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03/10/2018 | FRANCE | N°17/03556

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 03 octobre 2018, 17/03556


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03/10/2018








ARRÊT N°306





N° RG 17/03556


FP/JBD








Décision déférée du 20 Janvier 2015 - Tribunal de Grande Instance d'ALBI - 13/01182


Mme X...


























Yvette Y...


Anne-Marie Z... épouse A...








C/





Jean-Paul B...


Gisèle C... épouse B...




























































































CONFIRMATION











Grosse délivrée





le





à


REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


***


COUR D'APPEL DE TOULOUSE


2ème chambre


***


ARRÊT DU TROIS OCTOBRE DEUX MILLE DIX HUIT


***





APPELANTS





Madame Yvette Y... Veuve Z......

.

03/10/2018

ARRÊT N°306

N° RG 17/03556

FP/JBD

Décision déférée du 20 Janvier 2015 - Tribunal de Grande Instance d'ALBI - 13/01182

Mme X...

Yvette Y...

Anne-Marie Z... épouse A...

C/

Jean-Paul B...

Gisèle C... épouse B...

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU TROIS OCTOBRE DEUX MILLE DIX HUIT

***

APPELANTS

Madame Yvette Y... Veuve Z...

[...]

Représentée par Me Stéphane CULOZ de la SELARL SCAVOCAT, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame Anne-Marie Z... épouse A...

[...]

Représentée par Me Stéphane CULOZ de la SELARL SCAVOCAT, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur Jean-Paul B...

[...]

Représenté par Me Emmanuel GIL de la SCP BONNECARRERE SERVIERES GIL, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame Gisèle C... épouse B...

[...]

Représentée par Me Emmanuel GIL de la SCP BONNECARRERE SERVIERES GIL, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S. TRUCHE, conseiller, et M. SONNEVILLE Conseiller, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:

F. PENAVAYRE, président

S. TRUCHE, conseiller

M. SONNEVILLE, conseiller

Greffier, lors des débats : J. BARBANCE- DURAND

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par F. PENAVAYRE, président, et par J. BARBANCE- DURAND, greffier de chambre.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 5 avril 1959, les consorts Y...-E... aux droits desquels viennent les consorts Z... A... ont consenti aux époux H... auxquels ont succédé les époux B... (suivant acte notarié du 1987) un bail commercial portant sur un immeuble entier à usage d'habitation et de commerce situé [...] comprenant au rez de chaussée un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie.

Le bail a été régulièrement renouvelé depuis.

En 2002, les bailleurs ont entrepris des travaux de rénovation dans l'immeuble voisin dont ils sont également propriétaires.

Le 9 octobre 2013, les preneurs ont signé une promesse de cession du droit au bail à la société PH International portant sur le local commercial du rez-de-chaussée, moyennant un prix de 160000 € sous condition suspensive de l'accord du bailleur.

Par acte d'huissier des 5 et 6 décembre 2003, les preneurs ont sollicité le renouvellement du bail.

Après avoir mis en demeure les preneurs le 20 janvier 2004de mettre fin aux infractions concernant un défaut d'entretien, d'habitation et de garnissement des locaux, les consorts Z... A... ont fait délivrer le 5 mars 2004, un refus de renouvellement sans indemnité d'éviction en vertu de l'article 145-17 du code de commerce .

Suite à la contestation du congé refusant le renouvellement du bail sans indemnité et l'assignation délivrée par les preneurs le 19 février 2004, le tribunal de Grande instance d'Albi a, par jugement du 30 juin 2006, notamment:

-constaté la résiliation du bail avec effet au 31 mars 2004

-constaté l'absence de motif grave et légitime fondant le refus de renouvellement

-condamné les bailleurs à verser une indemnité de 20000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction

- ordonné une expertise aux fins de voir fixer l'indemnité d'éviction et désigné Madame F... pour ce faire.

Sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Toulouse le 20 février 2008 par les consorts Z... A..., la Cour de cassation a partiellement cassé l'arrêt en ce qu'il avait rejeté la demande de résiliation judiciaire et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel autrement composée.

Par arrêt du 5 février 2013, la cour d'appel de Toulouse a confirmé le jugement du 30 juin 2006, débouté les bailleresses de leurs demandes de résiliation judiciaire du bail, déchéance du droit au paiement d'une indemnité d'éviction et expulsion du preneur, l'indemnité d'occupation étant maintenue au montant du loyer plafonné.

Les époux B... ont quitté les lieux le 31 mars 2010.

En lecture du rapport d'expertise déposé par Madame F... le 9 juin 2007 et après avoir sursis à statuer en attendant l'issue des procédures engagées devant la cour d'appel de Toulouse, le tribunal de Grande instance d'Albi a, par jugement du 20 janvier 2015:

-dit que les époux B... doivent bénéficier d'une indemnité principale d'éviction équivalente à la valeur du droit au bail

-condamné in solidum Mesdames Yvette Y... épouse Z... et Madame Anne-Marie Z... épouse A... à verser aux époux B... les sommes suivantes:

*134250 € à titre d'indemnité principale d'éviction (soit à la valeur du droit au bail)

*4000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

-débouté les époux B... de leurs demandes au titre des indemnités accessoires et en dommages et intérêts complémentaires

- rejeté le surplus des demandes

- mis les dépens de l'instance à la charge in solidum de Mesdames Z... A...

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Mesdames Yvette Y... ép Z... et Anne-Marie Z... épouse A... ont interjeté appel de cette décision le 22 février 2015.

Par ordonnance du 26 janvier 2017, le Premier Président a rejeté les demandes des appelantes tendant à voir aménager les modalités de l'exécution provisoire.

Par ordonnances du conseiller de la mise en état du 18 février 2016 et 6 avril 2017, le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation du rôle de la cour, en application de l'article 526 du code de procédure civile.

L'affaire a été réinscrite au rôle suite au dépôt des conclusions des consorts Z... A... le 30 mai 2017.

L'ordonnance de clôture est en date du 24 avril 2018.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 5 avril 2018, Madame Yvette Y... épouse Z... et Madame Anne-Marie Z... épouse A... demandent à la cour:

A titre principal

-de mettre hors de cause Madame Anne-Marie A... en sa qualité de nue-propriétaire

-de dire que les époux B... ne rapportent pas la preuve d'un préjudice né de l'éviction

-en conséquence, de débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions et de les condamner à répéter la somme de 20000 € versée à titre de provision majorée des intérêts au taux légal capitalisés depuis le versement

A titre subsidiaire,

-de fixer l'indemnité d'éviction, tous chefs de préjudices confondus représentant la valeur du fonds de commerce telle que fixée dans le rapport d'expertise du 18 juin 2007 à la somme de 36000 € et à défaut, à la somme de 48600 € telle que fixée dans le rapport d'expertise amiable du 15 mai 2015

À titre infiniment subsidiaire,

-de désigner un expert afin de d'évaluer l'indemnité d'éviction à la date du 31 mars 2010

En tout état de cause,

-de débouter les époux B... de leurs demandes contraires ou plus amples

-de les condamner aux dépens outre la somme de 10000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts Z... A... expliquent pour l'essentiel:

- que le refus de renouvellement n'a causé aucun préjudice aux locataires évincés dès lors qu'il n'y avait plus d'activité significative dans les locaux au jour du refus de renouvellement du bail

-qu'il leur appartient de produire les comptes d'exploitation pour les trois dernières années (2007 à 2010) faute de quoi ils ne peuvent prouver l'existence d'un préjudice car ils ont perdu le fonds uniquement du fait de son abandon antérieur à l'éviction

-que sans ces éléments, il est objectivement impossible d'évaluer l'indemnité d'éviction en comparant la valeur du fonds à celle du droit au bail

-que l'expert a fixé l'indemnité d'éviction au 18 juin 2007, soit trois ans avant le départ des preneurs et que l'indemnité n'a pas été établie en fonction du préjudice subi au jour de l'éviction proprement dite (c'est-à-dire au 31 mars 2010), ce qui est contraire aux règles de droit applicables en la matière

- que l'indexation pratiquée par le tribunal pour réajuster le montant de l'indemnité d'éviction à la date où les locataires sont partis n'est pas admissible

-que la méthode retenue par l'expert et le tribunal pour évaluer le droit au bail est contestable dès lors qu'elle ne tient pas compte de la monovalence des locaux affectés à une activité de boulangerie pâtisserie ni de la clause contractuelle d'agrément du bailleur à toute cession , ce qui est de nature à priver ou à tout le moins, à amoindrir la valeur vénale du droit au bail

-que l'indemnité principale doit au mieux être évaluée à 36000 € en considération de la seule valeur du fonds de commerce telle que déterminée par l'expert ou à défaut si la cour retient la valeur du droit au bail au jour de l'éviction, à la somme de 48600 €, conformément au rapport de Monsieur Jean G..., qui apparaît plus conforme aux réalités du marché

-qu'il y a lieu de confirmer la décision du tribunal en ce qui concerne le rejet des indemnités accessoires

-que le locataire évincé ne peut réclamer la réparation d'un préjudice moral résultant de l'obligation de quitter les lieux.

Monsieur Jean-Paul B... et son épouse Madame Gisèle C... ont conclu le 4 septembre 2017.

Ils demandent:

-de débouter les consorts Z... A... de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions

-de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné les appelantes à régler in solidum la somme de 134250 € à titre d'indemnité principale d'éviction

-de réformer partiellement la décision pour le surplus

- de condamner in solidum les consorts Z... A... à régler les sommes complémentaires suivantes

*5120 € au titre des frais de déménagement

*2811 € à titre d' indemnité pour trouble commercial

*15000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires

-de condamner les appelantes à leur verser la somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.

Ils soutiennent pour l'essentiel que la valeur du fonds de commerce fixée à 125500 € par l'expert judiciaire est nécessairement un minimum compte tenu des références qu'ils ont produites, et en particulier de l'acte de cession du droit au bail sous conditions suspensives qu'ils avaient conclu le 9 octobre 2003 avec la société PH International pour une somme de 160000 € et de la qualité de l'emplacement qui est situé dans un secteur historique à forte commercialité.

Ils rappellent que selon une jurisprudence constante, en présence d'un fonds de commerce en baisse d'activité, on doit retenir la plus élevée des deux valeurs entre celle du fonds et celle du droit au bail, la valeur du fonds étant au moins celle du droit au bail.

Ils demandent de confirmer la décision du premier juge qui a réévalué l'indemnité principale d'éviction par référence à l'indice du coût de la construction entre le mois de juin 2007, date du dépôt du rapport et le mois de mars 2010,date à laquelle l'éviction s'est réalisée , rejeté le caractère monovalent des locaux et dit que les locaux n'étaient pas incessibles par la seule présence d'une clause d'agrément restrictive.

Il y a lieu pour le surplus de leurs explications de se référer expressément aux conclusions susvisés, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la mise hors de cause de Madame Anne-Marie Z... épouse A...

Madame A... explique en cause d'appel qu' elle doit être mise hors de cause car elle n'est que nue-propriétaire de l'immeuble et que seul l'usufruitier est redevable d'une indemnité d'éviction en sa qualité de bailleur .

Elle produit une attestation notariée qui indique que Madame Yvette Y... épouse Z... a fait donation à Madame Anne-Marie Z... de la nue-propriété d'un immeuble situé [...] tout en se réservant l'usufruit dudit immeuble.

En cas de démembrement de propriété, il résulte de l'article 595 dernier alinéa du Code civil que l'usufruitier qui a la qualité de bailleur ne peut toutefois , sans le concours du nu- propriétaire, donner à bail un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal et que de même, il ne peut délivrer seul congé en sorte que c'est à bon droit Mesdames Yvette Z... et Anne-Marie A... , agissant ensemble, ont fait délivrer le 5 mars 2004, un refus de renouvellement sans indemnité d'éviction en vertu de l'article 145-17 du code de commerce .

Il y a lieu d'en conclure qu'elles sont redevables ensemble de l'indemnité due au preneur évincé car il s'agit d'un acte qui excède les pouvoirs du seul usufruitier.

Sur l'indemnité principale d'éviction

Aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit, sauf les exceptions prévues aux articles L 145-17 et suivant, payer au locataire évincé une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

La loi présume que le refus de renouvellement entraîne la disparition du fonds de commerce du locataire , sauf la possibilité pour le bailleur d'établir que le préjudice est moindre, notamment lorsque le fonds est transférable.

En l'espèce il n'est pas contesté que le fonds n'est pas transférable et que le bailleur est tenu de verser une indemnité dite de remplacement au locataire évincé .

L'indemnité d'éviction doit être calculée au moment où le préjudice se réalise c'est-à-dire soit à la date de l'éviction, soit à la date à laquelle le locataire cesse d'occuper régulièrement les locaux en renonçant au maintien dans les lieux.

En l'espèce les époux B... ont fait le choix de quitter les lieux définitivement le 31 mars 2010 en sorte que l'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date où les locaux ont été restitués.

Compte tenu du décalage entre la date du dépôt du rapport d'expertise (juin 2007) et le jour où l'éviction s'est réalisée (mars 2010), le Premier juge a procédé à une réévaluation de l'indemnité en lui appliquant la variation de l'indice du coût de la construction.

Rien n'empêche le juge de procéder à une revalorisation de l'indemnité si une telle demande est formulée, afin de tenir compte du fait que le locataire a quitté les lieux trois ans après le dépôt du rapport d'expertise puisque c'est à cette date qu'il y a lieu de se situer pour évaluer son préjudice .

À défaut d'autres éléments d'appréciation, il est loisible de se référer à la variation d'un indice économique au lieu de la variation de l'indice propre aux loyers commerciaux qui n'a pas un caractère obligatoire.

Enfin, les prix de cessions des fonds de commerce de voisinage sont sans influence sur la valeur de l'indemnité de remplacement et il n'y a pas lieu d'en tenir compte comme sollicité par les intimés.

En ce qui concerne la méthode d'évaluation de l'indemnité d'éviction, l'indemnité ne peut être limitée au seul résultat de l'exploitation du fonds sans tenir compte de la valeur du droit au bail et de la totalitéde la clientèle, éléments inséparables du fonds.

L'expert judiciaire Madame F... a évalué la valeur du fonds à 36000 € et la valeur du droit au bail à 125500 €.

Lorsque la valeur du droit au bail est à elle seule supérieure à la valeur marchande du fonds, l'indemnité d'éviction doit correspondre à la valeur du droit au bail qui représente le potentiel de développement du fonds pour un acquéreur éventuel.

En l'espèce, le fonds a une activité réduite mais le local bénéficie d'un emplacement favorable. L'application des méthodes d'évaluation fondées sur le résultat des dernières années d'exploitation ne donnera qu'une estimation manifestement inférieure au prix que le locataire pourrait obtenir d'une cession de son fonds de commerce et de son bail s'il était resté dans les lieux.

Il est établi que les preneurs ont envisagé dès l'année 2003 de céder leur fonds de commerce à un successeur, la société PH International pour un prix de 160000 € et que le projet n'a pu être mené à bien,les bailleurs ayant entre-temps notifié leur refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction .

Ils se sont maintenus dans les lieux avec une activité réduite dans l'attente de l'issue des procédures en cours jusqu'au mois de mars 2010 date à laquelle Monsieur B... a délaissé le local en raison de problèmes de santé.

Il en résulte que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, l'indemnité d'éviction ne peut être fixée à la seule valeur comptable du fonds de commerce et c'est à bon droit que le Premier juge a fixé l'indemnité principale d'éviction en se fondant exclusivement sur la valeur du droit au bail pris isolément telle que déterminée par l'expert.

Rien ne permet de dire, comme le soutiennent les bailleurs, que le fonds des époux B... a été perdu par leur fait en raison d'un défaut d'exploitation alors que c'est à la date du refus de renouvellement qu'il y a lieu de déterminer la consistance du fonds et que les chiffres d'affaires annuels des années précédentes communiqués à l'expert confirment l'existence d'une exploitation commerciale avec un chiffre d'affaires moyen de 40000 € par an.

Enfin il est tout à fait possible de calculer l'indemnité d'éviction en l'absence de communication de chiffres d'affaires récents lorsque l'indemnité principale s'appuie sur la valeur du droit au bail et il sera observé que cette méthodologie a été implicitement approuvée par les bailleurs dans la mission donnée à leur propre expert , Monsieur Jean G..., qui consistait précisément à évaluer la valeur du droit au bail.

Les critiques formées de ce chef à l'encontre de la décision du tribunal Albi seront donc rejetées.

Les appelantes contestent le montant de la valeur locative dès lors que selon elles, deux caractéristiques essentielles du bail ont été écartées à tort par l'expert et le premier juge, l'interdiction de cession du bail sans l'accord du bailleur ainsi que la monovalence du local affecté à une activité de boulangerie-pâtisserie, tous éléments qui aboutissent à conférer au droit au bail une valeur quasiment nulle.

Les locaux monovalents sont les locaux construits ou aménagés à l'effet à servir en vue d'une seul type d'exploitation et qui ne peuvent être affectés à un autre usage sans des transformations importantes et onéreuses.

Tel n'est pas le cas d'un local commercial implanté en rez-de-chaussée d'immeuble exploité pour commerce de boulangerie-pâtisserie-salon de thé dans lequel il n'existe plus d'équipements spéciaux ni local dédié et qui peut manifestement être transformé pour l'exercice d'une autre activité à un coût raisonnable.

En tout état de cause, l'enseigne faïencée figurant sur la façade qui constitue un élément de patrimoine n'est pas de nature à empêcher la transformation intérieure de locaux pour une autre activité.

En conséquence il y a lieu de rejeter les prétention formulées à cet égard par les bailleresses, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les conséquences qu'elles souhaitaient en tirer en ce qui concerne l'appréciation de la valeur locative.

En qui concerne la destination du bail, il y a lieu d'observer qu'il n'en est fait nulle mention ni dans le bail notarié d'origine ni dans les actes ultérieurs. Dans un tel cas ,l'article 1728 du Code civil prescrit de se référer à la commune intention des parties.

Il résulte des documents produits aux débats que tant le bailleur d'origine que les successeurs dans le fonds de commerce ont tous exercé l'activité de boulanger-pâtissier, leur profession étant expressément mentionnée dans le bail de 1959. Par ailleurs le local est identifié par une enseigne faïencée comme étant une boulangerie-pâtisserie à laquelle a été adjointe une activité de salon de thé par accord ultérieur du bailleur.

l.'agencement des locaux tels que décrits dans les différents rapports produits aux débats confirment cette destination.

Il doit donc être considéré que les parties ont destiné les locaux à un usage exclusif de boulangerie- pâtisserie-salon de thé dont la destination ne peut être changée sans l'accord du bailleur , à moins de mettre en 'uvre les règles de déspécialisation prévues par l'article 145'51 du code de commerce pour le locataire qui demande à bénéficier de ses droits à la retraite.

En ce qui concerne la clause exigeant l'accord exprès et par écrit du bailleur pour la cession du bail à l'acquéreur du fonds de commerce, il s'agit d'une clause restrictive de la faculté du cession mais elle ne peut avoir pour effet d'interdire toute cession dès lors que le locataire a toujours la possibilité de saisir le juge en cas de refus injustifié de la part du bailleur.

Au vu de ces éléments, les appelantes ne peuvent être suivies dans leurs explications tendant à voir minorer la valeur du droit au bail puisque le fonds n'est pas incessible et que son potentiel de développement demeure intact en raison de son emplacement favorable.

Il est d'ailleurs justifié dans le cours de la procédure du fait que les appelantes ont , après le départ des époux B..., conclu un nouveau bail avec un repreneur qui exerce une activité de boulangerie, viennoiserie, pâtisserie, sandwicherie et à titre accessoire, vente de boissons à emporter, moyennant un loyer annuel de 24000 euros pour le seul local commercial du rez-de-chaussée, somme qui confirme l'appréciation portée par l'expert en 2007 puisqu'à cette date, il évaluait la valeur locative de la partie commerciale à 18117 € par an.

Il y a lieu en définitive d'écarter tout coefficient de minoration et de dire que l'indemnité d'éviction sera fixée à la valeur du droit au bail pris isolément pour le montant fixé par le Premier juge.

Sur les indemnités accessoires

En ce qui concerne les frais de déménagement ,les intimés fournissent un devis de la société Déménagement Rémy NESPOULOS d'un montant de 5120 € TTC destiné à leur permettre récupérer les équipements professionnels et mobiliers présents dans leur fonds.

Cependant la preuve n'est pas rapportée qu'ils ont effectivement supportés de tels frais dès lors qu'il n'est produit qu'un devis et non pas une facture acquittée alors qu'ils ont quitté les lieux depuis le 31 mars 2010.

En ce qui concerne l'indemnité pour trouble commercial, elle n'a pas lieu d'être en l'état de l'intention déclarée des preneurs de cesser toute activité après leur départ des lieux.

Dès lors il y a lieu de rejeter les demandes de ce chef.

Sur les autres demandes:

Les intimés réclament une somme de15000 € à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des désagréments subis en faisant valoir qu'ils ont été obligés à se maintenir dans les lieux jusqu'au 30 mars 2010 en raison du comportement déloyal de leurs propriétaires alors qu'ils avaient envisagés dès l'année 2003 de céder leurs fonds afin de faire valoir leurs droits à retraite.

Ils stigmatisent en outre leur esprit procédurier qui a abouti à l'accumulation de procédures (10 entre 2004 et 2015) et rappellent qu'ils ont été privés pendant 12 ans d'un capital qu'ils pouvaient légitimement espérer obtenir lors de la cession de leur fonds.

Cependant les locataires qui ont obtenu la réparation du préjudice subi du fait de l'éviction ne peuvent réclamer en outre la réparation d'un préjudice moral lié au retard de versement de l'indemnité alors qu'à défaut d'accord entre les parties, leur différend devait être tranché en justice et qu'en l'espèce, ils ne caractérisent aucun abus de droit de la part des bailleurs.

Par contre la durée de la procédure justifie pleinement qu'il soit alloué en équité aux intimés une somme complémentaire de 3000 € pour les frais exposés en cause d'appel outre ceux qui leur ont été alloués par le Premier juge.

La partie qui succombe doit supporter les frais de l'instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision du tribunal de Grande instance d'Albi en date du 20 janvier 2015 en toutes ses dispositions ,

Déboute Madame Yvette Y... ép Z... et Madame Anne-Marie Z... épouse A... de leurs demandes tendant à faire juger que l'éviction n'occasionne aucun préjudice aux locataires évincés , à voir fixer l'indemnité d'éviction à la valeur du fonds de commerce ou à défaut, à la valeur du droit au bail réduite,

Dit n'y avoir lieu à retenir les coefficients de minoration de la valeur du droit au bail,

Déboute les époux B... de leurs demandes en paiement d'indemnités accessoires,

Rejette le surplus des demandes et les prétentions contraires,

Condamne Madame Yvette Y... ép Z... et Madame Anne-Marie Z... épouse A... à payer in solidum à Monsieur et Madame Jean-Paul B... la somme de 3000 € pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Les condamne en outre aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17/03556
Date de la décision : 03/10/2018

Références :

Cour d'appel de Toulouse 20, arrêt n°17/03556 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-03;17.03556 ?
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