La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/2014 | FRANCE | N°13/00022

France | France, Cour d'appel de Toulouse, Cour d'appel, 02 juillet 2014, 13/00022


02/ 07/ 2014 DÉCISION No 5 NoRG : 13/ 00022

Lahouari X...
C/ L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS *** COUR D'APPEL DE TOULOUSE *** INDEMNISATION A RAISON D'UNE DÉTENTION PROVISOIRE ***

Décision prononcée le DEUX JUILLET DEUX MILLE QUATORZE par Guy de FRANCLIEU, premier président, assisté de G. GAMBA, greffier
DÉBATS :
En audience publique, le 04 Juin 2014, devant Guy de FRANCLIEU, premier président, assisté de G. GAMBA, greffier.
MINISTÈRE PUBLIC : Représenté lors des débats par Jean-Jacques SILVESTR

E, substitut général, qui a fait connaître son avis.

La date à laquelle la décision serait ...

02/ 07/ 2014 DÉCISION No 5 NoRG : 13/ 00022

Lahouari X...
C/ L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS *** COUR D'APPEL DE TOULOUSE *** INDEMNISATION A RAISON D'UNE DÉTENTION PROVISOIRE ***

Décision prononcée le DEUX JUILLET DEUX MILLE QUATORZE par Guy de FRANCLIEU, premier président, assisté de G. GAMBA, greffier
DÉBATS :
En audience publique, le 04 Juin 2014, devant Guy de FRANCLIEU, premier président, assisté de G. GAMBA, greffier.
MINISTÈRE PUBLIC : Représenté lors des débats par Jean-Jacques SILVESTRE, substitut général, qui a fait connaître son avis.

La date à laquelle la décision serait rendue a été communiquée.
NATURE DE LA DÉCISION : CONTRADICTOIRE
DEMANDEUR Monsieur Lahouari X...

... 31100 TOULOUSE Représenté par Me Alexandre MARTIN, avocat au barreau de TOULOUSE

DÉFENDEUR

Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT Direction des affaires juridiques Sous direction du droit Privé-Immeuble Condorcet-bât 6-6 rue Louise Weiss 75013 PARIS Représenté par Me Marc JUSTICE ESPENAN de la SCP MERCIE-FRANCES-JUSTICE ESPENAN, avocat au barreau de TOULOUSE

I-FAITS, PROCÉDURE, DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES Monsieur Lahouari X... a été acquitté par un arrêt de la cour d'assises de la Haute-Garonne en date du 21 juin 2013, des chefs d'infractions de vol avec arme, vol avec violence ayant entraîné la mort, et violences avec usage ou menace d'une arme suivie d'une incapacité n'excédant pas 8 jours, en l'espèce 1 jour. Par requête présentée le 20 décembre 2013, monsieur Lahouari X... a saisi le premier président de la cour d'appel de Toulouse et sollicite une indemnisation suite à la détention provisoire qu'il a subie du 9 décembre 2010 au 21 juin 2013 soit d'une durée de 30 mois et 12 jours. Monsieur Lahouari X... sollicite :- l'allocation d'une somme de 450. 000 ¿ en réparation de son préjudice moral,- l'allocation d'une somme de 40. 851, 48 ¿ en réparation de son préjudice matériel,- l'allocation d'une somme de 5. 000 ¿ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions reçues le 19 février 2014, l'agent judiciaire de l'tat demande :- à titre principal, de dire que l'indemnisation de monsieur X... ne saurait excéder : la somme de 45. 600 ¿ au titre de l'indemnisation de son préjudice moral, la somme de 16. 042, 53 ¿ au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel, compte tenu de l'existence d'une perte de chance et d'une réduction à hauteur de moitié,- de débouter monsieur X... du surplus de ses demandes,- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le préjudice matériel serait considéré comme certain, de dire que l'indemnisation de son préjudice matériel ne pourra excéder la somme de 32. 085, 07 ¿.

Par conclusions en date du 11 mars 2014 et à l'audience du 4 juin 2014, le ministère public demande :- de fixer l'indemnisation du préjudice moral à hauteur de 45. 600 ¿,- de fixer l'indemnisation du préjudice matériel à hauteur de 32. 085, 07 ¿- de rejeter la demande en réparation des frais irrépétibles.

Par conclusions reçues le 2 juin 2014 et à l'audience du 4 juin 2014, monsieur Lahouari X... confirme sa demande d'indemnisation de son préjudice moral pour une somme de 450. 000 ¿, et modifie sa demande en réparation de son préjudice matériel pour un montant de 36. 257, 07 ¿ Il maintient une demande de 4. 172 ¿ au titre de sa perte de chance de retrouver un emploi depuis sa sortie de détention. Par dernières conclusions présentées le 18 avril 2014 et à l'audience du 4 juin 2014, l'agent judiciaire de l'Etat confirme ses précédentes demandes formulées dans ses conclusions en date du 11 mars 2014. A l'audience du 4 juin 2014 et dans une note du 5 juin 2014, l'agent judiciaire de l'Etat constate :

- que monsieur Lahouari X... n'a pas été licencié par son employeur et a retrouvé son poste d'agent de propreté auprès de l'entreprise BELLA NETTOYAGE à temps partiel,- qu'aucune pièce ne permet de savoir les raisons de la modification du contrat de travail avec un temps partiel,- que très subsidiairement le différentiel s'élève à 2950, 56 ¿ et non 4172 ¿. L'avocat du requérant a eu la parole en dernier.

II-MOTIFS DE LA DÉCISION Pour l'exposé des faits et prétentions des parties il convient de se référer aux dernières écritures des parties qui ont été confirmées oralement lors de l'audience.

La recevabilité de la requête n'est pas contestée. La requête est intervenue dans les 6 mois de la décision et monsieur Lahouari X... a droit à la réparation intégrale de ses préjudices. Il convient de déclarer recevable la requête de monsieur Lahouari X....

1) sur le préjudice moral Monsieur Lahouari X... sollicite au titre de la détention provisoire injustifiée la somme de 450. 000 ¿ en réparation de son préjudice moral. Il convient de prendre en compte l'environnement familial et professionnel de monsieur Lahouari X... ainsi que ses antécédents judiciaires. Monsieur Lahouari X... était âgé de 34 ans au moment de la détention. Divorcé, sans enfant, il exerçait la profession d'agent d'entretien ; il ne déclarait pas de domicile fixe connu. Son casier judiciaire ne porte mention d'aucune condamnation. Monsieur X... affirme que l'incarcération, s'agissant d'une première pour lui, constitue un choc psychologique combiné à un fort sentiment d'injustice. Il certifie avoir été suivi tout au long de sa détention par le service médico-psychologique régional, et qu'il a été soumis à un traitement d'anxiolytiques et de somnifères. Monsieur X... rapporte que les expertises psychiatriques et psychologiques faites au cours de l'instruction attestent que ce dernier souffre d'une altération des fonctions physiologiques du sommeil et de l'appétit liée à l'incarcération. Monsieur X... dit avoir dû poursuivre un suivi psychiatrique à sa sortie de prison, ainsi qu'un traitement antidépresseur, comme l'attestent des certificats du docteur Y.... Il poursuit qu'il n'a jamais ressenti la nécessité d'être suivi psychologiquement avant son placement en détention. Monsieur X... affirme que l'évocation d'antécédents psychologiques, dont la preuve n'est pas rapportée, ne devrait que conforter le caractère incommensurable du choc carcéral subi, qui est d'autant plus violent qu'il frappe un individu fragile et sans ressource. Monsieur X... ajoute que le rejet successif de ses demandes de remise en liberté a renforcé son sentiment d'injustice subi, les conditions de détention étant par ailleurs déplorables en raison de la surpopulation carcérale. Monsieur X... affirme que l'importante médiatisation de l'affaire a porté atteinte à sa réputation. Il précise que la somme de 45. 600 ¿ proposée par l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public est déraisonnable en ce que pour 924 jours de détention, elle revient à un dédommagement de moins de 50 ¿ par jour de détention. Monsieur X... sollicite l'allocation d'une somme de 450. 000 ¿ au titre de l'indemnisation de son préjudice moral. L'agent judiciaire de l'Etat souligne que les troubles psychologiques de monsieur X... pendant sa détention doivent être mis en relation avec les troubles psychologiques présentés avant son incarcération. Il est établi que monsieur X... était très perturbé par son récent divorce qu'il n'acceptait pas et que ces troubles l'ont conduit à consulter des marabouts et guérisseurs allant même jusqu'à incendier son propre véhicule le pensant envoûté. Les certificats produits par monsieur X... ne permettent pas d'établir un lien de causalité entre la prise de médicaments consécutive aux troubles présentés et l'incarcération. L'agent judiciaire de l'Etat indique que l'indemnisation du préjudice moral de monsieur X... ne saurait excéder la somme de 45. 600 ¿. Le ministère public estime que la somme allouée à monsieur X... doit être fixée à 45. 600 ¿. Compte tenu des pièces du dossier, des observations des parties, des antécédents médicaux et de l'environnement de monsieur Lahouari X..., il convient de fixer le préjudice moral inhérent à la privation de liberté injustifiée d'une durée de 30 mois et 12 jours, à la somme de cent cinquante mille euros (150. 000 ¿).

2) sur le préjudice matériel a-sur la perte de salaire pendant l'incarcération Monsieur Lahouari X... rappelle que lors de son arrestation, il travaillait au sein de la société BELLA-NETTOYAGE, en qualité de technicien de surface, en contrat à durée indéterminée. Monsieur X... précise que son activité avait vocation à s'étendre à durée indéterminée et lui offrait une rémunération tout à fait acceptable s'agissant d'un premier emploi stable. Il assure que son emploi ne peut être qualifié de précaire. Monsieur X... affirme que son préjudice matériel est certain dans la mesure où sa cessation d'activité est exclusivement liée à son incarcération. Monsieur X... indique qu'il convient pour calculer le montant de son indemnisation de se baser sur le salaire mensuel net qu'il percevait, et de l'appliquer à la totalité de la durée de sa détention, à savoir 30 mois et 12 jours. Il sollicite la somme de 32. 085, 07 ¿ net au titre de la réparation de sa perte de salaire durant sa détention. L'agent judiciaire de l'Etat affirme que l'activité d'agent d'entretien par nature précaire ne permet pas de considérer avec certitude que monsieur X... aurait conservé son emploi pendant les 30 mois de détention. Les demandes de monsieur X... au titre de sa perte de salaire pendant sa détention ne sauraient être accueillies en l'état puisqu'il ne s'agit d'une perte de chance d'avoir pu conserver son emploi durant sa détention, qui peut raisonnablement être évaluée à 50 %. Par conséquent, monsieur X... ne saurait prétendre à une indemnisation dépassant la moitié de ses salaires nets qui auraient été versés pendant sa détention, soit la somme de 16. 042, 53 ¿. A titre subsidiaire, s'il était considéré que le préjudice de monsieur X... est certain et entier, son indemnisation serait calculée sur la base de son salaire net et ne saurait excéder la somme de 32. 085, 07 ¿. Le ministère public affirme que l'indemnité allouée à monsieur X... en réparation de sa perte de salaire net durant son incarcération ne saurait excéder 32. 085, 07 ¿. Compte tenu des pièces du dossier et des observations des parties, il n'y a pas lieu de retenir une perte de chance à hauteur de 50 % et il convient d'allouer à Monsieur Lahouari X... la somme de trente deux mille quatre vingt cinq euros et sept centimes (32. 085, 07 ¿) au titre de sa perte de salaire durant son incarcération. b-sur la perte de chance de retrouver un emploi à plein temps Monsieur X... indique qu'il n'a pu reprendre une activité qu'à compter du 12 août 2013, soit plus d'un mois et demi après son élargissement, après avoir obtenu avec son employeur un arrangement amiable pour ne travailler que 48 h par mois à compter de cette date. Si le contrat de travail d'une personne détenue est en principe suspendu pendant la durée de son incarcération, il n'est pas indispensable que celui-ci reprenne dans les mêmes conditions horaires que celles prévues initialement. C'est ainsi que monsieur X... dit n'avoir pu reprendre le même rythme de travail que celui qu'il menait auparavant, et ce en raison de son état physique et psychologique diminué par la détention. Monsieur X... expose avoir perçu une rémunération mensuelle nette de 352, 20 ¿ du 12 août au 31 décembre 2013, puis de 355, 20 ¿ du 1er janvier au 30 avril 2014. Parallèlement à son activité, monsieur X... dit s'être inscrit à pôle emploi et avoir perçu au titre de l'allocation temporaire d'attente la somme de 1. 627, 90 ¿ pour la période du 30 août 2013 au 1er avril 2014 et la somme de 340, 50 ¿ pour le mois d'avril 2014, soit un montant total de 1. 968, 40 ¿.

Monsieur X... considère qu'il a subi une perte de chance certaine de reprendre une activité régulière normale assortie de revenus suffisants auxquels il pouvait prétendre avant son incarcération. Monsieur X... sollicite à ce titre une demande d'indemnisation, tenant compte des sommes perçues tant au titre de son emploi à temps partiel que de l'allocation temporaire d'attente versée par pôle emploi. Il sollicite la somme de 4. 172 ¿ au titre de l'indemnisation de sa perte de chance de retrouver une activité régulière normale. L'agent judiciaire de l'Etat relève que monsieur Lahouari X... n'a pas été licencié par son employeur puisqu'il a retrouvé son poste d'agent de propreté auprès de l'entreprise BELLA NETTOYAGE, bien qu'il ne soit plus désormais qu'à temps partiel. Il poursuit que monsieur Lahouari X... ne fournit aucune justification permettant de connaître les raisons pour lesquelles le contrat de travail a été modifié. L'agent judiciaire de l'Etat rappelle que cette modification peut être imputable à l'employeur ou avoir été acceptée par monsieur X.... De plus, il affirme qu'il n'est pas démontré que cette modification soit imputable à la détention provisoire. L'agent judiciaire de l'Etat sollicite le rejet de la demande d'indemnisation de monsieur X... au titre de sa perte de chance de retrouver un emploi. A titre subsidiaire, il expose que monsieur Lahouari X... percevait en 2013, outre sa rémunération mensuelle de 352, 20 ¿, des allocations chômage de 336 ¿, soit au total a somme de 688, 20 ¿. En 2014, il percevait une rémunération mensuelle de 355, 02 ¿ et des allocations chômage de 340 ¿, soit au total la somme mensuelle de 695, 02 ¿. Avant l'incarcération, monsieur Lahouari X... percevait la somme de 1. 055, 43 ¿. Le différentiel est alors de 367, 23 ¿ en 2013 et de 370, 41 en 2014. L'agent judiciaire de l'Etat expose que sur une période de 8 mois, le différentiel serait tout au plus de 2. 950, 56 ¿ et non de 4. 172 ¿. De plus, il souligne que ce différentiel ne peut être rattaché de manière certaine et directe à la détention provisoire. Compte tenu des pièces du dossier et des observations des parties il apparaît que :- que monsieur Lahouari X... ne fournit aucun justificatif permettant de connaître les raisons pour lesquelles le contrat de travail a été modifié,- que monsieur Lahouari X... ne fournit aucun justificatif permettant de déterminer que ce différentiel pourrait être rattaché de manière certaine et directe avec la détention provisoire. Dans ces conditions, il convient de débouter monsieur Lahouari X... de sa demande d'indemnisation au titre de sa perte de chance de retrouver un emploi à plein temps.

3) sur les frais irrépétibles Il apparaît inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge de monsieur Lahouari X... et il convient d'allouer une indemnité de mille cinq cents euros (1. 500 ¿) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, par décision mise à disposition au greffe après avis aux parties. Déclare recevable la requête de monsieur Lahouari X... Alloue à monsieur Lahouari X... une indemnité de CENT CINQUANTE MILLE EUROS (150. 000 ¿) au titre de la réparation du préjudice moral. Alloue à monsieur Lahouari X... la somme de TRENTE DEUX MILLE QUATRE VINGT CINQ EUROS ET SEPT CENTIMES (32. 085, 07 ¿) au titre de l'indemnisation de la perte de salaire. Déboute monsieur Lahouari X... de sa demande d'indemnisation au titre de sa perte de chance de retrouver un emploi à plein temps. Alloue à monsieur Lahouari X... une indemnité de MILLE CINQ CENTS EUROS (1. 500 ¿) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Laisse les dépens à la charge du trésor public.

Le greffier, Le premier président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : Cour d'appel
Numéro d'arrêt : 13/00022
Date de la décision : 02/07/2014
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.toulouse;arret;2014-07-02;13.00022 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award