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09/10/1997 | FRANCE | N°1996-1626

France | France, Cour d'appel de Versailles, 09 octobre 1997, 1996-1626


Selon acte sous seing privé en date du 12 août 1983, Monsieur Pierre X..., qui exerçait l'activité de comptable agréé à DREUX depuis 1960, a consenti à Monsieur Francis Y..., expert-comptable agissant en qualité de fondateur de la société Cabinet X...-Y..., une promesse de présentation de clientèle moyennant une indemnité de un million de francs.

Cette convention était assortie d'un protocole d'accord comportant une clause de non concurrence et une clause de garantie de clientèle. Aucune liste de clients n'y était jointe.

Monsieur Pierre X... est décédé le 0

9 novembre 1983.

Par acte sous seing privé en date du 27 avril 1984, un nouve...

Selon acte sous seing privé en date du 12 août 1983, Monsieur Pierre X..., qui exerçait l'activité de comptable agréé à DREUX depuis 1960, a consenti à Monsieur Francis Y..., expert-comptable agissant en qualité de fondateur de la société Cabinet X...-Y..., une promesse de présentation de clientèle moyennant une indemnité de un million de francs.

Cette convention était assortie d'un protocole d'accord comportant une clause de non concurrence et une clause de garantie de clientèle. Aucune liste de clients n'y était jointe.

Monsieur Pierre X... est décédé le 09 novembre 1983.

Par acte sous seing privé en date du 27 avril 1984, un nouvel acte de présentation de clientèle a été signé entre Monsieur Y... et les héritiers de Monsieur X..., à savoir Madame X... et son fils Monsieur Z....

Cette nouvelle convention, se substituant à la précédente, prévoyait une clause de garantie couvrant la perte de clients avant le 30 septembre 1985 pour une cause autre que la faute ou la négligence commise par le Cabinet X...-Y... ou une augmentation de ses honoraires dépassant les normes professionnelles habituelles.

L'acte précisait, en outre, que le prix conventionnellement arrêté (1.125.000 francs) serait diminué, pour chacun des clients partis pour une cause autre que les motifs susindiqués, d'une somme égale à 50 % des honoraires versés par lesdits clients au Cabinet de Monsieur Pierre X... au cours de l'année 1982, prise comme exercice de référence.

Une liste de dossiers "clients transmis" existant à la date de la convention était également jointe à l'acte de cession.

Monsieur Y..., qui avait continué à assumer la direction du Cabinet de Monsieur Pierre X..., après le décès de celui-ci, a procédé le

20 décembre 1983, au licenciement pour faute grave de Monsieur BAYET, collaborateur depuis de nombreuses années de Monsieur X....

Monsieur BAYET a été par la suite embauché par la société d'expertise comptable AUDIT BILANS CONSEILS (A.B.C.) pour assurer la direction de son bureau secondaire de DREUX, et un certain nombre de clients cédés du Cabinet X... ont suivi Monsieur BAYET.

La société X...-Y..., s'estimant victime d'actes de concurrence déloyale, a assigné la société A.B.C. et Monsieur BAYET devant le Tribunal de Commerce de CHARTRES.

*

Par jugement en date du 22 janvier 1985, confirmé par arrêt de cette Cour d'Appel en date du 1er octobre 1986, le tribunal a dit que ni la société A.B.C., ni Monsieur BAYET n'avaient commis un détournement de clientèle et le pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la Cour d'Appel de VERSAILLES a été rejeté.

Une décision identique a été prise par l'Ordre National des Experts Comptables qui avait également été saisi du litige.

En suite de cette procédure, Monsieur A..., agissant en qualité de gérant de la SA A.B.C., a adressé le 30 septembre 1991, à Madame Veuve X..., un courrier à en-tête de ladite société, contenant une proposition de dédommagement à hauteur de 210.000 francs, et ce, en compensation du départ de certains clients du Cabinet X... vers A.B.C..

A ce courrier était jointe une liste d'anciens clients du Cabinet X... ayant quitté ledit Cabinet pour suivre Monsieur BAYET chez A.B.C.

Le 05 octobre 1991, Madame X... a retourné à Monsieur A... le courrier précité avec les mentions manuscrites suivantes :

"Lu et approuvé, bon pour accord, Vernouillet le 05 octobre 1991, Madame X..."

Ledit courrier comportait, en outre, la mention suivante :

" Si Monsieur AMPE est d'accord, pas de problèmes"

[*

La SARL A.B.C., transformée par la suite en société anonyme, a refusé de reprendre à son compte l'engagement pris par son ancien gérant Monsieur A..., lequel, à une date voisine, a cédé les parts qu'il détenait dans la société A.B.C.

C'est dans ces conditions que Madame X... a, sur la base du document susvisé, saisi le Tribunal de Commerce de DREUX d'une action en paiement à laquelle s'est joint Monsieur Jean-Claude Z....

Par jugement en date du 28 septembre 1995, le tribunal faisant droit à la demande, a condamné la société A.B.C. à payer à Madame Veuve X... la somme de 210.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 1991, autorisé la capitalisation des intérêts et alloué à Madame X... une indemnité de 2.500 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*]

Appelante de cette décision, la société A.B.C. lui fait grief d'avoir mal apprécié les éléments de la cause. Elle fait tout d'abord valoir que l'engagement pris par son ancien gérant est dépourvu de cause, dès lors que Madame X... n'établit qu'elle n'a pas été totalement réglée du prix de la cession et qu'il a été définitivement jugé qu'elle-même n'a commis aucun détournement de clientèle.

Elle ajoute que quand bien même la Cour estimerait l'engagement causé, l'acte litigieux s'analyse en une convention passée entre une

société et l'un de ses associés (étant précisé que Madame X... détenait 38 parts de la société A.B.C.) et qu'en tant que telle, ladite convention est soumise, conformément aux dispositions de l'article 50 de la loi du 24 juillet 1966, à approbation de l'assemblée générale des associés, formalité essentielle qui n'a pas été respectée en l'espèce. Elle déduit de là que ladite convention, conclue par son ancien gérant, Monsieur A..., ne lui est pas opposable. Elle fait valoir, en outre, que la procédure engagée à son encontre par Madame X... a gravement nui à sa réputation professionnelle dans la ville de Dreux et elle demande, en réparation, que soit ordonnée la publication de la décision à intervenir dans trois quotidiens ou revues de son choix, dans la limite de 15.000 francs HT par insertion, les frais étant mis à la charge de ses adversaires. Enfin, elle lui réclame une indemnité de 25.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*

Madame Veuve X... et Monsieur Z... concluent, pour leur part, à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré sauf à se voir allouer la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 20.000 francs en couverture des frais qu'ils ont été contraints d'exposer devant la Cour. En réplique, ils font essentiellement valoir que l'engagement dont ils revendiquent l'exécution est parfaitement causé et que, s'agissant non pas d'une action personnelle de Madame X..., mais d'un acte souscrit pour le compte d'une indivision successorale, l'article 50 de la loi du 24 juillet 1966 n'a pas vocation à s'appliquer. Ils ajoutent, qu'en tout état de cause, la société A.B.C. étant devenue une société anonyme, seul l'article 101 de la

loi précitée a vocation à jouer, et que les dispositions dudit article ne sont pas applicables dès lors que l'engagement litigieux n'est pas soumis à autorisation préalable. Plus subsidiairement, ils invoquent l'enrichissement sans cause dont aurait bénéficié la société A.B.C. du fait de l'apport de clientèle. MOTIFS DE LA DECISION

- Sur l'absence de cause

Considérant que Madame X... et Monsieur Z... fondent leur demande sur un courrier adressé à Madame X..., le 30 septembre 1991 par Monsieur A..., gérant de la société A.B.C., rédigé sur papier à en-tête de ladite société, proposant à Madame X..., à titre transactionnel et confraternel de verser une indemnité forfaitaire de 210.000 francs "pour les clients partis" dont la liste était jointe en annexe ; qu'il ne saurait être contesté que Madame X... a accepté cette proposition transactionnelle d'indemnisation sans aucune réserve puisqu'elle a apposé de sa main en bas du document "lu et approuvé, bon pour accord" étant observé que la mention "si Monsieur AMPE est d'accord" ne saurait s'analyser, comme il est prétendu, en une condition suspensive dudit accord, puisqu'elle est accolée à une phrase précédant la proposition d'arrangement financier sus évoquée et qui visait à mettre un terme à l'ensemble du litige "X.../Y.../A.B .C.", litige qui n'a pas rapport direct avec l'arrangement dont s'agit ainsi qu'il sera vu ci-après ; qu'il ne saurait être davantage contesté que Monsieur Z..., héritier de Monsieur X..., a ratifié sans réserve cette proposition, même s'il ne l'a pas lui-même signée, puisqu'il en poursuit l'exécution au côté de Madame Veuve X... ; qu'il suit de là que l'action repose sur un fondement contractuel, à savoir l'engagement pris par le gérant de la société A.B.C. de payer une somme de 210.000 francs à titre de dédommagement aux ayants cause du Cabinet de feu Monsieur X...,

pour perte d'une partie de la clientèle.

Considérant que, pour tenter d'échapper à l'engagement pris par son gérant, la société A.B.C. soutient que ledit engagement serait dépourvu de cause ; qu'à cet égard, elle fait tout d'abord valoir que Monsieur Z... et Madame Veuve X... ne détiendraient plus aucun droit sur la clientèle du Cabinet X... cédée le 27 avril 1984 au Cabinet Y....

Mais considérant qu'il suffit de se référer aux pièces des débats pour constater qu'une partie de la clientèle a quitté le Cabinet Y... pour suivre Monsieur BAYET avant même la signature de l'acte de cession consenti au Cabinet Y... et que cette clientèle, visée dans la liste jointe à la lettre du 30 septembre 1991, n'est pas reprise dans celle établie lors de l'acte de cession du 27 avril 1984 ; que, de surcroît et contrairement encore à ce qui est prétendu, Madame X... n'a pas été entièrement réglée par le Cabinet Y... du prix de cession des clients partis chez A.B.C. puisque un litige, non encore définitivement tranché, l'oppose toujours audit cabinet ; qu'elle est donc fondée à se prévaloir de l'obligation de garantie souscrite à l'acte du 27 avril 1984 dans les termes précédemment rappelés.

Considérant que l'appelante ne saurait davantage invoquer le fait qu'il a été définitivement jugé qu'elle ne s'était pas rendue coupable d'un détournement de clientèle, l'obligation souscrite se référant expressément, non pas aux conséquences d'un détournement fautif de clientèle, mais à un arrangement transactionnel et confraternel visant à dédommager le Cabinet X... ou plus exactement ses ayants cause de la perte d'une partie de sa clientèle, étant observé que l'appelante a elle-même fixé le montant dudit dédommagement en prenant en compte le bénéfice qu'elle a retiré de cet apport de clientèle ; qu'il suit de là que l'engagement pris par la société A.B.C. doit être tenu pour parfaitement causé.

- Sur l'application des dispositions de l'article 50 de la loi du 24 juillet 1966

Considérant que la société A.B.C. prétend que la convention du 30 septembre 1991 ne produirait aucun effet à son égard, motif pris qu'elle n'aurait pas été approuvée dans les conditions prévues à l'article 50 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu'à cet égard, elle rappelle que Madame X... était son associée lorsque l'engagement qui lui est opposé a été souscrit et en déduit que ledit engagement aurait dû être soumis à l'approbation de l'assemblée générale.

Considérant que Madame X... fait valoir en réplique que l'engagement a été souscrit non pas à son profit personnel mais au profit de l'indivision successorale constitué d'elle-même et de Monsieur Z..., laquelle indivision ne peut être qualifiée d'associée au sens de l'article 50.

Mais considérant qu'une indivision successorale est dépourvue de personnalité morale et n'a d'existence qu'en fonction des personnes physiques qui la composent ; qu'il doit en être tiré pour conséquence que la convention, dès lors qu'elle a été approuvée par Madame Veuve X..., associée de la société A.B.C., agissant tant pour son compte personnel que par interposition pour le compte de Monsieur Z..., entre bien dans le champ d'application de l'article 50, étant observé que la transformation en société anonyme de la SARL A.B.C. n'est intervenue que par décision de l'assemblée générale extraordinaire des associés du 30 décembre 1991 avec effet à compter de cette date, soit postérieurement à l'approbation de la convention et que, contrairement à ce qui est prétendu par Madame X..., les règles régissant les sociétés anonymes sont inapplicables en l'espèce.

Considérant toutefois que le 4ème alinéa de l'article 50 prévoit que les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant et s'il y a lieu, pour l'associé contractant,

de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société .

Or considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, la convention n'est en rien préjudiciable à la société A.B.C. puisqu'elle a pour objet d'indemniser à titre confraternel Madame X... des conséquences du départ d'un certain nombre de clients qui ont bénéficié directement à ladite société ; que cela est d'autant moins contestable que cet apport de clientèle a été valorisé par le gérant de la société A.B.C. à 50 % de la "valeur du dommage à titre confraternel sur clients partis" dans l'engagement du 30 septembre 1991 et porté par la société A.B.C. elle-même à son bilan pour l'exercice considéré au poste "dettes diverses, charges à payer" sans autres réserves ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la société A.B.C. à payer la somme de 210.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 1991 et ordonné la capitalisation des intérêts dus au moins depuis une année entière conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil, sauf à dire que la condamnation sera prononcée au profit de Madame X... et de Monsieur Z..., co-héritier intervenant régulièrement en la cause, et non au seul profit de Madame Veuve X....

- Sur les autres demandes

Considérant que les intimés ne rapportant pas la preuve que la résistance que leur a opposée la société A.B.C. aurait dégénéré en abus de droit ; qu'ils seront déboutés de la demande en dommages et intérêts qu'ils forment de ce chef.

Considérant, en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais qu'ils ont été contraint d'exposer devant la Cour ; que la société A.B.C. sera condamnée à leur payer une indemnité complémentaire de 10.000 francs en application de l'article 700 du

Nouveau Code de Procédure Civile.

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe dans l'exercice de son recours, supportera les entiers dépens. PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- Reçoit la société AUDIT BILANS CONSEILS "A.B.C." SA en son appel, mais le dit mal fondé et l'en déboute,

- Confirme, en conséquence, mais partiellement par substitution et adjonction de motifs, en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf à préciser que les condamnations prononcées en première instance doivent profiter non pas à la seule Madame Hélène GRACIOSA GABRIELLI Veuve X... mais à cette dernière et à Monsieur Jean-Claude Z..., tous deux pris en qualité d'héritiers de Monsieur Pierre X...,

Ajoutant au jugement,

- Rejette la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Madame Hélène GRACIOSA GABRIELLI Veuve X... et Monsieur Jean-Claude Z...,

- Condamne toutefois la société AUDIT BILANS CONSEILS "A.B.C." SA à payer à ces derniers une indemnité complémentaire de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle déjà allouée au même titre en première instance,

- Condamne également l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'Avoués GAS à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-1626
Date de la décision : 09/10/1997

Analyses

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES - Cause - Existence

L'acceptation écrite, par le bénéficiaire, d'une proposition d'indemnisation, formée à titre transactionnel et confraternel pour perte de clientèle, a valeur de contrat.Cette convention a sa cause dans la perte de clientèle dont le bénéficiaire rapporte la preuve de l'effectivité


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-10-09;1996.1626 ?
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