24/09/2007
ARRÊT No59
No RG : 07/00001
Décision déférée du 10 Octobre 2006 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE - 05/207
GUILHEM
COMMUNE DE TOULOUSE
C/
SCI LA ROSERAIE
DIRECTION GÉNÉRALE DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE
RÉFORMATION RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
Chambre des Expropriations
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE SEPT
***
APPELANT(S)
COMMUNE DE TOULOUSE
HÔTEL DE VILLE DIRECTION DES OPÉRATIONS FONCIÈRES
Place du capitole BP 999
31040 TOULOUSE
Assistée de Maître BOUYSSOU Avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME(S)
SCI LA ROSERAIE représentée par Madame TEBOUL KARSENTY
115 rue de Périole
31500 TOULOUSE
Assistée de Maître SOUSSAN Avocat au barreau de TOULOUSE
COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT
DIRECTION GÉNÉRALE DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE
FRANCE DOMAINE
19, Place des Carmes
31945 TOULOUSE CEDEX 9
représentée par Monsieur ROBBES
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Mai 2007, en audience publique, devant la Cour composée de:
Président : F. LAPEYRE,
Assesseurs : A. BIRGY, juge de l'expropriation pour le département de Tarn et Garonne désigné par ordonnance du premier président du 04 septembre 2006
: C. BABY, juge de l'expropriation pour le département de l'Ariège, désigné par ordonnance du premier président du 05 septembre 2006
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : R. GARCIA
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
-signé par F. LAPEYRE, Président et par R. GARCIA, Greffier de Chambre
Vu les mémoires déposés et régulièrement notifiés à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement.
Vu les convocations adressées aux parties et au commissaire du gouvernement.
A l'audience, les parties entendues à leur demande en leurs observations.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant délibération du 12 décembre 2003, le conseil municipal de Toulouse a décider de réaliser un carrefour giratoire à l'emplacement du carrefour entre la route d'Agde et l'avenue Marcel Doret, opération figurant au POS sous l'emplacement réservé no 755.
L'enquête publique et l'enquête parcellaire se sont déroulées du 4 au 29 octobre 2004 et l'opération a été déclarée d'utilité publique par arrêté préfectoral du 8 février 2005, l'arrêté de cessibilité étant en date du 27 mai 2005 en ce qui concerne une partie de la parcelle no AC 134 appartenant à la Société Civile Immobilière La Roseraie, nouvellement cadastrée AC 281 pour 273 m², le reliquat de 461 m² demeurant propriété de la Société Civile Immobilière pour 461 m².
L'ordonnance d'expropriation a été rendue le 28 juin 2005, et, la Société Civile Immobilière expropriée ayant refusé les offres de la ville, celle-ci a saisi le juge de l'expropriation de la Haute-Garonne, qui, par jugement du 10 octobre 2006, a fixé à 60 820 € l'indemnité globale revenant à la SCI, outre une somme de 116 000 € au titre de la perte de loyer d'un panneau publicitaire.
La ville de Toulouse a relevé appel de cette décision par déclaration du 18 décembre 2006.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
L'expropriante appelante précise que l'emprise concerne la pointe du triangle isocèle que formait la parcelle avant division. Cette pointe supporte un kiosque de distribution de cassettes vidéo et un panneau publicitaire. La date de référence, s'agissant d'un emplacement réservé, et le 6 novembre 1998, et la parcelle était à cette date en zone UC-a du POS, où sont admis les constructions à usage d'habitation, ainsi que de commerces et services nécessaires à la vie propre du quartier. Elle maintient son offre de 140 €/m² avant abattement, soit 94 € net, et une indemnité principale de 25 662 €.
Elle reproche au premier juge d'avoir statué ultra petita en allouant une indemnité de dépréciation du surplus qui n'était pas demandée et n'est pas justifiée.
Elle limite à 2 166,04 € son offre pour les frais de déplacement de la pizzeria et du kiosque vidéo, et estime qu'il n'y a pas lieu d'indemniser la perte de loyers pour le panneau publicitaire : le contrat venait à expiration en novembre 2006, et était ensuite renouvelable annuellement par tacite reconduction. Elle accepte à la rigueur d'indemniser une année de loyer, mais estime qu'au-delà il s'agit d'un préjudice éventuel.
Son offre ressort ainsi globalement à 31 392 €.
Par mémoire en réplique au mémoire de l'expropriée, elle observe que le prix demandé pour le terrain est plus faible que ce qu'il était en première instance, et maintient qu'il n'y a lieu à indemnisation d'une dépréciation du surplus. Elle ajoute que la Société Civile Immobilière ne peut obtenir l'indemnisation d'un agrandissement du commerce existant, et observe qu'est pris en compte un devis qui n'a donné lieu à aucune facture. Elle maintient finalement son offre initiale.
L'expropriée intimée relève appel incident, et insiste sur l'intérêt de l'emplacement, en bordure d'une voie drainant 30 000 véhicules/jour, à l'angle de deux voies, avec des possibilités de stationnement et un double accès. Elle soutient qu'elle va perdre 8 des 12 places de parking et l'un des accès, et va devoir reconstruire un local pour la pizzeria et le kiosque vidéo pour un coût de l'ordre de 50 000 €.
Estimant qu'elle n'a pas accès aux termes de comparaison, elle ajoute que ceux qui lui sont opposés ne sont pas pertinents, étant situés dans des impasses ou loin de tout axe important, et relativement anciens alors que le marché est orienté à la hausse. Elle cite des terrains en vente à 466, 650 et 750 €/m² et en déduit que son terrain doit être évalué à 315 €/m², soit une indemnité principale de 85 985 €.
Elle admet les taux retenus pour l'indemnité de remploi, qui s'établit dès lors à 9 599,50 €.
L'indemnité de dépréciation du surplus doit être calculée au taux de 20 %, soit : 273 x 315 x 0,20 = 17 199 €.
Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il accordé 116 000 € au titre de la perte de loyer pour le panneau publicitaire, précisant qu'il n'y a pas lieu d'envisager une éventuelle réinstallation, impossible au regard des règles d'urbanisme.
Elle sollicite en outre une indemnité accessoire de 53 568,09 €, correspondant au coût du déplacement des locaux de la pizzeria et du kiosque vidéo, ainsi que 5 000 € au visa de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le commissaire du gouvernement considère que la configuration du terrain présente des désavantages dès lors qu'il est admis de l'évaluer en terrain à bâtir, et qu'il ne peut être retenu de ce fait une valeur pleine de marché. Il admet la valeur de 180 € retenue par le premier juge après réactualisation de la valeur moyenne des termes de comparaison cités, mais estime qu'il convient de pratiquer un abattement d'un tiers du fait de la configuration défavorable. L'indemnité principale est ainsi de 180 x 2/3 = 120 € x 273 m² = 32 760 €.
Il ajoute que l'indemnité de dépréciation du surplus allouée ultra petita par le premier juge peut être maintenue pour 3 600 €, du fait de la perte de places de parking.
Il estime que l'indemnité de 2 166,04 € pour les frais de branchement consécutifs au déplacement du kiosque à vidéo et de la pizzeria, qui est admise par l'expropriante, peut être confirmée.
Il considère qu'il n'y a pas lieu en principe d'indemniser une perte de loyer alors que le locataire n'a pas été dénoncé. Si la cour devait admettre une telle indemnité, elle devrait être limitée à un an de loyer, en raison de la clause de tacite reconduction annuelle, soit 11 600 €. Il y aurait lieu dans ce cas d'appliquer un abattement pour encombrement au terrain, au taux de 20 %, soit une diminution de l'indemnité principale de 6 552 €.
L'indemnisation globale ressort ainsi à 38 526,04 €.
SUR QUOI
Il sera rappelé que l'indemnité d'expropriation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
En l'espèce, les parties s'accordent seulement sur les modalités de calcul de l'indemnité de remploi, et la date de référence proposée tant par l'expropriante que par le commissaire du gouvernement, soit le 6 novembre 1998, date à laquelle l'emprise, située en zone UC-a, a été placée en emplacement réservé.
Bien qu'elle ne tire aucune conséquence juridique de son observation sur ce point, il sera également rappelé à l'expropriée que, contrairement à ce qu'elle affirme, elle dispose, par l'effet notamment du décret no 2005-467 du 13 mai 2005, du même droit d'accès au fichier immobilier que le commissaire du gouvernement.
Sur l'indemnité principale
Il est admis que l'emprise, située en zone UC-a du POS à la date de référence, bordée par deux voies publiques et dotée de tous les branchements, est un terrain à bâtir. Il convient d'observer cependant que les qualités de commercialité vantées par l'expropriée, qui auraient pu être effectivement de nature à valoriser, le cas échéant, un fonds de commerce, sont autant d'inconvénients pour l'acquéreur potentiel susceptible de payer pour ce terrain le prix le plus élevé, c'est à dire un particulier désireux de bâtir son logement : ce type de client fuit en principe le bruit et la pollution générés par les quelque 38 000 véhicules qui selon l'expropriée circulent quotidiennement sur l'une des voies. La forme triangulaire est un autre inconvénient pour ce type d'acquéreur, car il limite les possibilités d'utilisation de l'espace.
Pour critiquer les termes de comparaison qui lui sont opposés, l'expropriée retient leur emplacement à l'écart des voies importantes, ce qui est au contraire un avantage pour un particulier acquéreur, de nature à valoriser un petit terrain, comme ceux objet des mutations de comparaison.
Elle ne cite par ailleurs aucun terme de comparaison portant sur un terrain à vocation commerciale de nature à démontrer le bien fondé de son analyse, et les prix élevés qu'elle annonce ne peuvent être retenus : il est fourni pour les terrains situés rue Plana et rue Estival un simple courrier d'agence immobilière, citant des superficies et des prix "environ", sans précision d'emplacement, de classement au POS ni de date de vente ; quant au terrain rue de la Jalousie, s'il s'agit de celui présenté sur le plan joint, il est bâti et d'une superficie très supérieure. En outre, le prix demandé par le vendeur n'est pas nécessairement le prix de la vente, tandis que le fait que ce terrain soit encore en vente cinq mois après la signature du mandat, alors que le marché est actif et orienté à la hausse, peut faire douter de la pertinence de ce prix. Enfin, il doit être rappelé que la cour évalue le terrain à la date du jugement, soit le 10 octobre 2006, ce qui prive de pertinence toute référence postérieure.
Le prix de 315 € auquel est finalement arrêtée la demande ne correspond d'autre part à aucune des références énumérées, se rapprochant seulement du prix d'acquisition augmenté de la charge financière de l'emprunt indiqué dans les écritures de première instance, et écarté à juste titre par le premier juge, comme inadéquat en matière d'expropriation. Il n'est avancé aucune explication quant à la diminution des prétentions entre la première instance et l'appel, au rebours de l'argumentation développée par ailleurs.
En cet état du dossier, la cour adoptera donc la motivation du premier juge, pour considérer qu'une valeur de 180 € est celle qu'un acquéreur quelconque aurait donné, à la date de la décision querellée, d'une parcelle dont l'intérêt principal est moins sa constructibilité intrinsèque que sa capacité à accueillir des places de parking précieuses pour la clientèle de commerces auxquels elle offre en outre, du fait de son emplacement, une bonne visibilité.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé à 49 140 € l'indemnité principale et 5 914 € l'indemnité de remploi, avant l'abattement qui devra être pratiqué du fait de l'allocation, ci-après, d'une indemnité pour perte de loyer.
Sur l'indemnisation de la dépréciation du surplus
Il est exact que l'expropriée ne sollicitait pas d'indemnité particulière à ce titre, mais elle considérait que la dépréciation résultant de l'amputation de son bien justifiait une majoration de 10 % de la valeur métrique à retenir pour l'emprise : la demande était donc bien contenue dans les écritures de l'expropriée, même si c'était d'une façon inadaptée.
Même si elles divergent sur la quantité de places de parking qui disparaît (4 sur 12 selon l'expropriante, 8 sur 12 selon l'expropriée), les parties conviennent que cette perte de places est réelle. Il peut donc être admis que le reliquat se trouve déprécié du fait de la diminution de l'espace non bâti dévolu au stationnement, ce qui conduit à confirmer l'indemnité de 3 600 € retenue par le premier juge de ce chef.
Sur l'indemnité pour perte de loyer
Sur ce point, le jugement sera réformé : le contrat de location d'emplacement publicitaire avait une durée non pas de 10 ans, mais de 3 ans à compter du 13 novembre 2003, et il pouvait ensuite être reconduit tacitement année par année, de sorte que c'est un premier renouvellement d'un an qui était en cours lorsque le jugement est intervenu. En pareil cas, la perte de loyer ne peut être considérée que pour un an, aucune garantie de tacite reconduction au-delà du 13 novembre 2007 n'étant acquise à la Société Civile Immobilière expropriée. L'indemnité sera donc ramenée à un an de loyer, soit 11 600 €.
Il est en outre exact que l'allocation d'une telle indemnité suppose que soit pratiqué un abattement pour occupation sur la valeur du terrain. Le taux de 20 % apparaît adapté, compte tenu de la dimension de l'emprise et de ce qui a été dit de sa configuration. L'indemnité principale se trouve ainsi ramenée à 39 312 €, et l'indemnité de remploi à 4 931,20 €.
Cette solution est retenue comme globalement plus favorable à l'expropriée que celle consistant à refuser toute indemnité de perte de loyer et à indemniser le terrain sans abattement pour occupation, sachant qu'il serait contradictoire d'indemniser le terrain libre de toute occupation en allouant parallèlement une indemnité de perte de loyer.
Sur l'indemnité dite "accessoire"
La commune expropriante admet d'indemniser les frais de déplacement de la pizzeria et du kiosque vidéo à hauteur de 2 166,04 €, et il apparaît que les factures complémentaires présentées en cause d'appel le sont de façon malicieuse : le premier juge a observé, lors du transport sur les lieux le 7 avril 2006, qu'un agrandissement, objet d'un permis de construire accordé le 20 octobre 2004, était en cours d'achèvement. Les devis d'avril 2005 et les factures de novembre 2005 et février 2006, outre qu'ils font double emploi et ne sauraient se cumuler, sont à l'évidence afférents à cet agrandissement, et non à un déplacement. La facture d'installation électrique de février 2006 vise expressément l'agrandissement. Quant au déplacement du "totem" en février 2007, il est postérieur au jugement et ne peut être pris en compte, d'autant que rien n'indique que ce déplacement serait la conséquence de l'expropriation plutôt que de l'agrandissement. Les termes de l'article L 13-13 du Code de l'expropriation interdisent de prendre en compte ces éléments.
Le jugement étant réformé dans un sens favorable à l'appelante, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur de l'expropriée en cause d'appel. Celle-ci sera en outre condamnée aux dépens, l'article L 13-5 du Code de l'expropriation n'étant applicable qu'en première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant à la date du jugement déféré,
Réforme partiellement celui-ci, et, statuant à nouveau,
Fixe à 61 609,24 € l'indemnité globale revenant à la Société Civile Immobilière La Roseraie du fait de l'expropriation partielle qu'elle subit,
Rejette toutes autres demandes,
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la Société Civile Immobilière La Roseraie aux dépens d'appel,
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
R. GARCIA F. LAPEYRE