21/ 12/ 2012
ARRÊT No 2012/ 234
NoRG : 12/ 00062 CS/ JC
Décision déférée du 22 Mars 2012- Juge des enfants de TOULOUSE-411 : 0033 Isabelle MOLLEMEYER
Amandine Y...Cédric Z...
C/
DIRECTION DE LA SOLIDARITE DEPARTEMENTALE
Notifications LRAR + LS le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS *** COUR D'APPEL DE TOULOUSE CHAMBRE SPÉCIALE DES MINEURS
*** ARRÊT DU VINGT ET UN DECEMBRE DEUX MILLE DOUZE
***
Prononcé en chambre du conseil, par mise à disposition au greffe, Composition de la Cour lors des débats et du délibéré
Président : S. TRUCHE, conseiller délégué à la protection de l'enfance, conformément à l'article L. 312. 6 du Code de l'organisation judiciaire
Conseillers : P. POIREL, C. STRAUDO,
Greffier, lors des débats : J. COURTES
Débats : en chambre du conseil, le 23 Novembre 2012 en présence de A. ESCLAPEZ, substitut général. Les parties ont été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile
Procédure : Assistance éducative
Mineurs concernés
Lenny Z...-2 ans né le 25 Novembre 2010 non comparant
APPELANT (E/ S)
Madame Amandine Y......-31330 GRENADE comparant en personne, assistée de Me Nathalie MARQUES, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
Monsieur Cédric Z......-31330 GRENADE comparant en personne, assisté de Me Nathalie MARQUES, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
ONT ÉTÉ CONVOQUES
DIRECTION DE LA SOLIDARITE DEPARTEMENTALE AIDE SOCIALE A L'ENFANCE 1 bd de la Marquette-31090 TOULOUSE comparant en la personne de Mme B...
DÉROULEMENT DES DÉBATS
Monsieur STRAUDO a fait le rapport.
Ont été entendus :
- Madame Amandine Y...-Monsieur Cédric Z...-Me Nathalie MARQUES, avocat de Mme Amandine Y...et de M. Cédric Z...-Le représentant du ministère public
RAPPEL DE LA PROCÉDURE
La Cour est régulièrement saisie de l'appel interjeté conjointement par Madame Y...et Monsieur Z...par déclaration au greffe de la Cour d'appel en date du 6 avril 2012 contre un jugement en assistance éducative rendu le 22 mars 2012 par le juge des enfants du Tribunal de grande instance de Toulouse, qui a :
- renouvelé le placement de Lenny Z...à l'Aide Sociale à l'Enfance de la Haute-Garonne à compter du 1er mars 2012 et jusqu'au 28 février 2013
- accordé à Monsieur Z...et Madame Y...un droit de visite et d'hébergement toutes les fins de semaine du samedi 10h au dimanche 18h
- dit qu'en cas de difficulté, il en sera référé au juge des enfants ;
- dit que les prestations familiales auxquelles le mineur ouvre droit seront perçues par l'Aide Sociale à l'Enfance ;
- ordonné l'exécution provisoire.
A l'audience du 23 novembre 2012 Monsieur Z...et Madame Y...ont précisé que leur appel avait pour objet la mainlevée de la mesure de placement.
Leur conseil a développé ses conclusions déposées au greffe le 22 novembre 2012.
La représentante du service de la Direction de la Solidarité Départementale du Conseil Général de Haute-Garonne a précisé pour sa part qu'un retour progressif de l'enfant au domicile parental pouvait être envisagé sous réserve des conclusions de l'enquête pénale. Dans l'attente elle a sollicité le maintien des dispositions de la décision déférée.
Madame l'avocat général a requis le mainlevée de la mesure de placement et l'instauration d'une mesure d'assistance éducative.
EXPOSE DE LA SITUATION
Des relations de Madame Amandine Y..., auxiliaire de vie, et de Monsieur Cédric Z..., chauffeur livreur est né Lenny le 25 novembre 2010, reconnu par ses deux parents.
Le juge des enfants du Tribunal de grande instance de Toulouse a été saisi par requête du procureur de la République en date du 17 février 2011 de la situation de Lenny.
Il apparaissait en effet que du 13 au 18 janvier 2011 l'enfant avait été hospitalisé en pédiatrie générale pour une tuméfaction mandibulaire droite avec fièvre.
Le compte rendu stipulait que les parents s'étaient présentés aux urgences le 13 janvier 2011 en précisant que Lenny rencontrait des difficultés alimentaires avec refus des biberons et présentait de la fièvre.
A l'examen clinique le personnel hospitalier retrouvait un cal osseux au niveau postérieur d'une côte droite et diagnostiquait une rhinopharyngite
A l'issue d'une radiographie pratiquée le 14 janvier 2011 ils découvraient de façon fortuite une fracture isolée de l'arc postérieur de la 7ème côte droite.
Cette fracture était qualifiée de semi-récente.
Lenny sortait de l'hôpital le 18 janvier 2011 sous un traitement antibiotique.
Il était vu en consultation par son médecin les 24 et le 28 janvier 2011.
Madame Y...évoquait alors ses difficultés dans l'administration du traitement et son angoisse.
Le 31 janvier 2011 elle constatait chez son fils une impotence fonctionnelle douloureuse du bras droit.
Elle consultait le docteur C...qui prescrivait des radiographies à l'issue desquelles était découverte une nouvelle fracture au niveau du bras droit.
L'enfant était adressé aux urgences pédiatriques à Toulouse le 1er février 2011.
L'examen clinique ne mettait pas en évidence d'ecchymose.
Les radiographies pratiquées décrivaient en revanche la présence d'une fracture au niveau de l'extrémité proximale de l'ulna évoquant une fracture en cours de consolidation. Le 7 février 2011 de nouvelles radiographies étaient pratiquées et laissaient suspecter deux fractures sur les membres inférieurs.
Le 11 février 2011 un troisième holosquelette était réalisé et faisait apparaître deux fractures absentes lors du premier examen avec une fracture récente du cubitus droit et une fracture plus ancienne du tibia gauche.
L'interprétation réalisée par le Docteur D...confirmait la présence de trois fractures :
- une fracture ancienne de la 7e côte droite (arc postérieur avec cal osseux)
- une fracture récente du cubitus droit (l'olécrâne) en cours de consolidation,
- une fracture du tibia gauche (extrémité distale).
Les parents ne pouvant donner aucune explication à ces lésions, l'hôpital Purpan, adressait un signalement au Parquet de Toulouse.
Une procédure pénale était ouverte, et le procureur prononçait à la même date le placement en urgence de l'enfant pour assurer sa sécurité.
Les premiers éléments de l'enquête faisaient état d'un comportement tout à fait adapté des parents auprès de Lenny à l'hôpital.
Il était par ailleurs précisé que lorsqu'ils avaient été informés des fractures de leur fils, Monsieur Z...et Madame Y...s'étaient effondrés émotionnellement se reprochant d'en être responsables.
Les professionnels observaient en outre un lien de qualité entre Lenny et ses parents et l'authenticité de leur comportement.
Après un séjour en clinique, Lenny était accueilli à la pouponnière du CDEF à compter du 3 mars 2011.
Rapidement, le comportement joyeux de Lenny disparaissaient pour laisser s'installer des signes de tristesse, des troubles du sommeil et un manque d'appétit.
Dans ces conditions, le service gardien mettait en place des rencontres parents-enfants quasi journalières, ce qui permettait d'observer une évolution positive chez l'enfant.
Lors des visites, l'attention portée par les parents à Lenny et la richesse de leurs échanges étaient repérées.
Rapidement une problématique semblait se poser aux travailleurs sociaux, qui constataient d'une part l'existence de fractures inexpliquées chez l'enfant, et d'autre part les relations de qualité entre ce dernier et ses parents.
Le placement était maintenu par décisions successives jusqu'à la décision déférée, dans l'attente des conclusions de l'enquête pénale et dans un souci de protection du l'enfant.
Néanmoins, les droits des parents étaient régulièrement élargis, jusqu'à une dernière ordonnance du 3 juillet 2012 accordant en plus de la totalité des fins de semaine du samedi au dimanche soir, une fin de semaine par mois jusqu'au lundi soir.
Un rapport rendu le 19 juillet 2011 par l'expert E..., médecin légiste requis dans le cadre de l'enquête pénale, indiquait que la présence de fractures d'âges différents, les motifs invoqués par les parents, l'âge de l'enfant, l'absence de fragilité osseuse et la localisation des fractures semblaient compatibles avec une maltraitance.
Les parents maintenaient pour leur part leurs déclarations initiales, à savoir l'existence de leur part de comportements un peu trop brusques ayant pu causer des lésions à leur fils indépendamment de leur volonté.
Le rapport d'expertise psychologique effectuée par Madame F...dans le cadre de l'enquête pénale concluait à l'égard de Madame Y...à l'absence de trouble grave de la personnalité et de désorganisation mentale caractérisée.
Etaient néanmoins évoquées des difficultés psychologiques anciennes réactivées par sa maternité, avec une anxiété de séparation ancienne et des tendances dépressives sous-jacentes, nécessitant un étayage dans les fonctions maternelles.
Concernant Monsieur Z..., tout trouble mental était écarté, mais il était fait état d'un déficit intellectuel modéré se traduisant par un abord très concret de la réalité et peu de possibilité de réflexion et de mentalisation, ainsi que d'une certaine dépendance sur le plan affectif.
L'hypothèse des actes non volontaires sur son fils était confortée, Monsieur Z...paraissant peu apte à l'anticipation des conséquences de ses gestes.
Toute orientation vers une dimension agressive de sa personnalité était néanmoins écartée.
Le 1er mars 2012, le procureur de la République ouvrait une information judiciaire contre X des chefs de violences volontaires commises sur Lenny, occasionnant une ITT inférieure ou égale à 8 jours (5 jours ITT pour la fracture de l'olécrane droit et pour la fracture du tibia gauche, 2 jours pour la fracture de la 7e côte droite).
C'est dans ce contexte qu'a été rendue le 22 mars 2012 la décision aujourd'hui déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'en vertu des dispositions des articles 375 et suivants du Code civil, des mesures d'assistance éducative peuvent être prises si la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ;
Attendu qu'en l'espèce il convient de relever que Lenny a fait l'objet d'une mesure de placement en urgence le 17 février 2011 confirmée par ordonnance du juge des enfants du 1er mars 2011 ;
Que cette mesure a été motivée par des suspicions de maltraitance sur le nourrisson et la nécessité de le protéger ;
Que parallèlement une enquête pénale a été diligentée par le procureur de la République ;
Que dans le cadre de ces investigations le docteur E..., au terme d'un rapport déposé le 19 juillet 2011, a relevé que la localisation des fractures présentées par l'enfant semblaient compatibles avec une maltraitance ;
Qu'elles ne pouvaient s'expliquer que par des comportements inadaptés des parents ;
Qu'en l'état de ces éléments c'est par une juste appréciation qui lui étaient soumis que le juge des enfants a renouvelé le placement de Lenny par la décision aujourd'hui déférée ;
Attendu qu'il convient néanmoins de relever que depuis le prononcé de cette décision les docteurs L...(médecin légiste) et M... (pédiatre), experts commis par le juge d'instruction, ont déposé leur rapport le 27 août 2012 ;
Qu'il résulte de leurs investigations que les fractures mises en évidence chez l'enfant lors de ses hospitalisations des 13 janvier et 1er février 2011 présentent des caractéristiques suspectes mais que leur datation comporte un caractère aléatoire ;
Qu'ils relèvent par ailleurs :
- qu'il est impossible d'affirmer de manière certaine la présence d'une fracture d'origine traumatique du tibia gauche,
- qu'il ne peut être exclu de façon certaine la production de la fracture de la côte (fracture ancienne) lors de la naissance (extraction par césarienne)
- que la fracture du coude droit peut résulter d'un comportement inadapté pratiqué par les parents ;
Que les médecins soulignent qu'en dehors des lésions squelettiques, il n'a jamais été constaté ni décrit de lésion cutanée traumatique (ecchymose, hématome, plaie) ni d'éléments en faveur d'un manque de soins de la part des parents ;
Qu'aucune mise en examen n'est intervenue à ce jour dans le cadre de l'information judiciaire, les parents ayant entendus en qualité de témoins assistés ;
Qu'il ressort par ailleurs des éléments du dossier d'assistance éducative que Monsieur Z...et Madame Y...ont toujours étroitement collaboré avec le service gardien ; qu'ils ont notamment accepté la mise en place d'un étayage suffisamment soutenant (puéricultrice, psychologue, éducateur, CAMPS) ;
Qu'ils ont toujours adopté des comportements adaptés, attentionnés et prévenants à l'égard de Lenny ;
Qu'ils ont rencontré quotidiennement leurs fils au CEDF avant que ce dernier ne soit orienté dans une famille d'accueil le 1er juin 2012, face aux constatations de son mal-être dans le cadre de la vie en communauté ;
Que depuis cette date ils bénéficient d'un droit de visite et d'hébergement toutes les fins de semaines du samedi matin au dimanche soir ;
Que dans le cadre de cet accueil, ils ont pu démontrer leur volonté de prendre en compte les besoins de l'enfant ; que le service gardien relève ainsi que Madame Y...n'hésite jamais à solliciter les professionnels afin d'être conseillée ;
Qu'au mois d'août 2012 ils ont accueilli Lenny durant une semaine ;
Que lors de ces visites le référent a pu observer un enfant calme et posé qui disposait de ses repères et d'une prise en charge adaptée ;
Que le service décrit dans son dernier rapport en date du 21 novembre 2012 Monsieur Z...et Madame Y...comme des parents soucieux du bien être de leur enfant, toujours en mesure d'être présents, d'accepter les conseils et de les mettre en oeuvre ;
Que depuis le mois de juillet 2012 ils se rendent une fois par mois au CAMPS dans le cadre d'un suivi thérapeutique ;
Que le docteur I...observe des parents meurtris par la situation et qui vivent douloureusement le placement ;
Qu'il relève leur attachement réel à Lenny et le fait que ce dernier n'a pu bénéficier depuis son placement d'une base d'attachement sécure ;
Qu'il préconise un suivi thérapeutique sur le long terme ;
Que parallèlement, Madame Y...a mis en place au début de l'année 2012 un suivi auprès du docteur J..., médecin psychiatre libéral, qui atteste de son adhésion à un projet de prise en charge et le fait qu'elle ne présente aucun trouble psychopathologique caractérisé ;
Qu'il expose qu'elle est actuellement en mesure de prendre en charge son fils ;
Que lors de l'audience les parents se sont engagés à poursuivre leur suivi dans le cadre du CAMPS ;
Que Madame Y...s'est également engagée à poursuivre ses consultations avec le docteur J...;
Qu'ils ont également engagé des démarches pour que Lenny fréquente dès son retour à leur domicile la halte garderie de Grenade ;
Qu'ils se sont rapproché du service de PMI pour que Madame K..., infirmière travaillant avec l'Aide Sociale à l'Enfance et connaissant le dossier, suive régulièrement l'enfant ;
Attendu qu'en l'état de ces éléments, qui démontrent une réelle collaboration des parents et une volonté de s'impliquer de manière adaptée dans la prise en charge de leur fils, la mesure de placement ne se justifie plus à ce jour ;
Que les éléments du dossier et la nécessité de permettre un suivi régulier de Lenny imposent néanmoins que la mainlevée de ce placement soit assortie d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert et d'obligations particulières tel que précisé au dispositif de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en chambre du conseil, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, rendu par mise à disposition au greffe,
Vu l'avis du Ministère Public,
Déclare recevable l'appel interjeté par Monsieur Z...et Madame Y...;
Confirme la décision déférée,
Y ajoutant,
Ordonne la mainlevée du placement de Lenny Z...à l'Aide Sociale à l'Enfance de la Haute-Garonne à compter de la présente décision,
Ordonne une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert à l'égard de Lenny Z...pour une durée d'un an confiée à :
l'Association nationale de recherche et d'action solidaire (ANRAS)-7 Boulevard Delacourtie-BP 14125-31030 TOULOUSE
Précise que cette mesure s'exercera sous le contrôle du juge des enfants actuellement saisi,
Précise que jusqu'à la mise en place effective de cette mesure l'Aide Sociale à l'Enfance de la Haute Garonne continuera à assumer le suivi de l'enfant auprès de ses parents,
Précise que dans le cadre de la mesure d'assistance éducative Monsieur Z...et Madame Y...seront tenus de :
- poursuivre le suivi thérapeutique instauré dans le cadre du CAMPS,
- d'inscrire Lenny à la halte garderie de Grenade ;
- de mettre en oeuvre un suivi hebdomadaire de l'enfant en collaboration avec le service de la PMI, et notamment Madame K...,
- poursuivre le suivi thérapeutique auprès du docteur J...,
Le tout conformément aux articles 375 à 375-9 du Code civil,
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Le représentant du ministère public
Arrêt signé par S. TRUCHE, président, et J. COURTES, greffier
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
J. COURTESS. TRUCHE.