COUR D'APPEL DE TOULOUSE
Minute 22/239
N° RG 22/00239 - N° Portalis DBVI-V-B7G-OZ4N
O R D O N N A N C E
L'an DEUX MILLE VINGT DEUX et le 27 MAI À 17H00
Nous A. MAFFRE, magistrat délégué par ordonnance du Premier Président en date du 21 DECEMBRE 2021 pour connaître des recours prévus par les articles L. 743-21 et L.342-12, R.743-10 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu l'ordonnance rendue le 24 Mai 2022 à 22/583 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Toulouse ordonnant la prolongation du maintien au centre de rétention de :
[X] [I]
né le 18 Mai 1997 à [Localité 4]
de nationalité Algérienne
Vu l'appel formé le 25/05/2022 à 17 h 16 par télécopie, par la SELAS RAYNAUD-FALANDRY-CODOGNES-BOTTIN, avocats au barreau de MONTPELLIER;
A l'audience publique du 27 MAI À 15H00, assisté de , A. RAVEANE, greffier, avons entendu:
[X] [I]
assisté de la SELAS RAYNAUD-FALANDRY-CODOGNES-BOTTIN, avocats au barreau de MONTPELLIER
qui a eu la parole en dernier
avec le concours de [Y] [H], interprète en langue arabe, interprète,
En l'absence du représentant du Ministère public, régulièrement avisé;
En présence de J. [F] représentant la PREFECTURE DE [Localité 3] ;
avons rendu l'ordonnance suivante :
M. [X] [I], âgé de 25 ans et de nationalité algérienne, a fait l'objet d'un contrôle le 21 mai 2022 à 17h à [Localité 1]. Démuni de documents de circulation, il a été placé en retenue à 17h50.
M. [I] avait fait l'objet d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et avec interdiction de retour pendant 6 mois pris par le préfet de [Localité 3] le 23 juillet 2021, notifié le même jour et assorti d'une assignation à résidence pour six mois.
Le 22 mai 2022, le préfet de [Localité 3] a pris à son encontre une décision de placement en rétention administrative, notifiée le même jour à 14h15 à l'issue de la retenue. M. [I] a été conduit au centre de rétention administrative de [Localité 2] en exécution de cette décision
1) Indiquant n'avoir pu l'éloigner dans le délai de rétention initial de quarante huit heures, le préfet de [Localité 3] a sollicité du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse, la prolongation du maintien de M. [X] [I] en rétention pour une durée de vingt huit jours suivant requête du 23 mai 2022 parvenue au greffe du tribunal le même jour à 15h25.
2) M. [X] [I] a pour sa part saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse par requête parvenue au greffe le 23 mai 2022 à 17h27 pour contester la régularité de la procédure et de l'arrêté en placement en rétention.
Ce magistrat a ordonné la jonction des requêtes, rejeté les exceptions de procédure, déclaré régulier l'arrêté de placement en rétention administrative, rejeté la demande d'assignation à résidence et ordonné la prolongation de la mesure de rétention par ordonnance du 24 mai 2022 à 18h15.
Saisi par M. [X] [I] en contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative et par le préfet de [Localité 3] en prolongation de la rétention, le juge des libertés et de la détention de Toulouse a ordonné la jonction des procédures, constaté leur régularité et ordonné la prolongation de la mesure de rétention par ordonnance du 15 août 2021 confirmée en appel le 18 août 2021.
M. [X] [I] a interjeté appel de cette décision, par courriel de son conseil adressé au greffe de la cour le 25 mai 2022 à 17h16, non reçu, et renvoyé le 27 mai 2022 à 10h32.
A l'appui de sa demande d'infirmation de l'ordonnance entreprise, de mise en liberté, et de placement en assignation à résidence, le conseil de M. [X] [I] a principalement soutenu que :
- sur l'avis tardif à magistrat, il a été privé de sa liberté à 17h00 et le procureur de la République n'en a été avisé qu'à 18h25, de sorte que la nullité de la mesure de retenue doit être prononcée,
- sur la notification tardive des droits en retenue, il a été interpellé à 17h00 et ses droits lui ont été notifiés qu'à 17h50 : la nullité de la mesure de retenue doit être prononcée,
- sur le maintien en cellule de sûreté, il a été placé dans le local utilisé pour les personnes de garde à vue sans mention de ce qu'il en a été écarté, de sorte que la mesure est nulle
- sur l'absence de mention de la fin de la retenue, le procès-verbal de rétention administrative ne mentionne ni la fin de la mesure ni sa durée : la nullité de la mesure de retenue doit être prononcée,
- sur le placement en rétention administrative, injustifié, il est venu tous les trois jours à la gendarmerie -qui détient son passeport- depuis son assignation à résidence, la convocation du 17 novembre -délivrée 48 heures avant cette date- n'a pu être honorée pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est marié et va être père, il peut bénéficier d'une mise en liberté de placement en rétention administrative et d'une nouvelle assignation à résidence,
- sur l'arrêté de placement en rétention administrative, il doit être dit irrégulier pour n'avoir pas pris en compte sa situation familiale et de logement, et la remise de son passeport, et porter une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
À l'audience, Maître Cornu-Marti a repris oralement les termes de son recours et ajouté que :
. même expiré, le passeport remis par M. [I] avait permis le choix d'une mesure d'assignation à résidence en juillet 2021 et elle aurait pu être adoptée aussi en mai 2022,
. l'épouse de M. [I] est jeune et sans personne pour s'occuper d'elle en cette fin de grossesse, l'éloignement de l'appelant va déraciner son enfant et sa famille.
M. [I] qui a demandé à comparaître, a dit son rêve d'être là pour la naissance de son fils, et auprès de son épouse, diabétique, confirmé avoir dormi en cellule et dit son espoir d'une décision favorable.
Le préfet de [Localité 3], régulièrement représenté à l'audience, a sollicité la confirmation de la décision entreprise, la procédure étant régulière et la décision bien fondée au vu du non-respect de l'assignation à résidence.
Le ministère public, avisé de la date d'audience, est absent et n'a pas formulé d'observations.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la procédure antérieure au placement en rétention administrative
l'avis au procureur de la République
L'article L813-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prescrit que le procureur de la République est informé dès le début de la retenue et peut y mettre fin à tout moment.
Au cas particulier, il résulte du procès-verbal de placement en retenue que le procureur de la République a été avisé à 18h25 d'une retenue décidée à 17h40 : l'on ne peut sérieusement prétendre qu'il aurait dû être avisé de cette décision dès 17h00, soit 40 minutes avant qu'elle soit prise, et le délai de 35 minutes entre la décision et l'information du procureur de la République s'avère respectueuse de l'article susvisé.
Le moyen sera donc écarté, comme décidé à juste titre par le premier juge.
la notification des droits en retenue
L'article L813-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que l'étranger auquel est notifié un placement en retenue en application de l'article L. 813-1 est aussitôt informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des motifs de son placement en retenue, de la durée maximale de la mesure et des droits dont il bénéficie.
Au cas particulier, si M. [I] a été contrôlé à 17h00, la décision de le placer en retenue a été prise à 17h40 et les droits afférents lui ont été notifiés à partir de 17h50, soit 10 minutes après la décision qui leur ouvrait droit : la notification a donc bien eu lieu aussitôt après la notification du placement, conformément au texte susvisé, et elle est parfaitement régulière, comme retenu à juste titre par le premier juge.
le maintien en cellule de sûreté
Il résulte de l'article L. 813-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que durant la retenue, lorsque sa participation aux opérations de vérification n'est pas nécessaire, l'étranger ne peut être placé dans une pièce occupée simultanément par une ou plusieurs personnes gardées à vue.
M. [I] critique le fait que la procédure ne précise pas qu'il a été placé à part des
gardés à vue. Pour autant, le texte n'exige pas une telle mention. En outre, le procès-verbal mentionne sa retenue en chambre de sûreté et non en cellule de garde à vue; Et enfin, il ne prétend pas qu'il aurait été retenu avec d'autres personnes, qui relèveraient d'une garde à vue, et dans les mêmes pièces qu'eux, comme relevé à juste titre par le premier juge.
Dans ces conditions, étant rappelé qu'en vertu de l'article L743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger, il n'est pas justifié ici d'un grief effectif causé à l'intimé, de sorte que le moyen soulevé doit être écarté.
fin de la retenue
L'article L813-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de police judiciaire mentionne, dans un procès-verbal, les motifs qui ont justifié le contrôle, ainsi que la vérification du droit de circulation ou de séjour et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer. Il précise le jour et l'heure du début et de la fin de la retenue et la durée de celle-ci et, le cas échéant, la prise d'empreintes digitales ou de photographies ainsi que l'inspection visuelle ou la fouille des bagages et effets personnels et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Il y annexe le certificat médical établi à l'issue de l'examen éventuellement pratiqué.
Il est exact de relever que le procès-verbal de retenue ne dit pas "la mesure de retenue a été levée à telle heure". Il énonce cependant que la mesure de rétention administrative a été notifiée à M. [I] à 14h15 et le début du placement en rétention administrative a nécessairement mis fin à la retenue, comme indiqué par le premier juge à juste titre. Et il est dés lors aisé de connaître la durée totale de la retenue, de sorte qu'en dépit de leur formalisation, ces dispositions s'évincent bien du procès-verbal dressé et permettre au juge judiciaire d'exercer le contrôle qui lui est dévolu.
Le moyen soulevé ne peut donc prospérer.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté les exceptions de procédure.
Sur l'arrêté de placement en rétention administrative
En application des articles L741-1 et 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3.
La décision de placement en rétention prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger.
Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.
L'article L741-6 précise que la décision de placement en rétention est prise par l'autorité administrative, après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention. Elle est écrite et motivée.
Elle prend effet à compter de sa notification.
En l'espèce, l'arrêté est critiqué pour n'avoir pas pris en compte la situation familiale et de logement de M. [I], et la remise de son passeport, et il est soutenu qu'il porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
De fait, l'arrêté de placement en rétention administrative ne fait pas mention du passeport remis à la gendarmerie : il résulte cependant du récépissé que le document remis lors de la notification de l'assignation à résidence était expiré depuis plus de deux ans, de sorte qu'il n'est pas de nature à modifier l'appréciation faite par le préfet des garanties présentées par M. [I], sachant que l'obligation de motivation n'est pas celle de l'exhaustivité.
La situation familiale et matérielle de l'intéressée est bien décrite par la décision critiquée et, mise en balance avec sa vie et ses attaches dans son pays d'origine, elle a pu être jugée insuffisamment stable et ancienne pour porter atteinte à sa vie privée et familiale.
Dans ces conditions, l'appréciation de la situation faite par le préfet est exempte d'erreur manifeste, de sorte que l'arrêté de placement en rétention administrative est régulier.
Et le placement en rétention s'avère justifié et proportionné dans la mesure où l'assignation à résidence était imparfaitement respectée au moins jusqu'au 17 novembre 2022, M. [I] déclarant lui-même avoir séjourné en Espagne notamment en janvier 2022, ce qui est incompatible avec son obligation de pointage.
Dès lors, aucune autre mesure moins coercitive ne pouvait être ordonnée par le préfet pour assurer l'exécution de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai en date du 23 juillet 2021, non respecté.
Sur la prolongation de la rétention
En application des articles L741-1 et 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, peut être placé en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le maintien en rétention au-delà de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision de placement initiale peut être autorisé, dans les conditions prévues au présent titre, par le juge des libertés et de la détention saisie à cette fin par l'autorité administrative en application de l'article L742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
L'article L743-13 du même code permet au juge des libertés et de la détention d'ordonner l'assignation à résidence de l'étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives.
L'assignation à résidence ne peut être ordonnée par le juge qu'après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l'original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d'un récépissé valant justification de l'identité et sur lequel est portée la mention de la décision d'éloignement en instance d'exécution.
Ainsi qu'il a été vu plus haut, M. [I] fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle il n'a pas déféré, et il n'a respecté que partiellement son assignation à résidence.
Or, l'absence de document d'identité en cours de validité ne permet pas au juge de prononcer une assignation à résidence.
Dès lors, si le placement en rétention administrative porte une certaine atteinte à sa vie privée et familiale, et ce, même s'il avait pu s'éloigner de [Localité 5] précédemment pour séjourner en Espagne, force est de constater qu'en l'absence d'alternative possible, cette atteinte ne s'avère pas disproportionnée au regard de l'objectif de l'exécution de la décision d'éloignement, étant observé qu'il est loisible à son épouse de solliciter son admission au séjour à ses côtés dans son pays d'origine.
La décision déférée sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance mise à disposition au greffe après avis aux parties,
Confirmons l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Toulouse le 24 mai 2022,
Disons que la présente ordonnance sera notifiée à la préfecture de [Localité 3], service des étrangers, à M. [X] [I], ainsi qu'à son conseil et communiquée au ministère public.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ
A. RAVEANE A. MAFFRE