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30/10/1997 | FRANCE | N°1995-8968

France | France, Cour d'appel de Versailles, 30 octobre 1997, 1995-8968


Suivant acte sous seing privé en date du 28 février 1991, la S.C.I. A.B.C. a donné à bail à la SARL O.F.C.I. divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé ..., pour une durée de neuf années commençant à courir le 1er avril 1991 pour se terminer le 31 mars 2000.

Usant de la faculté offerte par le bail de faire cesser celui-ci à l'expiration de chaque période triennale en prévenant le bailleur au moins six mois à l'avance par lettre recommandée, la société O.F.C.I. a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 septembre 1993, indiqué à

la S.C.I. A.B.C. qu'elle entendait mettre un terme au bail pour le 31 mars 19...

Suivant acte sous seing privé en date du 28 février 1991, la S.C.I. A.B.C. a donné à bail à la SARL O.F.C.I. divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé ..., pour une durée de neuf années commençant à courir le 1er avril 1991 pour se terminer le 31 mars 2000.

Usant de la faculté offerte par le bail de faire cesser celui-ci à l'expiration de chaque période triennale en prévenant le bailleur au moins six mois à l'avance par lettre recommandée, la société O.F.C.I. a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 septembre 1993, indiqué à la S.C.I. A.B.C. qu'elle entendait mettre un terme au bail pour le 31 mars 1994, soit à l'expiration de la première période triennale.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 mars 1993, la S.C.I. A.B.C. a contesté la validité de ce congé, motif pris qu'il ne respectait pas les dispositions impératives des articles 3-1 et 5 du décret du 30 septembre 1953.

Par exploit en date du 10 mai 1994, la SARL O.F.C.I. a fait assigner la S.C.I. A.B.C. aux fins de voir :

- Valider le congé par elle délivré le 23 septembre 1993 pour le 31 mars 1994 conformément aux prévisions du bail,

- Subsidiairement, prononcer la résiliation du bail à compter de la même date,

- Condamner la S.C.I. A.B.C. à lui restituer, sous astreinte, la somme de 63.920 francs HT correspondant au montant du dépôt de garantie.

La S.C.I. A.B.C. s'est opposée à ces prétentions persistant à soutenir que le congé délivré par simple lettre recommandée était dépourvu de tous effets et elle a sollicité à titre provisionnel le paiement de l'arriéré locatif.

La société O.F.C.I. a fait valoir, en réplique, que l'éventuelle

irrégularité du congé avait été couverte par la société bailleresse dans la mesure où celle-ci lui avait demandé restitution des clefs et elle a invoqué une non conformité des locaux à l'appui de sa demande subsidiaire de résiliation du bail. Elle a également demandé que soit déclarée acquise la clause résolutoire à la suite d'un commandement que lui a fait délivrer la S.C.I. A.B.C., le 14 avril 1994.

Par jugement en date du 23 juin 1995, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la 7ème chambre du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a :

- Validé le congé délivré pour le 31 mars 1994,

- Dit que le bail a pris fin à cette date,

- Condamné la S.C.I. A.B.C. à restituer à la société O.F.C.I. la somme de 63.920 francs correspondant au dépôt de garantie,

- Débouté les parties de leurs autres demandes,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- Et condamné la S.C.I. A.B.C. à payer à la société O.F.C.I. la somme de 15.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

*

Appelante de cette décision, la S.C.I. A.B.C. reproche au premier juge d'avoir fait une analyse erronée des éléments de la cause et des règles de droit applicables en la matière en retenant d'une part, que la société O.F.C.I. pouvait valablement délivrer son congé par simple lettre recommandée et d'autre part, qu'elle même avait implicitement, mais nécessairement, accepté le congé en réclamant le 17 janvier 1994 les clefs à la société locataire pour faire visiter les lieux.

Elle soutient au contraire, comme elle l'avait fait en première instance et en s'appuyant sur une jurisprudence selon elle constante, que, quelles qu'aient été les dispositions du bail, le congé devait

nécessairement lui être délivré par acte extra-judiciaire comme l'imposent les dispositions combinées des articles 3-1 et 5 du décret du 30 septembre 1953. Elle ajoute que le seul fait qu'elle ait demandé les clefs pour s'assurer des intentions réelles du locataire, ne peut valoir acceptation d'un congé dont elle a toujours entendu contester la régularité. Elle déduit de là que le bail est toujours en vigueur et qu'elle est fondée à réclamer "la somme de 2.096.100,40 francs sauf à parfaire pour la période comprise entre le 01 avril 1991 jusqu'au 31 mars 1997, et ce, avec intérêts de droit à compter de chaque échéance trimestrielle".

A titre subsidiaire, et pour le cas où la Cour estimerait le congé valable, elle demande que la société O.F.C.I. soit condamnée à lui payer la somme de 1.048.058,24 francs "à titre d'arriéré de loyer pour la période comprise entre le 1er avril 1991 et le 31 mars 1994, et ce, avec intérêts de droit à compter du 31 mars 1994". Elle réclame également, pour la première fois en cause d'appel, la somme de 124.798,09 francs au titre des réparations locatives, ladite somme devant être actualisée sur l'indice I.N.S.E.E. du coût de la construction, ou, subsidiairement, la désignation d'un expert de ce chef. Elle sollicite aussi la somme de 2.000 francs en remboursement de frais et honoraires d'huissiers qu'elle a été contrainte d'exposer, ainsi qu'une indemnité de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*

La société O.F.C.I. s'oppose à l'argumentation adverse et conclut à la confirmation du jugement déféré par adoption de motifs, faisant valoir que, comme l'a justement retenu le premier juge, l'article 3-1 du décret du 30 septembre 1953, dans sa rédaction actuelle, permet de

déroger aux exigences de forme posées par l'article 5 du même décret et qu'en tout état de cause, la nullité éventuelle que pourrait encourir le congé a été couverte par la demande de remise des clefs émanant du bailleur.

Subsidiairement et pour le cas où la Cour ne suivrait pas cette argumentation, elle lui demande de déclarer acquise la clause résolutoire à compter du 14 mai 1994 en exécution du commandement qui lui a été délivré le 14 avril 1994. Enfin, elle réclame une indemnité complémentaire de 15.000 francs en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour. MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la validité du congé

Considérant que la faculté offerte au preneur de se libérer de son bail avant l'échéance conventionnelle de 9 ans est enfermée dans les dispositions d'ordre public, exclusives de toutes autres, de l'article 3-1 alinéa 2 du 30 septembre 1953 qui dispose dans sa rédaction actuelle que, à défaut de dispositions contraires, le preneur aura la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale dans les formes et délai de l'article 5, lequel prévoit que le congé doit être impérativement donné par acte extra-judiciaire ; qu'il suit de là que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge et à ce que soutient l'intimée, les parties ne peuvent déroger à cette exigence et que le congé, donné par le locataire par lettre recommandée avec accusé de réception comme dans le cas d'espèce, doit être tenu pour nul ; que, s'agissant d'une nullité affectant la validité même de l'acte, le bailleur peut s'en prévaloir même si le bail ouvrait à la société locataire, la faculté de donner congé par simple lettre recommandée avec accusé de réception, sauf la possibilité réservée au locataire dans cette hypothèse, de se retourner contre le rédacteur d'acte, tenu de veiller à la sécurité juridique de la convention que les parties lui ont demandé d'établir.

Considérant toutefois que le congé peut retrouver sa pleine et entière efficacité lorsque le bailleur, destinataire de l'acte irrégulier, a manifesté, par un acte positif quelconque et dépourvu d'équivoque, la volonté de renoncer à se prévaloir de la nullité affectant cet acte.

Or considérant qu'en l'espèce, il résulte des pièces produites que, le 17 janvier 1994, la société bailleresse a écrit à la société O.F.C.I en ces termes :

"Nous avons besoin de faire visiter les locaux mercredi 19 janvier 1994 après-midi.

" Merci d'avance de bien vouloir nous faire parvenir les clefs".

Que cette demande traduit de manière claire et non équivoque la volonté de la bailleresse de renoncer à se prévaloir du vice affectant le congé qui lui avait été adressé le 23 septembre 1993 ; qu'en effet, il se déduit des termes mêmes employés dans le courrier susvisé que, d'une part et contrairement à ce qu'elle prétend, la société A.B.C. avait été informée de ce que la société O.F.C.I. n'occupait plus les lieux loués sans quoi elle n'aurait pas réclamé la restitution des clefs et, d'autre part, que s'il s'était agi de vérifier, comme il est soutenu, l'état des locaux, l'autre partie aurait été nécessairement invitée à participer à cette mesure ; qu'il en résulte que la société bailleresse ne peut invoquer tardivement de la nullité du congé alors qu'elle avait demandé la restitution des clefs pour faire visiter les locaux, ce qui supposait nécessairement qu'elle avait reçu des propositions de relocation auxquelles elle entendait donner suite et, par voie de conséquence, qu'elle avait renoncé à se prévaloir de la nullité affectant le congé ; que, du reste, s'il en avait été autrement, le courrier du 17 janvier 1994,

émanant d'une professionnelle de l'immobilier qui ne pouvait se méprendre sur l'étendue de ses droits, aurait comporté des réserves sur la validité du congé reçu par elle plusieurs mois auparavant .

Considérant que, dans ces conditions, la nullité affectant le congé ayant été couverte par le bailleur, le jugement dont appel sera confirmé, mais pour l'essentiel par substitution de motifs, en ce qu'il a dit que le congé délivré le 23 septembre 1993 avait valablement mis fin au bail pour le 31 mars 1994.

- Sur les autres demandes

Considérant que nonobstant les demandes manifestement erronées faites par la société A.B.C., il apparaît des pièces des débats que la société O.F.C.I. était à jour de ses loyers et charges au 31 mars 1994, date d'effet du congé ; qu'il suffit au demeurant pour s'en convaincre de se référer au commandement délivré à la société locataire le 14 avril 1994, lequel ne visait que les loyers et charges impayés du 1er avril 1994 au 30 juin 1994 ; que la société appelante sera en conséquence déboutée des demandes qu'elle forme au titre d'un arriéré de loyer.

Considérant que la société A.B.C. réclame, par ailleurs, paiement de la somme de 124.798,09 francs au titre des travaux de remise en état. Mais considérant que cette demande nouvelle n'a été formée qu'à quelques semaines de l'ordonnance de clôture, de sorte que la société O.F.C.I. n'a été mise en mesure d'y répondre ; qu'elle repose sur un constat établi unilatéralement par la société bailleresse ; que, de surcroît, elle n'a pas été soumise au double degré de juridiction ; qu'elle sera, en conséquence, déclarée irrecevable par application de l'article 564 du Nouveau Code de Procédure Civile de même que celle relative aux frais d'huissier exposés aux fins de constat.

Considérant en revanche que la S.C.I. A.B.C. a vocation à retenir le

dépôt de garantie, comme le permet le bail, aussi longtemps que n'aura pas été apurée définitivement la question des réparations locatives soumise tardivement à l'examen de la Cour ; que le jugement dont appel sera infirmé de ce chef.

Considérant enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société O.F.C.I. les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour, que la S.C.I. A.B.C. sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens. PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit la S.C.I. A.B.C. en son appel, mais le dit mal fondé,

- Confirme, mais par substitution de motifs, le jugement déféré en ce qu'il a dit que le congé délivré le 23 septembre 1993 pour le 31 mars 1994 par la société O.F.C.I SARL, avait mis fin valablement au bail, - Constate que la société O.F.C.I. SARL était à jour de ses loyers et charges à la date du 31 mars 1994 et rejette en conséquence la demande en paiement formée de ce chef par la société appelante,

- Déclare irrecevable, comme nouvelle, la demande en paiement formée pour la première fois devant la Cour par la S.C.I. A.B.C. au titre des réparations locatives et du remboursement des frais de constat qui en découlent,

- Dit en revanche la société A.B.C. fondée à conserver le dépôt de garantie, conformément aux clauses et conditions du bail, aussi longtemps que n'aura pas été réglée la question des réparations locatives et infirme la décision entreprise de ce seul chef,

- Condamne la S.C.I. A.B.C. à payer à la société O.F.C.I SARL une indemnité complémentaire de 10.000 francs en application de l'article

700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle déjà accordée au même titre en première instance à la société locataire,

- Condamne enfin la S.C.I. A.B.C. aux entiers dépens et autorise Maître Y..., Avoué, à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

F. X...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-8968
Date de la décision : 30/10/1997

Analyses

BAIL COMMERCIAL - Congé - Forme - Acte extrajudiciaire - Inobservation - Nullité

Il résulte des dispositions d'ordre public de l'article 3-1 du décret du 30 septembre 1953 que le bénéficiaire d'un bail conclu pour neuf années a, sauf convention contraire, la faculté de s'en libérer à l'expiration de chacune des périodes triennales, sous réserve de donner congé dans les formes et délai de l'article 5 du décret précité, c'est-à-dire impérativement par acte extrajudiciaire et au moins six mois à l'avance. Ainsi, lorsqu'un locataire donne congé par l'envoi d'une simple lettre recommandée avec accusé de réception, son congé est nul, quand bien même le bail aurait ouvert cette possibilité au preneur. Toutefois, ce congé est opposable au bailleur si ce dernier a manifesté par un acte positif quelconque, mais dépourvu d'équivoque, sa volonté de renoncer à se prévaloir de la nullité du congé. Tel est le cas d'un bailleur qui demande à son locataire la restitution des clefs pour faire visiter les lieux


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-10-30;1995.8968 ?
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