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16/10/1997 | FRANCE | N°1995-6259

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16 octobre 1997, 1995-6259


Dans le cadre des colloques dits "Les entretiens de Bichat", la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE a élaboré, en préparation des tables rondes se déroulant du lundi 27 septembre au 1er octobre 1993, un ouvrage composé de 3 volumes et comprenant des articles des différents intervenants au colloque ; elle l'a publié sous son nom en août 1993 avec interdiction apparente de "tous droits, de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays".

La société E.T.M. édite un journal intitulé "SYNTHESE MEDICALE" : la publication en est he

bdomadaire et des numéros hors série ont été partiellement consacrés en...

Dans le cadre des colloques dits "Les entretiens de Bichat", la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE a élaboré, en préparation des tables rondes se déroulant du lundi 27 septembre au 1er octobre 1993, un ouvrage composé de 3 volumes et comprenant des articles des différents intervenants au colloque ; elle l'a publié sous son nom en août 1993 avec interdiction apparente de "tous droits, de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays".

La société E.T.M. édite un journal intitulé "SYNTHESE MEDICALE" : la publication en est hebdomadaire et des numéros hors série ont été partiellement consacrés en entretiens de Bichat, repérés 1, 2, 3, 4 et 5 : ces cinq éditions supplémentaires ont été distribuées gratuitement aux accès du colloque, en concordance avec les conférences qui y était programmées.

Estimant que le contenu de ces numéros hors série reproduisaient des passages entiers de l'ouvrage diffusé par elle, sans qu'aucune autorisation n'ait été donnée, la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE s'est estimée victime de contrefaçon.

C'est dans ces circonstances que, par acte en date du 31 mars 1994, elle a attrait la société E.T.M. devant le tribunal de commerce de NANTERRE et lui a demandé :

- de dire que les numéros hors série de la SYNTHESE MEDICALE publiés par la société E.T.M. à l'occasion de la session des Entretiens de Bichat constituaient des contrefaçons,

- de condamner la société E.T.M. à lui payer la somme de 250.000 francs de dommages et intérêts,

- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux à son choix, aux frais de la société E.T.M.,

- et de condamner la société E.T.M. à lui payer la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions en date du 27 septembre 1994, la société E.T.M. a demandé au tribunal de débouter la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de sa demande, la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE exposait que la société E.T.M. s'était livrée à un exercice de plagiat, en reprenant des citations totales en provenance de l'ouvrage d'EXPANSION sans y faire aucune référence.

Que la société E.T.M. ne disposait d'aucune autorisation pour plagier les articles parus dans l'ouvrage de la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE ; que d'ailleurs tout contrôle a priori eût été impossible, la diffusion des numéros hors série SYNTHESE MEDICALE édités par la société E.T.M. étant effectuée le jour même où avaient lieu les entretiens, et aux portes d'accès du colloque.

Que la loi n'exige nullement la production d'un contrat d'auteur pour reconnaître le caractère d'oeuvre créé à l'initiative d'une personne morale qui en détient la propriété et se trouve donc de ce fait investie des droits de l'auteur.

Que par acte de contrefaçon, elle s'était trouvée limitée dans la vente de ses volumes Entretiens de Bichat, alors même que la société E.T.M. qui comportait d'abondantes publicités avait bénéficié d'importantes retombées.

La société E.T.M. répliquait :

- Que la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE l'avait dûment autorisée à publier des articles à partir des interventions et qu'il ne s'agissait nullement de plagiat puisque les numéros de SYNTHESE MEDICALE citait le nom des auteurs des articles parus dans l'ouvrage de la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE.

- Que les résumés effectués le sont d'après les interventions des médecins qui doivent intervenir le jour de la distribution de SYNTHESE MEDICALE et que lesdits résumés sont établis par des médecins pigistes rémunérés à cet effet.

- Que la procédure à son encontre était manifestement excessive, la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE ne rapportant la preuve d'aucun préjudice subi, et se contentant de manifester ses exigences plus de 6 mois après que se soient déroulés les Entretiens de Bichat. - Que l'ouvrage revendiqué par la société EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE n'était nullement une oeuvre collective, en l'absence de tout contrat d'auteur et d'ailleurs de toute autorisation des médecins intervenants pour procéder à la publication de leurs interventions.

Par le jugement déféré, en date du 9 mai 1995, le tribunal de commerce de NANTERRE a débouté la société E.S.F. de ses demandes et dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté contre cette décision, la société E.S.F. fait valoir, tout d'abord, que le volume par elle publié comprenait des articles rédigés par les différents intervenants aux Entretiens de Bichat et qu'il s'agit d'une oeuvre collective au sens de l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, à la réalisation de laquelle elle a contribué. En conséquence, elle estime être recevable en son appel. Elle considère qu'au demeurant ce caractère d'oeuvre collective résulte des propres contradictions de la société E.T.M.

Elle précise que le nom de l'EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE n'étant pas mentionné dans les articles de la société E.T.M., cette société a méconnu l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

Par ailleurs, s'il est exact qu'elle a donné la possibilité de rendre compte des communications, la société E.T.M. n'était nullement autorisée à reproduire des paragraphes entiers des allocutions. Dès lors, de telles reproductions sont fautives et méconnaissent l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle. la société E.T.M. a d'autant plus commis une faute qu'elle a distribué les exemplaires afférents aux communications le matin même du jour où elles devaient avoir lieu.

Enfin, la société E.S.F. considère qu'en agissant comme elle l'a fait, et en distribuant le journal "synthèse médicale" non seulement à l'intérieur de l'enceinte dans laquelle se déroulaient les Entretiens de Bichat, mais aussi à l'extérieur de celle-ci, la société E.T.M. a commis à son encontre des agissements parasitaires, dès lors que, concurrente directe de la société E.S.F., elle a tiré profit de la renommée des Entretiens de Bichat.

Compte tenu en particulier de la mévente des volumes qu'elle a publiés, consécutive aux agissements de la société E.T.M., la société E.S.F. demande à la cour de condamner la société E.T.M. à lui payer une provision de 300.000 francs, d'ordonner une expertise et la publication de la décision de condamnation et de condamner la société E.T.M. à lui payer 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société E.T.S. souligne que la société E.S.F. lui a demandé en 1993 et 1994 comme les autres années d'effectuer des compte rendus, articles et reportages sur les Entretiens de Bichat. Elle précise que, dans les compte rendus effectués, le nom des intervenants est toujours cité. La société E.T.M., qui estime que les Entretiens de Bichat ne constituent pas une oeuvre collective, mais seulement le rassemblement de différentes interventions faites par des praticiens participant aux Entretiens, souligne que les ouvrages qui en sont tirés par la société E.S.F. ne sont pas commercialisés en dehors des participants aux Entretiens.

Sur le grief d'agissements parasitaires, elle fait valoir que les articles qu'elle a publiés, en prenant pour base les communications et tables rondes, ont été rédigés par des journalistes et font tous référence aux auteurs des communications. D'autres articles sont des entretiens menés avec certains des intervenants. Elle précise que les diffusions de ces interventions ne sont faites qu'avec l'accord de la société E.S.F. qui lui adresse les communications trois mois avant la date des Entretiens de Bichat sans la moindre restriction autre que celle de respecter un "embargo" jusqu'à la date des communications.

La société E.T.M. expose, par ailleurs que, s'agissant de communications scientifiques, il est indispensable, pour en rendre fidèlement compte, de rester proche du texte. Enfin, elle souligne que les ouvrages édités par la société E.S.F. ne sont pas commercialisés mais remis aux participants aux Entretiens de Bichat et inclus dans le prix de l'inscription.

Elle demande confirmation du jugement et condamnation de la société E.S.F. à lui payer 50.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Attendu que la qualification juridique d'une oeuvre comme oeuvre collective ne saurait résulter des éventuelles contradictions contenues dans l'argumentation de la partie qui dénie cette qualification, mais seulement de la nature de l'oeuvre, telle qu'il appartient au juge de la déterminer ;

Attendu que selon l'article L.113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ; que selon l'article L.113-5 du même code, dont la société E.S.F. se prévaut, cette oeuvre est la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée ;

Attendu que nonobstant l'absence de contrats écrits conclus avec les divers intervenants aux Entretiens de Bichat, il est indéniable que la société E.S.F. est à l'initiative de ces journées scientifiques ; Attendu que les différents intervenants, s'ils exposent leurs points de vue sur le thème déterminé sous l'égide de la société E.S.F. auquel sont consacrés les travaux, n'en demeurent pas moins entièrement libres de le forme et du contenu de celui-ci ; que ces interventions sont rigoureusement individualisées et que leur valeur scientifique est largement conditionnée par la personnalité de leur auteur ;

Attendu dès lors que les communications scientifiques des notabilités médicales participant aux Entretiens de Bichat, toujours individualisées et identifiées, que ce soit lors des Entretiens ou dans la publication qui en est faite, ne se fondant pas dans l'ensemble sans qu'il soit possible d'attribuer à chacune d'elles un droit distinct sur celui-ci, l'oeuvre réalisée n'est pas une oeuvre collective;

Attendu qu'il résulte des éléments de fait qui viennent d'être exposés que la société E.S.F. ne peut prétendre se prévaloir des dispositions de l'article L.113-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que si la société E.S.F. ne saurait prétendre à une propriété intellectuelle sur les communications individuelles prétendument plagiées, elle peut cependant se prévaloir d'agissements parasitaires qui pourraient avoir été exercés à son détriment à l'occasion de l'événement scientifique et médical que constituent les Entretiens de Bichat, indépendamment de la reprise, au mépris allégué des droits des intervenants, de partie des intervention de ceux-ci ;

Attendu cependant que la société E.S.F., qui n'allègue pas d'autres agissements parasitaires que ceux qui consisteraient en un plagiat de communications a, au surplus, non seulement accepté mais suscité l'utilisation, notamment par la société E.T.M., de l'événement que constituent les Entretiens de Bichat sous la condition, dont aucun élément versé aux débats ne démontre qu'elle n'aurait pas été respectée, que la divulgation du contenu des communications et tables-rondes ne serait effectuée que le jour où elles interviendraient;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de la société E.S.F., sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, dans les termes du dispositif ; PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

- Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile et statuant plus avant,

- Condamne la société "E.S.F." EXPANSION SCIENTIFIQUE FRANCAISE SA à payer aux EDITIONS TECHNIQUES ET MEDICALES "E.T.M." SARL la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- La condamne aux dépens,

- Admet Maître X... au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-6259
Date de la décision : 16/10/1997

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Oeuvre de l'esprit - Oeuvre collective - Définition

La réunion et la divulgation dans un ouvrage des contributions des intervenants à un colloque scientifique ne confère, en application de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle, à l'éditeur initiateur du colloque la propriété d'une oeuvre collective qu'autant que l'existence de celle-ci est caractérisée au sens de l'article L. 113-2, alinéa 3, du Code précité. Dès lors que le contenu des interventions est totalement libre et que leurs auteurs respectifs sont nominativement cités et individualisés en qualité de membres de la communauté scientifique, la réunion des contributions réalisée par l'éditeur, à défaut pour celles-ci de pouvoir se fondre dans un ensemble rendant impossible la restitution à chacun d'un droit distinct sur l'ensemble réalisé, ne permet pas de déduire l'existence d'une oeuvre collective


Références :

Code de la propriété intellectuelle L113-2, 113-5

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-10-16;1995.6259 ?
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