07/03/2024
ARRÊT N° 126/2024
N° RG 23/00496 - N° Portalis DBVI-V-B7H-PH7S
EV/IA
Décision déférée du 20 Janvier 2023 - Juge de l'exécution de CASTRES ( 22/00516)
Mme [R]
S.A.S. EOS FRANCE
C/
[L] [W]
INFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU SEPT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
S.A.S. EOS FRANCE (anciennement dénommée EOS CREDIREC et venant au droits de la société MONABANQ) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
et par Me Cédric KLEIN de la SELAS CREHANGE & KLEIN ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur [L] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean christophe LAURENT de la SCP SCPI SALVAIRE LABADIE BOONSTOPPEL LAURENT, avocat au barreau de CASTRES
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant E.VET, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BENEIX-BACHER, président
E.VET, conseiller
P. BALISTA, conseiller
Greffier, lors des débats : M. BUTEL
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par E. VET, Conseiller rapporteur pour le président empêché, et par M. BUTEL, greffier de chambre
FAITS
Le 22 octobre 2002, M. [L] [W] et Mme [C] [O] ont solidairement souscrit auprès de la SA Banque Covefi une offre préalable d'ouverture de crédit à hauteur de 4000 €.
Par ordonnance du 4 janvier 2005, il a été fait injonction à M. [W] et Mme [O] par le tribunal d'instance de Lavaur de verser solidairement à la SA Banque Covefi la somme de 4125,22 € en principal outre intérêts au taux de 17,55 % à compter du 29 septembre 2004, 17,03 € au titre de la clause pénale et 4,30 € de frais.
Cette ordonnance a été signifiée le 10 janvier 2005 aux débiteurs et l'ordonnance exécutoire avec commandement de payer leur a été signifiée le 24 février 2005.
Par procès-verbal d'assemblée générale ordinaire et extraordinaire du 26 mai 2006, la SA Banque Covefia a changé sa dénomination sociale en Monabanq.
Par convention de cession de créances du 18 octobre 2010, la SA Monabanq a cédé une liste de créances à la SAS Contentia.
La SAS Contentia a changé sa dénomination en Eos Contentia.
Par décision du 16 novembre 2018, la SAS Eos Credirec, associée unique de la SAS Eos Contentia a décidé la dissolution et la transmission universelle du patrimoine de la SAS Eos Contentia à son profit ainsi que son changement de dénomination sociale en Eos France.
PROCEDURE
Suivant exploit d'huissier du 12 avril 2022, M. [W] s'est vu dénoncer un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation dressé le 5 avril 2022 à la demande de la SAS Eos France en vertu de l'ordonnance d'injonction de payer du 4 janvier 2005.
Suivant exploit d'huissier du même jour, M. [W] s'est également vu dénoncer un procès-verbal de saisie-attribution pratiquée le 6 avril 2022 à la demande de la SAS Eos France entre les mains de la Banque Postale, pour la somme totale de 8466,13 €, en vertu de la décision susvisée.
Par acte du 27 avril 2022, M. [L] [W] a fait assigner la SAS Eos France devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Castres aux fins de contestation desdites mesures d'exécution forcée.
Par jugement contradictoire du 20 janvier 2023, le juge a :
- débouté la SAS Eos France de toutes ses demandes,
- jugé que tous les actes d'exécution réalisés postérieurement à la cession de créance sont nuls et de nul effet,
- jugé que l'ordonnance en injonction de payer du tribunal d'instance de Lavaur en date du 4 janvier 2005 est prescrite,
- ordonné la mainlevée de la saisie-attribution du 6 avril 2022 et du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du 5 avril 2022 pratiqués faute de titre exécutoire,
- condamné la SAS Eos France à payer à M. [L] [W] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SAS Eos France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Eos France aux dépens, outre les frais de saisie-attribution du 6 avril 2022 ainsi que les frais du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du 5 avril 2022,
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties,
- rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.
Par déclaration du 10 février 2023, la SAS Eos France a relevé appel de la décisoin en en critiquant l'ensemble des dispositions.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SAS Eos France dans ses dernières conclusions du 6 avril 2023 demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 20 janvier 2023 par le juge de l'exécution de Castres en ce qu'il a débouté la SAS Eos France de toutes ses demandes, jugé que tous les actes d'exécution réalisés postérieurement à la cession de créance sont nuls et de nul effet, jugé que l'ordonnance en injonction de payer du tribunal d'instance de Lavaur en date du 4 janvier 2005 est prescrite, ordonné la mainlevée de la saisie attribution en date du 6 avril 2022 et du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation en date du 5 avril 2022 pratiqués faute de titre exécutoire, condamné la SAS Eos France à payer à M. [L] [W] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la SAS Eos France de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné la SAS Eos France aux dépens, outre les frais de saisie attribution du 6 avril 2022 ainsi que les frais du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du 5 avril 2022 et rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formée par les parties,
En conséquence et y infirmant,
- déclarer que la SAS Eos France vient aux droits de la société Covefi est créancière de M. [L] [W],
- déclarer que l'ordonnance rendue le 4 janvier 2005 par le président du tribunal d'instance de Lavaur, revêtue de la formule exécutoire, constitue un titre exécutoire définitif et de parfaite vigueur,
- valider la saisie-attribution pratiquée le 6 avril 2022 sur les comptes bancaires détenus par M. [L] [W] auprès de la Banque Postale,
- valider le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du 5 avril 2022 dont les effets se poursuivront,
- débouter M. [L] [W] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner M. [L] [W] à payer à la SAS Eos France la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M. [L] [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés par Me Benoit-Daief, avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
M. [L] [W] dans ses dernières conclusions du 22 mars 2023 demande à la cour de :
- débouter la société EOS France de toutes conclusions contraires,
- confirmer le jugement du juge de l'exécution de Castres du 20 janvier 2023
Subsidiairement, sur l'appel incident,
- écarter l'application du taux d'intérêt de 17,55%,
Plus subsidiairement,
- enjoindre à la SAS Eos France à communiquer un décompte expurgé des intérêts antérieurs au 6 avril 2020,
Plus subsidiairement encore,
- accorder à M. [W] de larges délais de paiement lui permettant de s'acquitter de sa dette par mensualité de 100€, la 24ème échéance correspondant au solde,
- condamner la SAS Eos France au paiement de la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens au titre de l'instance d'appel en sus de l'article 700 déterminé par la juridiction de première instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 janvier 2024.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
L'article 122 du code de procédure civile dispose : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.».
Il résulte des articles suivants que les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause, qu'elles doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public et que le juge peut relever d'office les fins de non-recevoir tirées du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.
Sur la prescription:
La SAS Eos France fait valoir que :
' le Code civil n'impose aucune temporalité pour notifier une cession de créances et que la finalité de la notification d'une cession de créances est d'informer le débiteur cédé sur le créancier auquel il doit effectuer les versements correspondant à sa créance,
' le défaut d'accomplissement des formalités prévues à l'article 1690 du Code civil ne rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer l'exécution de l'obligation cédée quand cette exécution n'est susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance au débiteur cédé ou à tout autre personne étrangère à la cession,
' la prescription du titre ne peut être retenue au regard des actes d'indisponibilité qui ont été effectués et des règlements volontaires de Mme [O], débitrice solidaire.
M. [W] oppose que :
' l'acte de cession de créance est totalement illisible et ne permet pas de conclure à la réalité de la cession de la créance invoquée,
' la cession de créances ne lui a jamais été notifiée au sens de l'article 1690 du Code civil applicable au jour de la cession, qu'en conséquence les actes d'immobilisation de ses biens intervenus avant cette signification n'ont pu avoir d'effet interruptif,
' le titre exécutoire est prescrit depuis le 19 juin 2018 puisque les versements effectués par Mme [O] dans le cadre d'un plan de surendettement ne le concernent pas.
L'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que le créancier dispose d'un délai de 10 ans pour faire exécuter son titre.
Il convient de rechercher si la société de crédit peut invoquer des causes d'interruption de la prescription.
L'ordonnance d'injonction de payer du 4 janvier 2005 a été signifiée le 10 janvier 2005 puis l'ordonnance exécutoire a été signifiée au débiteur avec commandement le 24 février 2005.
Par la suite la société créancière, antérieurement à la cession de créance, a fait délivrer au débiteur un procès-verbal de saisie-attribution le 24 mars 2005 et un procès-verbal de saisie-vente le 6 décembre 2005 suivi d'une signification de vente le 3 janvier 2006 et d'un procès-verbal d'accomplissement de publicité de vente le 3 janvier 2006.
La SAS Eos France produit la convention de cession de créances signée avec la SA Monabanq le 18 octobre 2010 mentionnant à l'annexe 1 la liste des créances cédées au titre de laquelle figurent les noms de M. [L] [W] et Mme [C] [O] suivis de leur date de naissance. Cet acte est parfaitement lisible et identifie clairement chacun des débiteurs avec sa date de naissance. Il convient de conclure que la créance objet du litige a été cédée.
Cette cession a été signifiée à M. [W] le 12 avril 2022.
Or, cette cession de créance, intervenue le 18 octobre 2010, était soumise aux dispositions des articles 1690 et suivants du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. Et selon ce texte, le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.
Il en résulte que le cessionnaire de la créance, cause de la saisie, dont la cession n'est opposable au débiteur que par la signification qui lui en est faite, ne peut pratiquer un acte d'immobilisation interruptif de prescription, qu'après avoir signifié cette cession de créance au débiteur saisi.
En conséquence, les actes d'immobilisation des biens de M. [W] intervenus entre la cession de créance du 18 octobre 2010 et la signification de la cession le 12 avril 2022 n'ont pu avoir d'effet interruptif.
Dès lors, le dernier acte d'immobilisation ayant valablement interrompu la prescription avant la cession de créances est le procès-verbal d'accomplissement de publicité de vente intervenu le 23 janvier 2006.
L'appelante fait valoir que Mme [O], co-débitrice solidaire de M. [W], a effectué des versements entre le 20 janvier 2011 et le 13 mars 2014 dans le cadre d'une procédure de surendettement.
L'article 2240 du code civil dispose que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription et il résulte de l'article 2245 que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres.
En l'espèce, Mme [O] a déposé un dossier de surendettement le 10 avril 2006 dans le cadre duquel elle a déclaré la créance de la SA Monabanq qui sera par la suite cédée à la SAS Eos France. Le plan de désendettement prévoyait que cette créance devait être en partie apurée par des mensualités de 35 € à compter du 10 janvier 2011 jusqu'au 13 mars 2014.
Or, la décision de recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement emporte suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur empêchant le créancier d'interrompre la prescription en diligentant une procédure d'exécution.
De plus, cette suspension de la prescription a été étendue à son codébiteur solidaire, peu importe que la société de crédit ait pu agir contre lui.
Enfin, conformément aux dispositions de l'article 1342-2 du Code civil, le paiement fait à une personne qui n'avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s'il en a profité.
En l'espèce, la SAS Eos France a effectivement profité de ces versements effectués à la SA Monabanq qui viennent en déduction des sommes réclamées sur le décompte qu'elle produit.
Dès lors, les versements effectués jusqu'au 13 mars 2014, selon le décompte produit, ont valablement interrompu la prescription qui n'est donc pas acquise
Cette fin de non recevoir ne peut être retenue.
Sur la qualité à agir :
La société de crédit a répondu à cette fin de non recevoir, considérant « qu'en cause d'appel, M. [W] invoque les mêmes moyens qu'en première instance : le défaut de qualité à agir ». Il convient en conséquence de considérer que ce point a été contradictoirement mis aux débats et il n'y a pas lieu d'ordonner de réouverture des débats en application du principe du contradictoire.
La SAS Eos France fait valoir que le Code civil n'envisage aucune temporalité pour notifier une cession de créances ni même n'impose un auteur particulier, cette notification devant être considérée comme une simple information au débiteur cédé de son nouveau créancier destinée à lui permettre de s'acquitter de sa dette volontairement entre les mains du cessionnaire. Ainsi, le défaut d'opposabilité permet seulement au débiteur de ne pas s'acquittervolontairement entre les mains du cessionnaire, le créancier disposant de tous les droits du cédant à compter de la cession et pouvant donc entreprendre toute mesure d'exécution forcée.
La cour rappelle qu'en application de l'article 1690 du Code civil dans sa rédaction applicable, jusqu'à sa signification au débiteur cédé ou son acceptation par celui-ci, la cession de créance n'a d'effet qu'entre les parties et le débiteur cédé ne peut se la voir opposer.
En l'espèce, la saisie-attribution pratiquée sur les comptes de M. [W] et le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule ont été effectués le 12 avril 2022, alors que la cession de créance, n'avait pas été signifiée au débiteur et ne lui était pas opposable.
En conséquence, la signification ultérieure de l'acte de cession par conclusions du 12 avril 2022 ne pouvant régulariser la procédure a posteriori la décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution du 6 avril 2022 et du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du 5 avril 2022.
Sur les demandes annexes :
La décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de M. [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 1500 € et de faire droit à sa demande à ce titre à hauteur de 2000 €.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Infirme la décision déférée en ce qu'elle a jugé prescrite l'ordonnance d'injonction de payer du tribunal d'instance de Lavaur en date du 5 janvier 2005,
Statuant à nouveau :
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Condamne la SAS Eos France à verser à M. [L] [W] la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Eos France aux dépens d'appel.
LE GREFFIER P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHE
Le conseiller rapporteur
M. BUTEL E. VET