18/04/2023
N° RG 21/04858 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OQGU
Décision déférée - 08 Novembre 2021 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE -21/00828
[X] [Y], [F], [N] [V]
C/
[J] [M], [S] [Z]
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
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ORDONNANCE N°58/2023
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Le dix huit Avril deux mille vingt trois, nous, C. BENEIX-BACHER, présidente de la 3ème chambre, assisté de I. ANGER, greffier, avons rendu l'ordonnance suivante, dans la procédure suivie entre:
APPELANT
Monsieur [X] [Y], [F], [N] [V] notaire, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Stéphane RUFF de la SCP RSG AVOCATS, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
Madame [J] [M], [S] [Z], demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Nicolas MATHE de la SELARL LCM AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
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FAITS
Me [V] et Me [Z] sont notaires associés dans la société [Z]/[V] détenant chacun 250 parts sur les 500 du capital social.
Me [Z] a été condamnée en 2019 par le tribunal correctionnel de Toulouse pour faux en écriture publique et le tribunal de grande instance de cette ville statuant en chambre disciplinaire a par jugement du 8 avril 2019, prononcé son interdiction temporaire d'exercice professionnel pendant 2 ans avec exécution provisoire.
En conséquence, Me [V] a pris l'initiative d'engager en application de l'article 45 du décret du 13 janvier 1990 une procédure de retrait forcé de Me [Z] suivant LRAR des 19 juin 2020 et 7 août 2020.
Un litige est né relatif à la valorisation des parts, Me [Z] invoquant une promesse d'achat souscrite par Me [V] le 28 juin 2018 qu'il estime caduque du fait de la procédure de retrait forcé engagée.
PROCEDURE
Par acte en date du 15 février 2021, Me [V] a fait assigner Me [Z] devant le Président du Tribunal Judiciaire de Toulouse suivant la procédure accélérée au fond, pour obtenir sur le fondement des articles 45 du décret du 13 janvier 1993 et 1843-4 du code civil, la désignation d'un expert aux fins de déterminer la valeur des 250 parts sociales détenues par Me [Z] dans la SELARL [Z]/[V].
Par jugement en date du 8 novembre 2021, le Président a':
- débouté M. [X] [Y] [F] [N] [V] de sa demande d'expertise en l'état dans lequel elle est formulée,
- débouté Mme [J] [M] [S] [Z] de sa demande subsidiaire de sursis à statuer,
- dit n'y avoir lieu à injonction à médiation,
- débouté les parties de plus amples demandes et prétentions,
- condamné M. [X] [Y] [F] [N] [V] à payer à Mme [J] [M] [S] [Z] la somme de 2500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [X] [Y] [F] [N] [V] aux dépens de l'instance.
Par déclaration en date du 7 décembre 2021, Me [V] a interjeté appel du jugement en ces termes :
'L'objet de l'appel est de demander la nullité, pour excès de pouvoir, du jugement rendu, en ce qu'il a':
- refusé de nommer un expert au motif de contestations sur la régularité de la procédure de retrait alors qu'aucune contestation n'avait été élevée de ce chef,
- lié la nomination de l'expert à la régularité de la procédure de retrait alors qu'il a relevé dans le même temps qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur cette procédure de retrait,
- invité à saisir le Tribunal au fond pour prononcer l'exclusion forcée de Me [Z] alors qu'une telle action serait en tout état de cause vouée à l'échec.
Il demande en conséquence à la cour «'après avoir annulé le jugement et anéanti par voie de réformation subséquente les condamnations accessoires prononcées par le premier juge, d'accueillir la demande d'expertise.'
L'affaire a été orientée de droit à bref délai suivant avis du 5 janvier 2022.
Par conclusions d'incident du 17 juin 2022, Me [Z] a saisi le président de chambre à laquelle l'affaire a été distribuée d'un incident de recevabilité de l'appel.
Après plusieurs renvois l'incident a été radié du rôle par décision du 13 décembre 2022.
Par conclusions du 11 janvier 2023 Me [Z] en a sollicité la réinscription et déposé des conclusions. L'affaire a été inscrite à nouveau et renvoyée à l'audience d'incident du 21 mars 2023.
Me [Z] sollicite au visa des articles 1843-4 du code civil, 905-2, 914, 74 du code de procédure civile de':
- déclarer irrecevable l'appel de M. [V],
- le condamner au paiement d'une somme de 5000€ pour procédure abusive,
- le condamner au paiement d'une somme de 8000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que':
- il se déduit de la lecture de la déclaration d'appel du 8 décembre 2021 que l'objet de l'appel n'est pas la nullité de la décision mais sa réformation puisque Me [V] critique le motif du refus du juge d'admettre l'expertise'; ce qui correspond par ailleurs au dispositif de ses premières conclusions où il sollicitait bien la réformation du jugement en tous les chefs du dispositif et notamment le débouté de ses demandes pour en conséquence solliciter l'organisation d'une expertise ; dans son second jeu de conclusions, Me [V] a abandonné la demande de réformation pour ne solliciter que la nullité du jugement ce qu'il confirme dans ses conclusions d'incident,
- or l'appel réformation est impossible en application de l'article 1843-4 du code civil,
- subsidiairement, l'appel nullité doit être rejeté en l'absence d'excès de pouvoir du juge,
'- cet appel n'est donc qu'un appel réformation déguisé'; il est fondé sur une supposée erreur de droit commise par le juge quant à l'application de l'article 45 du décret du 13 janvier 1993';
- de sorte qu'il sera jugé irrecevable et abusif dès lors qu'il n'a pour seul objet que de bloquer la procédure d'exécution forcée de la promesse unilatérale.
Sur les dernières conclusions de Me [V], Me [Z] réplique que':
- le président de chambre est compétent pour statuer sur la recevabilité de l'appel mais l'exception d'incompétence n'a pas été soutenue dès les premières conclusions et in limine litis de sorte que cette exception est irrecevable'; d'autant que le dernier alinéa de l'article 905-2 du code de procédure civile donne compétence au président de chambre pour statuer sur la recevabilité de l'appel,
- elle soutient que les deux autres appels relevés par Me [V] (nullité du 10 février 2022 et réformation du 1er juin 2022) sont également irrecevables'; le premier est irrecevable s'agissant d'un appel nullité non démontré mais en réalité un appel réformation et le second est tardif.
Me [V] dans ses conclusions d'incident du 20 mars 2023 sollicite':
- l'incompétence du président de chambre pour tranche la recevabilité de l'appel au profit de la cour,
- subsidiairement la recevabilité de l'appel,
- plus subsidiairement le débouté de Mme [Z] ,
- et en tout état de cause le débouté de la demande de condamnation à une amende civile,
- et sollicite l'allocation de la somme de 8000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que':
- le président de chambre n'a pas les mêmes compétences que le conseiller de la mise en état et aucun texte ne lui accorde le pouvoir de trancher la recevabilité de l'appel dans un autre cas que l'application de l'article 930-1 du code de procédure civile,
- il rappelle qu'il a relevé 3 appels de la même décision du 8 novembre 2021': un appel nullité le 8 décembre 2021, un appel nullité le 10 février 2022 précisant les termes de l'appel et un appel réformation le 1er juin 2022 pour se conformer à la nouvelle jurisprudence de la Cour de Cassation dans son arrêt du 25 mai 2022,
- l'appel nullité du 8 décembre 2021 est recevable sachant qu'il est le seul recours ouvert en application de l'article 1843-4 du code civil du moins avant ce revirement jurisprudentiel,
- mais en l'espèce les conditions de l'appel nullité étaient remplies en ce que le premier juge a commis un excès de pouvoir en contrevenant à l'article 45 du décret du 13 janvier 1993 et en retenant un lien entre la régularité de la procédure de retrait forcé et la demande d'expertise,
- et la promesse unilatérale de vente des parts sociales du 28 juin 2018 dont Me [Z] a sollicité la levée partielle de l'option en novembre 2020 est indépendante de la mise en oeuvre de la procédure de retrait forcé prévue à l'article 45 du décret'; d'autant que la levée partielle d'option est postérieure à la notification le 19 juin 2020 de son retrait forcé et n'a pas vocation à s'appliquer.
SUR CE
En vertu de l'article 905 du code de procédure civile, l'appel des jugements rendus suivant la procédure accélérée au fond comme en l'espèce sont instruits à bref délai.
Le dernier alinéa de l'article 905-2 dispose que: « Les ordonnances du président ou du magistrat désigné par le premier président de la chambre saisie statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application du présent article et de l'article 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal. »
Il s'en déduit que dès lors que le texte vise l'autorité de chose jugée des ordonnances présidentielles statuant sur la recevabilité de l'appel, le président de chambre est compétent pour statuer sur la recevabilité de l'appel quel que soit son fondement qui ne peut être limité faute de précision du texte, à celui de l'article 930-1 du code de procédure civile.
L'article 1843-4 du code civil dispose que:
«'Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible. »
Me [V] a expressément précisé l'objet de son appel relevé contre la décision du 8 novembre 2021 en ces termes':
'L'objet de l'appel est de demander la nullité, pour excès de pouvoir, du jugement rendu, en ce qu'il a':
- refusé de nommer un expert au motif de contestations sur la régularité de la procédure de retrait alors qu'aucune contestation n'avait été élevée de ce chef,
- lié la nomination de l'expert à la régularité de la procédure de retrait alors qu'il a relevé dans le même temps qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur cette procédure de retrait,
- invité à saisir le Tribunal au fond pour prononcer l'exclusion forcée de Me [Z] alors qu'une telle action serait en tout état de cause vouée à l'échec.
La cour, après avoir annulé le jugement et anéanti, par voie de réformation subséquente, les condamnations accessoires prononcées par le premier juge, accueillera par conséquent la demande d'expertise formée par Monsieur [X] [V].
Il ressort donc des mentions précises de l'objet de l'appel, l'intention claire de Me [V] de relever exclusivement un appel nullité pour excès de pouvoir, la demande de réformation n'étant mentionnée que comme la conséquence de l'annulation et ce alors qu'il n'est pas visé les chefs de jugement critiqués exigés pour un appel réformation par l'article 901 du code de procédure civile.
L'appel nullité est ouvert contre une décision entachée d'excès de pouvoir et en l'absence de toute voie de recours.
L'article 1843-4 du code civil exclut tout recours de sorte que l'appel nullité du 7 décembre 2021 n'est pas critiquable de ce chef.
Me [V] soutient l'excès de pouvoir du premier Juge qui pour le débouter de sa demande d'expertise s'est fondé sur des motifs contradictoires et inopérants et en particulier':
Me [Z] soutient au contraire que Me [V] ne fait que critiquer les motifs de la décision ce qui constitue sous couvert d'un appel nullité, un appel réformation déguisé. Or, l'excès de pouvoir ne s'applique pas au cas d'erreur d'appréciation reproché au juge, à tort en l'espèce.
La notion d'excès de pouvoir constitue un vice grave entachant la décision critiquée, soit parce que le juge a usé de prérogatives que la loi ne lui a pas attribuées soit qu' il refuse d'exercer les compétences ou pouvoirs que la loi lui attribue.
L'office du juge est de statuer sur des prétentions en faisant application de la loi aux faits de l'espèce. Ne constitue donc pas un excès de pouvoir la mauvaise appréciation des faits, de l'objet ou de la cause du litige voire une mauvaise application ou interprétation de la loi lorsque le juge statue au fond.
Dès lors que Me [V] reproche au premier juge une mauvaise application de l'article 1843-4 du code civil et de l'article 45 du décret du 13 janvier 1993 sur la procédure de retrait forcé, il ne fait qu'émettre des critiques de fond de la décision. Dans ces conditions, en déboutant Me [V] de sa demande d'expertise le premier juge a rempli sa mission sans commettre aucun excès de pouvoir.
En conséquence, l'appel-nullité doit être déclaré irrecevable.
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; il semble plutôt que Me [V] se soit mépris sur l'étendue de ses droits.
PAR CES MOTIFS
- Nous déclarons compétent.
- Déclarons irrecevable l'appel nullité relevé le 8 décembre 2021 par Me [V].
- Déboutons Me [Z] de sa demande de dommages intérêts.
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboutons Me [Z] de sa demande.
- Condamnons Me [V] aux dépens d'appel.
Le greffier La présidente de chambre
I. ANGER C.BENEIX-BACHER