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27/06/2024 | FRANCE | N°22/00871

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre sociale, 27 juin 2024, 22/00871


AFFAIRE : N° RG 22/00871 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FWIY

 Code Aff. :AA



ARRÊT N°





ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINTE CLOTILDE en date du 10 Mai 2022, rg n° 21/00328









COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

DE LA RÉUNION



CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 JUIN 2024







APPELANTE :



Madame [K] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Sébastien BENDER, avocat au barreau de STRASBOURGr>






INTIMÉ :



COMITÉ RÉGIONAL DES PÊCHES MARITIMES ET ÉLEVAGES MARINS (CRPMEM) DE LA RÉUNION

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Guillaume DARRIOUMERLE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE...

AFFAIRE : N° RG 22/00871 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FWIY

 Code Aff. :AA

ARRÊT N°

ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINTE CLOTILDE en date du 10 Mai 2022, rg n° 21/00328

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

DE LA RÉUNION

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 JUIN 2024

APPELANTE :

Madame [K] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Sébastien BENDER, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉ :

COMITÉ RÉGIONAL DES PÊCHES MARITIMES ET ÉLEVAGES MARINS (CRPMEM) DE LA RÉUNION

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Guillaume DARRIOUMERLE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

Clôture : 2 octobre 2023

DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2024 en audience publique, devant Agathe ALIAMUS, conseillère chargée d'instruire l'affaire, assistée de Delphine GRONDIN, greffière, les parties ne s'y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 27 JUIN 2024 ;

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Corinne JACQUEMIN

Conseiller : Agathe ALIAMUS

Conseiller : Aurélie POLICE

Qui en ont délibéré

ARRÊT : mis à disposition des parties le 27 JUIN 2024

* *

*

LA COUR :

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [K] [Z] a été embauchée par le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins (CRPMEM) en qualité de responsable de projet filière dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée de 18 mois, prenant effet le 09 décembre 2019 jusqu'au 08 juin 2021.

Le 02 février 2021, elle a été mise à pied conservatoire et convoquée à un entretien préalable fixé au 10 février suivant en vue de la rupture anticipée de son contrat de travail.

Une telle mesure lui a été notifiée pour faute grave le 19 février 2021.

Souhaitant obtenir la requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée et faire juger cette rupture nulle en raison de la dénonciation d'un délit et pour harcèlement moral, et, subsidiairement, abusive, Mme [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion, qui, par jugement du 10 mai 2022, a :

- requalifié le contrat à durée déterminée du 09 décembre 2019 en un contrat à durée indéterminée,

- condamné le CRPMEM à la somme de 3.233,63 euros net à titre d'indemnité de requalification,

A titre principal,

- débouté Mme [Z] de sa demande en nullité de son licenciement,

- débouté Mme [Z] de sa demande de 19.401,78 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

A titre subsidiaire,

- dit et jugé que le licenciement de Mme [Z] pour faute grave est bien fondé,

- débouté Mme [Z] de ses demandes suivantes :

- 3.233,63 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 323,36 euros brut d'indemnité de congés payés afférente,

- 943,16 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 5.820,53 euros net à titre d'indemnité de précarité,

- dit que la réalisation des heures supplémentaires n'est pas démontrée,

- débouté Mme [Z] de ses demandes de :

- 10.636,01 euros brut à titre d'heures supplémentaires pour l'année 2020,

- 1.063,60 euros brut à titre d'indemnité de congés payés afférents,

- 19.401,78 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 16.168,15 euros net pour rupture abusive du contrat de travail,

- dit que Mme [Z] a échoué à démontrer avoir subi un harcèlement moral,

- débouté Madame [Z] de ses demandes de :

- 20.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 5.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- dit que la procédure de licenciement a été respectée,

- débouté Mme [Z] de sa demande de 3.233,63 euros net au titre des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure,

- condamné le CRPMEM à verser à Mme [Z] la somme de :

- 500 euros au titre de la remise tardive des documents de fin de contrat,

- 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté le CRPMEM de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux dépens.

Pour statuer en ce sens le conseil de prud'hommes a considéré que la salariée ne rapportait pas la preuve du bien fondé de ses accusations, qu'adoptant une attitude malsaine et inacceptable à l'égard de son employeur, elle n'avait été victime d'aucun fait de harcèlement moral et entretenait au contraire un climat social délétère rendant impossible son maintien dans l'entreprise. Pour rejeter la demande formulée au titre des heures supplémentaires, le conseil a en outre retenu que la salariée n'avait formulé à ce titre aucune demande préalable et n'avait fourni ni descriptif de travail supplémentaire ni éléments de preuve suffisants.

Mme [K] [Z] a régulièrement interjeté appel selon déclarations du 09 juin 2022 enregistrée sous le numéro de rôle 22 / 00871 et du 13 juin 2022 sous le numéro de rôle 22 / 00880.

Une jonction est intervenue le 02 septembre 2022 avec poursuite de l'instance sous le numéro de rôle le plus ancien.

Vu les conclusions transmises par voie électronique le 22 mai 2023 aux termes desquelles l'appelante requiert de la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion en date du 10 mai 2022 en ce qu'il a :

- débouté Mme [Z] de sa demande en nullité de son licenciement,

- débouté Mme [Z] de sa demande de 19.401,78 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- dit et jugé que le licenciement de Mme [Z] pour faute grave est bien fondé,

- débouté Mme [Z] de ses demandes suivantes :

- 16.168,15 euros net pour rupture abusive du contrat de travail,

- 3.233,63 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 323,36 euros brut d'indemnité de congés payés afférente,

- 943,16 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 5.820,53 euros net à titre d'indemnité de précarité,

- dit que la réalisation des heures supplémentaires n'est pas démontrée,

- débouté Mme [Z] de ses demandes de :

- 10.636,01 euros brut à titre d'heures supplémentaires pour l'année 2020,

- 1.063,60 euros brut à titre d'indemnité de congés payés afférente,

- 19.401,78 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- dit que Mme [Z] a échoué à démontrer avoir subi un harcèlement moral,

- débouté Madame [Z] de ses demandes de :

- 20.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 5.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- dit que la procédure de licenciement a été respectée,

- débouté Mme [Z] de sa demande de 3.233,63 euros net au titre des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure,

Statuant à nouveau,

- juger recevables et bien fondées les demandes formulées par Mme [Z],

A titre principal

- juger nulle la rupture du contrat intervenue,

En conséquence, condamner le CRPMEM au paiement des sommes suivantes :

- 19.401,78 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

A titre subsidiaire

- juger abusive la rupture du contrat de travail de Mme [Z],

- condamner le CRPMEM au paiement des sommes suivantes :

- 16.168,15 euros net à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat,

En tout état de cause,

- condamner le CRPMEM au paiement des sommes suivantes :

- 3.233,63 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 323,36 euros brut au titre des congés payés sur préavis,

- 943,16 euros net à titre d'indemnité de licenciement,

- 5.820,53 euros net à titre d'indemnité de précarité (article L.1243-8 du code du travail)

- 10.636,01 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2020,

- 1.063,60 euros au titre des congés payés afférents,

- 19.401,78 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 20.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 3.233,63 euros nets à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure,

- 5.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- condamner le CRPMEM à communiquer à Mme [Z] les documents de fin de contrat (bulletins de paie, attestation Pôle emploi, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte) conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement,

- condamner le CRPMEM au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers frais et dépens.

Vu les conclusions transmises par voie électronique le 23 décembre 2022 aux termes desquelles le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elevages Marins (CRPMEM) demande, pour sa part, à la cour de :

- juger que la rupture du contrat de Mme [Z] est un licenciement pour faute,

En conséquence,

- débouter Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [Z] à payer au CRPMEM la somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

La clôture est intervenue le 02 octobre 2023 avec renvoi de l'affaire pour plaider à l'audience du 26 mars 2024 à l'issue de laquelle les parties ont été avisées de ce que le délibéré serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 juin suivant.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements ci-dessous.

SUR CE,

A titre liminaire, il importe de rappeler qu'en vertu des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère exclusivement à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, de sorte que la cour n'est pas tenue de confirmer les dispositions non critiquées du jugement qui lui est déféré, ce qui est le cas en l'espèce de :

- la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée et de l'indemnité allouée à ce titre à hauteur de 3.233,63 euros

- les dommages et intérêts accordés à hauteur de 500 euros en réparation de la remise tardive des documents de fin de contrat,

- la condamnation du CRPMEM aux dépens de première instance et au paiement au profit de Mme [Z] de la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

sur lesquels l'intimé s'abstient de former appel incident en sollicitant uniquement le débouté des demandes présentées par l'appelante.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Mme [Z] se prévaut d'un relevé des heures qu'elle prétend avoir effectuées en 2020 aboutissant sur une base hebdomadaire de 35 heures et un taux horaire de 21,32 euros à un rappel au titre des heures supplémentaires de 10.636,01 euros.

Pour sa part, le CRPMEM souligne que la salariée n'a jamais exprimé de réclamation antérieure à ce titre, que le statut de cadre exige une présence renforcée et qu'aucune heure supplémentaire n'a jamais été déclarée de sorte qu'il ne pouvait avoir connaissance de cette problématique. Il ajoute que le fichier excel ne repose sur aucun système d'enregistrement fiable et infalsifiable alors même que s'agissant de l'heure d'arrivée ou de la pause méridienne, les horaires mentionnés ne sont pas effectifs.

L'article L.3171-4 du code du travail précise qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au salarié de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires applicables.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, Mme [Z] présente sous forme de tableau excel produit en pièce n° 13 un récapitulatif mentionnant les jours travaillés, les heures de prise et de fin de poste avec indication du temps de pause, étant relevé que l'appelante disposait de son mercredi après-midi à compter de 15 heures, que les périodes de congés ont été déduites et que le contrat de travail fait exclusivement état d'un horaire de travail de 35 heures semaine.

Ces éléments étant suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, il appartient à celui-ci, en charge du contrôle du temps de travail, de faire valoir ses propres éléments de preuve.

Il convient de préciser que l'absence de réclamation préalable de la part du salarié est inopérante.

Si l'employeur démontre par un échange de messages intervenu le 17 avril 2020 avec M. [L][J] que Mme [Z] est partie ce jour là plus tôt que ce qu'elle mentionne dans le tableau qu'elle produit aux débats, cette seule discordance ne permet pas d'exonérer l'employeur alors même que M. [Y] [R] atteste ( pièce n° 17, page 3 / appelante) que celle-ci 'avait de grosses journées de travail : elle arrive vers 8 heures et part toujours la dernière, ne faisant qu'une rapide pause le midi dans les locaux.'

L'employeur qui n'est pas en mesure de produire un décompte exhautif des heures de travail fait néanmoins utilement valoir qu'en qualité de cadre, l'appelante avait une certaine lattitude dans l'organisation de son travail de même qu'il établit au regard des constatations ci-dessus effectuées que le nombre d'heures estimé par la salariée n'est pas atteint.

Dans ces conditions, la cour retient que des heures supplémentaires ont été accomplies par Mme [Z] dans des proportions moindres que celles revendiquées et condamne en conséquence le CRPMEM à lui verser à ce titre la somme de 4.477,20 euros brut pour l'année 2020 outre 447,72 euros brut.

Le jugement déféré est infirmé à cet égard.

Sur le travail dissimulé

En l'absence d'éléments probants caractérisant l'intention de l'employeur de se soustraire à ses obligations en matière de délivrance d'un bulletin de paie ou de déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales, la demande indemnitaire au titre du travail dissimulé doit être rejetée.

Le jugement qui a écarté cette demande en l'absence d'heures supplémentaires est donc confirmé par substitution de motifs.

Sur la demande de nullité du licenciement

L'appelante soutient que la rupture est nulle au double motif qu'elle est intervenue suite à la dénonciation d'un délit et dans un contexte de harcèlement moral.

Concernant la méconnaissance des dispositions interdisant le licenciement en cas de dénonciation d'un délit

L'appelante relève que sa convocation en entretien préalable est intervenue après avoir dénoncé par écrit la pratique consistant à établir des bons de commandes et factures truqués afin de contourner les règles applicables en matière de commandes publiques. Elle fait également état du choix d'une agence de communication dont les prestations facturées n'ont pas été réalisées. Elle soutient que, dans ce contexte, la rupture de son contrat de travail est une mesure de représailles en réponse à la dénonciation de ces pratiques.

En réponse, l'intimé conteste les faits dénoncés en considérant qu'il s'agit d'une volonté de la salariée de détourner l'attention de la juridiction de ses propres manquements. Le comité souligne le montant dérisoire de la facture invoquée et réfute tout contournement des règles régissant la commande publique en considérant que celles-ci permettent d'adapter le matériel commandé en fonction des circonstances. Il précise que les bons de commande hors marché correspondent à une meilleure option opérationnelle ou à des perfectionnements apportés sur le matériel. Il qualifie les accusations de l'appelante de calomnieuses à l'égard du secrétaire général et souligne que les faits allégués concernant l'agence de communication sont antérieurs à son embauche de sorte qu'ils résultent de recherches démontrant l'intention de la salariée de nuire à son employeur. Il ajoute que l'alerte formulée par l'appelante a été prise en compte par l'employeur qui a inscrit la validation des avenants proposés par celle-ci à l'ordre du jour du conseil suivant de sorte qu'elle ne peut se prévaloir du statut protecteur du lanceur d'alerte.

Il résulte de l'article L.1132-3-3 du code du travail dans sa version issue de la loi n ° 2016-1691 du 09 décembre 2016, applicable en l'espèce, qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

En cas de litige relatif à l'application de ces dispositions, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, pour invoquer la protection issue de ces dispositions, l'appelante évoque, en premier lieu, une pratique consistant à commander du matériel conforme au marché subventionné puis à se faire livrer du matériel différent non prévu dans le cadre dudit marché, pratique qu'elle dénonce dans un mail en date du 22 janvier 2021 ( sa pièce n° 7) adressé au président du comité, à Monsieur [L][J], secrétaire général, à Monsieur [Y][R], chargé de mission, et à Monsieur [N][M], élu, aux termes duquel elle propose trois avenants pour les marchés de fournitures pour la fabrication des dispositifs de concentration de poissons (DCP) 'souhaitant mettre fin aux bons de commande / factures 'truqués' produits régulièrement (bons de commande et factures ne correspondant pas au matériel récupéré) cette pratique présentant a minima un risque financier et juridique pour le Comité des Pêches.'

Mme [Z] renvoie, à cet égard, à un email du 23 novembre 2020 produit en pièce n° 8 émanant de Monsieur [Y][R] confirmant à un fournisseur une commande de manilles et de cosses d'un diamètre et en nombre différents de ce qui était indiqué sur le bon de commande dont le contenu est expressément rappelé, et à l'attestation rédigée par Monsieur [Y][R] (pièce n° 17 / appelante) lequel, chargé de mission technicien pour le compte du CRPMEM, confirme dans un paragraphe 'mail de [K] du 22 janvier sur les 'bons de commande trafiqués' qu'en cas de matériel mentionné sur le bordereau de prix unitaire (BPU) du marché public ne correspondant pas aux nouveaux matériels utilisés, insuffisant ou inadapté, il est fait usage de bons de commande et de factures 'arrangés' pour que le dit matériel reste majoritairement financé par des fonds européens, le secrétaire général précisant que 'rien ne devait être contrôlable' et se préoccupant de la possibilité de contrôler le matériel en mer une fois les cordages non conformes à la facture installés.

En second lieu, l'appelante expose que le secrétaire général privilégiant ses relations en leur permettant de facturer des prestations partiellement ou non réalisées, avait fait appel à une agence de communication, 'amie' de celle qui était déjà sollicitée. Elle relève que les devis émis par les deux sociétés dans le cadre de la mise en concurrence étaient identiques (ses pièces n° 9) et affirme n'avoir jamais eu connaissance de document de travail ni de prestation effectués par la société Koïïne retenue dans ce cadre et souligne que le CRPMEM n'en justifie pas. Elle se défend de tout travail de 'fouille' dans le but de nuire à l'employeur en indiquant que les éléments invoqués étaient rattachés au dossier de demande de financement européen sur les dépenses faites à compter du 1er janvier 2019 ( sa pièce n° 20 visant la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021 et incluant une liste de pièces justificatives des dépenses prévisionnelles comprenant en pièces n° 56, 57, 58 et 59, les devis, factures et délibérations de deux agences de communication concernées).

Ces éléments concernant le choix de l'agence de communication Koïne apparaissent insuffisamment précis pour laisser présumer l'existence d'un délit dès lors qu'aucune conclusion ne peut être tirée du libellé des devis rédigés de manière très générale (pièce n° 9 / appelante) 'position et stratégie de marque; définition du plan markéting et retroplanning d'actions, élaboration de campagnes de communication cross média et négocation du plan média' et établis par deux Eurl différentes immatriculées à des adresses et sous des numéros différents.

Au surplus, il n'est pas établi que les faits ainsi allégués dans le cadre de l'instance, aient été dénoncés auprès de l'employeur avant la rupture du contrat de travail et aient, en conséquence, participé à cette décision.

En revanche, concernant la pratique consistant à modifier le matériel effectivement livré sans que cela apparaissent sur les bons de commandes et les factures afin de rester en conformité avec le marché subventionné, Mme [Z] qui a été convoquée le 02 février 2021 en entretien préalable (sa pièce n°2) soit une dizaine de jours après son mail du 22 janvier 2021 ( pièce n°7), présente des éléments de fait permettant de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit.

Il incombe, en conséquence, au CRPMEM, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision de rompre le contrat de travail était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressée.

En réponse, l'intimé souligne le montant dérisoire de la facture évoquée en pièce n° 8 par l'appelante concernant la commande de manilles et cosses, ce qui est inopérant s'agissant d'une pratique présentée comme habituelle par l'appelante comme Monsieur [Y][R] qui fait remonter la pratique dénoncée à 2019 (pièce n° 17 / appelante).

La valeur probante de l'attestation établie par M. [Y][R] est contestée par l'intimé au motif que celui-ci est en arrêt de travail depuis février 2021 à la faveur d'un certificat médical de complaisance contesté par l'employeur, qu'il est animé d'un esprit revanchard à l'égard de Monsieur [L][J], secrétaire général, en raison de la relation privilégiée entretenue par celui-ci avec le président du comité et qu'il est connu pour ses accès de colère, M. [L][J]ayant dû exercer son droit de retrait en raison de ses menaces (pièce n° 9 / intimé) . Le comité fait également état d'un mail adressé à l'ensemble du personnel par Monsieur [Y][R] (pièce n° 10 / intimé) désignant le secrétaire général comme étant la 'cause de nos problèmes', d'un message de dénigrement de l'employeur sur les réseaux sociaux et du fait que Monsieur [Y][R] représente l'opposition à la direction du comité, le tout justifiant d'écarter son témoignage pour défaut d'impartialité.

L'attestation contestée, produite en pièce n° 17 par l'appelante et rédigée sur neuf pages dans les formes requises, fait référence de façon détaillée et précise à différents incidents décrits de manière factuelle et susceptible de donner lieu à une preuve contraire que l'employeur s'abstient de rapporter, étant relevé, d'une part, que le refus de prise en charge de son arrêt de travail au titre de la législation professionnelle par décision de la Caisse générale de sécurité sociale de la Réunion du 25 octobre 2021 est postérieur à la rédaction de l'attestation litigieuse en date du 27 août 2021 et, d'autre part, que les difficultés relationnelles avec Monsieur [L][J] n'étaient pas spécifiques au témoin. Il n'est invoqué aucune sanction intervenue à l'encontre du témoin.

La cour constate en outre que l'attestation de Monsieur [Y] [R] est confirmée sur plusieurs points par celle rédigée par Mme [U][J] (pièce n° 18 / appelante) de sorte qu'il n'y a pas lieu de la disqualifier.

En indiquant que les bons de commande passés hors marché répondent à une meilleure option opérationnelle permettant l'installation des dispositifs en mer dans des délais cohérents et dans de bonnes conditions, ou permettent de tenir compte des perfectionnements apportés aux matériels, le CRPMEM justifie sa pratique par l'objectif à atteindre sans démontrer que les conditions de passation des marchés l'autorisaient, la convention relative à l'attribution d'une aide financière du FEAMP pour le programme de maintien d'un parc de DCP (pièce n° 18 / intimé), indiquant en son article 3.2 que ne sont retenues dans l'assiette éligible que les dépenses conformes aux dispositions réglementaires et répondant aux critères définis dans le programme opérationnel FEAMP et critères de sélection adoptés en comité national de suivi du Fonds, sur justificatifs comptables et d'effectivité.

Les pièces n° 20, 22 à 24 de l'intimé ne portent pas sur l'installation des DCP donnant lieu à la dénonciation litigieuse.

L'intimé soutient par ailleurs que l'appelante ne saurait se prévaloir des dispositions ci-dessus rappelées, dès lors que les faits relatés ne le sont pas de bonne foi. L'employeur fait ainsi valoir que la validation des avenants proposés par la salariée elle-même ont été inscrits à l'ordre du jour du cosneil programmé le 25 mars 2021 (pièce n° 19 / appelante).

En premier lieu, il convient de relever, à la lecture du mail du 22 janvier 2021 (sa pièce n°7) que les avenants évoqués ont été préparés par Mme [Z] elle-même précisément pour 'mettre fin' à la dite pratique qui 'présente a minima un risque financier et juridique pour le Comité des Pêches', de sorte qu'il n'est pas établi que la salariée qui propose des solutions correctives ne soit pas, à ce stade, animée par l'intérêt de la structure.

En second lieu, si l'ordre du jour du conseil du comité fixé au 25 mars 2021 (sa pièce n° 19) mentionne notamment, point 6, 'avenants aux marchés de maintenance du parc de DCP', ce qui démontre la conscience par l'employeur de la nécessité de modifier la pratique antérieure, il faut relever que Mme [Z] a été licenciée dans l'intervalle de sorte que l'employeur ne peut se prévaloir d'un 'traitement de l'alerte dans un délai raisonnable'.

En troisième lieu, l'intimé réfute tout lien entre la dénonciation de faits par l'appelante et la rupture de son contrat de travail pour faute grave en se prévalant du bien fondé de cette mesure et en faisant état de multiples manquements.

La lettre de rupture anticipée du contrat de travail en date du 19 février 2021, analysée en un licenciement par l'effet de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, vise au titre de la faute grave qui reporte la charge de la preuve sur l'employeur :

- une insulte proférée à l'encontre du secrétaire général du comité, supérieur hiérarchique de l'appelante, lors d'un entretien en date du 1er février 2021 en présence du président et de Mme [U][J],

- le refus, le jour même, d'appliquer une consigne du président consistant à se rendre dans le bureau de celui-ci suite au manquement précédent,

- un mail daté du 25 janvier 2021 adressé aux équipes du CRPMEM et à certains élus faisant état de bons de commandes et factures 'truqués', accusation infondée et diffamatoire impliquant de manière injustifiée la responsabilité du président et des équipes travaillant sur le marché,

- des propos méprisants tenus lors d'un entretien du 1er février 2021 concernant la rémunération du secrétaire général mettant en cause l'honnêteté de celui-ci,

- un mail du 1er février 2021 transmettant un bon de commande signé par le président 'semblant avoir été validé' par la salariée mais pas par le secrétaire général contrairement aux consignes orales et écrites rappelées à plusieurs reprises,

Ces injures et insubordinations répétées faisant suite à plusieurs manquements antérieurs ayant significativement dégradé les relations de travail au sein du CRPMEM et ce en dépit de plusieurs demandes de mesures correctives non mises en oeuvre.

Suivent plusieurs griefs renvoyant à de nombreux mails datant des mois de mars à novembre 2020.

Tout ceci exposé, s'agissant des griefs en date du 1er février 2021, la cour constate que l'employeur ne produit aucune pièce permettant d'établir la réalité des insultes et insubordination reprochées ce jour-là alors même que Mme [U][J] relate les événements s'étant produits à cette date comme suit :

' le 1er février 2021 lors d'un accès de colère du président alors qu'il discutait avec Mme [Z], que j'ai entendu depuis mon bureau, je suis allée voir et nous avons été instamment priées de nous rendre toutes les deux en réuion avec le SG et lui-même. Le président m'a instamment demandé 'd'être témoin' des échanges qu'ils allaient avoir.

Lors de cette réunion, Mme [Z] a tenté d'expliquer au président les nombreux problèmes avec les méthodes du SG. Elle a de nouveau dénoncé comme elle l'a fait auprès de plusieurs élus certains abus de sa part. Les échanges ont été houleux et finalement stériles. Le SG et le président ont conclu en convenant de faire 'comme ils avaient prévu'. J'ai compris de cet échange qu'ils avaient déjà programmé le licenciement de Mme [Z]. Elle a été mise à pied le lendemain.'

Au vu de ce témoignage et en l'absence de pièces contraires relatives à la teneur des propos tenus, les griefs tenant au comportement de Mme [Z] le 1er février 2021 sont donc écartés.

Concernant le mail daté du 25 janvier 2021, repris en partie littéralement dans la lettre de licenciement, il s'agit en réalité du mail du 22 janvier 2021 (pièce n° 7 / appelante) ci-dessus examiné dans le cadre des dispositions de l'article L.1132-3-3 du code du travail.

S'agissant de la transmission en date du 1er février 2021 d'un bon de commande non validé par le secrétaire général, force est de constater qu'aucune pièce n'est produite à cet égard par l'employeur venant établir la réalité de ce grief contesté par l'appelante, étant relevé que Monsieur [Y][R] atteste ( pièce n° 17 / appelante, page 8) que le bon de commande a été visé par le président en dépit de l'absence de pré-visa par le secrétaire général, le témoin ajoutant que le circuit de visa n'a jamais été clair ni même formalisé.

Pour le reste, l'employeur énumère au titre des précédents, les manquements suivants : rappel de la procédure de visa, demande du secrétaire gérénal restée sans réponse, non respect des règles de validation préalable, non prise en compte de compléments apportés en réunion, non respect de consignes rédactionnelles et de la procédure de validation, diffusion d'échanges qui n'avaient pas à l'être, remise en cause publique du management opérationnel du comité, des informations et justifications apportées par le secrétaire général et de ses consignes et méthode de management, reformulation fallacieuse d'un mail, remise en cause de la régularité de la relation commerciale avec les fournisseurs, transmission d'information erronée aux agents, prise en charge de dossiers ne relevant pas de sa compétence.

Non seulement ces manquements à les supposer établis n'ont pas donné lieu à sanction en leur temps mais, l'employeur renvoyant sur chaque point à des mails précisément datés de mars à novembre 2020, ils sont prescrits en application de l'article L1332-4 du code du travail.

Dans ces conditions, la preuve de la faute grave invoquée à l'appui de la rupture du contrat de travail n'est pas rapportée.

Il résulte de ce qui précède que le CRPMEM ne démontre pas que sa décision de rompre le contrat de travail était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la dénonciation résultant du mail du 22 janvier 2021.

Concernant le harcèlement moral

Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'appelante dénonce principalement le comportement de Monsieur [L][J], secrétaire général du comité, auquel elle reproche notamment des absences répétées, des consignes contradictoires, son manque de suivi et de cohérence dans la gestion des dossiers contraignant ses interlocuteurs à tout consigner par écrit, Mme [Z] situant le début des faits de harcèlement qu'elle invoque au 11 mai 2020, date d'une réunion au cours de laquelle elle a contredit devant les élus les déclarations de son supérieur hiérarchique concernant l'état d'avancement d'un dossier.

Elle fait état à compter de cette date des agissements à son encontre suivants :

- exclusion des réunions avec les partenaires extérieurs,

- suppression de l'accès aux mails partagés,

- pressions et intimidations par le biais de reproches infondés,

- réponse tardive à une demande de congés pour raisons familiales en juillet 2020,

- enregistrement à son insu lors d'un entretien avec le secrétaire général le 05 novembre 2020,

- accès de violences et de colère de Monsieur [E][E], président du comité, le 29 janvier et le 1er février 2021.

Parmi ces faits, les faits allégués concernant les absences du secrétaire général, son niveau de compétence, son positionnement à l'égard des élus et l'organisation générale du comité ne peuvent être retenus au nombre des faits présentés laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, dès lors qu'ils relèvent du pouvoir de direction ou le cas échéant de sanction de l'employeur et ne sont pas pris personnellement à l'encontre de la salariée.

En revanche, les autres faits ci-dessus répertoriés, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

Il incombe par conséquent au CRPMEM de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

À ce titre, l'intimé fait valoir que les allégations ne sont pas étayée, que les mails produits montrent la banalité des échanges avec le secrétaire général mécontent du non respect de ses consignes, que les conversations privées ne révèlent aucun fait de harcèlement, les attestations adverses démontrant la mauvaise foi et l'intention de nuire de la salariée alors que ses relations avec le secrétaire général étaient 'sereines et cordiales'. Le comité reprenant chaque fait invoqué par l'appelante, conteste, en raison de l'absence de preuve de violences répétées, tout fait de harcèlement moral à l'égard d'une salariée impertinente et insubordonnée.

En premier lieu, il convient de relever que le CRPMEM ne formule aucune observation concernant la réunion du 11 mai 2020 présentée comme étant le point de départ des faits de harcèlement dénoncés, et l'exclusion subséquente de l'appelante des réunions avec les partenaires extérieurs, ce qui est confirmé par Monsieur [Y][R] ( pièce n° 17 / appelante, page 4) ' à partir de cette date, [K] est clairement harcelée : elle ne participe plus à aucune réunion avec nos partenaires alors qu'elle y participait systématiquement ' et Mme [U][J] (pièce n° 18 / appelante), anciennement chargée de mission, qui explique concernant l'origine de la dégradation du climat social 'les principaux élus ont réuni l'équipe le 11 mai 2020 après le confinement. À la demande de Monsieur [M], le SG a fait un point sur l'avancée des dossiers. Ses explications étant pour beaucoup inexactes, Mme [Z], Monsieur [R] et moi-même l'avons repris et les élus ont alors compris qu'il y avait de gros problèmes en interne. Cette réunion a clairement causé une rupture entre le SG et ses chargés de mission. Mme [Z] a alors été 'bordée', le SG ne lui donnant quasiment plus aucune info et entravant la bonne marche de ses dossiers. Il nous a également coupé pendant plusieurs semaines des mails et acourriers arrivant au CRPMEM.'

En second lieu, le grief tenant à l'absence d'accès aux mails est ainsi également établi, l'employeur se contentant d'indiquer à cet égard qu'aucun fait concret de harcèlement n'est présenté alors qu'il résulte du mail du 17 septembre 2020, produit en pièce n° 22 par l'appelante, que celle-ci informe le président du comité qu'elle ne reçoit plus les mails arrivants qui lui étaient auparavant transmis, en lui expliquant que l'accès partagé à ces informations est primordial au bon fonctionnement du comité.

En troisième lieu, l'intimé conteste toute pression ou intimidation en faisant valoir que Mme [Z] ne respectait pas les consignes, sans cependant étayer cette affirmation, étant relevé que sont versés aux débats par l'appelante des échanges électroniques soutenus ( pièces n° 10 et 11 / appelante) intervenus en septembre et novembre 2020 avec M. [L][J], secrétaire général, caractérisant une certaine pression dans les relations de travail.

À cet égard est produit par l'appelante, en pièce n° 14, un rapport issu d'entretiens avec le personnel du CRPMEM à la demande du président et du vice-président faisant 'part de leur inquiétude sur la qualité des relations entre collaborateurs', réalisés fin novembre 2020, mettant en évidence un stress induit par les interactions et pressions extérieures, un climat de défiance général, une dégradation des rapports sociaux ' les relations entre les agents et à tous les niveaux sont déshumaniséées, les basiques de la politesse sont perdus, les agents s'evitent, les espaces de travail sont organisés pour s'isoler plutôt que communiquer .. Conflits de personnes, violences verbales, suspsicions, insubordinations sont le quotidien d'une équipe désunie, ces éléments constituant des violences internes contribuant à la dégradation de la situation'.

En quatrième lieu, l'intimé réfute tout retard dans la demande de congés formulée par l'appelante en produisant un échange de SMS ( sa pièce n° 12). Il sera cependant observé que le déplacement en métropole invoqué par la salariée n'est pas celui des mois d'octobre-novembre 2020 en lien avec le décès de sa mère mais celui du mois de juillet 2020. Il résulte de l'échange de mails produit à cet égard (pièce n° 24 / appelante) que Mme [Z], en métropole depuis le 26 juin 2020, interroge Monsieur [L][J] le 07 juillet sur la possibilité de bénéficier, à raison de l'état de santé de sa mère, d'un congé sans solde jusqu'au 27 juillet suivant, et qu'elle n'obtiendra une réponse que le 23 juillet suivant.

En cinquième lieu, concernant le comportement colérique du président du comité, l'intimé conclut que Monsieur [E][E] pourtant 'conciliant et pédagogue', était poussé à bout par l'appelante et que les deux réunions évoquées s'inscrivent dans le contexte de fin des relations de travail. Ces explications qui ne sont étayées d'aucune pièce utile sont contredites par les témoignages de Mme [U][J] et de Monsieur [Y][R] (pièces n° 17 et 18 / appelante).

S'agissant enfin l'enregistrement de la salariée à son insu, aucune observation n'est formulée par l'employeur, cet enregistrement le 05 novembre 2020 par le secrétaire général étant pourtant rapporté par Monsieur [Y][R] en pages 5 et 6 de son attestation (pièce n° 17 / appelante) et ayant donné lieu à une main courante (pièce n° 16 / appelante).

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le CRPMEM qui, à l'instar des premiers juges, inverse la charge de la preuve, échoue à justifier que sa décision de rompre le contrat de travail en date du 19 février 2021, a fortiori pour les motifs précédemment jugés non établis, soit étrangère à tout fait de harcèlement alors même que les agissements ci-dessus caractérisés ont entrainé la dégradation des conditions de travail dans des proportions susceptibles de porter atteinte à la dignité de l'appelante, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, l'article L.1152-1 du code du travail permettant de retenir l'existence d'un harcèlement même en l'absence de préjudice avéré.

Dans ces conditions, le licenciement de l'appelante encourt la nullité sur le fondement cumulé des articles L.1132-4 et L.1152-3 du code du travail.

Le jugement contesté qui a rejeté cette demande ainsi que l'ensemble des prétentions en découlant est, en conséquence, infirmé de ces chefs.

Sur les conséquences financières de la nullité de la rupture

L'article L. 1235-3-1 du code du travail dispose que l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa incluant notamment à raison de faits de harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [Z] sollicite à ce titre la somme de 19.401,78 euros soit sur une base mensuelle de 3.233,63 euros conforme aux bulletins de paie produits aux débats (pièces n° 6 / appelante) et non contestée, l'équivalent de six mois de salaire.

Il convient, en application des dispositions ci-dessus rappelées, de faire droit à cette demande.

L'appelante initialement licenciée pour faute grave a été privée de ses indemnités de rupture.

Elle a droit, au regard de son ancienneté d'un an et deux mois :

- sur le fondement de l'article L. 1234-1 du code du travail, à une indemnité compensatrice de préavis d'un mois soit 3.233,63 euros brut outre 323,36 euros brut au titre des congés payés afférents,

- sur le fondement de l'article L.1234-9 du code du travail, à une indemnité de licenciement de 943,16 euros.

Il convient, en outre, de lui accorder le rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire notifiée le 02 février 2021 soit la somme réclamée à ce titre de 1.616,81 euros outre 161,68 euros de congés payés afférents.

En revanche si l'indemnité de précarité prévue par l'article L.1243-8 du code du travail afin de compenser la situation dans laquelle est placé le salarié du fait de son contrat à durée déterminée, lui reste acquise nonobstant une requalification en contrat de travail à durée indéterminée, ce n'est qu'à la condition que cette requalification intervienne ultérieurement.

En l'espèce, la requalification opérant en cours de contrat de travail en raison de la rupture anticipée, l'indemnisation de celle-ci est exclusivement régie par les régles applicables en matière de licenciement.

Il convient, en conséquence, de rejeter la demande d'indemnité de précarité et en conséquence par substitution de motifs, de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Enfin, les dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail conduisent, dans le cas d'espèce, le licenciement de Mme [Z] étant nul, à ordonner d'office en dépit de l'absence en la cause de l'organisme intéressé, sans condition d'ancienneté ni d'effectif, le remboursement par le CRPMEM des indemnités chômage perçues par l'intéressée, dans la limite de deux mois d'indemnités.

Pour assurer son effectivité, le présent arrêt sera porté à la connaissance de France Travail, conformément aux dispositions de l'article R.1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les demandes indemnitaires

Concernant le vice de procédure allégué

Mme [Z] fait valoir que l'entretien préalable s'est déroulé en présence du président du comité et du secrétaire général alors même qu'au regard des faits qu'elle avait dénoncés à leur encontre, elle ne pouvait s'exprimer librement. Elle sollicite en réparation l'équivalent d'un mois de salaire sur le fondement de l'article L.1235-2 du code du travail.

En l'espèce, la cause d'irrégularité invoquée par l'appelante résulte directement des faits de harcèlement moral d'ores et déjà sanctionnés au titre de la nullité du licenciement de sorte qu'il n'y pas lieu d'accorder une réparation distincte.

Cette demande sera, en conséquence, rejetée et le jugement entrepris confirmé à ce titre par substitution.

Concernant l'indemnisation d'un préjudice distinct au titre du harcèlement moral

L'appelante réclame la somme de 20.000 euros en réparation des violences induites par les faits de harcèlement.

En l'absence d'atteinte avéréé à sa santé mental ou physique, Mme [Z] ne justifie pas d'un préjudice réparable excédant l'indemnisation d'ores et déjà accordée au titre des circonstances de la rupture.

Cette demande sera, en conséquence, également rejetée et le jugement entrepris confirmé à ce titre par substitution.

Concernant le manquement à l'obligation de sécurité

Mme [Z] fait valoir le climat délétère mis en exergue par le rapport d'audit réalisé en novembre 2020 après plusieurs alertes. Elle considère que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en laissant perdurer cette situation vectrice de graves risques psychosociaux et sollicite, à ce titre, une indemnisation à hauteur de 5.000 euros.

Pour sa part, le CRPMEM fait valoir que l'inertie qui lui est reproché n'est pas établie. Il souligne que l'appelante a librement profité de ses congés, qu'aucun accident du travail n'est survenu et qu'aucune maladie professionnelle n'a été déclarée, l'appelante elle-même ne se plaignant d'aucun trouble accréditant l'existence d'un risque professionnel. Il ajoute que celle-ci était, au contraire, la principale responsable des désordres constatés et que l'équipe est bien plus unie depuis son départ.

Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l' employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ; l'employeur doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir, d'une part la réalité du manquement et d'autre part, l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.

En l'espèce, si le rapport d'audit produit aux débats par l'appelante en pièce n° 13, précédemment évoqué, met en évidence des dysfonctionnement qualifiés de systémiques et des rapports sociaux dégradés, l'appelante qui ne produit aucune pièce médicale et ne justifie pas de sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à la rupture de son contrat de de travail, ne démontre ni même n'explicite le préjudice qu'elle aurait personnellement subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de résultat.

Il convient, en conséquence, de rejeter cette demande et de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

Sur la remise de documents de fin de contrat rectifiés

Il convient d'ordonner la remise par le CRPMEM à Mme [Z] de documents de fin de contrat (bulletin de paie du mois de février 2021, attestation destinée à France Travail, certificat de travail et solde de tout compte) rectifiés conformément à la présente décision, sans qu'il y ait lieu cependant de prononcer une astreinte.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le CRPMEM qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel, débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné au paiement à ce titre de la somme de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et dans la limite de sa saisine,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion le 10 mai 2022 à l'exception de la condamnation aux dépens, de celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et du rejet des demandes suivantes :

- indemnité de travail dissimulé,

- indemnité de précarité,

- indemnisation au titre d'un vice de procédure,

- dommages et intérêts pour préjudice distinct au titre du harcèlement moral,

- dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Prononce la nullité du licenciement prononcé le 19 février 2021,

Condamne le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins de la Réunion à payer à Mme [K] [Z] les sommes suivantes :

- 4.477,20 euros brut au titre des heures supplémentaires pour l'année 2020,

- 447,72 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 19.401,78 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3.233,63 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 323,36 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 943,16 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1.616,81 euros brut au titre du rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire,

- 161,68 euros brut de congés payés afférents,

Ordonne le remboursement par le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins de la Réunion aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme [K] [Z] dans la limite de deux mois ;

Ordonne l'envoi par le greffe d'une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de France Travail, anciennement Pôle emploi ;

Ordonne la remise par le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins de la Réunion à Mme [K] [Z] de documents de fin de contrat (bulletin de paie du mois de février 2021, attestation destinée à France Travail, certificat de travail et solde de tout compte) rectifiés conformément à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à astreinte à ce titre,

Condamne le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins de la Réunion aux dépens d'appel,

Déboute le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins de la Réunion de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Condamne le Comité Régional des Pêches Maritimes et Elévages Marins de la Réunion à payer à Mme [K] [Z] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Le présent arrêt a été signé par Madame Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre, et par Mme Delphine GRONDIN, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00871
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.00871 ?
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