28/09/2022
ARRÊT N°332
N° RG 20/03824 - N° Portalis DBVI-V-B7E-N4OQ
IMM/CO
Décision déférée du 12 Novembre 2020 - Tribunal de Grande Instance de CASTRES - 19/01158
M.[L]
S.C.I. SCI LES TROIS GRACES
C/
[U] [H]
S.A.R.L. SIDOBRE OPTIC
infirmation
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
S.C.I. SCI LES TROIS GRACES
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Jannick CHEZE de la SCP VINCENT-CHEZE, avocat au barreau de TOULOUSE
Assistée de Me Christophe BLONDEAUT de la SELARL BPG AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES
Maître [U] [H] ès qualités et la Sarl Sidobre Optic
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Alexandre HEGO DEVEZA-BARRAU de la SELASU HEGO DEVEZA-BARRAU, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.R.L. SIDOBRE OPTIC
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Alexandre HEGO DEVEZA-BARRAU de la SELASU HEGO DEVEZA-BARRAU, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant V.SALMERON, présidente, I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseiller chargée du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller
P. BALISTA, conseiller
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre.
Exposé des faits et procédure :
Par acte sous seing privé du 21 septembre 2016, la Sci Les Trois Grâces a consenti une promesse de bail commercial à la société Sidobre Optic.
Par acte sous seing privé du 27 mars 2017, la Sci Les Trois Grâces et la société Sidobre Optic ont conclu un bail commercial, moyennant à compter du 1er juillet 2017 un loyer annuel de 35.000 € HT la première année assortie d'une franchise de loyer de trois mois, de 40.000 € HT la seconde année, et de 45.000 € HT minimum ensuite.
Suivant commandement de payer visant la clause résolutoire du 10 janvier 2019, la Sci Les Trois Grâces a mis en demeure la société Sidobre Optic de payer les loyers impayés depuis le mois de septembre 2017, soit la somme de 67.845,90 €.
Par courrier du 8 février 2019, la société Sidobre Optic a adressé au bailleur une demande d'annulation du contrat et de remboursement des dépenses des travaux réalisés.
Par acte d'huissier du 13 mars 2019, la Sci Les Trois Grâces a assigné la société Sidobre Optic devant le juge des référés afin de voir constater la résiliation du bail, et de voir ordonner l'expulsion immédiate du locataire, outre le paiement provisionnel de la somme de 78.716,02 € et d'une indemnité d'occupation.
Suivant jugement du 10 mai 2019, le tribunal de commerce a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Sidobre Optic, et désigné Me [H] en qualité de mandataire judiciaire.
La Sci Les Trois Graces s'est désistée de la procédure devant le juge des référés.
Par acte d'huissier du 21 août 2019, la société Sidobre Optic a assigné la Sci Les Trois Grâces devant le tribunal judiciaire de Castres aux fins qu'il annule le bail commercial et condamne la Sci Les Trois Graces au paiement de la somme de 127.000 € en dédommagement des travaux réalisés.
Me [H] ès qualités est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 6 mars 2020, le tribunal de commerce de Castres a prononcé la liquidation judiciaire de la société Sidobre Optic.
Par jugement du 12 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Castres a:
' constaté l'intervention de Me [H] en sa qualité de liquidateur judiciaire ;
' dit que le consentement de la société Sidobre Optic au bail commercial est vicié ;
' dit que le bail commercial du 10 avril 2017 conclu entre la Sci Les Trois Graces et la société Sidobre Optic est entaché de nullité ;
' dit qu'aucune demande d'indemnité d'occupation n'a été formulée ;
' condamné la Sci Les Trois Grâces à rembourser à la société Sidobre Optic, la somme de 127.000€ en dédommagement des travaux réalisés sur le local
' condamné la Sci Les Trois Grâces à payer à la société Sidobre Optic la somme de 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné la Sci Les Trois Grâces aux entiers dépens ;
' débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
Par déclaration en date du 24 décembre 2020, la Sci Les Trois Grâces a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation des chefs du jugement qui ont :
' dit que le consentement de la société Sidobre Optic au bail commercial est vicié ;
' dit que le bail commercial du 10 avril 2017 conclu entre la Sci Les Trois Grâces et la société Sidobre Optic est entaché de nullité ;
' dit qu'aucune demande d'indemnité d'occupation n'a été formulée ;
' condamné la Sci Les Trois Grâces à rembourser à la société Sidobre Optic, la somme de 127.000€ en dédommagement des travaux réalisés sur le local.
' condamné la Sci Les Trois Grâces à payer à la société Sidobre Optic la somme de 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné la Sci Les Trois Grâces aux entiers dépens.
La clôture est intervenue le 9 mai 2022.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 5 août 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sci Les Trois Grâces, demandant, au visa de l'article 1103 du code civil, de :
' à titre principal :
' infirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 12 novembre 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Castres,
' débouter la société Sidobre Optic et Me [H] en sa qualité de mandataire judiciaire, de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
' à titre subsidiaire :
' débouter la société Sidobre Optic de sa demande en remboursement des travaux effectués durant l'occupation,
' condamner la société Sidobre Optic à payer à la Sci Les Trois Grâces la somme de 130.107,09 € au titre de l'indemnité d'occupation
' en tout état de cause :
' condamner la société Sidobre Optic à payer à la Sci Les Trois Grâces, la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui sera inscrit en créance privilégiée au passif de la société
' condamner la société Sidobre Optic aux entiers dépens de l'instance qui seront inscrits en créance privilégiée au passif de la société.
Vu les conclusions n°1 notifiées le 12 mai 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Me [U] [H] ès qualités et la Sarl Sidobre Optic, demandant de :
' rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,
' constater l'intervention de Me [H] en sa qualité de liquidateur judiciaire
' rejeter la demande d'indemnité d'occupation
' constater que le consentement de la société Sidobre Optic au bail commercial est vicié
' en conséquence, annuler le bail de commerce du 10 avril 2017 entre la Sci Les Trois Grâces et la société Sidobre Optic
' dire qu'il n'y a lieu au paiement d'indemnité d'occupation
' condamner la Sci Les Trois Grâces au paiement de la somme de 127.000€ en dédommagement des travaux réalisés sur le local
' condamner la Sci Les Trois Grâces à la somme de 3.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile' condamner la Sci Les Trois Grâces aux entiers dépens
' prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Motifs
La cour constate que contrairement à ce que soutient l'appelant, les demandes formulées par la partie intimée dans son dispositif sont claires et tendent à demander la confirmation du jugement
- sur la demande d'annulation du contrat de bail :
La société Sidobre Optic soutient que son consentement a été vicié puisqu'elle s'est engagée en qualité de locataire avec la croyance de ce que le bailleur mènerait à bien son projet de création d'un centre médical, lequel n'a cependant pas vu le jour puisqu'aucun médecin ou professionnel de santé ne s'est installé dans les locaux voisins.
Bien qu'elle n'invoque aucun texte au soutien de sa demande d'annulation du bail, elle fait état tant d'une erreur de sa part sur la réalisation de ce pôle médical que d'un comportement dolosif du bailleur qui l'a trompée sur ce point;
Selon l'article 1130 du code civil dans sa rédaction issue des dispositions de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différente.
Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
L'article 1132 du code civil dispose que l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation ou sur celle du cocontractant.
Enfin, l'article 1133 définit les qualités essentielles de la prestation comme celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.
Il n'est pas contesté que la SCI les trois grâces a projeté de créer un centre médical et que ce projet a été relayé par divers articles de presse.
L'ensemble immobilier dans lequel se trouve les locaux donnés à bail à la société Sidobre Optic abrite d'ailleurs à ce jour une pharmacie et un commerce de matériel médical.
La promesse de bail commercial par laquelle la SCI D3G en qualité de promettante s'est engagée à donner à bail le local litigieux mentionne à titre liminaire que ' des travaux de restructuration et de rénovation des locaux situés à l'angle du [Adresse 3] et de la [Adresse 8] sont en cours, afin d'y établir un pôle médical'.
Dans le cadre de cet avant-contrat, la société SCI D3G s'engage à donner à bail commercial à M.[V], exploitant un magasin Atoll, un local de 200 m2 situé [Adresse 7] mais ne prend en revanche aucun engagement relatif à la composition du pôle médical en projet.
Le bail sous-seing privé en date du 27 mars 2017 précise au paragraphe relatif à la désignation des lieux loués que 'des travaux de rénovation et de reconstruction sont en cours sur l'ensemble immobilier anciennement Centre commercial Lidl pour le transformer en pôle médical' et précise ' le local est situé au rez-de chaussée du pôle médical et accolé à la pharmacie', ce qui correspond à la situation des locaux litigieux.
Il ne résulte ni de ces documents contractuels, ni d'aucune autre pièce que le bailleur se soit engagé à l'installation de professionnels de santé, médecins généralistes ou spécialistes ou de professionnels du paramédical.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le plan versé aux débats par la société locataire (sa pièce n°17) sur lequel apparaissent des emplacements de cabinets médicaux, n'est pas annexé au bail du 27 mars 2017 qui n'y fait pas référence. Il n'est revêtu d'aucune signature ou visa, ne présente aucun caractère contractuel et rien ne permet d'établir qu'il a été porté à la connaissance de la société Sidobre Optic à la date à laquelle elle a signé le bail.
Ainsi, quand bien même la société les 3 grâces a eu le projet de mettre ses locaux rénovés à disposition d'autres professionnels de santé, ce qui n'est pas contesté, elle n'a pris à l'égard de la société Sidobre Optic aucun engagement de le faire.
Il n'est pas non plus établi que le bailleur a trompé sa cocontractante sur les caractéristiques des lieux loués ou lui a donné des assurances injustifiées sur les perspectives d'ouverture de cabinets médicaux, ce qui ne peut se déduire de la présentation avantageuse du projet dans la presse locale qui a fait état en novembre 2016 de la transformation de l'ancien magasin Lidl en 'Centre Médical Géant' avec une pharmacie et 15 cabinets médicaux.
Pour caractériser une erreur sur les qualités essentielles de la prestation au sens des dispositions de l'article 1133 du code civil, la société locataire doit établir que l'environnement des lieux loués caractérisé par la présence de plusieurs professionnels de santé, réunis en centre médical est entrée dans le champs contractuel;
Une telle preuve n'est cependant pas rapportée et la société Sidobre Optic qui a pris à bail les lieux loués, sans que le contrat de bail ne contienne aucun engagement du bailleur relativement à l'installation de médecins ou professions para médicales dans les locaux voisins, ne démontre pas avoir manifesté par quelque moyen que ce soit que la présence de ces cabinets, réunis dans un centre médical, notion d'ailleurs très insuffisamment définie dans ses propres écritures, était déterminante de son engagement en qualité de locataire.
Elle ne démontre donc pas l'existence d'une erreur portant sur les qualités essentielles de la prestation au sens de l'article 1132 du code civil.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du bail.
- sur les loyers :
Aucune demande n'est formée à ce titre par la société bailleresse qui invoque un protocole transactionnel portant sur la résiliation conventionnelle du bail, intervenu au mois de juin 2019.
- sur la demande formée par la société locataire au titre des travaux réalisés:
Me [H] sollicite la condamnation de la bailleresse au paiement d'une somme de 127.000 € ' en dédommagement des travaux réalisés.
Le bail prévoit cependant que 'le preneur s'engage à faire son affaire personnelle à ses frais de la réalisation des aménagements intérieurs découlant directement de son activité ' et , plus loin, que ' le preneur aura à sa charge exclusive toutes les transformations et réparations nécessitées par son activité'.
Au soutien de ses prétentions, la société locataire produit un devis forfaitaire et trois factures correspondant à des travaux d'aménagement qui n'ont pas vocation à être pris en charge par la société bailleresse.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné la société les trois grâces au paiement de la somme de 127.000 € à ce titre.
Partie perdante, Me [H] supportera les dépens;
Il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déboute Me [H] ès qualités de sa demande d'annulation du bail et de sa demande de condamnation de la SCI les trois grâces au paiement de la somme de 127.000 € au titre des travaux réalisés,
Condamne Me [H] ès qualités aux dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier La présidente
.