Selon commande en date du 28 juillet 1993, la SA de Papeterie AUSSEDAT REY a confié à la SA ETABLISSEMENTS NICRE, la rectification de deux rouleaux de presse de 2 et 20 tonnes.
Après l'exécution de cette prestation, la SARL TRANSPORTS LALOI, mandatée à cette fin par la société AUSSEDAT REY, a repris le 19 août 1993 ces équipements dans les ateliers de la société NICRE situés en Isère pour les acheminer dans les locaux de cette dernière en Haute Vienne.
Au cours du trajet, le véhicule de la société LALOI a été accidenté et le matériel transporté a été endommagé.
La société AUSSEDAT REY a alors assigné les sociétés LALOI et NICRE devant le Tribunal de Commerce de VERSAILLES en réparation solidaire de son préjudice et la seconde a appelé en garantie son assureur, la Compagnie WINTERTHUR.
La Compagnie AXA ASSURANCES SA, assureur du véhicule de la société LALOI, est intervenue volontairement à l'instance pour exercer une action récursoire à l'encontre de la société NICRE en remboursement des indemnités versées à son assurée et à un tiers victime de l'accident.
Par jugement du 07 juillet 1995, cette juridiction a condamné la société TRANSPORTS LALOI à payer à la société AUSSEDAT REY la somme de 260.597,24 francs majorée des intérêts légaux depuis le 02 août 1994, rejeté les demandes de la société AUSSEDAT REY au titre du préjudice commercial et en dommages et intérêts, débouté les sociétés AXA et WINTERTHUR de toutes leurs prétentions et la société NICRE de celles dirigées à l'encontre de son assureur, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, condamné la société TRANSPORTS LALOI à verser une indemnité de 5.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile aux sociétés AUSSEDAT REY et NICRE ainsi qu'aux dépens.
Les sociétés TRANSPORTS LALOI et AXA ont relevé appel de cette décision.
La société TRANSPORTS LALOI soutient que l'accident trouve son origine dans une erreur de chargement qu'il ne lui appartenait pas d'effectuer au regard de l'article 7.1 du contrat type général applicable à défaut de convention écrite contraire et auquel il a été procédé non pas par son chauffeur qui ne l'a nullement reconnu, mais par la société NICRE qui l'a admis tout comme la société AUSSEDAT REY.
Elle en déduit que la faute de l'expéditeur est de nature à l'exonérer de sa responsabilité, en faisant état du respect par son préposé de ses obligations de contrôle du chargement, de l'inexistence d'erreur de conduite de sa part et du caractère non apparent de la défectuosité du chargement.
Elle estime que la Cour ne pourrait, en tout cas, retenir son entière responsabilité au simple motif de l'absence de réserves lors de la prise en charge du matériel.
Elle conteste, en toute hypothèse, le montant du préjudice matériel réclamé par la société AUSSEDAT REY en se référant au rapport d'expertise de Monsieur X... et dénie tout autre chef de préjudice. Elle souligne enfin que la société NICRE n'avait pas formulé de demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à son encontre devant le Tribunal.
Elle sollicite, en conséquence, par voie d'infirmation totale du jugement déféré, sa mise hors de cause, subsidiairement, la limitation de sa responsabilité à un quart et l'évaluation du préjudice de la société AUSSEDAT REY non supérieure aux sommes de 10.400 francs français HT et de 32.447 DM pour respectivement les cylindres R 13 et K 26.
Elle réclame, en outre, une indemnité de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société AXA se prévaut de la décision de relaxe prononcée le 1er février 1994 par le Tribunal de Police de Villeurbanne à l'égard du chauffeur de la société TRANSPORTS LALOI, en l'absence de toute autre faute commise selon elle par ce dernier ainsi que des termes du courrier adressé en Mars 94 par la société AUSSEDAT REY imputant la responsabilité du sinistre à la société NICRE pour considérer que le tribunal a retenu à tort la seule responsabilité du transporteur.
Elle demande donc à la Cour de déclarer la société ETABLISSEMENTS NICRE responsable des conséquences dommageables de l'accident du 19 août 1993 et de la condamner à lui verser la somme de 260.367,48 francs en restitution des indemnités réglées à son assurée et à Monsieur Y..., outre les intérêts de droit à compter de son intervention du 05 décembre 1994, et une indemnité de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société AUSSEDAT REY conclut à la confirmation du jugement entrepris du chef des condamnations prononcées à l'encontre de la société LALOI mais forme appel incident pour voir déclarer la société ETABLISSEMENTS NICRE également responsable et condamnée solidairement avec le transporteur à lui verser la somme de 260.597,24 francs, outre celles de 50.000 francs et de 20.000 francs de dommages et intérêts pour préjudice commercial et pertes de temps et tracas administratifs ainsi qu'une indemnité de 10.000 francs pour frais irrépétibles.
Elle fait valoir que le transporteur ne s'exonère pas, en l'espèce, de la présomption de responsabilité mise à sa charge en vertu de l'article 103 du Code de Commerce dès lors que son chauffeur a déclaré avoir procédé au chargement et qu'en tout cas, la disparité des charges entre les rouleaux, dont les poids figuraient sur la
feuille de route, était parfaitement apparente.
Elle ajoute que la société NICRE n'est pas étrangère au contrat de transport eu égard à sa qualité, en la cause, de donneur d'ordre.
La société NICRE sollicite la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a condamné la société TRANSPORTS LALOI à réparer les conséquences dommageables de l'accident et l'a mise hors de cause et subsidiairement la garantie intégrale de son assureur la Compagnie WINTERTHUR et une indemnité de 30.000 francs à son encontre pour refus de garantie.
Elle réclame aussi une indemnité de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle oppose que la société AUSSEDAT REY a agi en tant qu'expéditeur et destinataire sans la mandater dans les premières fonctions et que la société TRANSPORTS LALOI, responsable opérationnel du chargement qui n'a émis aucune réserve, est responsable au premier chef sans que sa propre responsabilité ne puisse être recherchée à aucun titre.
Elle s'estime, en toute hypothèse, couverte par les "garanties responsabilité civile exploitation" et protection juridique de sa police d'assurance.
La Compagnie WINTERTHUR se prévaut de l'exclusion stipulée à l'article 7, 3° paragraphe des conditions particulières du contrat souscrit par la société ETABLISSEMENTS NICRE pour dénier devoir une quelconque garantie à cette société.
Elle demande sa mise hors de cause et une indemnité de 7.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mars 1997.
MOTIFS DE L'ARRET :
* Sur les qualités respectives des parties
Considérant qu'aux termes de la commande passée le 28 juillet 1993 entre les sociétés AUSSEDAT REY et ETABLISSEMENTS NICRE, cette dernière s'est vue exclusivement confier la rectification de deux presses appartenant à la société de papeterie, laquelle a expressément spécifié qu'il serait procédé à leur "départ usine" et à leur "enlèvement par ses soins".
Que le bordereau d'expédition à l'aller du matériel dressé le 12 août 1993 par la société AUSSEDAT REY confirme le motif unique de l'envoi ayant trait à la réparation des pièces concernées et donne pour seule instruction à la société NICRE à cet égard de "prévenir notre société de transport un jour avant la fin des travaux pour enlèvement".
Considérant que le fait que la société ETABLISSEMENTS NICRE soit mentionnée sur la feuille de route comme expéditeur ne démontre pas qu'elle ait eu cette qualité dès lors qu'elle le dénie formellement et que le document de transport ne comporte pas sa signature, ni son cachet.
Que cette même qualité ne saurait lui être conférée en raison de l'enlèvement des matériels en cause dans ses ateliers où ils se trouvaient nécessairement entreposés pour l'exécution de la prestation de rectification commandée dans la mesure où elle ne peut être attribuée qu'à celui qui conclut en son nom le contrat de transport et traite à cette fin avec le voiturier et où, aucun élément probant n'est produit de nature à l'établir tandis que les pièces versées aux débats démontrent, en revanche, que la société AUSSEDAT REY répond à cette définition, sans qu'il ne soit justifié qu'elle ait confié un quelconque mandat de ce chef à la société DES ETABLISSEMENTS NICRE.
Considérant qu'il suit de là que les relations contractuelles au titre du transport du 19 août 1993 qui sont régies par les stipulations du contrat type général prévu pour les envois de plus de
3 tonnes, applicables en l'espèce à défaut de convention écrite préalable, sont intervenues entre la société AUSSEDAT REY qui cumule les qualités de donneur d'ordre expéditeur et de destinataire et la société TRANSPORTS LALOI en tant que voiturier, tandis que la société DES ETABLISSEMENTS NICRE qui n'a pas été partie à ce contrat de transport ne peut se voir opposer ces dispositions.
* Sur les circonstances de l'accident
Considérant que le 19 août 1993, la société AUSSEDAT REY est venue prendre livraison des deux cylindres rectifiés pesant respectivement 20 tonnes et 2 tonnes dans les ateliers de la société NICRE à PONT DE CLAIX (38) et a demandé à son transporteur, la société LALOI de les acheminer jusqu'à ses locaux situés à SAILLAT (87).
Considérant que les deux cylindres de presse aux longueurs et diamètres de 6150 mm et 641,08 mm d'une part, et 6700 mm et 523 mm d'autre part, après avoir été placées dans des caisses spécifiques comportant des cales intérieures fournies par la société papetière, ont été chargées longitudinalement sur le côté gauche de la semi-remorque de l'ensemble routier qui ont été arrimées entre elles par des sangles et calées.
Considérant que l'ensemble routier de la société des TRANSPORTS LALOI s'est renversé au milieu d'une bretelle de raccordement entre l'autoroute de LYON-GRENOBLE et l'autoroute de contournement Est de LYON constituée par un virage à droite très prononcé et présentant un léger devers et que consécutivement, les deux rouleaux de presse ont été endommagés.
Considérant que poursuivi pour blessures involontaires envers les victimes de cet accident de la circulation et excès de vitesse, le chauffeur de l'ensemble routier a été relaxé par jugement du Tribunal de Police de Villeurbanne, du 1er février 1994 dont le caractère
définitif n'est pas discuté.
* Sur les responsabilités encourues
Considérant qu'en vertu de l'article 103 du Code de Commerce, le voiturier est présumé responsable de toutes les avaries occasionnées aux marchandises transportées et ne peut s'en exonérer qu'en démontrant l'existence d'un vice propre de la marchandise, de la force majeure ou de la faute de l'expéditeur ou du destinataire en relation directe avec le dommage.
Considérant que la société TRANSPORTS LALOI pour s'opposer à l'action exercée sur ce fondement par la société AUSSEDAT REY argue de la faute de l'expéditeur, donneur d'ordre, et cette dernière ayant seule cette qualité, il y a lieu d'examiner leurs obligations réciproques. Considérant qu'aux termes des articles 3-1, 3-2, 6-3 et 7-1 du contrat type, il incombe notamment au donneur d'ordre de fournir au transporteur toutes les indications nécessaires à une bonne exécution du transport, de procurer un conditionnement adapté et d'assurer le chargement, le calage et l'arrimage.
Que le voiturier est quant à lui, selon l'article 7-1 du contrat type, investi envers le donneur d'ordre d'un devoir de renseignement aux fins de respecter les prescriptions du code de la route en matière de sécurité de la circulation et doit s'assurer que le chargement n'est pas de nature à compromettre cette sécurité et si tel n'est pas le cas demander sa réfection ou refuser sa prise en charge ainsi que contrôler le chargement du point de vue de la conservation de la marchandise en formulant des réserves motivées en cas de défectuosité apparente la menaçant.
Considérant que le chauffeur de la société des TRANSPORTS LALOI a été informé de la nature de la marchandise comme du poids respectif et
fort dissemblable de chacun des cylindres comme en font foi les mentions précises de ces caractéristiques spécifiques figurant sur la feuille de route.
Qu'en dépit des différences importantes entre les deux masses de nature, le cas échéant, à constituer une cause de dommage ou de danger sur lequel il ne justifie d'ailleurs pas avoir appelé l'attention du donneur d'ordre avant le commencement du chargement ou lors de sa mise à bord, il a néanmoins consenti à assumer l'acheminement du matériel.
Considérant qu'il appartenait au transporteur par la voie de son préposé de veiller au bon équilibre des masses afin que la stabilité et la tenue de route de l'ensemble routier ne soit pas affectée.
Qu'il a estimé que tel était le cas en l'espèce, puisqu'il ne démontre pas avoir formulé une quelconque observation sur les modalités du chargement quant au positionnement et à la répartition des cylindres sur le semi-remorque.
Qu'il n'a pas davantage jugé utile d'émettre sur le document de transport la moindre réserve au titre d'une éventuelle insuffisance ou défectuosité du chargement, après sa vérification finale avant le départ, bien qu'étant pleinement avisé de ses conditions en sorte qu'il a apprécié, en toute connaissance de cause, qu'il pouvait procéder au transport sans difficultés.
Considérant par ailleurs que tant l'enquête de police que l'expertise de Monsieur Z..., mandaté par l'assureur du voiturier, attestent que le conditionnement des cylindres dans des caisses renforcées par des berceaux métalliques, comme l'arrimage, ne pouvaient être mis en cause.
Que dans ces conditions, l'accident s'est produit parce que le chauffeur n'a pas pris toutes les précautions nécessaires imposées par le chargement en raison de la disparité des charges apparentes et
acceptées pour adapter sa conduite en fonction de la spécificité des marchandises transportées et de l'état comme du profil largement incurvé à droite et en devers de la bretelle qu'il avait choisi d'emprunter.
Considérant que la responsabilité du transporteur demeure donc entière à défaut de démontrer l'existence d'une cause exonératoire.
Qu'en outre, la responsabilité de la société des ETABLISSEMENTS NICRE ne peut être utilement recherchée à aucun titre dès lors que tiers au contrat de transport, elle a procédé en tant que dépositaire de la marchandise à son conditionnement dans les caisses fournies par la société AUSSEDAT REY, lequel n'a pu être à l'origine du dommage.
Considérant que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société TRANSPORTS LALOI, mis hors de cause la société des ETABLISSEMENTS NICRE et débouté par voie de conséquence la Compagnie AXA de son recours subrogatoire dirigé à l'encontre de cette dernière, comme celle-ci de ses demandes subsidiaires formulées contre son assureur, la Compagnie WINTERTHUR. Considérant toutefois, que les prétentions de la société AUSSEDAT REY doivent être appréciées au regard des limitations d'indemnité édictées par l'article 19 du contrat type général applicables de plein droit dès lors qu'il n'est pas allégué, ni établi l'existence d'une faute lourde commise par le transporteur et qu'il n'a pas été mentionné de déclaration de valeur sur le document de transport.
Que cette société, comme la société TRANSPORTS LALOI n'en ayant pas cependant tenu compte dans leurs écritures, il y a lieu de réouvrir les débats aux fins de les inviter à y procéder.
Considérant que la société des ETABLISSEMENTS NICRE ayant effectivement formé une demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, uniquement à l'encontre de la société
AUSSEDAT REY, la condamnation prononcée de ce chef à l'égard de la société TRANSPORTS LALOI doit être réformée.
Considérant, en revanche, qu'il apparaît équitable d'allouer à la société des ETABLISSEMENTS NICRE une indemnité de 10.000 francs sur ce fondement.
Qu'il n'apparaît pas équitable de laisser aux Compagnies AXA et WINTERTHUR la charge de l'intégralité de leurs frais irrépétibles.
Que les demandes formées par les sociétés AUSSEDAT REY et TRANSPORTS LALOI seront réservées ainsi que les dépens jusqu'à la fin de l'instance. PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
- Confirme le jugement déféré en ses dispositions concernant la responsabilité de la SARL TRANSPORTS LALOI, la mise hors de cause de la SA des ETABLISSEMENTS NICRE, le rejet de toutes les prétentions de la COMPAGNIE AXA ASSURANCES SA, de celles de la SA des ETABLISSEMENTS NICRE envers la COMPAGNIE WINTERTHUR ASSURANCES, de l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, hormis en faveur de la SA des ETABLISSEMENTS NICRE ainsi que des dépens,
- Et avant dire droit sur les demandes de la SA AUSSEDAT REY en réparation de ses préjudices,
- Ordonne la réouverture des débats aux fins pour cette société de formuler ses prétentions et à la SARL TRANSPORTS LALOI d'y répondre en tenant compte des limitations d'indemnité stipulées à l'article 19 du contrat type général,
- Renvoie à cette fin l'affaire et ces parties à la mise en état,
- Condamne la SARL TRANSPORTS LALOI à verser à la SA des ETABLISSEMENTS NICRE une indemnité de 10.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- Rejette les prétentions sur ce fondement des COMPAGNIES AXA ASSURANCES et WINTERTHUR ASSURANCES SA,
- Réserve les wdemandes au même titre des SA AUSSEDAT REY et SARL TRANSPORTS LALOI ainsi que les dépens jusqu'en fin d'instance. ARRET PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE
LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL
F. ASSIÉ