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18/06/2024 | FRANCE | N°20/00303

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 18 juin 2024, 20/00303


18/06/2024





ARRÊT N° 247



N° RG 20/00303 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NNO2

SM / CD



Décision déférée du 22 Novembre 2019 - Tribunal de Commerce d'ALBI - 2018 00025

M. BLANC

















SARL INTERNET ET E-COMMERCE





C/



SA ALLIANZ IARD

SARL ECCOFFI

SARL ECODIT-EXPERTISE CONSEIL ETAUDIT

































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CONFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU DIX HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

***





APPELANTE



SARL INTERNET ET E-COMMERCE

Prise en la personne de son gérant ...

18/06/2024

ARRÊT N° 247

N° RG 20/00303 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NNO2

SM / CD

Décision déférée du 22 Novembre 2019 - Tribunal de Commerce d'ALBI - 2018 00025

M. BLANC

SARL INTERNET ET E-COMMERCE

C/

SA ALLIANZ IARD

SARL ECCOFFI

SARL ECODIT-EXPERTISE CONSEIL ETAUDIT

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU DIX HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

SARL INTERNET ET E-COMMERCE

Prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat postulant au barreau de TOULOUSE Représentée par Me Eric CHARLERY de la SCP COBLENCE AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMES

SA ALLIANZ IARD

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Emmanuelle DESSART de la SCP SCP DESSART, avocat au barreau postulant de TOULOUSE et par Me Nathalie SIU BILLOT de la SELARL ARGUO AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS

SARL ECCOFFI

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au dit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Nicolas MORVILLIERS de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

SARL ECODIT-EXPERTISE CONSEIL ET AUDIT

Représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me Franck MALET de la SCP MALET FRANCK ET ELISABETH, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Olivier HILLEL, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S. MOULAYES, Conseillère, chargée du rapport et F. PENAVAYRE, Magistrate honoraire exerçant des foncitons juridictionnelles.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

S. MOULAYES, conseillère

F. PENAVAYRE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre.

Faits et procédure

La société Internet & E-commerce a pour activité la vente d'articles de loisirs et décoratifs à des particuliers à travers son site internet ; elle réalise une partie de son chiffre d'affaires annuel en vendant des articles dans des Etats de l'Union Européenne.

A l'occasion d'une mission confiée à un prestataire externe courant mai 2017, destinée à assister son dirigeant en matière administrative et financière, la société Internet & E-commerce expose avoir découvert des irrégularités concernant la déclaration et le paiement de la TVA en fonctions des pays dans lesquels les ventes à distance étaient réalisées.

Reprochant à la Sarl Eccoffi, son expert-comptable, d'avoir procédé à l'établissement de déclarations de TVA erronées la conduisant à payer la TVA en France plutôt que dans les pays concernés, et à son commissaire aux comptes, la Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit, d'avoir certifié ses comptes annuels sans relever leur irrégularité, l'exposant ainsi au paiement d'intérêts de retard et de pénalité, la Sarl Internet & E-commerce leur a fait délivrer assignation devant le tribunal de commerce d'Albi par actes des 21 et 22 décembre 2017.

La Sarl Eccoffi a appelé en cause son assureur la Sa Allianz Iard, par acte du 4 mai 2018.

Cette procédure a été jointe à l'assignation initiale.

Par jugement du 22 novembre 2019, le tribunal de commerce d'Albi a :

- dit et jugé que l'action en responsabilité de la société Sarl Internet & E-commerce à l'encontre de société Sarl Eccoffi est irrecevable car frappée de forclusion ;

- dit et jugé que l'action en responsabilité de la société Sarl Internet & E-commerce à l'encontre de la société Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit est non fondée ;

- débouté la société Sarl Internet & E-commerce de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre des sociétés Sarl Eccoffi, de son assureur Allianz, et de la société Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit ;

- débouté la société Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive de la société Sarl Internet & E-commerce, car celle-ci n'est pas démontrée, ni aucun préjudice justifié ;

- condamné la société Sarl Internet E-commerce à payer aux sociétés Sarl Eccoffi, Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit et Allianz Iard, la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- dit et jugé que les entiers dépens restent à la charge de la société Sarl Internet & E-commerce, outre les dépens de l'appel en cause enrôlé sous le numéro 2018002331 entre les sociétés Sarl Eccoffi et Sa Allianz Iard, liquidés et taxés à la somme de 482,12 €, outre le coût de la signification de la présente décision.

Par déclaration du 23 janvier 2020, la Sarl Internet & E-commerce a formé appel des chefs de jugement qui ont :

- dit et jugé que l'action en responsabilité de la société Sarl Internet & E-commerce à l'encontre de société Sarl Eccoffi est irrecevable car frappée de forclusion ;

- dit et jugé que l'action en responsabilité de la société SARI. Internet & E-commerce à l'encontre de la société Sarl Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit est non fondée ;

- débouté la société Sarl Internet & E-commerce de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre des sociétés Sarl Eccoffi, de son assureur Allianz, et de la société SARL Ecodit-Expertise Conseil et Audit ;

- condamné la société Sarl Internet E-commerce à payer aux sociétés Sarl Eccoffi, Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit et Allianz Iard, la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- dit et jugé que les entiers dépens restent à la charge de la société Sarl Internet & E-commerce, outre les dépens de l'appel en cause enrôlé sous le numéro 2018002331 entre les sociétés Sarl Eccoffi et Sa Allianz Iard, liquidés et taxés à la somme de 482,12 €, outre le coût de la signification de la présente décision.

La clôture est intervenue le 13 décembre 2021 ; après plusieurs renvois, l'affaire a été appelée à l'audience du 3 avril 2024.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions d'appelant n°3 notifiées le 2 décembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Internet & E-commerce demandant, aux visas des articles 1131 et 1147 ancien du code civil et L. 225-241, L. 823-10 et L. 823-12 du code de commerce, de :

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Albi du 22 novembre 2019 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- juger non écrites, ou inopposables à la société Internet & E-commerce, les clauses des conditions générales de mission de la société Eccoffi stipulant une forclusion conventionnelle de trois mois ;

Subsidiairement sur ce point,

- juger que le délai de forclusion conventionnelle n'était pas acquis à la date de l'action en justice de la société Internet & E-commerce à l'encontre de ladite société Eccoffi;

En conséquence,

- juger la société Internet & E-commerce recevable en ladite action ;

Sur le fond,

- condamner in solidum les sociétés Eccoffi et Ecodit à payer à la société Internet & E-commerce à titre de dommages-intérêts, les sommes suivantes :

- 515 688,60 € au titre des pénalités et intérêts de retard payés au titre de la régularisation de la situation fiscale de la société Internet & E-commerce auprès des services fiscaux étrangers ;

- 168 719,89 € au titre des honoraires de conseil pour la régularisation de la situation fiscale de la société Internet & E-commerce en France et à l'étranger ;

- 20 385 € au titre des coûts internes ;

- 20 000 € au titre de son préjudice moral ;

- 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ainsi qu'au paiement de tous dépens.

- débouter les intimées de toutes leurs demandes et appels incidents.

Vu les conclusions d'intimé n°3 notifiées le 29 novembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Eccoffi demandant, aux visas des articles 31, 122, 56 et 873 al. 2 du Code de procédure civile, 1147 du Code Civil (ancienne rédaction), et 2220 du Code civil, de :

- déclarer recevables les conclusions notifiées par la société Eccoffi le 10 novembre 2020 par application de l'article 954 alinéa 2 et en toutes hypothèses, dire n'y avoir lieu à les rejeter des débats, et rejeter la prétention de la société Internet & E-commerce de ce chef.

A titre principal,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Albi en date du 22 novembre 2019,

En conséquence :

- déclarer irrecevables, les demandes formulées par la société Internet & E-commerce en raison de la forclusion de son action et subsidiairement en l'absence de saisine préalable du Président du Conseil régional de l'Ordre des experts comptables de Toulouse Midi-Pyrénées aux fins de conciliation préalable et à défaut de démontrer un quelconque intérêt à agir,

A titre subsidiaire,

- écarter des débats les pièces rédigées en langue étrangère non traduites en français,

- dire et juger non fondée l'action en responsabilité intentée à l'encontre de la société Eccoffi,

- dire et juger que la preuve du préjudice invoqué par la société Internet & E-commerce au titre des intérêts et pénalités de retard, coûts de régularisation, coûts internes liés à la régularisation, dommage moral est insuffisante,

En conséquence,

- débouter la société Internet & E-commerce de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour faisait droit aux demandes adverses,

- dire et juger que le préjudice subi par la société Internet & E-commerce ne peut être réparé qu'au titre de la perte de chance,

- condamner Allianz Iard à relever et garantir la société Eccoffi de toute condamnation mise à sa charge.

En tout état de cause,

- débouter la société Internet & E-commerce de sa demande au titre des frais irrépétibles

- condamner la société Internet & E-commerce au paiement de la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et de ses suites.

Vu les conclusions d'intimé n°3 notifiées le 4 décembre 2020 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sa Allianz Iard demandant, aux visas des articles 31 et 122 du Code de procédure civile, et 1231-1 du Code civil, de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Albi en ce qu'il a rejeté les prétentions formées à l'endroit de la société Eccoffi et son assureur Allianz,

En conséquence,

- juger irrecevable et mal fondée la société Internet & E-commerce en son action à l'encontre de la société Eccoffi,

- rejeter toutes fins et prétentions ainsi que tous appels incidents formés à l'encontre de la société Eccoffi et de son assureur Allianz,

A titre très subsidiaire,

- voir constater les limites de garantie de la compagnie Allianz s'élevant à 500 000 € avec une franchise de 1 500 €

En tout état de cause,

- condamner la société Internet & E-commerce à payer à la société Allianz la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société Internet & E-commerce aux entiers dépens.

Vu les conclusions d'intimé n°3 notifiées le 10 décembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit demandant de :

* Sur l'appel incident,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Albi en date du 22 novembre 2019 en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir et la demande reconventionnelle pour procédure abusive formulées par le Cabinet Ecodit

Statuant à nouveau, à cet égard,

- Sur les fins de non-recevoir :

- sur l'irrégularité de la saisine du Tribunal : juger qu'ayant saisis les premiers juges d'une demande de condamnation a paiement de dommages-intérêts sans chiffrer ces derniers, la société Internet & E-commerce les a irrégulièrement saisis,

- sur le défaut d'intérêt légitime à agir de la société Internet & E-commerce, vus les articles 31 et 32 du Code de procédure civile, et les articles L. 823-9 et L. 823-10-1 du Code de commerce :

- juger qu'ayant pour mission légale de certifier que les comptes annuels d'une société sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de cette société, ainsi que du résultat des opérations qu'elle réalisées au cours de1'exercice, le seul fait dommageable susceptible d'être allégué comme cause d'une action en responsabilité à l'encontre d'un commissaire aux comptes est l'opinion qu'il émet a cet égard, en particulier lorsque cette opinion consiste en une certification ;

qu'en conséquence, il ne saurait être demandé à1'encontre d'un commissaire aux comptes, au titre de sa mission légale, dans le cadre d'une action en responsabilité à son encontre, laquelle ne peut reposer que sur la certification fautive des comptes, que la réparation du préjudice causé directement par ladite certification ;

qu'il est interdit au commissaire aux comptes, lequel n'est pas dispensateur d'information et ne peut se faire le conseil de la personne dont il certifie les comptes, de s'immiscer dans la gestion, laquelle n'est évidemment pas validée par la certification qu'il délivre ;

- juger qu'en conséquence, à défaut de préjudice réparable en lien avec le fait dommageable susceptible de constituer la cause d'une action en responsabilité contre un commissaire aux comptes, la demande dc la société Internet & E-commerce contre le cabinet Ecodit est irrecevable faute d'intérêt à agir.

- sur le défaut de qualité du commissaire aux comptes pour défendre sur la demande de la société Internet & E-commerce, vu les dispositions des articles 4, 31 et 32 du Code de procédure civile, du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (Annexe 8-1 du Livre VIII du Code de commerce, partie réglementaire), et es articles L. 823-9 at L. 823-10-1 du Code de commerce : déclarer irrecevable la demande de la société IEC à l'endroit du cabinet Ecodit, celui-ci n'ayant pas qualité pour défendre à l'action que celle-ci a fait engager à son encontre,

- Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive : vu l'article 32-1 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1240 du Code civil,

- juger manifestement abusive, comme malicieusement engagée et diligentée, l'action de la société Internet & E-commerce à l'encontre du cabinet Ecodit, commissaire aux comptes ;

- juger que la société Internet & E-commerce ne pouvait à ce point se méprendre sur ses droits ; que son action apparait dès lors comme l'exercice illégitime d'un moyen de pression ;

- juger qu'il résulte de 1'assignation introductive de l'instance devant les premiers juges et des conclusions de la société demanderesse subséquentes que l'information relative aux règles applicables à la TVA sur les ventes à distance intra-communautaires était largement, et institutionnellement, diffusée, de sorte que, outre que nul n'est censé ignorer la loi, la société Internet & E-commerce ne pouvait ignorer la réglementation en matière de cette TVA ;

- juger qu'il est établi, par les pièces que le cabinet Eccoffi, expert-comptable, produit aux débats, qu'en réalité la société Internet & E-commerce et son dirigeant étaient, de fait, parfaitement informes de ladite réglementation et qu'en conséquence c'est délibérément qu'ils ont choisi de ne pas l'appliquer, de sorte qu'est mensongère l'allégation sur laquelle repose l'action de ladite société selon laquelle elle ignorait cette réglementation et en conséquence s'est acquittée de la TVA par erreur auprès des services fiscaux français et non ceux des pays de l'Union européenne ou résident les clients de ses ventes 21 distance ;

- juger qu'en soi cette action porte atteinte à la réputation professionnelle et a l'image du Cabinet ECODIT, notamment sur le plan local, et cause a celui-ci un préjudice moral, professionnel et d'image ;

- condamner la société Internet & E-commerce à payer au cabinet Ecodit, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par cette action abusive, la somme de 50 000 €.

* Sur l'appel principal,

Vu les dispositions du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (Annexe 8-1 du Livre VIII du Code de commerce, partie réglementaire), et des articles L. 823-9 et suivants du Code de commerce,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Albi en date du 22 novembre 2019 en ce

qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la société Internet & E-commerce formulées à l'encontre du cabinet Ecodit;

- juger que la société Internet & E-commerce n'établit ni une faute du cabinet Ecodit, qui de surcroit, serait en relation avec 1'objet de la mission des commissaires aux comptes, ni un préjudice qu'elle aurait subi autrement qu'à raison de ses propres fautes et qu'elle se serait causé a elle-même, ni un lien de causalité entre faute et préjudice ;

- juger que, les commissaires aux comptes ayant pour mission de certifier les comptes, le cabinet Ecodit n'a pu causer un quelconque préjudice à la société Internet & E-commerce en certifiant les comptes de ladite société, lesdits comptes ayant bien entendu été établis par celle-ci et leur régularité, leur sincérité et la fidélité de l'image par eux donnée relevant de l'obligation, au surplus du résultat, qui incombent aux dirigeants sociaux.

* En toute hypothèse,

- condamner la société Internet & E-commerce à payer au cabinet Ecodit la somme de 20 000 €, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés directement par la SCP MALET sur son affirmation de droit et ce, conformément aux dispositions de 1'article 699 du CPC.

MOTIFS

Sur l'étendue de la saisine de la Cour

A titre liminaire, il convient de relever que la société Eccoffi formule la prétention suivante dans le dispositif de ses conclusions : « déclarer recevables les conclusions notifiées par la société ECCOFFI le 10 novembre 2020 par application de l'article 954 alinéa 2 et en toutes hypothèses, dire n'y avoir lieu à les rejeter des débats, et rejeter la prétention de la société Internet & E-commerce de ce chef ».

Or, la Cour n'est pas saisie d'une telle demande d'Internet & E-commerce ou même d'une autre partie à la procédure.

Dès lors il n'y a pas lieu de statuer sur cette prétention.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par la Sarl Eccoffi

Il ressort de l'article 122 du code de procédure civile, que constitue une fin de non-recevoir, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

La Sarl Eccoffi invoque la forclusion tirée des dispositions de l'article 8 du contrat la liant à la société Internet & E-commerce, ainsi rédigée :

« 8. RESPONSABILITE

['] Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que dans la période de prescription légale. Elle devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ».

L'article 9 ajoute que les litiges « pourront être portés, avant toute action judiciaire, devant le Président de Conseil Régional de l'ordre compétent aux fins de conciliation ».

La société appelante conteste l'application de la forclusion de l'article 8, rappelant son caractère illicite, en ce qu'elle prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur, et vient créer une confusion dans sa rédaction entre prescription et forclusion ; elle ajoute que cette clause était impossible à articuler avec la possibilité d'une conciliation préalable au regard du court délai de trois mois ; au visa de l'article 1170 du code civil, elle demande à la Cour de déclarer cette clause non-écrite.

Elle affirme qu'en tout état de cause le délai de forclusion n'a pas pu commencer à courir avant qu'elle n'ait obtenu une connaissance exacte du préjudice résultant de la faute reprochée à Eccoffi.

La validité d'une telle clause prévoyant un délai de forclusion de trois mois s'agissant des demandes de dommages et intérêts résultant de la faute de l'expert-comptable, est toutefois reconnue de manière constante par la Cour de Cassation.

La Chambre Commerciale rappelle ainsi que le délai contractuel de trois mois imparti au client pour introduire une telle demande constitue un délai de forclusion, ce dont il résulte que les dispositions de l'article 2254 du code civil, venant interdire la réduction à moins d'un an du délai de prescription, ne sont pas applicables.

Elle ajoute que le délai de trois mois ne prive pas la partie lésée de ses droits ou de son accès au juge, considérant que ce délai pour agir est raisonnable.

(cf Com 30 mars 2016, n°14-24.874 ; Com 11 octobre 2023, n°22-10.521)

Les dispositions de l'article 1170 du code civil, selon lesquelles toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non-écrite, n'étaient pas en vigueur au jour de la conclusion du contrat conclu le 11 janvier 2005 entre Internet & E-commerce et Eccoffi, pour avoir été introduites par l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

En tout état de cause, bien que la jurisprudence antérieure ait consacré ce principe, il n'est pas pour autant applicable au cas d'espèce.

En effet, les parties ont fait usage de leur liberté contractuelle en prévoyant au contrat un délai de forclusion de trois mois, qui ne vient pas réduire la responsabilité de l'expert-comptable, mais vient uniquement enfermer l'action en dommages et intérêts dans un délai reconnu de manière constante comme raisonnable par la jurisprudence la plus récente.

Cette même jurisprudence admet la validité des clauses telle que celle objet du présent litige, qui rappellent à la fois le délai de prescription de cinq ans, et la forclusion de trois mois ; la rédaction de la clause n'est pas de nature à faire naître une confusion dans l'esprit des parties, dans la mesure où elle distingue clairement entre prescription et forclusion, qui sont deux notions distinctes, avec des régimes juridiques différents.

En l'espèce, la clause litigieuse apparaît claire, précise et dénuée d'ambiguïté en ce qu'elle rappelle le délai légal de prescription de cinq ans tout en instaurant un délai de forclusion de trois mois à compter de la connaissance effective du sinistre par le client, et elle n'est pas sujette à interprétation.

Par ailleurs, la société Internet & E-commerce, qui se prévaut d'une articulation impossible entre le délai de forclusion de trois mois et la possibilité de saisir le Président du Conseil régional de l'Ordre aux fins de conciliation, n'en rapporte pas la preuve.

Elle affirme en effet que la procédure de conciliation est forcément supérieure à trois mois, ce qui ne résulte d'aucun élément de la procédure, et ce d'autant plus que rien ne privait le client de la possibilité d'alerter l'Ordre sur ces délais contraints.

La Cour relève que le délai de trois mois stipulé par cette clause a été accepté par la société Internet & E-commerce d'une part, et d'autre part que sa durée, qui est raisonnable, n'est pas de nature à la priver du droit d'agir.

La clause, rédigée clairement, ne vient créer aucune confusion, et il n'est pas démontré qu'elle soit incompatible avec la saisine préalable de l'Ordre pour conciliation.

Il convient en conséquence d'examiner si le délai de forclusion était expiré avant la délivrance de l'assignation à la société Eccoffi.

Le délai de forclusion court à compter de la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre ; la chambre commerciale de la Cour de Cassation a récemment rappelé qu'il n'est pas nécessaire que le préjudice allégué par le demandeur à l'indemnisation soit certain et susceptible d'évaluation, de sorte qu'une cour d'appel peut, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation retenir la date à laquelle ce demandeur ne pouvait ignorer le principe du dommage subi. (Com 11 octobre 2023, n°22-10.521)

Ainsi en l'espèce, la date à laquelle la société Internet & E-commerce a eu connaissance du sinistre, au sens de l'article 8 des conditions générales d'intervention de la société Eccoffi du 11 janvier 2005, s'entend du jour où elle a pris conscience du fait que la faute de l'expert-comptable avait engendré un préjudice, et non du jour où elle a eu connaissance de l'étendue de ce préjudice.

La société Internet & E-commerce a fait délivrer assignation devant le tribunal de commerce d'Albi à la société Eccoffi par acte du 22 décembre 2017.

Il ressort des éléments de la procédure que la société appelante a eu connaissance au mois de mai 2017 des irrégularités dans les déclarations de TVA ; elle a saisi un avocat afin de déterminer les possibilités de régularisation et les conséquences de ces erreurs de déclarations ; ce cabinet d'avocat lui a donné une information complète, dès le 22 juin 2017, sur les procédures de régularisation qui devaient être engagées dans chaque pays, et sur ses honoraires pour ce faire.

Par message électronique du 23 juin 2017 adressé à Eccoffi, la société Internet & E-commerce a indiqué : « la seule stratégie proposée consiste à faire un mea culpa complet et général sur chacun des pays concernés avec tous les risques que cela entraîne, intérêts de retard, pénalités, amendes' »

Le préjudice aujourd'hui invoqué par la société appelante est en effet constitué des pénalités et intérêts de retard payés aux services fiscaux étrangers, et des honoraires d'avocat pour la régularisation de sa situation ; ainsi à la date du 23 juin 2017, la société Internet & E-commerce était informée de l'existence certaine de son préjudice résultant des erreurs de déclarations invoquées, préjudice dont elle demande désormais réparation.

Le délai de forclusion de trois mois a donc commencé à courir le 23 juin 2017, et était échu à la date de l'assignation.

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce d'Albi a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Internet & E-commerce à l'égard de la société Eccoffi ; ce chef de décision sera confirmé.

Sur les fins de non-recevoir soulevés par Ecodit-Expertise

En l'espèce, la société Ecodit-Expertise soulève trois fins de non-recevoir qu'il convient d'analyser successivement.

Sur l'indétermination de la demande

La société Ecodit-Expertise affirme qu'au jour de la délivrance de l'assignation par la société Internet & E-commerce, ses demandes étaient indéterminées, en ce qu'elles comportaient des éléments conditionnels et hypothétiques.

Ainsi, l'intimée rappelle que la société Internet & E-commerce sollicitait :

- « l'intégralité des sommes en principal qui ne lui seront pas restituées par l'administration fiscale à l'issue des réclamations formées par la requérante, les sommes dues devenant exigibles à compter de la notification aux professionnels concernés des réponses données par l'administration fiscale française à ces réclamations »

- « l'intégralité des intérêts de retard et des pénalités payés »(') « les sommes dues devenant exigibles au fur et à mesure des notifications desdits intérêts de retard et pénalités aux professionnels concernés »

- « l'intégralité des coûts de régularisation supportés »

L'intimée estime que les évaluations produites ne permettaient pas de rendre ces demandes déterminées ; elle affirme que ces demandes ne peuvent qu'être déclarées irrecevables, le caractère déterminé d'une demande s'appréciant au jour où elle est formée.

Il ne peut qu'être constaté que les demandes formées par la société Internet & E-commerce, dans son assignation initiale, sont plus complètes que ce qu'affirme la société Ecodit-Expertise ; elles sont chiffrées, avec la précision qu'à ce stade de la procédure, il ne peut s'agir que d'estimations ; elles ne sont donc pas indéterminées, en ce qu'elles portent sur des évaluations chiffrées et que leur nature est précisée ; le fait que ces demandes ne soient pas définitives ne les rend pas pour autant indéterminées, dans la mesure où la société Internet & E-commerce précise que ces montants seront amenés à évoluer en fonction des décisions de l'administration fiscale suite à sa demande de régularisation.

Le premier jugement ayant omis de statuer de ce chef, la Cour rejettera la fin de non-recevoir relative à l'indétermination de la demande.

Sur le défaut d'intérêt à agir

La société Ecodit-Expertise affirme qu'au jour de l'assignation, la demanderesse n'avait aucun préjudice né et actuel, de sorte qu'elle ne justifiait d'aucun intérêt à agir.

En vertu de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Ainsi celui qui agit en justice doit avoir un intérêt ou une qualité pour agir.

Il résulte des développements précédents que si le préjudice de la société Internet & E-commerce n'était pas définitivement fixé au jour de l'assignation, il était pour autant déjà né et actuel ; en effet, dès la réception le 22 juin 2017 du compte-rendu réalisé par son avocat détaillant les modalités de régularisation pays par pays, la société appelante a eu connaissance de l'existence d'un préjudice résultant des erreurs de déclaration dans la TVA, constitué par des frais de conseil pour chacun des actes de régularisation, des pénalités, intérêts de retard et amendes.

L'absence de fixation définitive du montant de ce préjudice au jour de l'assignation est sans effet, et n'a pas fait disparaître le principe même du préjudice subi par Internet & E-commerce ; dès lors, la société avait un intérêt à agir en réparation de ce préjudice existant.

Cette fin de non-recevoir, qui a été omise par les premiers juges, sera donc également rejetée.

Sur le défaut de qualité pour défendre

Selon l'article 32 du code de procédure civile, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir, est irrecevable.

La société Ecodit-Expertise reproche à Internet & E-commerce de l'avoir assignée sur le fondement d'une obligation contractuelle de conseil, en visant l'article 1147 du code civil, et ce alors qu'il n'a pas qualité pour défendre sur une telle demande, dans la mesure où il accomplit une mission légale, et n'est pas contractuellement lié à la partie adverse.

Elle ajoute qu'en l'assignant, Internet & E-commerce a procédé à une extension de la mission qui était la sienne ; elle rappelle qu'aucune faute ne peut lui être reprochée quant à la certification des comptes.

La contestation du fondement juridique retenu par la partie demanderesse pour appuyer ses prétentions, relève toutefois du fond et non d'une quelconque condition de recevabilité ; il en va de même s'agissant de déterminer si la faute invoquée présente un lien suffisant avec le préjudice allégué.

En effet, la société Ecodit-Expertise n'est pas privée de la qualité pour défendre, mais soutient simplement une argumentation juridique différente de celle adoptée par la société appelante sur la qualification juridique du lien les unissant.

Dès lors, il s'agit du fond du litige, et non d'une fin de non-recevoir, qu'il conviendra de rejeter.

Sur la responsabilité du commissaire aux comptes

A titre liminaire, il convient de relever que les dispositions du code de commerce relatives aux commissaires aux comptes ont fait l'objet d'une renumérotation opérée par l'ordonnance no 2023-1142 du 6 décembre 2023, entrée en vigueur le 1er janvier 2024 ; dès lors, ce changement de numérotation sera spécifié dans les développements qui suivent.

La société Ecodit-Expertise a été nommée par décision de l'associé unique de la société Internet & E-commerce en date du 28 septembre 2011, en qualité de commissaire aux comptes titulaire.

Il lui a été confié une mission légale, sans aménagement contractuel.

Il ressort des dispositions de l'article L821-54 du code de commerce (anciennement L823-10) que les commissaires aux comptes ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur.

Ils vérifient également la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations données dans le rapport de gestion du conseil d'administration, du directoire ou de tout organe de direction, et dans les documents adressés aux actionnaires ou associés sur la situation financière et les comptes annuels.  

Ils vérifient, le cas échéant, la sincérité et la concordance avec les comptes consolidés des informations données dans le rapport sur la gestion du groupe.

L'article L821-53 de ce même code (anciennement L823-9) ajoute que les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice.

Enfin, selon l'article L821-10 (anciennement L823-12), le commissaire aux comptes signale à la plus prochaine assemblée générale ou réunion de l'organe compétent les irrégularités et inexactitudes relevées par lui au cours de l'accomplissement de sa mission ou prestation, et, lorsqu'il intervient auprès d'une entité d'intérêt public, l'invite à enquêter conformément aux dispositions de l'article 7 du règlement (UE) no 537/2014.

Il résulte de ces dispositions légales que le commissaire aux comptes est un organe indépendant chargé de veiller à la régularité des comptes des entités dans lesquelles il intervient, et au-delà, à la préservation de l'intérêt social.

Les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de l'entité qu'ils contrôlent que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences commises dans l'exercice de leurs fonctions (ancien article L822-17 du code de commerce, désormais L821-37).

Il s'agit, conformément à l'article 1240 du code civil, en principe d'une responsabilité pour faute prouvée, à moins d'un manquement commis à l'occasion d'une mission conventionnelle.

En tout état de cause, dans l'exercice de sa mission, il est constant que le commissaire aux comptes n'est tenu que d'une obligation de moyens.

Il appartient à celui qui recherche sa responsabilité d'établir le manquement du commissaire aux comptes, et donc de prouver qu'un commissaire aux comptes diligent placé dans les mêmes circonstances aurait agi différemment de celui mis en cause, le préjudice et le lien de causalité.

En l'espèce la société Internet & E-commerce reproche au commissaire aux comptes d'avoir fait preuve de négligence en ne relevant pas que sa comptabilité n'était pas conforme aux règles en vigueur ; alors qu'une partie de ses ventes apparaissait comme étant réalisé en dehors de la France, le fait de ne payer la TVA qu'en France constituait une irrégularité manifeste, avec un impact majeur sur la comptabilité.

Elle affirme que la société Ecodit-Expertise n'a procédé pourtant à aucune vérification de ce chef, et n'a pas alerté les organes compétents.

Il est régulièrement jugé que la faute du commissaire aux comptes n'est pas retenue lorsqu'il a procédé, par sondages, selon les normes en cours dans la profession et que rien ne lui permettait de soupçonner l'existence d'une irrégularité qui l'aurait obligée à pousser plus avant ses investigations.

En revanche, sa faute est retenue lorsqu'il n'a pas décelé une irrégularité qu'une diligence normale aurait permis de découvrir ; la Cour de Cassation retient ainsi la faute du commissaire aux comptes en cas d'insuffisance quantitative des diligences, concernant l'appréciation du contrôle interne et les sondages, de sondages insuffisants et tardifs et ne correspondant pas aux diligences exigées d'un commissaire aux comptes, ou de certification des comptes de la société de façon hâtive et fautive, compte tenu d'une importante écriture de régularisation du compte client, dont l'anormalité aurait dû attirer son attention, alors qu'un examen sérieux, conforme aux normes professionnelles, l'aurait conduit à formuler toutes réserves.

En l'espèce, la société appelante affirme que le commissaire aux comptes n'a pas réalisé une vérification sérieuse de la situation de l'entreprise, et rappelle qu'il ressortait clairement des factures, du fichier client, des relevés mensuels du crédit agricole, de l'activité Paypal et des fichiers excel associés, ainsi que des factures mensuelles des transporteurs étrangers, qu'une grande partie de ses ventes était réalisée en dehors de la France.

La Cour constate que les factures et le fichier client invoqué ne sont pas versés aux débats ; dès lors, il n'est pas permis de vérifier si la simple lecture de ces documents permettait de constater une part importante de ventes à l'étranger.

Les relevés Paypal versés aux débats ne sont pas probants dans la mesure où ce mode de paiement est susceptible de concerner les ventes à l'étranger, mais également les ventes réalisées sur le sol français ; les adresses mails utilisées pour procéder à ces paiements, dont certaines ont été créées à partir de sites étrangers, ne suffisent pas à apporter une quelconque preuve quant au lieu de livraison des marchandises.

En tout état de cause ces relevés, ainsi que les relevés de compte du Crédit Agricole et les factures des transporteurs (par ailleurs rédigées en langue étrangère et non traduites), n'apportent aucun élément probant sur la quantité de ventes à l'étranger.

La société Internet & E-commerce verse aux débats ses comptes annuels uniquement pour les exercices 2015-2016, et 2017-2018 ; il ne peut qu'être relevé que les comptes de résultat pour ces années mentionnent de manière claire une distinction entre les ventes réalisées en France et celles réalisées à l'étranger.

Ainsi, pour l'exercice clos au 30 septembre 2016, les ventes de marchandises ont été réalisées :

- pour 7 925 324 euros en France

- pour 996 449 euros en exportation

Pour l'exercice clos au 30 septembre 2018, les ventes sont intervenues :

- pour 9 424 029,64 euros en France

- pour 1 378 549,14 euros en exportation

Il peut donc être relevé que sur ces seuls deux exemples produits par la société Internet & E-commerce, les ventes à l'étranger représentent entre 12 et 14% des ventes réalisées au total.

Comme l'indique la société appelante dans ses conclusions, le paiement de la TVA à l'étranger n'est obligatoire qu'à compter d'un certain seuil de chiffre d'affaires réalisé sur une année dans le pays concerné (articles 258 A et B du code général des impôts).

Les comptes de résultats, s'ils font apparaître une part de vente à l'étranger, ne sont pas suffisamment précis pour alerter sur le dépassement de ce seuil, qui par ailleurs diffère selon les pays.

Le fait que la société contrôlée n'ait commis aucune fraude ni aucune omission de paiement de la TVA auprès de l'administration fiscale française, ne dispensait pas le commissaire aux comptes, dont la mission est de s'assurer de la régularité et la conformité des comptes, de se questionner sur le destinataire de la TVA, après avoir constaté qu'une partie des ventes était réalisée à l'étranger.

Pour autant, en ne produisant pas aux débats les rapports du commissaire aux comptes, ni l'intégralité des bilans, et le détail des redressements opérées par les pays tiers année par année (les pièces versées aux débats en langue allemande, autrichienne, italienne et espagnole, et non traduites, ne renseignant pas utilement la Cour sur ce point), la société Internet & E-commerce ne rapporte pas la preuve d'une part que la société Ecodit-Expertise n'a jamais attiré l'attention de la société sur cette question de la TVA, et d'autre part que cette irrégularité était suffisamment significative sur les années de contrôle pour justifier de vérifications renforcées.

Par ailleurs, la société Internet & E-commerce ne justifie des redressements fiscaux et des pénalités dont elle allègue que par la production d'un tableau récapitulatif non détaillé, élaboré par ses soins, et par des documents en langues étrangères qui n'ont pas fait l'objet d'un traduction et ne sont pas compréhensibles par la Cour ; ces pièces ne sont pas probantes.

Il a été précédemment rappelé que le commissaire aux comptes n'est tenu que d'une obligation de moyens et qu'il appartient à Internet & E-commerce de rapporter la preuve de sa faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

En l'espèce la société appelante est défaillante dans l'administration de la preuve.

En conséquence, c'est à bon droit que le tribunal de commerce d'Albi n'a pas retenu la responsabilité, du commissaire aux comptes ; ce chef de décision sera confirmé.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Sur la demande de la société Internet & E-commerce en réparation de son préjudice moral

La société appelante demande à la Cour de condamner Eccoffi et Ecodit-Expertise à lui payer la somme de 20 000 euros à titre d'indemnisation des complications rencontrées du fait de la nécessité de régulariser sa situation, la contraignant à déclarer des comptes déficitaires en 2017 dans l'attente du remboursement des TVA indument versées à l'administration fiscale française.

Il ressort des développements précédents que les demandes de dommages et intérêts présentées à l'encontre de l'expert-comptable sont atteintes par la forclusion, et que la responsabilité du commissaire aux comptes n'a pas été retenue, de sorte que la société Internet & E-commerce ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

La Cour confirmera en conséquence la décision des premiers juges de ce chef.

Sur la demande de la société Ecodit-Expertise au titre de la procédure abusive

La commissaire aux comptes, qui affirme que la société appelante lui a fait délivrer assignation sur le fondement de reproches étrangers à sa mission, et ce alors qu'elle avait parfaitement connaissance de ses obligations fiscales envers les pays étrangers dans lesquels elle faisait du commerce, demande à la Cour de condamner Internet & E-commerce à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le droit d'agir en justice est ouvert à tout plaideur qui s'estime lésé dans ses droits, son exercice ne dégénérant en abus qu'autant que les moyens qui ont été invoqués à l'appui de la demande sont d'une évidence telle qu'un plaideur, même profane, ne pourra pas ignorer le caractère abusif de sa démarche ou qu'il n'a exercé son action qu'à dessein de nuire en faisant un usage préjudiciable à autrui.

En l'espèce, la société Ecodit-Expertise ne démontre pas que la société Internet & E-commerce ait fait preuve de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière, le simple fait de faire une appréciation erronée de ses droits ne constituant pas un abus de procédure ; la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive a donc été rejetée à bon droit par les premiers juges, dont la décision sera confirmée.

Sur les demandes accessoires

En l'état de la présente décision de confirmation, la Cour confirmera également les dispositions du premier jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

La société Internet & E-commerce, qui succombe, sera par ailleurs condamnée aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande en outre de condamner la société Internet & E-commerce à payer la somme de 2 000 euros à chacun des intimés, au titre de ses frais irrépétible d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société appelante sera en revanché déboutée de sa demande sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par la Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit ;

Condamne la Sarl Internet & E-commerce à payer les sommes de 2 000 euros à la Sarl Eccoffi, 2 000 euros à la Sa Allianz, et 2 000 euros à la Sarl Ecodit-Expertise Conseil et Audit, en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la Sarl Internet & E-commerce aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Le Greffier La Présidente

.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/00303
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;20.00303 ?
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