considérant qu'en l'espèce, il apparaît que c'est Monsieur X... lui-même qui a pris l'initiative de modifier les relations existantes en annonçant au mois de novembre 1993 à ses partenaires son intention de vendre son affaire à la société CHARLES RIVER, ce qui impliquait nécessairement pour les sociétés du groupe MARSHALL l'obligation de trouver une solution pour continuer à assurer la distribution de leurs produits sur le territoire français ; que comme il a été dit précédemment, les pourparlers qui s'en sont suivis traduisent la volonté des sociétés américaines de parvenir à un accord négocié, lequel a été rejeté par la société L.E.C.L. sans motif légitime ; que dans ces conditions, ladite société ne saurait utilement reprocher aux sociétés américaines d'avoir profité de leur prétendue situation dominante sur le marché des chiens de race pour mettre en place à son détriment un circuit de distribution direct alors que lesdites sociétés ne disposaient d'aucun autre choix ;

Considérant que par ailleurs, et contrairement à ce qui est prétendu, les sociétés du groupe MARSHALL ne possèdent pas le monopole de la fourniture des chiens "beagle" ; que notamment la société L.E.C.L. pouvait s'adresser à d'autres fournisseurs et notamment à la société RIVER qui lui avait fait une proposition de reprise ; qu'il est également établi que la société L.E.C.L. dispose de son propre élevage comme en fait foi notamment le projet d'accord qui prévoyait que, nonobstant la clause de non concurrence, cette société pourrait continuer à vendre ses propres produits ; qu'en outre, il est également établi que la société appelante commercialise d'autres animaux de laboratoire tels que des primates ; ce qu'elle a reconnu dans son assignation introductive d'instance devant le juge de l'exécution dans laquelle elle soutenait (page 7 de ses conclusions), à l'appui de sa demande de mainlevée des saisies, qu'elle avait "démontré, chiffres à l'appui, que son activité réduite par la

rupture du contrat avec la société MARSHALL, avait retrouvé un équilibre confortable et permettait de faire vivre ses huit salariés" ce qui prouve suffisamment qu'elle a réussi à réorienter avec succès ses activités et à trouver des solutions équivalentes ; qu'il suit de là que l'état de dépendance économique allégué en l'espèce ne se trouve pas caractérisé ;

. Sur les demandes en paiement formées par les parties

Considérant que les parties n'émettent aucune critique à l'encontre des dispositions du jugement déféré concernant l'apurement des comptes entre elles ; que ces dispositions seront en conséquence adoptées par la Cour et le jugement confirmé de ce chef, sauf à préciser que les sommes que se doivent mutuellement les parties se compenseront à due concurrence et à autoriser les sociétés intimées à capitaliser les intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil, et ce, à compter du 16 juin 1997, date de la première demande en justice formée par voie de conclusions ;

. Sur les autres demandes

Considérant que les sociétés MARSHALL et BUTLER ne rapportant pas la preuve qui leur incombe que l'action engagée à leur encontre par la société L.E.C.L., qui a pu de bonne foi se méprendre sur l'étendue de ses droits, ait dégénéré en abus ; qu'elles seront déboutées de ce chef de demande ;

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser auxdites sociétés la charge des sommes qu'elles ont été contraintes d'exposer dans le cadre du présent litige ; que la société L.E.C.L. sera condamnée à leur payer une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant enfin que la société appelante, qui succombe pour l'essentiel dans ses prétentions, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, le jugement entrepris étant infirmé de

ce seul motif. * PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit la société LES ELEVAGES CHRISTIAN X... en son appel ;

- Mais le dit mal fondé et l'en déboute ;

- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en celle relative à la charge des dépens de première instance qui seront supportés par la seule société appelante ;

Y ajoutant,

- Autorise les sociétés MARSHALL FARMS USA INC et BUTLER FARMS INC à capitaliser les intérêts sur les sommes qui leur restent dues par la société LES ELEVAGES CHRISTIAN X... et ce à compter du 16 juin 1997 ;

- Rejette la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par les sociétés MARSHALL FARMS USA INC et BUTLER FARMS INC ; - Condamne en revanche la société LES ELEVAGES CHRISTIAN X... à payer à ces dernières une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

- Condamne également la société LES ELEVAGES CHRISTIAN X... aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise Maître DELCAIRE, Avoué, à en poursuivre directement le recouvrement, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006934648
Date de la décision : 06/11/1997

Analyses

VENTE - Vente commerciale - Exclusivité - Concession exclusive de vente - Définition.

L'agent commercial est un mandataire qui exerce une activité civile ayant pour objet de négocier et de conclure des contrats pour le compte et au nom de son mandant. A l'inverse, le concessionnaire est un commerçant qui agit pour son propre compte en achetant personnellement des marchandises en vue de les revendre à sa propre clientèle. Il résulte de ces définitions que, à la différence de l'agent commercial qui n'acquiert à aucun moment les marchandises dont il négocie la vente, le concessionnaire assume personnellement la prise de risque économique afférente à l'achat des marchandises puis à leur revente à sa propre clientèle. La convention liant une société française et une société de droit américain, aux termes de laquelle la première achète auprès de la seconde, à un prix et selon des modalités définies entre elles, des animaux en vue de les revendre à sa propre clientèle selon un prix qu'elle fixe elle-même de manière autonome, s'analyse en un contrat de concession dès lors que de surcroît, la première n'est pas inscrite au registre des agents commerciaux, n'est pas tenue de rendre compte à son prétendu mandant et, enfin, que l'emploi du terme "agent", dans des documents rédigés en langue anglaise, ne saurait influer sur la qualification du contrat, le mot agent ayant dans le vocabulaire anglais des affaires un sens générique alors qu'en outre le droit américain ne reconnaît aucun statut particulier à l'agent commercial

VENTE - Vente commerciale - Exclusivité - Concession exclusive de vente - Résiliation.

Un contrat de concession à durée indéterminée peut, sous réserve du respect d'un délai de préavis suffisant, être résilié à tout moment par l'une des parties ; cependant le fournisseur peut engager sa responsabilité lorsqu'il utilise des procédés déloyaux tendant à éliminer un distributeur pour récupérer à son seul profit le fruit d'efforts commerciaux auxquels il est demeuré étranger. Un distributeur exclusif qui manifeste son intention de céder son entreprise à un groupe concurrent de son fournisseur, ne saurait reprocher à son fournisseur la rupture du contrat en vue de créer sa propre antenne de distribution directe, destinée à se substituer au distributeur défaillant, dès lors que la rupture est intervenue au terme d'une négociation de treize mois tendant à élaborer, en ménageant les intérêts des deux parties, les solutions alternatives à la défection du distributeur, et après signification d'un délai de préavis suffisant

CONCURRENCE - Pratique anticoncurrentielle - Exploitation abusive de la dépendance économique d'autrui - Conditions.

De même, ledit distributeur ne peut utilement soutenir que les agissement de son fournisseur caractérisent un abus de l'état de dépendance économique tel que défini par l'article 8.2 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 le mettant dans l'impossibilité de s'approvisionner, pour certains produits, alors que cet état de fait résulte de sa seule initiative


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-11-06;juritext000006934648 ?
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