COUR D'APPEL DE TOULOUSE
Minute 24/664
N° RG 24/00661 - N° Portalis DBVI-V-B7I-QJPC
O R D O N N A N C E
L'an DEUX MILLE VINGT QUATRE et le 20 juin 2024 à 15h00
Nous A. CAPDEVIELLE, vice-présidente placée par ordonnance de la première présidente en date du 20 DECEMBRE 2023 pour connaître des recours prévus par les articles L. 743-21 et L.342-12, R.743-10 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu l'ordonnance rendue le 18 juin 2024 à 15H39 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Toulouse ordonnant le maintien au centre de rétention de :
[R] [V] [H] [J]
né le 06 Septembre 1975 à [Localité 2] (TUNISIE)
de nationalité Tunisienne
Vu l'appel formé le 19 juin 2024 à 13 h 48 par courriel, par Me Anne-Cécile MUNOZ, avocat au barreau de TOULOUSE,
A l'audience publique du 20 juin 2024 à 14h00, assisté de M.QUASHIE, greffier avons entendu :
[R] [V] [H] [J]
assisté de Me Anne-Cécile MUNOZ, avocat au barreau de TOULOUSE
qui a eu la parole en dernier ;
avec le concours de [S] [Y], interprète, qui a prêté serment,
En l'absence du représentant du Ministère public, régulièrement avisé;
En présence de Monsieur [N] représentant la PREFECTURE DU VAR ;
avons rendu l'ordonnance suivante :
Exposé des faits
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les dispositions du CESEDA,
Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 18 juin 2024 à 15h39 qui a joint les procédures, constaté la régularité de la procédure et ordonné la prolongation pour une durée de 28 jours de la rétention de M. [R] [V] [H] [J] sur requête de la préfecture du Var du 17 juin 2024 et de celle de l'étranger du même jour ;
Vu l'appel interjeté par M. [R] [V] [H] [J] par courrier de son conseil reçu au greffe de la cour le 19 juin 2024 à 13h48, soutenu oralement à l'audience, auquel il convient de se référer en application de l'article 455 du code de procédure civile et aux termes duquel il sollicite l'infirmation de l'ordonnance et sa remise immédiate en liberté pour les motifs suivants :
- irrégularité de la procédure :
*notification des droits via ISM sans précision des circonstances ayant empêché le déplacement de l'interprète
* absence de notification du placement en garde à vue et des droits dans une langue comprise par Monsieur [V] [H] [J]
*manque au dossier le mandat de représentation donné par le préfet du Var à un fonctionnaire, réserviste de la police nationale (le conseil a précisé à l'audience qu'il s'agissait d'une fin de non recevoir pour défaut de pièces utiles)
- subsidiairement garanties de représentation et assignation à résidence
Entendu les explications fournies par l'appelant à l'audience du 20 juin 2024 ;
Entendu les explications orales du préfet du var qui sollicite confirmation de l'ordonnance entreprise;
Vu l'absence du ministère public, avisé de la date d'audience, qui n'a pas formulé d'observation.
SUR CE :
Sur la recevabilité de l'appel
En l'espèce, l'appel est recevable pour avoir été fait dans les termes et délais légaux.
Sur la fin de non-recevoir
Aux termes des dispositions de l'article R 743-2 du CESEDA, la requête doit être accompagnée de toutes les pièces justificatives utiles, Notamment une copie du registre prévu par l'article L. 744-2.
Il apparaît donc que ces pièces doivent être distinguées de l'entier dossier.
Il s'agit des pièces nécessaires à l'appréciation par le juge des éléments de fait et de droit dont l'examen lui permet d'exercer pleinement ses pouvoirs.
Le conseil de l'intéressé fait valoir qu'à la requête de prolongation n'est pas joint le mandat de représentation, donné par le préfet du Var.
Ce document n'est pas une pièce utile pour examiner la recevabilité de la requête au vu de la tenue de l'audience qui est nécessairement postérieure à celle-ci et pour laquelle en outre le préfet n'a aucune obligation au stade de la requête de désigner déjà son représentant.
La fin de non-recevoir soulevée sera en conséquence rejetée.
Sur le contrôle de la procédure préalable à la rétention administrative
Sur la notification des droits par ISM
Le conseil de l'intéressé fait valoir que la précision des circonstances ayant empêché le déplacement de l'interprète fait défaut.
L'article L813-5 du CESEDA qui énoncent l'ensemble des droits dont bénéficie l'étranger placé en retenue. Notamment, le droit d'être assisté par un interprète et lorsque l'étranger ne parle pas français il est fait application des dispositions des articles L 141-2 et suivants du CESEDA. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète se faire par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.
Notamment, l'absence d'interprète pour une personne qui ne maîtrise pas la langue française fait nécessairement grief.
Toutefois, en l'espèce tel n'est pas le cas. En effet, il n'est pas reproché une absence interprète mais la non justification du recours à un moyen de télécommunication pour faire intervenir l'interprète.
Donc, le respect des droits fondamentaux de Monsieur [V] [H] [J] a été assuré puisqu'il est incontestable qu'un interprète est intervenu normalement tout au long de la procédure.
Pour autant, il est indéniable que la procédure ne donne pas les raisons pour lesquelles l'interprète s'est déclaré dans l'impossibilité de venir.
Or, lorsque le recours à une disposition dérogatoire n'est pas suffisamment explicité, comme en l'espèce l'usage du téléphone en lieu et place de la présence physique de l'interprète, encore faut-il que le demandeur à la nullité établisse lui-même l'existence du grief résultant de cette omission.
Monsieur [V] [H] [J] soutient que l'absence d'explication quant à l'impossibilité de se déplacer pour l'interprète lui fait grief car il n'a exercé aucun des droits qui lui étaient reconnus.
Ce faisant, il confond possibilité d'exercer ou non les droits, avec l'exigence d'être parfaitement informé des mêmes droits.
En l'espèce, figure en procédure un PV de carence dressé le 17 juin 2024 à 0h25 aux termes duquel les policiers indiquent avoir contacté téléphoniquement deux interprètes en langue arabe dont les noms sont indiqués, lesquels n'ont pas été en mesure de se déplacer dans délais permettant une notification dans des délais appropriés des droits à l'intéressé.
La notification des droits en matière d'asile a ainsi été faite le 17 juin 2024 à 00h30 par interprète par téléphone en la personne de Madame [B] [D], ISM.
La notification du placement en garde à vue et des droits afférents à celle-ci a été faite le 15 juin 2024 à 20h13, avec l'assistance téléphonique et par le truchement de Monsieur [V] [I] [G], l'intéressé a signé le PV.
Par ailleurs il a exercé ses droits étant donné qu'il a sollicité un examen médical, qu'il a eu et l'assistance d'un avocat.
Il a été entendu en la présence de son avocat et en présence de l'interprète Monsieur [V] [A] [G].
Monsieur [V] [H] [J] ne justifie donc d'aucun grief qui résulterait de l'absence d'explication quant à l'impossibilité physique pour Monsieur [V] [I]/[A] ou Madame [B] d'être à ses côtés en début et en fin de procédure.
Le moyen sera donc rejeté.
Sur la régularité de l'arrêté de placement en rétention administrative
En application de l'article L741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3.
Aux termes de ce dernier article le risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;
5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ;
7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.
En l'espèce, l'appelant soutient que l'arrêté de placement en rétention est insuffisamment motivé ou entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que la situation personnelle de l'intéressé n'a pas été prise en compte : il a des garanties d'hébergement, vit avec sa compagne et a un domicile stable à [Localité 1].
Cependant, la décision critiquée cite les textes applicables à la situation de M. [V] [H] [J] et énonce les circonstances de fait qui justifient l'application de ces dispositions.
Elle précise en effet notamment que l'intéressé :
- ne présente pas de garanties de représentation suffisantes faute de document d'identité ou de voyage en cours de validité et faute d'une adresse stable, dans la mesure où il a refusé de divulguer l'identité de sa copine qui l'héberge et qui détiendrait son passeport au domicile
- n'envisage pas de retour en Tunisie.
- ne présente pas d'état de vulnérabilité.
Le préfet n'est pas tenu de faire état dans sa décision de tous les éléments de la situation personnelle de l'étranger dès lors que les motifs qu'il retient suffisent à justifier le placement en rétention au regard des critères légaux, étant souligné que les circonstances doivent être appréciées au vu des éléments dont il disposait au jour de sa décision.
Le préfet a tiré toutes les conséquences de droit de la situation qu'il a relevée dans son arrêté. Le grief tiré d'une erreur de droit et manifeste d'appréciation doit donc être écarté.
C'est donc sans méconnaître le principe de proportionnalité et de nécessité et en procédant à un examen de la situation de l'étranger que la décision de placement en rétention a été prise.
L'appréciation par l'administration des garanties de représentation
Il est encore fait grief à la décision attaquée de ne pas avoir pris en compte la stabilité de l'intéressé
Or, la situation actuelle est la suivante : Monsieur [V] [H] [J] déclare être hébergé chez sa compagne qui est en cours de divorce. Il a refusé de donner le nom de celle-ci en garde à vue et n'a fini par le donner qu'une fois placé en rétention.
Il a déclaré revenir d'Allemagne où il avait passé 4-5 mois. Le justificatif de domicile de sa compagne produite date du 11 août 2022 pour un appartement au 1er étage alors que l'intéressé l'a déclaré au 2ème étage.
Il est connu sous de multiples alias.
Il est sans ressources légales, a déjà fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement sous différents alias auxquelles il n'a pas déféré.
Il a déclaré être né en 1995 à l'audience alors qu'au dossier figure un passeport avec une date de naissance en 1975.
Aujourd'hui, ces arguments font apparaître un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement, laquelle ne pourrait être sérieusement respectée et garantie par une quelconque autre mesure.
Sur la prolongation de la rétention
L'assignation à résidence
Selon l'article L.743-13 du CESEDA, le juge peut ordonner l'assignation à résidence de l'étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives.
Toutefois, une assignation à résidence suppose que soit remis aux services de police ou à une unité de gendarmerie, l'original d'un passeport ou d'un document d'identité. Cette formalité prescrite par l'article L743-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile conditionne impérativement l'examen d'une demande d'assignation à résidence.
Faute de respecter cette condition (seule une copie dudit passeport est produite), la demande d'assignation à résidence sera rejetée.
En conséquence, l'ordonnance déférée sera confirmée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance mise à disposition au greffe après avis aux parties,
Déclarons recevable l'appel interjeté par M. [R] [V] [H] [J]à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Toulouse du 18 juin 2024,
Confirmons ladite ordonnance en toutes ses dispositions,
Disons que la présente ordonnance sera notifiée à la PREFECTURE DU VAR, service des étrangers, à [R] [V] [H] [J], ainsi qu'à son conseil et communiquée au Ministère Public.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE
M.QUASHIE A. CAPDEVIELLE