SUQ / MB
DOSSIER N 08 / 00410
ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2008
3ème CHAMBRE,
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème Chambre,
N 1203 / 08
Prononcé publiquement le MARDI 16 DECEMBRE 2008 par Monsieur SUQUET, Président de la 3ème Chambre des Appels Correctionnels,
Sur appel d'un jugement du T. G. I. DE TOULOUSE- 3EME CHAMBRE du 19 MARS 2008.
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré,
Président : Monsieur SUQUET,
Conseillers : Monsieur LAMANT,
Monsieur BASTIER,
GREFFIER :
Madame BORJA, lors des débats et du prononcé de l'arrêt
MINISTÈRE PUBLIC :
Monsieur SILVESTRE, Substitut Général, aux débats et au prononcé de l'arrêt
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :
A... Sylvie
née le 11 Décembre 1959 à ALBI (81)
de nationalité francaise,
Psychologue
demeurant...
31180 LAPEYROUSE FOSSAT
Prévenue, libre, intimée, non comparante
Représentée par Maître BOUCHARINC Denis, avocat au barreau de TOULOUSE (muni d'un pouvoir)
en présence du MINISTÈRE PUBLIC :
B... Monique
Demeurant...
Partie civile, appelante, comparante,
Assistée de Maître CARDIX Michel, avocat au barreau de NICE
RAPPEL DE LA PROCÉDURE :
LE JUGEMENT :
Le Tribunal, par jugement en date du 19 Mars 2008, a, sur l'action civile, statué ainsi qu'il suit :
* a déclaré B... Monique recevable en sa constitution de partie civile et l'a déboutée de ses demandes ;
LES APPELS :
Appel a été interjeté par :
Madame B... Monique, le 20 Mars 2008 contre Madame A... Sylvie
Vu l'arrêt du 17 / 06 / 2008 ayant renvoyé l'affaire à l'audience du 02 Septembre 2008 à 14 heures, date à laquelle les parties présentes ou représentées devront comparaître sans nouvelle citation ;
Vu l'arrêt du 02 / 09 / 2008 ayant renvoyé l'affaire à l'audience du 18 Novembre 2008 à 14 heures, date à laquelle les parties présentes ou représentées devront comparaître sans nouvelle citation ;
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
A l'audience publique du 18 Novembre 2008, le Président a constaté l'absence de la prévenue, régulièrement représentée par son avocat ;
Ont été entendus :
Monsieur SUQUET en son rapport ;
L'appelant a sommairement indiqué à la Cour les motifs de son appel ;
Mme B... Monique, partie civile, est présente ;
Maître CARDIX, avocat de B... Monique, en ses conclusions oralement développées ;
Monsieur SILVESTRE, Substitut Général, en ses réquisitions ;
Maître BOUCHARINC Denis, avocat de A... Sylvie, en ses conclusions oralement développées et a eu la parole en dernier ;
Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 16 DECEMBRE 2008.
DÉCISION :
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les appels, relevés dans les formes et délais requis par la loi, sont recevables.
Par acte en date du 2 juillet 2007, Monique B... épouse C... a fait délivrer une citation directe à Sylvie A... dont les termes sont les suivants :
" Madame Monique B... est l'épouse de Monsieur Marc C..., lequel a été condamné par la Cour d'assises de TOULOUSE à la peine de 25 années de réclusion criminelle des chefs d'assassinat sur la personne de Cédric D..., compagnon de sa fille Fabienne C..., faits survenus à BLAGNAC (31) le 18 août 2003.
Cette sanction a été confirmée par la Cour d'assises d'AGEN.
Le 2 avril 2007, cette affaire a été retracée à la télévision, sur la chaîne France 5, dans l'émission intitulée VERDICT, émise à partir de zéro heures 11 et pour une durée de 52 minutes.
Cette émission s'inscrit dans une série documentaire produite par la société MORGANE PRODUCTION et réalisée par Messieurs Patrick E... et Jean-Charles F....
À l'occasion de cette diffusion, les journalistes ont interviewé Madame Sylvie A..., psychologue et enquêtrice sociale, laquelle s'est livrée à cette occasion à des propos mensongers et diffamatoires à l'égard de la requérante.
Ces propos enregistrés sur un DVD joint à la présente citation, ont été recueilli au moment suivant de l'émission :
CHAPITRE 2 de 0 : 17 : 58 à 0 : 19 : 11
CHAPITRE 3 de 0 : 27 : 55 à 0 : 28 : 24
CHAPITRE 5 de 0 : 40 : 03 à 0 : 40 : 13.
Madame Sylvie A... a ainsi déclaré :
«... J'ai appris qu'effectivement, au moment où Fabienne C... était enceinte, sa mère elle-même était enceinte, qu'elle avait perdu l'enfant. Donc, je pense qu'elle-même ayant perdu le bébé qu'elle attendait en même temps que sa fille, JADE, qui devait d'ailleurs, je pense, être le prénom qu'elle aurait donné à sa propre fille, c'était pas sa petite-fille, c'était sa propre fille à elle, voilà...
... Le fait que le père puisse enfin avoir des vacances avec son enfant, que la petite fille puisse enfin en profiter, qu'il puisse être heureux tous les deux, ça a été une idée insupportable pour Madame C...... et alors, en plus, se dire que peut-être, après ça, il pourrait récupérer sa propre fille, non, mais, attendez, c'était inqualifiable... c'était pas possible que ça se passe, c'était pas possible...
... Cette dame est malade, c'est sûr. Il y a quelque chose qui s'est passé dans sa vie que fait que bon, là, maintenant elle est devenue dans un fonctionnement ou les choses ne peuvent pas se passer autrement que ce qu'elle imagine... ».
De telles déclarations sont, en premier lieu, mensongères, dans la mesure où, Madame B... épouse C... n'a jamais été enceinte en même temps que sa fille Fabienne et que, dès lors, a fortiori, elle n'a pu perdre un enfant qu'elle ne portait pas et envisager de lui donner le même prénom que celui de sa petite-fille, à savoir Jade.
C'est sur le fondement de telles assertions complètement fausses que la requise n'a pas hésité à qualifier la requérante de « malade », son équilibre psychologique ayant été selon Mme A... gravement rompu puisque Mme B... épouse C... confondrait son imaginaire avec la réalité !
En l'état du contexte particulièrement douloureux de cette affaire (Monsieur Marc C... ayant assassiné le père de Jade pour suspicion d'attouchements sexuels sur la petite fille), de tels propos émis par Madame Sylvie A... sur une chaîne télévisée avec une audience nationale, sont en tout point inadmissible car de nature à porter atteint à l'honneur et à la considération de la requérante.
Celle-ci est juridiquement fondée à citer devant le Tribunal Correctionnel de céans Madame Sylvie A... comme auteur principal du délit de diffamation publique tel que défini et réprimé par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881.
ARTICLE 29 alinéa 1 :
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »
ARTICLE 32 alinéa 1
« La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12000 euros. »
Madame B... doit être accueillie en sa constitution de partie civile.
Madame Sylvie A... devra être condamnée à lui payer la somme de 10. 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du grave préjudice moral subi, outre une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.
PAR CES MOTIFS,
VU les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881,
VU les déclarations de Madame Sylvie A... sur France 5, à l'émission VERDICT diffusée le 2 avril 2007 à partir de 0 h 11 ci-dessous retranscrites :
"... J'ai appris qu'effectivement, au moment ou Fabienne C... était enceinte, sa mère elle-même était enceinte, qu'elle avait perdu l'enfant. Donc, je pense, qu'elle-même ayant perdu le bébé qu'elle attendait en même temps que sa fille, JADE, qui devait d'ailleurs, je pense, être le prénom qu'elle aurait donné à sa propre fille, c'était pas sa petite-fille, c'était sa propre fille à elle, voilà...
... Le fait que le père puisse enfin avoir des vacances avec son enfant, que la petite fille puisse enfin en profiter, qu'ils puissent être heureux tous les deux, ça a été une idée insupportable pour Madame C...... et alors, en plus, se dire que peut-être, après ça, il pourrait récupérer sa propre fille, non, mais, attendez, c'était inqualifiable... c'était pas possible que ça se passe, c'était pas possible...
... Cette dame est malade, c'est sur. Il y a quelque chose qui s'est passé dans sa vie qui fait que bon, la, maintenant elle est devenue dans un fonctionnement où les choses ne peuvent se passer autrement que ce qu'elle imagine... ».
DÉCLARER Madame Sylvie A... coupable en qualité d'auteur principal du délit de diffamation publique telle que défini et réprimé par les articles susvisés.
STATUER ce que de droit sur les réquisitions du Ministère Public.
RECEVOIR Madame B... épouse C... en sa constitution de partie civile et la déclarer bien fondée.
CONDAMNER Madame Sylvie A... au paiement de la somme de DIX MILLE EUROS (10. 000 euros) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral.
CONDAMNER Madame Sylvie A... au paiement de la somme de DEUX MILLE euros (2000 euros) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.
CONDAMNER Madame Sylvie A... aux dépens.
SOUS TOUTES RÉSERVES UTILES "
* * *
Le Tribunal Correctionnel a prononcé la relaxe de Sylvie A... en retenant qu'elle avait déjà tenu ces propos dans le cadre d'un débat public et qu'on ne percevait pas en quoi ses propos étaient de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, le fait d'affirmer que quelqu'un est malade et de faire état d'une supposée maternité de Madame C... n'étant pas diffamatoire.
* * *
Il apparaît en l'espèce que les propos ont été tenus par Sylvie A... dans le cadre d'une émission de télévision, dont la retranscription figure au dossier, et qui relate, dans des termes exempts de polémique, le procès d'assises à l'issue duquel le mari de Madame C... a été condamné. Le réalisateur de l'émission n'a pas filmé directement les débats d'assises mais a recueilli, hors audience, les témoignages de divers intervenants et témoins entendus.
La visualisation de cette émission montre que les paroles reprochées à Sylvie A... concordent avec celles qui y sont tenues par les autres intervenants et notamment par l'avocat qui assistait la partie civile lors du procès et par celui qui assistait l'accusé. Les propos de Sylvie A... s'inscrivent dans la continuité de son témoignage et sont formulés sur un ton mesuré et non pas vindicatifs.
Si les examens médicaux produits aux débats tendent à montrer que Madame C... ne pouvait pas être enceinte à la période évoquée par Sylvie A..., il ne s'agit pas pour autant d'une invention de la prévenue mais d'un élément qui était contenu dans un rapport figurant au dossier et dont Sylvie A... avait eu connaissance en raison de ce qu'elle avait été chargée d'un rapport d'enquête sociale. Or, MadameG... qui avait assisté au procès d'assises ne pouvait l'ignorer.
* * *
Le fait que Sylvie A... ait déjà tenu des propos identiques au cours du procès d'assises qui venait de se dérouler et où elle avait déposé en qualité de témoin n'est pas indifférente, mais elle ne suffit pas à entraîner la disparition de l'infraction qui lui est reprochée.
En revanche, tout comme le Tribunal, la Cour ne trouve pas de caractère diffamatoire dans les propos reprochés à la prévenue.
En effet l'affirmation selon laquelle Madame C... aurait été enceinte, n'est certainement pas de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, même s'il s'avérait qu'elle était erronée. Et il en est de même de l'affirmation selon laquelle Madame C... serait malade et se trouverait dans un fonctionnement où les choses ne peuvent pas se passer autrement que ce qu'elle imagine : l'imputation d'une maladie n'a pas de caractère diffamatoire et le contexte dans lequel les propos ont été tenus ne permet pas non plus de leur attribuer un tel caractère.
Il y a donc lieu de confirmer la décision dont il a été relevé appel.
* * *
Il ressort de ces éléments que la citation directe délivrée par Monique C... présente un caractère abusif que le Tribunal a justement sanctionné par l'octroi d'une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale et à laquelle la Cour ajoutera une somme de 800 euros sur le même fondement.
* * *
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
EN LA FORME
Reçoit les appels,
AU FOND
Sur l'action publique
Confirme le jugement en toutes ses dispositions.
Sur l'action civile
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, condamne Monique C... à verser à Sylvie A... à une somme supplémentaire de 800 euros au titre de l'article 472 du code de procédure pénale.
Lecture faite, le Président a signé ainsi que le Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,