17/05/2023
ARRÊT N°212
N° RG 21/01892 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OEAB
FP/CO
Décision déférée du 13 Avril 2021 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE ( )
M.KRYGIEL
S.A.R.L. ACA FIDUCIAIRE
S.C.I. ARAYN
C/
S.A.R.L. LE BON VIVRE
infirmation partielle
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTES
S.A.R.L. ACA FIDUCIAIRE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric DOUCHEZ de la SCP D'AVOCATS F. DOUCHEZ - B. LAYANI-AMAR, avocat au barreau de TOULOUSE
Assistee de Me Jean-baptiste ABADIE, avocat au barreau de PARIS
S.C.I. ARAYN
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric DOUCHEZ de la SCP D'AVOCATS F. DOUCHEZ - B. LAYANI-AMAR, avocat au barreau de TOULOUSE
assistée de Me Jean-baptiste ABADIE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.R.L. LE BON VIVRE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-françois RAVINA de la SELARL RAVINA-THULLIEZ-RAVINA ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant F.PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller
F. PENAVAYRE,magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 5 août 1992, Monsieur [J] [V] aux droits duquel se trouvent les sociétés ARAYN et ACA FIDUCIAIRE, a consenti à la société LE BON VIVRE un bail précaire à effet du 1er septembre 1992, portant sur le local à entièrement agencé à usage de restaurant situé [Adresse 1] à [Localité 3]
Par arrêt du 14 juin 2001, la cour d'appel de Toulouse a jugé que la société LE BON VIVRE bénéficiait de la propriété commerciale sur le local et du droit renouvellement du bail à compter du 2 septembre 1993.
Selon exploit en date du 22 juillet 2014, la société LE BON VIVRE a sollicité le renouvellement du bail avec effet au 1er octobre 2014, ce qui a été expressément accepté par les sociétés bailleresses par acte du 25 septembre 2014.
Par jugement du 3 novembre 2020 , le juge des loyers commerciaux a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 63 280 €.Un appel est en cours.
Par acte d'huissier du 13 mai 2015, les sociétés bailleresses ont délivré à la société LE BON VIVRE un commandement d'avoir :
-à justifier d'une autorisation expresse et par écrit du bailleur pour la réalisation de divers travaux,
-à justifier d'une assurance couvrant les risques locatifs et du paiement des primes correspondantes.
Le commandement rappelait la clause résolutoire insérée au bail et l'intention des bailleresses de s'en prévaloir à défaut d'exécution.
Par acte du 4 juin 2015, le société LE BON VIVRE a formé opposition au commandement visant la clause résolutoire devant le tribunal de grande instance de Toulouse.
Par jugement en date du 12 janvier 2017, le tribunal a d'une part déclaré non acquise la clause résolutoire et, avant dire droit sur la demande de résolution judiciaire, ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur [P] avec mission de :
- décrire les travaux réalisés par la société LE BON VIVRE depuis 2000
- vérifier si les travaux ont été réalisés avec l'autorisation du bailleur,
et fait injonction à la société LE BON VIVRE de communiquer à l'expert et au bailleur l'ensemble des factures correspondant aux immobilisations afférentes aux travaux mentionnés dans le compte n° 218 100 intitulé « INSTAL / AGENC.DIVERS » de la liste des immobilisations arrêtée au 31 décembre 2010 et de toutes informations et factures afférentes à des travaux qui auraient été réalisés dans les locaux loués entre le 1er janvier 2011 et la date de l'assignation.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 25 juin 2018.
En lecture de rapport, les sociétés ARAYN et ACA FIDUCIAIRE ont sollicité la résiliation judiciaire du bail, l'expulsion du preneur, la séquestration des meubles et la condamnation du locataire à verser une indemnité provisionnelle d'occupation et 50.000 € à titre de dommages et intérêts.
La société LE BON VIVRE a conclu au rejet des demandes et reconventionnellement, a demandé au tribunal de condamner le bailleur à lui verser la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour trouble de jouissance et procédure abusive.
Par jugement du 13 avril 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse a:
- débouté les sociétés ARAYN et ACA FIDUCIAIRE de leurs demandes de résiliation judiciaire du bail et d'expulsion,
-déclaré sans objet l'action en dommages et intérêts desdites sociétés
-débouté la SARL LE BON VIVRE de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
-condamné la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE à payer à la SARL LE BON VIVRE la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-rejeté toutes demandes autres des parties,
-condamné la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE aux dépens.
Par déclaration en date du 26 avril 2021, la SARL ACA FIDUCIAIRE et la SCI ARAYN ont relevé appel du jugement qu'elles critiquent en ce qu'il a :
-les a débouté de leurs demandes de résiliation judiciaire du bail et d'expulsion,
-déclaré sans objet leur action en dommages et intérêts
-condamné la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE à payer à la SARL LE BON VIVRE la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-rejeté toutes demandes autres des parties
-condamné la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE aux dépens.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 27 janvier 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de leur argumentation, la SCI ARAYN et la SARL ACA FIDUCIAIRE demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1184 anciens du code civil, d' infirmer le jugement rendu le 13 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes en résiliation judiciaire du bail et en dommages et intérêts et les a condamné à payer à la société LE BON VIVRE la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Et statuant à nouveau :
- de prononcer la résiliation judiciaire du bail, aux torts et griefs de la société LE BON VIVRE
- d'ordonner, au plus tard dans le mois de la décision à intervenir, l'expulsion de la société LE BON VIVRE des locaux qu'elle occupe à [Adresse 1], ainsi que celle de tous occupants de son chef avec le concours de la force publique si nécessaire, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard
-d'ordonner la séquestration des meubles, objets mobiliers et marchandises garnissant les locaux dans tel garde-meubles au choix des demandeurs et aux frais, risques et périls de la société LE BON VIVRE
- de condamner la société LE BON VIVRE à payer, à compter de la décision à intervenir, en deniers ou quittances, à la SCI ARAYN et à la société ACA FIDUCIAIRE, une indemnité provisionnelle d'occupation égale au montant du loyer augmenté des charges jusqu'à la libération effective des lieux et la remise des clés
En toute hypothèse :
-d'enjoindre à la société LE BON VIVRE de communiquer l'ensemble des factures correspondant aux travaux réalisés au début de l'année 2021
Avant dire droit :
- d'ordonner une expertise avec mission de décrire des travaux réalisés par la société LE BON VIVRE dans les lieux au début de l'année 2021, de vérifier si les travaux ont été réalisés avec l'autorisation du bailleur , -d'enjoindre à la société LE BON VIVRE de communiquer contradictoirement à l'expert l'ensemble des factures correspondant aux travaux réalisés au début de l'année 2021,
- condamner la société LE BON VIVRE à payer à chacune, la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation persistante et réitérée des obligations mises à sa charge par le bail et de l'atteinte au droit de propriété des bailleurs en découlant ,
En tout état de cause :
-débouter la société LE BON VIVRE de l'ensemble de ses demandes,
-condamner la société LE BON VIVRE à payer à la SCI ARAYN et à la société ACA FIDUCIAIRE,à chacune, une somme de 19.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-les condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP DOUCHEZ-LAYANI, avocats, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les sociétés bailleresses soutiennent en substance que la société locataire a gravement manqué à ses obligations en réalisant des travaux d'ampleur impliquant des démolitions, constructions et percements de murs et de voûtes, sans solliciter son autorisation au mépris des dispositions contractuelles ( article 4 du bail) et qu'en outre, la société LE BON VIVRE a poursuivi les travaux en cours de procédure selon le constat d'huissier établi le 2 février 2021, l'ensemble de ces manquements, graves et répétés, justifiant la résiliation du bail à ses torts et l'expulsion des occupants outre des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
Au terme de leurs conclusions notifiées le 6 janvier 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL LE BON VIVRE demande à la cour de :
-confirmer le jugement du 13 avril 2021 en ce qu'il a :
*débouté les sociétés ARAYN et ACA FIDUCIAIRE de leur demande de résiliation judiciaire du bail et d'expulsion,
*déclaré sans objet l'action en dommages-intérêts dirigés par les sociétés bailleresses,
*condamné les sociétés bailleresses à payer à la société LE BON VIVRE la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
*condamné les mêmes aux dépens,
*débouté les sociétés bailleresses de leur demande de communication des factures relatives aux travaux réalisés au début d'année 2021,
*débouté les mêmes sociétés de leur demande visant à voir ordonner, avant dire droit, une expertise avec mission notamment pour l'expert de décrire les travaux réalisés dans les lieux au début de l'année 2021 et de vérifier s'ils ont été réalisés avec l'autorisation du bailleur,
-débouter les bailleresses de leurs demandes d'injonction de communiquer à l'expert l'ensemble des factures correspondant aux travaux réalisés au début d'année 2021 ,
- infirmer le jugement du 13 avril 2021 en ce qu'il a débouté société LE BON VIVRE de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts
-en conséquence, condamner les sociétés bailleresses au paiement chacune d'une somme de 10.000 € pour trouble de jouissance et procédure abusive,
-condamner les sociétés ACA FIDUCIAIRE et ARAYN à payer chacune à la société LE BON VIVRE la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société LE BON VIVRE soutient pour l'essentiel :
- qu'elle n'a réalisé aucun changement de distribution, aucune démolition , aucun percement de murs ou de voûte ni aucune construction et que les travaux entrepris n'exigent pas l'autorisation préalable des sociétés bailleresses,
-que la demande de résiliation a été présentée postérieurement à l'acceptation de renouvellement du bail par les bailleurs qui avaient connaissance des travaux antérieurs réalisés par la locataire pour avoir visité les locaux au cours de l'expertise judiciaire confiée à Monsieur [X] le 14 septembre 2005 et commandé un dossier de diagnostic technique le 30 décembre 2010 faisant état notamment de la création d'une douche à l'emplacement d'un WC à la turque. Il en est de même pour l'expertise judiciaire de Monsieur [S] de 2015 qui décrit les nombreux travaux et investissements réalisés par le locataire entre 2000 et 2002.
- qu'elle n'a jamais modifié la destination du local,
- qu'elle a réalisé des travaux de mise en conformité imposés par la réglementation,
- qu'elle n'a effectué aucun percement au sous-sol pour relier les locaux loués aux locaux adjacents.
À titre subsidiaire, elle soutient que les manquements invoqués ne se sont pas suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du bail dès lors qu'ils n'ont aucune incidence sur la solidité de l'ouvrage et qu'elle s'est toujours acquittée de ses autres obligations.
Il y a lieu pour le surplus des explications des parties de se reporter expressément aux conclusions susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de résiliation judiciaire du bail pour manquement du preneur à ses obligations contractuelles:
Selon les Charges et Conditions du bail, il est prévu au paragraphe 4 que le locataire ne pourra faire dans les lieux loués aucun changement de distribution, aucune démolition aux constructions, aucun percement de murs ou de voûtes, aucune construction sans l'autorisation expresse et par écrit du bailleur. En cas d'autorisation , le bailleur se réserve le droit de faire exécuter ces travaux sous la surveillance d'un architecte de son choix dont les honoraires seraient à la charge du preneur. En fin de bail, le locataire devra laisser tous travaux d'amélioration ou de modification... sans indemnité du bailleur.
Selon le paragraphe 3, le locataire doit entretenir constamment les agencements et lieux loués pendant toute la durée du bail en bon état de réparation et d'entretien. De convention expresse, il s'engage à exécuter aux lieux et place du bailleur toutes les réparations qui pourraient être nécessaires dans les lieux loués, notamment aux agencements ,à l'exception des grosses réparations définies à l'article 606 du Code civil qui seules restent à la charge du bailleur.
En vertu du contrat de bail , le preneur doit solliciter l'autorisation du bailleur dès lors que les travaux qu'il envisage de réaliser dans les locaux donnés à bail supposent des changements de distribution, constructions, démolitions, percements de murs ou de voûtes, c'est à dire des travaux susceptibles de modifier la chose louée et/ou de compromettre la solidité du bâtiment.
Peu importe à cet égard qu'ils soient imposés par les règles d'hygiène et de sécurité à laquelle il est tenu en raison de l'activité exercée dans les locaux ou rendus nécessaires pour maintenir les locaux en bon état d'entretien et de réparation dès lors que par leur nature ou leurs effets, ils relèvent des travaux listés à l'article 4 du bail et d'une autorisation du bailleur.
La clause est claire et précise et n'a pas besoin d'être interprétée. Il n'y a donc pas à distinguer entre les travaux de percement et de démolition portant sur le second 'uvre et les interventions sur le gros 'uvre susceptibles de donner lieu à des détériorations de la structure de l'immeuble.
Compte tenu de la rédaction de la clause relative au percement de murs et de voûtes, l'expert a proposé de ne retenir, au titre des percements requérant l'autorisation du bailleur au sens du contrat, que les seuls percements de section 10 cm et plus, dans une voûte ou un mur porteur ,ce qui exclut les percements de section inférieure à 20 mm dans un élément de cloisonnement non porteur.
Cette analyse n'étant pas contestée par les bailleurs,ses conclusions seront retenues comme base de discussion.
Après avoir analysé les différentes factures des travaux qui lui ont été communiquées par la société locataire pour des travaux s'échelonnant entre 2000 et 2015 ,l'ex pert judiciaire a établi une liste des travaux qui requéraient une autorisation. Il s'agit :
- de la modification du cloisonnement, même s'il s'agit d'une mise en conformité des locaux de restauration,
-du passage du réseau d'eaux usées sous le dallage du sous-sol et de la création de siphons (avec une saignée du carrelage pour le raccordement),
-de la suppression d'un WC pour réaliser une douche (laquelle a été postérieurement condamnée par une dalle de béton),
- des percements de dimensions supérieures à 10 cm (réseaux gaines de ventilation...),
- de la pose d'un parquet sur ragréage,
- du passage des fluides chauffage/rafraîchissement,
- de la pose d'une trappe (de ventilation),
- de la réalisation d'un caisson en béton,
- du doublage des murs périphériques, même s'il s'agit d'une mise en conformité par rapport à la réglementation,
- de la modification du seuil d'entrée.
Par contre il a considéré que les travaux consistant à obturer une porte en conservant le cadre (au sous sol) ce qui permet de la remettre en état et les percements pour des fixations qui n'ont pas d'incidence sur la stabilité de l'ouvrage (de section de 20 mm, ce qui permet notamment la fixation d'un store-banne) pouvaient être réalisés sans l'autorisation du bailleur.
Il n'est pas contesté qu'aucune information sur les travaux qu'elle envisageait d'entreprendre ni demande d'autorisation n'a été effectuée par la société locataire alors qu'elle a engagé d'importants travaux d'aménagement et de rénovation dans les lieux donnés à bail qui se sont échelonnés sur plus de 15 ans ainsi qu'il résulte des différentes factures communiquées dans le cours des opérations d'expertise et de la visite des lieux .
Elle n'a pas communiqué non plus les plans d'aménagement de son maître d''uvre en expliquant qu'elle ne s'était pas adressée à un homme de l'art mais à une décoratrice pour suivre une partie des travaux et n'avait conservé aucun plan.
Il est soutenu par la SARL LE BON VIVRE que lors du renouvellement du bail, les bailleurs étaient informés de l'existence d'un certain nombre de travaux réalisés précédemment ( notamment par l'expertise de Monsieur [X] déposée le 27 mars 2007, le dossier de diagnostic technique du 30 décembre 2010 ainsi que le rapport de Monsieur [S]) en sorte qu'en acceptant le renouvellement du bail par acte d'huissier du 25 septembre 2014, ils ont renoncé à se prévaloir des éventuels manquements de leur locataire.
Les sociétés bailleurs répliquent à cet égard qu'elles ignoraient tant l'existence des travaux qui ont été effectués , que leur consistance et étendue et que ce n'est que dans le cours des opérations d'expertise confiées à Monsieur [S] ( dans le cadre d'un litige concernant la restitution du matériel d'exploitation et la licence IV appartenant aux bailleurs) que le preneur a communiqué le 21 novembre 2014 une liste simplifiée de ses immobilisations au 31 décembre 2010 qui leur a permis de constater l'ampleur et le coût des travaux réalisés précédemment . Ainsi ils n'avaient pas connaissance de la nature réelle des travaux lorsqu'ils ont accepté le renouvellement du bail le 25 septembre 2014.
La renonciation du bailleur à se prévaloir des manquements du preneur à ses obligations contractuelles en matière d'autorisation de travaux peut être expresse ou tacite. La renonciation à un droit ne se présume pas et doit résulter de faits manifestant sans équivoque la volonté d'y renoncer.
En l'espèce la renonciation du bailleur à solliciter la résiliation du bail en raison des manquements fautifs du locataire ne peut être valablement invoquée que si elle est certaine et non équivoque et ne peut concerner que des travaux effectivement portés à sa connaissance ou dont il ne pouvait légitimement ignorer l'existence.
Il ne saurait y avoir acceptation tacite de la part des bailleurs pour la réalisation de travaux qui lui ont été sciemment dissimulés.
Le locataire est tenu d'une obligation d'information envers son bailleur pour les travaux qu'il entreprend dans le local donné à bail et il ne peut utilement invoquer les mauvaises relations qu'il entretient avec ce dernier pour se dispenser de respecter les obligations qui lui incombent.
Selon les informations fournies, les bailleurs n'ont eu connaissance de la nature et de la consistance des travaux effectivement réalisés qu'à partir de la communication par le locataire de la liste simplifiée des immobilisations au 31 décembre 2010 qui leur a été transmise par courrier d'avocat le 21 novembre 2014 en sorte qu'il ne peut-être soutenu qu'en acceptant le renouvellement du bail le 25 septembre 2014, ils en avaient une connaissance suffisante pour renoncer à un droit acquis.
C'est donc à tort que le premier juge a considéré qu'ils avaient été informés d'une partie des travaux réalisés dans le cours de l'expertise judiciaire de Monsieur [X] effectuée en 2005/2007 et celle de Monsieur [S] datée de 2015 alors que ce n'est qu'au cours des opérations d'expertise réalisées par Monsieur [P] en 2018, après avoir reçu communication des factures relatives auxdits travaux à la suite de l'injonction du tribunal et visite contradictoire des locaux qu'ils ont eu pleine connaissance de leur nature et de leur consistance.
Il y a lieu en conséquence de constater qu'il n'y a eu aucune autorisation donnée par les bailleurs de réaliser les travaux effectués par le preneur ni renonciation tacite de la part de ces derniers de se prévaloir des manquements du preneur de nature à faire obstacle à leur demande de résiliation du bail.
Les bailleurs demandent de confirmer les conclusions de l'expert judiciaire et de considérer que l'ensemble des travaux qu'il a listés ont été réalisés en infraction à l'article 4 du contrat de bail mais de retenir en outre le percement « monumental » d'une porte au sous sol dans un mur porteur pour relier les locaux loués aux locaux adjacents,infraction sur laquelle le tribunal ne s'est pas prononcée et que l'expert a rejeté à tort pour des motifs qu'ils considèrent comme inopérants.
La société locataire soutient pour sa part qu'elle n'a commis aucun manquement à l'article 4 du bail, les travaux réalisés n'impliquant aucun changement de distribution, démolition, construction percement de murs et de voûtes ou étaient imposés par la réglementation. En tout état de cause l'autorisation préalable du bailleur ne peut être requise qu'en cas de travaux sur la structure de l'immeuble ou sur un mur et non sur de simples cloisons, doublages ou faux-plafond.
Enfin elle fait valoir qu'à défaut d'état des lieux d'entrée lors de la prise d'effet du bail, les bailleurs ne démontrent pas que les percements et démolitions relevés par l'expert aient été réalisés pendant sa durée d'occupation.
À cet égard, il y a lieu de constater que l'expert judiciaire Monsieur [P] a pris soin de préciser les travaux qui ont été récemment effectués en sorte que même s'il est impossible de connaître l'état antérieur du local lors de la prise d'effet du bail en 1992 (soit depuis plus de 25 ans à la date de son rapport), le grief ci-dessus invoqué ne peut prospérer.
Selon les factures produites qui ont été vérifiées par l'expert judiciaire,la société locataire a engagé des travaux importants d'aménagement de la salle de restaurant et de la cuisine situées au rez-de-chaussée ainsi que du sous-sol.
Les travaux ont concerné la démolition de la cuisine et de la salle ,la pose d'un faux plafond ( facture Coreno du 30 juin 2006 )qui exige la mise en place de rails suspendus par des tiges filetées fixées après percement du plancher haut du rez-de-chaussée, le doublage des murs qui exigent des percements pour la fixation des rails en haut et en bas, des percements de murs, de sol et de plafond d'une dimension supérieur à 200 mm pour faire passer des câbles électriques et des gaines de ventilation/ climatisation, la construction au sous sol d'un coffrage en béton pour insérer une gaine de ventilation/climatisation (travaux du 21 juin 2016 facture Euroclimat), la suppression du seuil d'entrée dans les locaux, la création de siphons de sol après avoir fait dans tranchées dans le carrelage et créé de réseaux d'évacuation avec étanchéité, lesquels constituent des travaux de démolition, de construction et de percement des murs tels que visés par l'article 4 du bail.
Il en est de même pour les percements réalisés en façade (pose de sabots) pour accrocher un nouveau store-banne de plus grande dimension qui devait être autorisé non seulement par le bailleur mais également par le syndic de l'immeuble, ce qui n'a pas été fait. Contrairement à ce qui est soutenu, le locataire n'a pas réutilisé les percents pré existants puisque l'expert a constaté que ces derniers étaient toujours présents sur la façade.
Quelle que soit l'utilité des travaux susvisés eu égard à l'activité de restauration exercée dans les lieux et aux exigences de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité, il appartenait au preneur d'en informer le bailleur lequel est en droit de faire superviser les travaux par un architecte de son choix pour vérifier qu'ils ne portent pas atteinte au bâti et soient réalisés dans les règles de l'art.
En ce qui concerne le bac à douche (qui a remplacé un WC à la turque selon les explications du locataire), si le bailleur a été informé de l'existence d'un local sanitaire au sous sol puisqu'il est fait état d'un local « de 7,86 m² incluant l'emprise d'un bac à douche » dans l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [X] en 2005 à laquelle le bailleur a assisté ( le 14 septembre 2005), et que le dossier de diagnostic technique réalisé le 30 décembre 2010 signale également la présence d'une salle d'eau et de 3 WC, il n'est pas établi par contre par la société locataire, qu'elle l'ait informé de la démolition de ce bac à douche qu'elle a opérée ultérieurement en la recouvrant d'une plaque en béton,ce qui constitue, tant lors de sa création que de sa suppression, une construction/démolition au sens de l'article 4 du bail.
Il n'est nullement justifié des raisons de la suppression de ce bac à douche au regard de la réglementation invoquée.
Par contre l'infraction n'est pas caractérisée pour la pose d'un nouveau parquet sur un ragréage car il n'est pas démontré que ces travaux de second 'uvre constituent une démolition ou une construction au sens de la clause. Il en est de même la pose d'une trappe de ventilation, aucune précision n'étant fournie à son sujet dans le rapport de l'expert.
En ce qui concerne le percement d'une porte dans le mur séparatif de la cave avec un copropriétaire distinct, il a été constaté lors de la visite des lieux qu'il existait une porte qui avait été obturée par des blocs de ciment et dissimulée derrière différents matériels et encombrements.
Le bailleur prétendant que cette porte avait été ouverte puis rebouchée par le locataire sans l'en informer et la société locataire s'étant opposée à des investigations supplémentaires de l'expert à ce sujet, le juge chargé du contrôle des expertises a été saisi à sa demande pour faire arbitrer la mission de l'expert.
Par ordonnance du 8 janvier 2018,le juge a fait injonction au preneur de produire les factures numérotées 35 à 38 selon la liste des immobilisations simplifiées au 31 décembre 2015 et dit que l'expert serait autorisé à accéder aux locaux contigus, avec l'autorisation du propriétaire ou du syndic pour la partie correspondant aux liaisons frigorifiques du sous-sol afin d'y poursuivre sa mission.
À la reprise des opérations, l'expert a constaté qu'au travers de cette porte de communication désormais rebouchée, il avait été fait une réservation pour faire passer des liaisons frigorifiques entre le matériel de réfrigération (en service ) et une unité installée à l'extérieur desdits locaux.
La société LE BON VIVRE prétend que la porte préexistait lors de son entrée dans les lieux en 1992 ,qu'en tout état de cause le bailleur n'apporte pas la preuve contraire puisqu'il n'a pas été fait d'état des lieux d'entrée, qu'elle l'a obturée en 2006 (facture CORENO) à la suite de cambriolages et qu'elle n'a effectué aucun percement pour réaliser la liaison frigorifique. Pour en justifier, elle a fourni une facture en date du 30 juin 2006 qui comporte l'indication d'une construction « de blocs de 20 » .
Les travaux de climatisation du sous-sol ont été réalisés suivant facture du 20 août 2015 (n° 56) établie par la société Euroclimat qui prévoit de poser l'unité extérieure sur une petite terrasse du premier étage, soit sur une surface ne faisant pas partie des locaux donnés à bail.
L'expert n'a pu déterminer à qui appartenait cette surface située de l'autre côté du mur et le locataire a fourni plusieurs explications successives à cet égard.
Les bailleurs expliquent que les locaux adjacents à ceux leur appartenant dans la même copropriété (lot Escorbiac) ont été exploités par différents locataires jusqu'à la prise de possession par la société Wilson Équilibre qui est une filiale de la société locataire pour avoir le même actionnariat. Les précédents locataires ont témoigné qu'il n'existait aucune porte de communication entre les caves de leurs locaux respectifs. Les sociétés appelantes en concluent que la porte n'a pu être ouverte qu'au moment où la société LE BON VIVRE et sa filiale la société Wilson Équilibre exploitaient concomitamment les deux locaux adjacents, étant précisé que la société LE BON VIVRE a absorbé sa filiale en 2012 et qu'elle a effectivement la jouissance des locaux voisins depuis le 10 juillet 2012.
Selon l'expert, l'ouverture est située entre les locaux appartenant au bailleur et ceux occupés par la société LE BON VIVRE, ce qui confirme la thèse des bailleurs.
La société locataire reconnaît dans ses écritures avoir obturé ladite porte avec des blocs de ciment tout en réservant un espace pour faire passer des liaisons frigorifiques avec une unité installée en dehors du local donné à bail. Elle ne justifie nullement d'en avoir informé le bailleur qui a été tenu dans l'ignorance de ces différents travaux et n'a pu les découvrir qu'à l'occasion des opérations d'expertise après que l'expert a été spécifiquement mandaté à cet effet.
Les travaux relatifs à la porte de communication entre deux propriétés distinctes, qu'il s'agisse d'une ouverture dans un mur porteur suivie d'une obturation comme le soutient le bailleur ou d'un rebouchage par des blocs de parpaing en ménageant un espace spécifiquement destiné à faire passer des liaisons frigorifiques comme le soutient le preneur, constituent une infraction au bail dès lors que le bailleur a été mis devant le fait accompli étant précisé qu'en tout état de cause il n'aurait jamais pu donner une telle autorisation qui contrevient aux droits des tiers.
Elle revêt, du fait de la nature de ces travaux (construction / démolition dans un mur de séparation) et de son caractère occulte une gravité certaine même s'il s'agit d'une opération réversible qui n'a eu aucune incidence démontrée sur la structure de l'immeuble.
En définitive, il y a lieu de constater que la société locataire a gravement manqué à ses obligations contractuelles en s'abstenant de requérir l'autorisation du bailleur pour entreprendre les travaux qu'elle a réalisés, ce qui l'a privé de la possibilité d'avoir recours à un homme de l'art pour discuter des solutions techniques mises en 'uvre, vérifier la bonne réalisation des travaux et s'assurer qu'ils ne compromettent pas la chose louée.
À cet égard, il sera constaté que selon les photographies versées aux débats, les percements opérés pour le passage des gaines et des réseaux d'évacuation laissent des trous béants qui n'ont pas été rebouchés (annexe 6 du rapport) alors que selon l'expert,ils doivent être calfeutrés au mortier de ciment ou de plâtre selon la nature de l'ouvrage traversé.
Les infractions au bail se sont échelonnées sur une longue période de temps, et ont été réitérées à plusieurs reprises. La locataire a non seulement réalisé des travaux d'ampleur qui excèdent des travaux d'entretien et de réparation qui lui incombent, mais elle a de surcroît fait réaliser de multiples percements dans les murs pour faire passer des réseaux ou des gaines de ventilation de grandes dimensions, modifié les agencements intérieurs en démolissant la salle et la cuisine , supprimé le bac à douche sans explication et fait passer des liaisons frigorifiques au travers d'une porte ouverte entre deux lots distincts qu'elle a obturée de son propre chef, le tout sans en informer son bailleur ni requérir son autorisation.
Elle a en outre refusé de communiquer spontanément les informations qu'il réclamait, ce qui l'a contraint à agir à justice et a manqué de transparence en s'opposant à la visite des locaux du sous-sol par l'expert, soulevant un incident sur l'étendue de sa mission qui a dû être tranché par le juge du contrôle des expertises.
Aujourd'hui encore elle poursuit la réalisation de nouveaux travaux d'aménagement et refuse d'en informer le bailleur lequel a dû solliciter une ordonnance présidentielle pour obtenir un constat d'huissier.
En conséquence il y a lieu d'infirmer la décision du premier juge et de faire droit à la demande de résiliation du bail en raison des manquements fautifs du locataire à ses obligations contractuelles en matière d'autorisation de travaux.
Sur les autres demandes :
En l'état de la décision ordonnant la résiliation du bail,il y a lieu de confirmer la disposition du jugement rejetant la demande de dommages-intérêts formée par la société LE BON VIVRE pour trouble de jouissance et procédure abusive.
Compte tenu de l'activité exploitée dans les lieux et de la nécessité pour la société locataire de disposer d'un temps suffisant pour redéployer son exploitation, il y a lieu d'accorder un délai maximum de un an à la société locataire pour quitter les locaux et d'ordonner son expulsion à l'issue, au besoin avec l'aide de la force publique.
L'indemnité d'occupation dont elle est redevable à titre provisionnel jusqu'à la libération effective des lieux par tous occupants de son chef sera fixée à la hauteur du montant du loyer de renouvellement fixé par le juge des loyers commerciaux ou la cour d'appel.
La mesure de séquestre des meubles n'est pas justifiée par le bailleur et apparaît en tout état de cause disproportionnée de même que la mesure d'astreinte.
Il n'y a pas lieu d'ordonner de nouvelle expertise pour vérifier les travaux réalisés depuis le mois de février 2021 dès lors qu'il est fait droit à la demande de résiliation du contrat.
Les sociétés appelantes réclament la condamnation de la société locataire à lui verser des dommages et intérêts pour le préjudice subi au motif que la société locataire s'est comportée comme le véritable propriétaire des murs en les privant de la possibilité d'être informés des travaux envisagés, de formuler d'éventuelles observations et de veiller au respect de leur bien.
Cependant il n'est rapporté la preuve d'aucun préjudice subi du fait des travaux réalisés par le preneur et c'est à bon droit que le Premier juge a rejeté la demande présentée de ce chef.
Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés bailleresses partie des frais irrépétibles qu'elles ont exposés pour faire valoir leurs droits en justice. Il leur sera alloué in solidum la somme de 5000 € de ce chef.
La partie qui succombe doit supporter les dépens en ce compris les frais d'expertise.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après en avoir délibéré ,
Infirme le jugement du Tribunal judiciaire de Toulouse en date du 13 avril 2021 en ce qu'il a :
-débouté la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE de leur demande de résiliation judiciaire du bail et d'expulsion de la société locataire
-condamné la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE à payer à la SARL LE BON VIVRE la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens de l'instance à leur charge,
Le confirme en ce qu'il a débouté la SARL LE BON VIVRE de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la résiliation du bail liant les parties aux torts de la SARL LE BON VIVRE,
Ordonne l'expulsion de la société LE BON VIVRE et de tout occupant de son chef passé un délai maximum de un an à compter de la signification du présent arrêt , au besoin avec l'aide de la force publique,
Fixe le montant de l'indemnité d'occupation due par la société LE BON VIVRE à titre provisionnel jusqu'à la libération effective des lieux au montant du dernier loyer de renouvellement fixé par le juge des loyers commerciaux ou la cour d'appel,
Rejette la demande de nouvelle expertise pour les travaux réalisés depuis le mois de février 2021 par la SARL LE BON VIVRE ,
Rejette les demandes de séquestre et d'astreinte,
Déboute la SCI ARAYN et la société ACA FIDUCIAIRE de leur demande de dommages et intérêts ,
Condamne la société LE BON VIVRE à leur verser in solidum la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société LE BON VIVRE aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise avec distraction au profit de la SCP DOUCHEZ-LAYANI, avocats, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente.