ARRÊT N°
VAG
R.G : N° RG 22/00102 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FU5X
[F]
[F]
C/
[W]
[O] [G] ÉPOUSE [W]
COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS
ARRÊT DU 30 AOUT 2024
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-PIERRE en date du 26 NOVEMBRE 2021 suivant déclaration d'appel en date du 26 JANVIER 2022 RG n° 18/00792
APPELANTS :
Madame [Y] [F]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Loriane ZEINI, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Monsieur [S] [F]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Loriane ZEINI, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMÉS :
Monsieur [I] [D] [J] [W]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentant : Me Mickaël NATIVEL de la SELAS SOCIÉTÉ D'AVOCATS NATIVEL-RABEARISON, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Madame [L] [O] [G] ÉPOUSE [W]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentant : Me Mickaël NATIVEL de la SELAS SOCIÉTÉ D'AVOCATS NATIVEL-RABEARISON, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée à l'audience publique du 26 Avril 2024 devant Monsieur ALDEANO-GALIMARD Vincent, Président de chambre, assisté de Mme Véronique FONTAINE, Greffier, les parties ne s'y étant pas opposées.
Ce magistrat a indiqué, à l'issue des débats, que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 30 Août 2024.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Vincent ALDEANO-GALIMARD, Président de chambre
Conseiller : Monsieur Cyril OZOUX, Président de chambre
Conseiller : Madame Chantal COMBEAU, Présidente de chambre
Qui en ont délibéré
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 30 Août 2024.
* * *
LA COUR :
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte authentique de donation daté du 14 août 2014, M. [H] [F] a donné à ses enfants, M. [S] [F] et Mme [Y] [F] une parcelle de terrain sise a [Adresse 5], cadastrée CJ n°[Cadastre 2] pour une contenance de 28 ares et 79 centiares.
Par acte d'huissier du 7 mars 2018, M. [I] [W] et Mme [L] [O] [G] épouse [W] (ci-après les époux [W]) ont fait assigner M. [S] [F] et Mme [Y] [F] (ci-après les consorts [F]) devant le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion afin que la propriété de la parcelle CJ n°[Cadastre 2] sise à [Adresse 5], leur soit attribuée et que les défendeurs en soient expulsés.
Par jugement du 28 juin 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre a ordonné une expertise confiée à M. [N] [K], géomètre expert.
L'expert a déposé son rapport le 23 juillet 2020.
Par jugement contradictoire du 26 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Pierre a statué en ces termes :
" Déboute M. [S] [F] et Mme [Y] [F] de toutes leurs demandes ;
Dit que la portion de la parcelle CJ [Cadastre 2] sise à [Localité 6], lieudit [Adresse 5], délimitée EGCD sur le plan de l'expert [K] (annexe 2 du rapport d'expertise judiciaire daté du 15 juillet 2020) est la propriété de M. [I] [D] [J] [W] et Mme [L] [O] [G] épouse [W] ;
Ordonne que ce plan soit annexé à la présente décision ;
Ordonne à M. [S] [F] et Mme [Y] [F] de libérer la parcelle de terrain ainsi désignée de toute occupation dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision ;
Déboute M. [I] [D] [J] [W] et Mme [L] [O] [G] épouse [W] de leur demande d'astreinte ;
Déboute M. [I] [D] [J] [W] et Mme [L] [O] [G] épouse [W] de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens seront supportés par moitié entre les parties. "
Par déclaration du 26 janvier 2022, les consorts [F] ont formé appel de cette décision en toutes ses dispositions, à l'exception du rejet des demandes des époux [W] au titre de l'astreinte et de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 29 juin 2023, l'ordonnance de clôture du 22 juin 2023 a été révoquée et le renvoi de l'affaire ordonné à l'audience de mise en état du 28 septembre 2023 puis à l'audience rapporteur du 26 avril 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières écritures transmises par le RPVA le 14 mars 2024, les consorts [F] demandent à la cour de :
" INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal judiciaire de Saint-Pierre en date du 26 novembre 2021 et, statuant à nouveau :
A titre principal :
JUGER que la portion de la parcelle CJ [Cadastre 2] sise à [Localité 6], [Adresse 5], délimitée par le bornage de novembre 1992 confirmé par le bornage de mai 2010, est la propriété de [S] et [Y] [F] ;
DEBOUTER en conséquence [I] [D] [J] [W] et [L] [O] [G] épouse [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
ORDONNER à [I] [D] [J] [W] et [L] [O] [G] d'évacuer et de remettre en état la parcelle CJ [Cadastre 2] dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 150€ par jour de retard ;
A titre subsidiaire
ORDONNER une contre-expertise judiciaire et désigner tel expert qu'il plaira à la Cour avec mission de faire application sur les lieux des titres des parties et dire si Monsieur [T] a vendu deux fois la portion de la parcelle CJ [Cadastre 2] objet de la présente instance ;
En tout état de cause
CONDAMNER [I] [D] [J] [W] et [L] [O] [G] épouse [W] à payer à [S] et [Y] [F] la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER [I] [D] [J] [W] et [L] [O] [G] épouse [W] aux entiers dépens de l'instance. "
A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir :
- que la vente de M. [B] aux époux [W] du 22 février 1985 n'a jamais été publiée et l'acte rectificatif du 31 mai 1988 n'a jamais été signé par ces derniers ; que n'ayant pas été dressé dans les formes prévues par l'article 10 du décret n°71-941 applicable à l'époque, cet acte rectificatif n'a donc pas pu régulariser valablement l'acte initial du 22 février 1985 ; qu'ils n'invoquent pas la nullité de l'acte du 31 mai 1988 mais l'inopposabilité de cet acte à leur égard, à défaut d'avoir été signé par les époux [W] ;
- que l'argument adverse selon lequel les actes de propriété des consorts [W] et des consorts [F]-[P] font référence à la même origine de propriété est inopérant ; que les consorts [T] ont pu céder d'autres parcelles ayant la même origine de propriété (partage du 3 octobre 1958), sans qu'il s'agisse nécessairement de la parcelle vendue à M. [B] puis aux époux [W] ;
- que le bornage amiable de novembre 1992 vaut titre définitif et irrévocable ; qu'il a la valeur d'un contrat et s'impose à ses signataires, ainsi qu'à leur ayant droit à titre particulier (acquéreurs) ; que c'est à deux reprises que les époux [W] ont fixé la limite séparative de leur propriété d'un commun accord avec leur voisin : d'abord lors du bornage amiable de novembre 1992 (juste avant la vente aux consorts [F]-[P]), puis 18 ans plus tard, lors du bornage du 10 mai 2010 (qui a confirmé la limite établie à l'occasion du bornage de 1992;
- à titre subsidiaire, qu'ils ont acquis la parcelle CJ [Cadastre 2] par prescription ; que la prétendue nullité de la vente de M. [T] aux consorts [F]-[P] du 18 décembre 1992 se heurte à la prescription extinctive de cinq ans ; qu'ils justifient d'un juste titre et sont de bonne foi ; qu'ils sont fondés à invoquer les actes de possession de leurs auteurs, à savoir ceux de leurs parents, les consorts [F]-[P], mais aussi ceux de M. [A] [V] [T] en sa qualité de vendeur des consorts [F]-[P] et donc auteur de ces derniers ; qu'ils se sont toujours comportés comme les véritables propriétaires de la parcelle CJ [Cadastre 2] par une possession continue, paisible et publique, et sont toujours apparus comme tels aux yeux des tiers ; notamment qu'entre le bornage de novembre 1992, qui constitue un acte de possession de M. [A] [V] [T] et le premier acte de revendication des époux [W] (2016), il s'est écoulé vingt-quatre ans, de sorte que la prescription décennale est largement acquise;
- que les époux [W] ne produisent aucune pièce qui caractériserait une quelconque occupation continue, paisible et publique de la parcelle pendant au moins trente ans ;
- que le rapport de M. [K] est incomplet et inexact en ce qu'il n'a pas analysé le sort de la parcelle mère CJ [Cadastre 1] au travers des différents titres de propriété.
***
Aux termes de leurs dernières écritures transmises par le RPVA le 27 septembre 2023, les époux [W] demandent à la cour de :
" - HOMOLOGUER le rapport d'expertise établi par le Géomètre-Expert [N] [K] en ce qu'il conclut à la vente en deux fois de la portion de terrain GCDE de l'annexe 4 dudit rapport.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [S] [F] et Madame [Y] [F] de toutes leurs demandes.
- DECLARER que les appelants ne peuvent plus contester l'acte rectificatif du 31 mai 1988 en raison de la prescription intervenue.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a dit que la portion de la parcelle CJ [Cadastre 2] sise à [Adresse 5], délimitée EGCD sur le plan de l'expert [K] (annexe 2 du rapport d'expertise judiciaire daté du 15 juillet 2020) est la propriété de Monsieur [I] [D] [J] [W] et de Madame [L] [O] [G], épouse [W].
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a ordonné que le plan établi par l'expert judiciaire soit annexé au jugement.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a ordonné à Monsieur [S] [F] et à Madame [Y] [F] de libérer la parcelle de terrain CJ [Cadastre 2] sise à [Adresse 5], délimitée EGCD sur le plan de l'expert [K], de toute occupation dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision ;
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- DECLARER que les époux [W] ont prescrit utilement depuis plus de trente ans, et que la parcelle CJ [Cadastre 2] est leur propriété.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [S] [F] et Madame [Y] [F] de toutes leurs demandes.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a dit que la portion de la parcelle CJ [Cadastre 2] sise à [Adresse 5], délimitée EGCD sur le plan de l'expert [K] (annexe 2 du rapport d'expertise judiciaire daté du 15 juillet 2020) est la propriété de Monsieur [I] [D] [J] [W] et de Madame [L] [O] [G], épouse [W].
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a ordonné que le plan établi par l'expert judiciaire soit annexé au jugement.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire du 26 novembre 2021 en ce qu'il a ordonné à Monsieur [S] [F] et à Madame [Y] [F] de libérer la parcelle de terrain CJ [Cadastre 2] sise à [Adresse 5], délimitée EGCD sur le plan de l'expert [K], de toute occupation dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
- PRONONCER l'expulsion de Monsieur [S] [F] et de Madame [Y] [F], ainsi que de tous occupants de leur chef, de la parcelle de terrain située à [Adresse 5], cadastrée Section CJ n° dans un délai de 30 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 .000 € par jour de retard.
- CONDAMNER Monsieur [S] [F] et Madame [Y] [F] à payer à Monsieur [I] [D] [J] [W] et Madame [L] étend [G], épouse [W] la somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNER Monsieur [S] [F] et Madame [Y] [F] aux entiers dépens, incluant les frais d'expertise de Monsieur [N] [K] d'un montant de 4.530€.
- DEBOUTER Monsieur [S] [F] et Madame [Y] [F] de toutes leurs demandes, fins et conclusions. "
A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir :
- que M. [A] [V] [T] a vendu le même terrain deux fois, mais à chaque fois sous des références cadastrales différentes : une première fois à M. [B] [U] qui lui-même a revendu à M. [I] [D] [W], et une deuxième fois à M. [F] et à Melle [P] ; qu'ils ont été les premiers à publier leur acte de propriété auprès des services de la publicité foncière en 1985 ; que dans l'hypothèse d'un concours d'acquéreurs sur un même bien vendu, la propriété revient au premier d'entre eux qui a publié son droit ; que l'acte rectificatif du 31 mai 1988 a été rendu nécessaire par suite de discordances cadastrales, et l'absence des consorts [W] à l'acte n'est pas de nature à le rendre nul ; que de leur côté, M. [F] et Melle [P] n'ont acquis des droits sur cette même parcelle et n'ont publié leur droit que 8 ans plus tard, soit en 1993;
- que comme l'indique le géomètre-expert avec évidence, en novembre 1992, la superficie du terrain des époux [W] a été diminuée par un déplacement malencontreux de sa borne Est vers I'Ouest sur 290 m, ce qui a augmenté anormalement la superficie du terrain voisin de M. [T] à I'Est, et ce qui a fait croire à ce dernier qu'il disposait encore du terrain libre à vendre (cf. figure 4 du rapport d'expertise) ; que c'est dans ce contexte qu'en 1992, M. [T] a été amené à vendre une deuxième fois le même terrain (déjà vendu aux époux [W]) à M. [F] et à Melle [P] ;
- que si le bornage de 1992 a entraîné l'identification d'un fonds distinct, celui-ci est non seulement théorique, mais surtout, il n'a pas d'existence juridique, faute d'acte notarié emportant transfert de propriété au couple [F]-[P] ; qu'un procès-verbal de bornage ne constitue pas un acte translatif de propriété ; qu'ils ont cru que le bornage établi par le géomètre [C] en novembre 1992 les avait confirmés dans leur droit de propriété initial ; qu'ils n'ont jamais volontairement abandonné à M. [T] une bande de 290 mètres de longueur comme l'affirment les appelants ;
- qu'ils ont exercé sur la parcelle CJ [Cadastre 2] une possession continue, paisible, publique non équivoque et à titre de propriétaires depuis leur acquisition en date du 22 février 1985 jusqu'en 2017 ;
- que les appelants ne peuvent soutenir avoir occupé la parcelle CJ [Cadastre 2] de manière continue paisible et non équivoque à titre de propriétaire, alors que ce n'est qu'en 2017 qu'ils ont fait assigner les concluants afin qu'ils la débarrassent des cultures, système d'arrosage et autres installations ;
- qu'en l'absence de transfert de propriété par le document d'arpentage du géomètre [C], tant la vente du 18 décembre 1992, que la donation-partage du 14 août 2014 (donation par M. [H] [F] aux appelants) n'ont impliqué un quelconque transfert de propriété ; que sans transfert de propriété, les titres dont peuvent se prévaloir les consorts [F]-[P], ne sauraient être qualifiés de justes titres au sens de l'article 2272 alinéa 2 du code civil ; qu'en outre, les divergences tirées des caractéristiques du terrain que les appelants veulent prescrire et celles du terrain des époux [W] constituent un obstacle à la prescription acquisitive invoquée ;
- qu'il est particulièrement surprenant que les appelants se prévalent de l'attestation de Monsieur [X] datée du 15 février 2022 pour soutenir la prescription acquisitive de 10 ans, alors qu'il est établi que le 24 août 2017 ils leur ont fait délivrer une assignation afin qu'ils enlèvent et débarrassent la parcelle CJ [Cadastre 2] de leurs plantations et installations agricoles ;
- que le rapport [K] est complet et ne comporte aucune zone d'ombre.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l'exposé de leurs moyens.
MOTIVATION
Sur la propriété de la parcelle litigieuse
Il ressort du rapport d'expertise de M. [K] du 15 juillet 2020 :
- que selon acte authentique du 22 février 1985, les époux [W] ont acquis de M. [U] [B] un terrain délimité par un périmètre noté ABCDEF et représenté en jaune sur le plan joint en annexe 2 ; que cet acte a fait l'objet d'un refus de publication du bureau des hypothèques de [Localité 7], en raison d'une erreur de référence cadastrale ; qu'un acte rectificatif du 31 mai 1988 a été publié au Bureau des Hypothèques de [Localité 7] le 22 août 1988 ;
- que le périmètre noté ABCDEF englobe la portion GCDE en bleue, vendue ultérieurement par M. [A] [T] à M. [H] [F] et Mme [Z] [P] selon acte du 18 décembre 1992, publié au Bureau des Hypothèques de [Localité 7] le 25 mai 1993 ;
- que si l'on applique strictement les titres enregistrés à la conservation des hypothèques, cette portion GCDE a donc été vendue deux fois ;
- que par bornage amiable en janvier 1992, M. [A] [T] et les époux [W] avaient déplacé leur limite séparative de 290m vers l'est, diminuant la longueur du terrain [W] ; que cette modification a été appliquée sur le plan cadastral; que cette rétrocession d'une portion de terrain par les époux [W] à M. [A] [T] n'a fait l'objet d'aucun acte notarié mais comme le plan cadastral avait pu être modifié, l'espace ainsi libéré a pu être revendu par M. [A] [T] aux consorts [F]-[P].
L'article 34-3 du décret n°55-1350 du 14 octobre 1955 pour l'application du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, dispose que les erreurs sont redressées, à la diligence des parties, par le dépôt d'un nouveau document établi dans les formes légales et tendant à rectifier le document antérieurement publié entaché d'erreur : ce document consiste soit en un nouveau bordereau établi au vu du titre lui-même, d'un acte rectificatif ou, à défaut d'un acte de notoriété, soit en une expédition, un extrait littéral ou une copie de ces titres, acte rectificatif ou acte de notoriété. Toutes mentions utiles sont portées au fichier immobilier en vue de signaler les erreurs et rectifications.
L'acte rectificatif doit donc être dressé dans les mêmes conditions de forme que l'acte principal. Il nécessite la comparution et la signature de toutes les parties.
Or, il n'est pas contesté et il ressort de l'acte notarié du 31 mai 1988, rectificatif de la vente intervenue le 22 février 1985 et publié au bureau des hypothèques de [Localité 7] le 22 août 1988, qu'il n'est signé que du notaire et de M. [U] [B], vendeur, en l'absence des époux [W], acquéreurs.
Toutefois, la vente de la parcelle litigieuse est intervenue par acte authentique du 22 février 1985, dont la validité n'est pas contestée, seules les références cadastrales y étant erronées. Elle a par ailleurs fait l'objet d'une publicité suite à la publication de l'acte rectificatif, y faisant expressément référence, au bureau des hypothèques de [Localité 7] le 22 août 1988. Elle est donc opposable aux consorts [F] et antérieure à leur propre acquisition.
Enfin, une cour d'appel ne peut se fonder exclusivement sur un procès-verbal de bornage, qui ne constitue pas un acte translatif de propriété, pour attribuer la propriété d'une portion de terrain (3e Civ., 10 novembre 2009, pourvoi n° 08-20.951, Bull. 2009, III, n° 247). Les bornages amiables dont se prévalent les consorts [F] sont donc inopérants à prouver leur propriété sur la parcelle litigieuse.
Il convient donc de confirmer le premier juge en ce qu'il a dit que la parcelle litigieuse était la propriété des époux [W] au moment de sa vente par M. [A] [T] aux consorts [F]-[P].
Sur la prescription acquisitive
L'article 2261 du code civil dispose que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. L'article 2265 du code civil précise que pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.
L'article 2272 du code civil dispose que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
Les consorts [F] se prévalent de l'acte de donation du 14 août 2014, par lequel leur père M. [H] [F] leur a transféré la propriété de la parcelle litigieuse, pour l'avoir lui-même acquise selon acte de vente du 18 décembre 1992 qui, s'il avait été passé avec le véritable propriétaire du terrain, aurait été de nature à le rendre propriétaire de la parcelle litigieuse. Ils justifient en conséquence d'un juste titre, leur bonne foi n'étant par ailleurs pas contestée.
Il leur appartient en conséquence de démontrer l'accomplissement d'actes matériels de possession pendant une période d'au moins dix ans.
Or, il n'est produit, concernant des actes matériels, que deux attestations rédigées de façon sommaire, l'une indiquant qu'un plancher de bois aurait été réalisé en 1993 sur la parcelle pour y installer une maison préfabriquée, l'autre qu'une intervention aurait lieu, " depuis une vingtaine d'année " et " environ deux fois par an pour débroussailler, élaguer et garder le terrain propre ", ce qui ne ressort d'aucun autre élément de preuve. Il apparaît au contraire au vu des autres éléments produits aux débats, notamment le procès-verbal de constat d'huissier du 12 septembre 2016 diligenté par M. [H] [F], que le terrain ne comporte aucune construction et est resté à l'état de friche.
Il est également fait état de démarches entreprises par les consorts [F] pour exploiter la parcelle (inscription en qualité d'agriculteur, souscription le 8 juin 2016 d'un contrat d'abonnement en eau brute non potable, autorisation du 27 février 2017 d'installer un système d'assainissement). Or, il n'est pas établi ni même allégué que ces démarches aient été suivies d'effet.
Ces seuls éléments sont donc insuffisants à établir des actes matériels d'occupation réelle pendant la période nécessaire, qui viendraient compléter les actes juridiques dont se prévalent les consorts [F] (division et partage de la parcelle, bornage amiable).
En conclusion de ce qui précède, ce moyen sera également écarté et le jugement entrepris sera confirmé.
Sur les autres demandes
Les critiques formulées par les consorts [F] sur le rapport d'expertise judiciaire ne sont pas de nature à en contredire les termes clairs, précis et argumentés. La demande de contre-expertise sera donc rejetée.
Il n'est pas justifié d'assortir l'ordre de libérer la parcelle d'une astreinte.
La nature du litige commande de laisser à chacune des parties la charge de la moitié des dépens d'appel. Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement du 26 novembre 2021 du tribunal judiciaire de Saint-Pierre en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Rejette les demandes de M. [S] [F] et Mme [Y] [F] ;
Rejette les demandes de M. [I] [W] et Mme [L] [O] [G] épouse [W] ;
Dit que les dépens d'appel seront supportés par moitié entre les parties.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Vincent ALDEANO-GALIMARD, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT