02/07/2024
ARRÊT N° 272
N° RG 21/03188 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OJDO
VS / CD
Décision déférée du 06 Juillet 2021 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTAUBAN - 20/01087
M. REDON
[R] [Y] [F]
SARL ADR 82
C/
Compagnie d'assurance GROUPAMA D'OC
S.A.R.L. ATHOS TARN ET GARONNE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU DEUX JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTS
Monsieur [R] [Y] [F]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représenté par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE et par Me Florence MOLERES, avocat plaidant au barreau de Bordeaux
SARL ADR 82
prise en la personne de son gérant, domicilié ès qualités au dit siège social
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représenté par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Florence MOLERES, avocat plaidant au barreau de Bordeaux
INTIMEES
Compagnie d'assurance GROUPAMA D'OC
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-louis JEUSSET de la SELARL CABINET JEUSSET AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Isabelle SCHOENACKER ROSSI, avocat plaidant barreau de Tarn et Garonne
S.A.R.L. ATHOS TARN ET GARONNE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Florence SIMEON, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant V. SALMERON, Présidente, chargée du rapport et M. NORGUET, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
M. NORGUET, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre.
Exposé des faits et procédure :
Selon lettre de mission en date du 8 janvier 2008, la société Adr 82 a confié à la Sarl Dargam Expert, désormais dénommée Athos Tarn-et-Garonne, une mission de présentation des comptes annuels.
La société Adr 82 et [R] [F], son gérant, ont fait l'objet d'un redressement fiscal au titre des années 2013 à 2016.
Par actes d'huissier de justice des 28 octobre et 3 novembre 2020, [R] [F] et la société Athos 82 ont assigné la Sarl Athos Tarn-et-Garonne et la compagnie Groupama devant le tribunal judiciaire de Montauban aux fins d'indemnisation.
Une ordonnance du juge de la mise en état du 3 décembre 2020 a constaté le désistement des demandeurs à l'égard de la compagnie Groupama.
Par acte du 4 décembre 2020, les demandeurs ont fait appeler en cause la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc, dite compagnie Groupama d'Oc.
La jonction des procédures a été ordonnée le 7 janvier 2021.
En l'état de leurs dernières conclusions, [R] [F] et la société Adr 82 demandaient au tribunal de condamner in solidum la société Athos et la société Groupama à verser à la société Adr 82 les sommes de 155.000 euros au titre du préjudice financier, 15.000 euros au titre du préjudice moral et 17.527 euros au titre du redressement de Tva, et à [R] [F] les sommes de 144.000 euros au titre du préjudice financier et 10.000 euros au titre du préjudice moral.
La société Athos a demandé au tribunal de débouter les demandeurs et, subsidiairement, de condamner la société Groupama de la relever et garantir de toute condamnation.
La société Groupama a demandé au tribunal de débouter les demandeurs et, subsidiairement, d'ordonner une expertise, et à titre infiniment subsidiaire, d'appliquer la franchise de 10% des dommages avec minimum de 299 euros.
Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Montauban a :
débouté la société Adr 82 et [R] [F] de toutes leurs demandes,
condamné in solidum la société Adr 82 et [R] [F] à payer à la société Athos Tarn-et-Garonne la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la société Adr 82 et [R] [F] à payer à la compagnie Groupama d'Oc la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la société Adr 82 et [R] [F] aux dépens,
rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration en date du 15 juillet 2021, [R] [F] et la société Adr 82 ont relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation de l'ensemble des chefs du jugement, que la déclaration d'appel critique tous expressément.
L'affaire, qui devait être appelée à l'audience du 14 mars 2023, a été défixée puis fixée à l'audience du 19 décembre 2023.
La clôture est intervenue le 20 novembre 2023.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 10 mars 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de [R] [F] et la Sarl Adr 82 demandant, au visa des articles 1231-1, 1104, 1217, 1194 du code civil, 155 du décret n°2012-432 du 30 mars 2012, de :
réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montauban en date du 6 juillet 2021
statuant à nouveau, débouter la Sarl Athos Tarn-et-Garonne et sa compagnie d'assurance la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles d'Oc ' Groupama d'Oc de leurs demandes, fins et conclusions,
juger recevable et bien fondée l'action engagée par [R] [F] et la société Adr 82 à l'encontre de la société Athos Tarn & Garonne et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles d'Oc ' Groupama d'Oc ;
déclarer responsable la société Athos Tarn & Garonne des préjudices subis par [R] [F] et la société Adr 82 suite au redressement fiscal dont ils ont fait l'objet pour les années 2013, 2014, 2015, 2016 pour la société Adr 82 et 2014, 2015, 2016 pour [R] [F]
en conséquence, condamner in solidum la Sarl Athos Tarn-et-Garonne et sa compagnie d'assurance la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles d'Oc ' Groupama d'Oc à indemniser :
la société Adr 82 pour les sommes suivantes :
155.000 euros concernant le préjudice financier ; qui se ventile ainsi
77.071 euros lié à la perte de chance de ne pas subir un redressement fiscal dont 59.411 euros relative aux intérêts et majorations inclus,
77.929 € euros lié à la perte de lignes de crédit
17.527 euros pour l'omission de déclaration de TVA pour l'année 2017
15.000 euros concernant le préjudice moral suite à l'atteinte à la notoriété de la société Adr 82 et à la violation de la notion de bonne foi et de la loyauté inhérente aux relations contractuelles à tous les stades du contrat,
[R] [F] pour les sommes suivantes :
la somme de 140.000 euros concernant le préjudice financier, qui se ventile ainsi :
110.681 euros lié à la perte de chance de de ne pas subir un redressement fiscal
5.518 euros d'intérêts de retard
9.986 euros de majorations
13.815 euros lié à la saisie des comptes et pertes financières complémentaires
la somme de 10.000 € euros au titre du préjudice moral lié au redressement fiscal,
en tout état de cause,
condamner in solidum la Sarl Athos Tarn-et-Garonne et sa compagnie d'assurance la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles d'Oc ' Groupama d'Oc à verser à [R] [F] et la Sarl Adr 82 la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner in solidum la Sarl Athos Tarn-et-Garonne et sa compagnie d'assurance la société Groupama d'Oc aux entiers dépens de premières instance et d'appel.
Vu les conclusions notifiées le 21 décembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sa Groupama d'Oc demandant de :
il est demandé à la cour de déclarer la société à responsabilité limitée Adr 82 et [R] [F] irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes, et les en débouter ;
confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
débouté la société Adr 82 et [R] [F] de toutes leurs demandes,
condamné in solidum la société Adr 82 et [R] [F] à payer à la société Athos Tarn & Garonne la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la société Adr 82 et [R] [F] à payer à la compagnie Groupama d'Oc la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la société Adr 82 et [R] [F] aux dépens,
y ajoutant, condamner in solidum la société Adr 82 et [R] [F] à régler à Groupama d'Oc la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;
condamner la société Adr 82 et [R] [F] aux entiers dépens d'appel ;
à titre subsidiaire, et si par extraordinaire la Cour entrait en voie de réformation, ordonner une expertise judiciaire confiée à tel expert-comptable qu'il plaira à la Cour, afin de procéder aux vérifications techniques indispensables à la solution du litige
à titre infiniment subsidiaire, si la Cour retenait une quelconque responsabilité à l'égard du cabinet Athos Tarn-et-Garonne,
statuer ce que de droit quant à la garantie de Groupama d'Oc, assureur responsabilité civile professionnelle de la Sarl Athos Tarn-et-Garonne dans la limite de la garantie contractuelle et en faisant application de la franchise s'élevant à 10 % des dommages avec un minimum de 299 euros et un maximum de 1.495 euros,
statuer ce que de droit quant aux dépens, et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me [O] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Vu les conclusions notifiées le 22 novembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Athos Tarn-et-Garonne demandant de :
confirmer en tous points la décision dont appel
y ajoutant, condamner les appelants à la somme de 7.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
subsid iairement, au cas de réformation, condamner la compagnie Groupama d'Oc à relever et garantir la concluante de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre tant en principal qu'accessoires
statuer ce que de droit sur les dépens.
Motifs de la décision :
En cause d'appel, le litige porte sur une demande de réparation des préjudices par la société Adr 82 et son dirigeant [R] [F] qu'ils invoquent à la suite du redressement fiscal, dont ils ont fait l'objet pour les années 2013 à 2016 inclus pour la société Adr82 et pour 2015 et 2016 pour [R] [F], en raison de fautes prétendument commises par la sarl Athos et Garonne, société d'expertise comptable.
La profession d' expert comptable est une profession réglementée régie par l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 modifiée . L'expert comptable doit réviser et apprécier la comptabilité de ses clients dont il peut attester de la régularité et de la sincérité des comptes. Il veille ainsi à ce que les entreprises respectent leurs obligations comptables, fiscales et sociales en fonction de la lettre de mission souscrite par son client.
Il est soumis à certaines obligations susceptibles d'engager sa responsabilité de nature civile, pénale ou disciplinaire régies notamment par le décret n°2012-432 du 30 mars 2012 modifié.
En matière de responsabilité civile, il a une obligation contractuelle de remplir sa mission conformément aux règles de l'art mais il s'agit d'une obligation de moyens et non de résultats ; par ailleurs, il a un devoir d'information et de conseil vis à vis de son client, il doit lui fournir des informations exactes et complètes résultant des diligences normales de la profession.
Il appartient à celui qui recherche la responsabilité de l'expert comptable d'établir les fautes reprochées, les préjudices subis et le lien de causalité entre les dites fautes et les préjudices allégués.
La lettre de mission tient lieu de contrat et sert de fondement à une inexécution ou mauvaise exécution contractuelle éventuelle.
Le manquement à l'obligation d'information et/ou devoir de conseil doit s'analyser en fonction du cadre législatif et réglementaire au regard des obligations comptables et des options ouvertes à son client tant sur le plan comptable que fiscal ou social.
En l'espèce, à l'issue de la vérification fiscale à laquelle à été soumise la sarl Adr 82 sur les années 2014 à 2017, cette dernière et son dirigeant [R] [F], qui a été redressé sur le plan de sa fiscalité personnelle par voie de conséquence, ont considéré avoir subi des redressements fiscaux en raison de fautes de la société comptable Athos Tarn et Garonne et d'un manquement à son devoir de conseil.
Préalablement à l'examen des fautes, il convient d'analyser la lettre de mission confiée à cette dernière.
Les pièces n° 1 et 40 des parties appelantes, qui sont non contestées, sont liées entre elles puisque la lettre de mission fait préciser « la répartition des travaux entre votre société et notre cabinet est détaillée dans un tableau annexé à cette lettre de mission » et la pièce 40 est la pièce ainsi mentionnée.
A l'examen de ces deux pièces, Il s'agit d'une lettre de mission qui ne concerne que la société Adr 82 et non son dirigeant [R] [F]. Elle a été signée le 8 janvier 2008 et reconduite tacitement sur la période litigieuse.
Elle visait une mission de tenue de la comptabilité avec établissements des comptes annuels au 30 septembre et des déclarations fiscales de fin d'exercice outre des missions juridiques de tenue des assemblées générales ordinaires d'approbation des comptes et formalités y afférentes, et des consultations courantes. Mais le tableau de répartition des tâches respectives est plus explicite puisque le cabinet était chargé de la tenue de la comptabilité et des déclarations de TVA mensuelles trimestrielles et des déclarations de résultats.
La cour en déduit que la société Adr 82, qui exerçait une activité de marchand de biens immobiliers, avait confié une mission générale de tenue de la comptabilité à son expert comptable avec établissement des déclarations fiscales de fin d'exercice et mensuelles ou trimestrielles de TVA.
Les choix comptables litigieux qui ressortent des écritures comptables lui incombent sauf à ce que la société Athos Tarn et Garonne justifie du fait qu'elle était en désaccord avec sa cliente de ces chefs précis.
- sur les fautes reprochées à la société d'expertise comptable :
la société Adr 82 et [R] [F], parties appelantes, dans des conclusions peu synthétiques, égrènent des reproches à l'encontre de l'expert comptable en se fondant sur les irrégularités comptables dénoncées par le contrôleur fiscal et sur les déclarations de TVA qui révèlent une fraude au paiement de l'impôt avant de soulever en outre un manquement au devoir de conseil qui aurait pu, selon elle, éviter lesdits redressements fiscaux ainsi que la déloyauté et la mauvaise foi de son expert comptable.
Pour caractériser des fautes liées à des erreurs techniques comptables, il faut déterminer si l'expert comptable a obtenu, après les avoir sollicitées, les informations nécessaires pour répondre aux exigences comptables telles qu'elles ressortent du plan général comptable.
S'agissant d'un manquement au devoir de conseil, il faut pouvoir établir que l'expert comptable n'a pas sollicité des pièces justificatives indispensables pour faire les choix utiles ou bien qu'il a été informé de la réalité économique dissimulée derrière des faux justificatifs.
- Sur les fautes techniques et le manquement au devoir de conseil de l'expert comptable :
Après avoir expurgé les véritables fautes susceptibles d'être retenues, et non les simples erreurs comptables sans conséquences pour le client qu'en définitive la Direction générale des finances publiques (DGFP) avait écartées des majorations, la cour constate que l'essentiel des redressements fiscaux de la sarl Adr 82 porte sur une vente non comptabilisée pour un montant faible, sur le défaut de pièces justificatives, sur des charges non engagées dans l'intérêt de l'entreprise et sur la quote-part des charges liées à la collaboration entre la sarl Adr 82 et l'Eurl Campos Laurent, convention justifiée tardivement et de façon non probante.
Pour écarter sa responsabilité contractuelle, la sarl Athos Tarn et Garonne expose qu'elle n'était pas en possession des pièces comptables de sa cliente pour répondre à la DGFP alors que la vérification fiscale s'est déroulée au cabinet de l'expert comptable en présence du dirigeant de la sarl Adr 82. Il a été évoqué devant le vérificateur la perte de classeur juridique concernant le client.
De plus, parmi les échanges entre les parties produits aux débats, aucune pièce ne permet d'établir une quelconque reconnaissance de la société Athos Tarn et Garonne de sa responsabilité dans la disparition de l'ensemble des pièces comptables réclamées par le vérificateur pour justifier des écritures comptables constatées et ce d'autant moins qu'il était possible à la société Adr 82 de réclamer auprès de ses clients et fournisseurs des factures perdues datant de 2014 à 2017 réclamées lors de la vérification fiscale ; certaines pièces ont ainsi été produites en fin de vérification et ont permis de réduire le montant des redressements.
Devant l'importance des écritures comptables non justifiées pour défaut de justifications, et en définitive, pour l'exercice 2016 qui a abouti à des redressements de 16.661 euros, et en dépit de la réduction des redressements à des sommes moins significatives de 1300 euros pour 2015, la cour doit retenir la faute de l'expert comptable qui n'a pas été en mesure de justifier des dites écritures comptables de ces chefs dont il est l'auteur puisqu'il était chargé de la tenue de la comptabilité de l'entreprise, sans produire la preuve qu'il avait demandé préalablement à son client d'apporter les justifications manquantes avant de confirmer les écritures litigieuses en fin d'exercice, et ce notamment en 2016.
De même, s'agissant des charges non engagées dans l'intérêt de l'entreprise, il s'agit là encore d'irrégularités comptables manifestes s'agissant pour l'essentiel de charges liées au domicile de [R] [F], réglées par la Sarl Adr 82, non reportées en compte courant d'associé de l'associé unique. En définitive, la rectification de ce chef a été limitée à 9.731 euros en 2014, 18.735 euros en 2015 et 45.963 euros en 2016.
Ces chiffres peuvent paraître non significatifs comparés au pied de bilan
( 674.634 euros au 30 septembre 2016, 968.203 euros au 30 septembre 2017) mais représentaient un fort risque de redressement fiscal par la nature desdites opérations enregistrées. Et force est de constater que l'expert comptable ne justifie pas avoir mis en garde son client dans le cadre de son devoir de conseil. Or, il ne peut pas se borner à dire que ces factures ne lui apparaissaient pas être personnelles au dirigeant à l'examen des pièces quant au lieu de livraison et au type de prestations facturées.
Enfin, sur la quote-part des charges non déductibles, sensés être partagée avec la société Campos Laurent, la convention du 5 juillet 2011 entre les sociétés a été produite tardivement , sans valeur probante et sans aucune référence dans les actes juridiques de la société, pour 7.808,75 euros en 2014, 28.922 euros en 2015 et 51.502 euros en 2016.
Ainsi, la société d'expertise comptable ne peut avoir validé de telles écritures sans produire les courriers adressés à sa cliente pour en obtenir justification et sans inscrire des dépenses manifestement personnelles du dirigeant de la société en compte courant d'associé de la société pour ne pas porter atteinte à l'intérêt de la société et dissimuler ainsi des abus de biens sociaux.
La cour constate que dans les bilans et comptes détaillés produits par l'expert comptable, il n'y a pas de compte courant d'associé de l'associé unique en 2015-2016 et 2016-2017.
La cour en déduit, comme le vérificateur fiscal, que la société Adr 82 a pris en charge des dépenses personnelles de [R] [F].
S'agissant des charges non déductibles retenues, il convient de rappeler que la rectification de la somme de 9285 euros a été acceptée pour 2014.
La cour rappelle à la société d'expertise comptable et à son dirigeant que les factures réglées par la sarl Adr 82 et ciblées comme relatant des opérations faites dans un intérêt contraire à l'entreprise correspondent à des livraisons faites au domicile du dirigeant et portent sur des prestations de peinture dans des pièces de l'habitation, de bornage partiel de sa propriété, des livraisons de béton, des éléments de cuisine, des gardes corps de piscine, de livraison de fuel à son domicile.
A défaut de justifier des interrogations qu'il devait nécessairement avoir à l'égard de sa cliente ni de l'instruction de cette dernière précisant qu'il s'agissait bien de dépenses personnelles, l'expert comptable a commis des fautes contractuelles évidentes, soutenant ainsi le comportement gravement répréhensible du dirigeant de la société cliente qui ne peut s'exonérer de sa responsabilité personnelle en alléguant uniquement d'un défaut de compétence technique de son expert ou d'un manquement à son devoir de conseil. L'expert comptable et sa cliente savaient nécessairement que les dites charges n'étaient pas réglées dans l'intérêt de l'entreprise.
Force est de constater que la société Athos Tarn et Garonne ne rapporte pas la preuve qu'elle a précisé à sa cliente comment éviter un risque de redressement fiscal au titre des dépenses personnelles du dirigeant prises en charge par la société.
Et [R] [F] ne peut reprocher à la sarl Athos Tarn et Garonne des fautes contractuelles qui seraient à l'origine de redressements fiscaux qu'il a subis à titre personnel alors qu'il savait nécessairement que sa société réglait à sa place des charges personnelles qui n'étaient pas déduites de son compte courant d'associé qui n'existait pas et qui ne pouvait fonctionner en débit.
Ces seuls faits suffisent à établir la faute contractuelle de la sarl Athos Tarn et Garonne dans la tenue de la comptabilité de la sarl Adr 82 sur les années 2014 à 2016 et son manquement à son devoir de conseil.
En revanche, sur les irrégularités retenues concernant la comptabilité de l'exercice 2017, la sarl Athos Tarn et Garonne précise qu'en 2018, elle a été dans l'obligation de solliciter la sarl Adr 82 à plusieurs reprises, notamment les 16 février 2018 et 14 mars 2018, pour défaut de règlement de l'essentiel de ses honoraires dues depuis 2016 et qu'elle a dû engager une action en paiement de ses factures devant le tribunal de commerce de Montauban qui a abouti à un jugement du 18 novembre 2020 mettant en exergue le non-règlement de ses honoraires en dépit de la réalisation des prestations demandées .
De plus, il ressort des pièces produites aux débats que la sarl Athos Tarn et Garonne a réclamé des pièces à la sarl Adr 82 pour respecter les obligations comptables de la société dans les délais requis pour la comptabilité de 2017 (pièce 10 et 11) avant de résilier le contrat. Les fautes alléguées sur la comptabilité de la société pour l'exercice 2017 ne sont pas établies
- Sur la faute alléguée liée à la violation de la bonne foi et à la loyauté inhérente aux relations contractuelles à tous les stades du contrat :
Toute faute doit être prouvée par celui ou celle qui l'invoque.
En l'espèce ni mauvaise foi ni déloyauté ne sont établies à l'encontre de la sarl Athos Tarn et Garonne. Il est manifeste qu'au cours de la vérification fiscale, l'expert comptable et sa cliente ne se sont plus entendus mais la seule mésentente, sur la disparition des pièces comptables notamment, n'établit ni la mauvaise foi ni la déloyauté alléguées.
En définitive, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la sarl Adr 82 de sa demande de dommages-intérêts en écartant toute faute contractuelle de la société Athos Tarn et Garonne notamment sur les exercices 2014 à 2016. Il est établi que les règles comptables au cours de ces trois exercices n'ont pas été respectées pour inscrire en comptabilité des opérations non justifiées ou inscrites alors qu'elles traduisaient des opérations manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise, ce que ne pouvait ignorer ni l'expert comptable ni le dirigeant associé unique de l'entreprise cliente.
En revanche, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté [R] [F] de ses demandes à défaut d'établir une faute de la sarl Athos Tarn et Garonne à son égard.
A titre subsidiaire, la SA Groupama d'Oc, assureur de l'expert comptable, a sollicité une expertise judiciaire pour procéder à des vérifications techniques indispensables à la solution du litige.
Cette demande n'est fondée sur aucun moyen précis.
Et eu égard aux fautes retenues, le recours à une expertise judiciaire n'est pas justifié.
Cette demande subsidiaire sera écartée.
- Sur les préjudices invoqués :
la sarl Adr 82 sollicite au titre de son préjudice financier 155.000 euros correspondant à 77.071 euros liés à la perte de chance de ne pas subir un redressement fiscal dont 59.411 euros d'intérêts et de majorations et 77.929 euros liés à la perte de lignes de crédit.
Elle sollicite par ailleurs, 17.527 euros pour l'omission de déclaration de TVA pour 2017 et 15.000 euros concernant le préjudice moral suite à l'atteinte à la notoriété de la société Adr 82 et à la violation de la bonne foi et de la loyauté inhérente aux relations contractuelles à tous les stades du contrat.
Il convient de rappeler que le montant des redressements fiscaux de la société Adr 82 ne peut être un préjudice réparable puisqu'il s'agit des impôts que la société devait régler s'agissant de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés en relation avec son activité réelle et vérifiée.
En revanche, elle peut réclamer à son expert comptable des préjudices en lien avec les fautes contractuelles qu'il a commises et qui ont conduit à des intérêts de retard ou des pénalités.
En l'espèce, concernant le préjudice financier subi, les seules irrégularités comptables qui incombent à l'expert comptable portent sur des écritures comptables non justifiées alors que le dirigeant pouvait solliciter des copies des dites pièces auprès des tiers, ce qu'il n'a pas fait intégralement, ou traduisent des opérations contraires à l'intérêt de l'entreprise comme correspondant à des dépenses personnelles du gérant associé unique qui ne sont pas inscrites en compte courant d'associé au débit, ce que ne pouvait ignorer un dirigeant associé unique responsable.
Le préjudice lié à la perte de ligne de crédit, outre qu'il n'est pas justifié, est un préjudice indirect non réparable.
Le préjudice lié à la perte de chance de ne pas être redressé fiscalement incombe pour l'essentiel au dirigeant de la société cliente qui n'avait pas de justificatif à produire en cours de vérification fiscale, la faute de l'expert comptable ayant été de maintenir des écritures comptables non suffisamment établies en fin d'exercice et sans les signaler à sa cliente.
Quant aux écritures comptables qui traduisaient des opérations contraires à l'intérêt de l'entreprise, l'expert comptable devait inviter le gérant à procéder autrement, ce qu'il ne justifie pas avoir fait, et n'a pas créé un compte courant d'associé en débit pour y inscrire ces sommes restant dues dans le cadre d'une comptabilité qui doit être sincère ; la perte de chance de ne pas être redressée était donc faible puisque le dirigeant savait nécessairement que l'écriture était irrégulière et insincère par sa faute personnelle.
La faute de déloyauté et de mauvaise foi étant écartée, il n'y a pas lieu à réparation de ce chef.
Le préjudice est subi par la personne morale et doit être en lien direct avec les fautes comptables de l'expert comptable et le manquement à son devoir de conseil sur les risques de redressement fiscal retenus ; le préjudice est évalué par la cour à 6.000 euros sur les 3 années de prestations de services litigieuses.
- Sur la garantie de la société SA Groupama d'Oc à l'égard de la sarl Athos Tarn et Garonne :
la sarl Athos Tarn et Garonne sollicite, à titre subsidiaire, la garantie contractuelle de son assureur.
La SA Groupama d'Oc, assureur responsabilité civile de la sarl Athos Tarn et Garonne, ne conteste pas sa garantie mais rappelle que la franchise contractuelle opposable a été fixée à 10% des dommages avec un minimum de 299 euros et un maximum de 1495 euros.
La franchise sera donc fixée à 600 euros.
- Sur les demandes accessoires :
La sarl Athos Tarn et Garonne et son assureur qui succombent seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.
Eu égard à l'issue et aux circonstances particulières du litige, les frais irrépétibles dus à la sarl Adr 82 seront limités à 1500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et 1500 euros en appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
- Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté [R] [F] de toutes ses demandes et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
- Dit que la sarl Athos Tarn et Garonne a commis des fautes contractuelles et un manquement à son devoir de conseil dans l'exercice de sa mission auprès de sa cliente la sarl Adr 82 au cours des exercices 2014, 2015 et 2016
- Déboute la sarl Adr 82 pour les griefs soulevés à l'encontre de la sarl Athos Tarn et Garonne pour l'exercice 2017
- Déboute la SA Groupama d'Oc de sa demande d'expertise judiciaire
- Condamne in solidum la sarl Athos Tarn et Garonne et son assureur la SA Groupama d'Oc à verser à la sarl Adr 82 la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts pour fautes commises dans l'exercice de sa mission entre 2014 et 2016
- Dit que la franchise contractuelle qui s'appliquera à cette somme à l'égard de la SA Groupama d'Oc est de 600 euros ;
- Condamne in solidum la sarl Athos Tarn et Garonne et son assureur la SA Groupama d'Oc aux dépens de première instance et d'appel ;
- Condamne in solidum la sarl Athos Tarn et Garonne et son assureur la SA Groupama d'Oc à payer à la sarl Adr 82 la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier La Présidente .