COUR D'APPEL DE TOULOUSE
Minute 24/751
N° RG 24/00750 - N° Portalis DBVI-V-B7I-QLPC
O R D O N N A N C E
L'an DEUX MILLE VINGT QUATRE et le 17 Juillet à 14h00
Nous , C.ROUGER, magistrat délégué par ordonnance de la première présidente en date du 03 juillet 2024 pour connaître des recours prévus par les articles L. 743-21 et L.342-12, R.743-10 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu l'ordonnance rendue le 12 juillet 2024 à 17H23 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Toulouse ordonnant le maintien au centre de rétention de :
[F] [X]
né le 15 Mai 2000 à [Localité 3] (TUNISIE)
de nationalité Tunisienne
Vu l'appel formé le 15 juillet 2024 à 16 h 25 par courriel, par Me Constance lucia MAINIER-SCHALL, avocat au barreau de TOULOUSE,
A l'audience publique du 16 juillet 2024 à 11h00, assistée de N.DIABY, greffier, avons entendu :
[F] [X]
assisté de Me Constance lucia MAINIER-SCHALL, avocat au barreau de TOULOUSE
qui a eu la parole en dernier ;
avec le concours de [E] [H], interprète assermenté,
En l'absence du représentant du Ministère public, régulièrement avisé;
En présence de A.LABRUNIE représentant la PREFECTURE DU RHONE ;
avons rendu l'ordonnance suivante :
X se disant [S] [J] né le 15/05/2000 à [Localité 1] (Algérie), de nationalité algérienne, reconnu par les autorités tunisiennes comme étant [F] [X] né le 15 mai 2000 à [Localité 3] (Tunisie), de nationalité tunisienne, fait l'objet sous l'identité de [S] [J] né le 15/02/1999 à [Localité 4] (Tunisie) de nationalité tunisienne, d'un ordre de quitter le territoire français sans délai pris par la préfète du Rhône le 18/02/2024 notifié le même jour à 17h.
Le 10 juillet 2024 la préfète du Rhône a pris à son encontre un arrêté de placement en rétention administrative qui lui a été notifié lors d'une levée d'écrou à la maison d'arrêt de [Localité 5]-[Localité 2] par un officier de police judiciaire le même jour à 8h30 ou 9h05.
Il a ensuite été conduit au centre de rétention de [Localité 6] où il est arrivé à 14h55. La notification de ses droits en matière de demande d'asile lui a été notifiée à son arrivée au centre de rétention via une interprétation téléphonique en langue arabe.
Par requête du 11 juillet 2024 reçue au greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse à 10h14, la préfète du Rhône a sollicité la prolongation de la mesure de rétention administrative pour une durée de 28 jours.
X se disant [S] [J], reconnu par les autorités tunisiennes comme étant [F] [X], a déposé une requête en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative le 12 juillet 2024, réceptionnée par le greffe du juge des libertés et de la détention à 8h43.
Par ordonnance du 12 juillet 2024 à 17h23, le juge des libertés et de la détention, après jonction des requêtes, a déclaré la procédure régulière, rejeté les moyens soulevés au titre de la contestation du placement en rétention, constaté la régularité de la procédure, et ordonné la prolongation de la mesure de rétention administrative de [F] [X] pour une durée de 28 jours.
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 15 juillet 2024 à 16H25, l'avocat du retenu a interjeté appel de cette ordonnance, invoquant l'irrégularité de la procédure de rétention pour défaut de motivation de l'arrêté de placement en rétention administrative, absence de recueil des observations préalables et défaut d'interprète lors de la notification de la décision de placement en rétention et des droits.
A l'audience du 16 juillet 2024 , Me Constance Lucia MAINIER-SCHALL a soutenu oralement les moyens d'appel relevant l'absence d'interprète, l'absence de convocation d'un interprète pour la notification de la mesure de rétention et des droits en rétention, l'absence d'interprète dans le document de demande d'observations délivré le 23/03/2024, les observations n'ayant pas été formulées dans des conditions respectueuses des droits de son client notamment s'agissant de l'évaluation de la vulnérabilité, l'absence d'indication dans l'audition du 4/04 que la présence de l'interprète ait concerné les observations sur la vulnérabilité.
La représentante de la préfecture a sollicité la confirmation de l'ordonnance entreprise, relevant que la notification des droits a été réalisée via l'interprétariat téléphonique, que les observations ont été faites les 23/03 et 4/04, le procès-verbal d'audition étant régulier, que l'intéressé ne dispose pas de passeport, est sans ressources, s'est dit célibataire et sans enfant et qu'ayant été identifié par les autorités tunisiennes un laissez-passer consulaire a été demandé.
Le parquet général, avisé de la date d'audience ne s'est pas fait représenter.
Le retenu a eu la parole en dernier.
SUR CE,
L'appel, diligenté dans les formes et délais légaux est recevable.
Sur le fond, selon les dispositions de l'article L 141-2 du Ceseda lorsqu'un étranger fait l'objet d'une décision de placement en rétention et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait la lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision de placement ou dans le procès-verbal prévu au premier alinéa de l'article 813-13. Ces mentions font foi jusqu'à preuve contraire. La langue que l'étranger a déclaré comprendre est utilisée jusqu'à la fin de la procédure. Si l'étranger refuse d'utiliser une langue qu'il comprend, la langue utilisée est le français. Le procès-verbal visé à l'alinéa 1 de l'article L 813-13 est celui établi à l'occasion d'un contrôle d'identité précédent la vérification du droit de circulation ou de séjour.
En l'espèce, il ne ressort pas des pièces de la procédure et notamment pas de l'arrêté de placement en rétention administrative que X se disant [S] [J], ait déclaré comprendre, parler et lire le français. L'OQTF lui a été notifiée avec l'assistance d'un interprète en langue arabe, l'audition du 18 février 2024 relative à sa situation administrative a été réalisée avec l'assistance d'un interprète en langue arabe.
S'agissant de la notification des droits en rétention et de leur exercice effectif, le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, doit s'assurer par tous moyens que l'étranger a été au moment de la notification du placement en rétention pleinement informé des droits qui lui sont reconnus et placé en mesure de les exercer effectivement.
Selon les dispositions de l'article L 141-3 du même code, lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas le lire. En cas de nécessité l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.
En l'espèce, le procès-verbal de synthèse établi par l'officier de police judiciaire notificateur le10/07/2024 lors de la levée d'écrou à la maison d'arrêt de [Localité 2] à l'occasion de laquelle a eu lieu la notification de l'arrêté de placement en rétention administrative, lequel ne comporte qu'une page, indique « Vu l'heure tardive de réception de la mission et vu l'impossibilité de se déplacer immédiatement pour l'interprète, les actes administratifs sont notifiés par le truchement de M. (en blanc), interprète en langue arabe. ». Ce document ne permet pas d'identifier si un interprète en langue arabe a effectivement été requis et dans l'affirmative quel interprète a été requis pour procéder à une assistance téléphonique ni ses coordonnées, ni s'il figure sur la liste établie par le procureur de la République de Lyon ou s'il est inscrit à un organisme agréé par l'administration.
Les trois feuilles volantes, non numérotées, censées correspondre, l'une à la notification de la décision de placement en rétention, une autre à une annexe n° 1 intitulée « vos droits au centre de rétention », et une troisième aux droits d'accès à des associations d'aide aux retenus, signées de l'agent notificateur mais que le retenu a refusé de signer, portent une mention manuscrite rajoutée dans une encre différente des autres mentions manuscrites sous l'intitulé « L'interprète » « [N] [B] », sans signature, aucune précision n'étant donnée quant à la réquisition d'une telle personne, à son habilitation au regard des dispositions ci-dessus, et aux modalités de son intervention.
Dans ces conditions, les modalités de notification de la décision de placement en rétention de X se disant [S] [J] reconnu par les autorités tunisiennes comme étant [F] [X], avec ou non l'assistance physique ou téléphonique d'un interprète habilité, ne sont pas établies et il n'est pas justifié que la décision de placement en rétention administrative ainsi que ses droits en rétention aient été notifiés à l'intéressé dans une langue qu'il comprend. Ces irrégularités de notification d'une mesure privative de liberté portent nécessairement atteinte aux droits fondamentaux du retenu dès lors qu'il n'est pas établi qu'il ait été pleinement informé des droits qui lui sont reconnus et placé en mesure de les exercer effectivement. Il en résulte que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la procédure de rétention est irrégulière et doit être levée. X se disant [S] [J], reconnu par les autorités tunisiennes comme étant [F] [X], doit donc être remis en liberté immédiate.
PAR CES MOTIFS
Déclarons l'appel recevable et bien fondé,
Infirmons l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Déclarons la procédure de rétention administrative irrégulière,
Ordonnons la mainlevée de la procédure de rétention administrative et la mise en liberté immédiate de X se disant [S] [J] né le 15/05/2000 à [Localité 1] (Algérie), de nationalité algérienne, reconnu par les autorités tunisiennes comme étant [F] [X] né le 15 mai 2000 à [Localité 3] (Tunisie), de nationalité tunisienne, et faisant l'objet d'un ordre de quitter le territoire français sous l'identité de [S] [J] né le 15/02/1999 à [Localité 4] (Tunisie).
Rappelons à l'intéressé qu'il a l'obligation de quitter le territoire français en application de l'article L 611-1 du Ceseda.
Disons que la présente ordonnance sera notifiée à la PREFECTURE DU RHONE, service des étrangers, à [F] [X], ainsi qu'à son conseil et communiquée au Ministère Public.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE
N.DIABY C.ROUGER.