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25/06/2024 | FRANCE | N°23/00153

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre civile tgi, 25 juin 2024, 23/00153


ARRÊT N°2024/235

PC





N° RG 23/00153 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F33S













S.A.S. LILLE DE LA REUNION





C/



DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE LA RE











RG 1ERE INSTANCE : 21/03280











COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS



ARRÊT DU 25 JUIN 2024



Chambre civile TGI



Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE

SAINT-DENIS (REUNION) en date du 13 DECEMBRE 2022 RG n° 21/03280 suivant déclaration d'appel en date du 26 JANVIER 2023





APPELANTE :



S.A.S. LILLE DE LA REUNION

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant...

ARRÊT N°2024/235

PC

N° RG 23/00153 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F33S

S.A.S. LILLE DE LA REUNION

C/

DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE LA RE

RG 1ERE INSTANCE : 21/03280

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 25 JUIN 2024

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS (REUNION) en date du 13 DECEMBRE 2022 RG n° 21/03280 suivant déclaration d'appel en date du 26 JANVIER 2023

APPELANTE :

S.A.S. LILLE DE LA REUNION

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIME :

Monsieur DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE LA RE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Céline CAUCHEPIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CLOTURE LE : 24 août 2023

DÉBATS : En application des dispositions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Avril 2024 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller : M. Laurent FRAVETTE, Vice-président placé

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 25 Juin 2024.

Greffier lors des débats : Sarah HAFEJEE

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 25 Juin 2024.

* * *

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE

La société LILLE DE LA RÉUNION est une société par actions simplifiée (SAS) composée de trois établissements et ayant comme activité la production de bière. Ces établissements distincts sont situés à [Localité 10] (SIRET 439 492 455 00 027), [Localité 9] (SIRET 439 492 455 00 035) et [Localité 11] (SIRET 439 492 455 00 043).

La SAS LILLE DE LA RÉUNION a fait l'objet d'une procédure de contrôle par le service régional d'enquête (le SRE) des douanes de [Localité 6] concernant son assujettissement à l'octroi de mer interne, le 18 août 2020, pour la période allant du 19 août 2017 au 30 septembre 2020. Ce contrôle a porté d'une part, sur les importations de marchandises (leurs espèces, leurs origines et leurs valeurs) et d'autre part, sur les fabrications de bières au regard de la réglementation concernant l'octroi de mer interne. Le 16 décembre 2020, l'Administration des douanes a transmis un avis de résultat d'enquête à la société LILLE DE LA RÉUNION dans lequel elle indiquait que la société était redevable de l'octroi de mer interne sur la production de bière.

Puis, après recueil des observations de la SAS LILLE DE LA REUNION et rejet de ses contestations, le 9 février 2021, l'administration des douanes lui a notifié une infraction à l'article 411 1° du code des douanes, lui reprochant d'avoir omis d'établir les déclarations trimestrielles d'octroi de mer interne et de ne pas s'être acquittée de l'octroi de mer interne pour la production de bière conformément à la réglementation en vigueur. Le même jour, un avis de paiement a été remis à la société. En raison du non-acquittement de l'avis de paiement, un avis de mise en recouvrement (AMR) d'un montant de 99.253 euros a été émis par la recette régionale des douanes de La Réunion le 23 février 2021.

Le 5 mars 2021, la société a contesté l'AMR émis à son encontre.

Le 7 octobre 2021, le directeur régional des douanes de La Réunion (DRDI) a rejeté la contestation présentée par la société LILLE DE LA RÉUNION.

Par acte introductif d'instance du 8 décembre 2021, la SAS LILLE DE LA RÉUNION a saisi le Tribunal Judiciaire de Saint-Denis en vue d'obtenir l'annulation de la décision de rejet et de l'AMR.

Par jugement en date du 13 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Denis a statué en ces termes :

DEBOUTE la SAS LILLE DE LA REUMON de l'ensemble de ses demandes,

LA CONDAMNE à payer à la DRDDI la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile,

CONSTATE l'exécution provisoire de droit,

LAISSE les dépens à la charge de la SAS LILLE DE LA REUNION.

Par déclaration du 26 janvier 2023, la SAS LILLE DE LA REUNION a interjeté appel du jugement précité.

L'affaire a été renvoyée à la mise en état suivant ordonnance en date du 27 janvier 2023.

Le 17 avril 2023, la SAS LILLE DE LA REUNION a déposé ses conclusions.

Le 12 juin 2023, Monsieur le DIRECTEUR REGIONAL DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE LA REUNION a déposé ses conclusions.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 aout 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses uniques conclusions d'appelante, déposées le 7 juillet 2023, la SAS LILLE DE LA REUNION demande à la cour de :

ANNNULER dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 décembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de SAINT DENIS DE LA REUNION ;

ET STATUANT À NOUVEAU

CONSTATER, DIRE ET JUGER que la société LILLE DE LA REUNION n'est pas redevable de la taxe sur l'octroi de mer ;

EN CONSEQUENCE

ANNULER la décision de rejet de la réclamation formulée par la société LILLE DE LA REUNION ;

PRONONCER LA DECHARGE des suppléments d'impôts mis à la charge de la société LILLE DE LA REUNION au titre de la taxe sur l'octroi de mer ;

CONDAMNER le directeur régional des Douanes et droits indirects de la Réunion de payer à la société LILLE DE LA REUNION la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER le directeur régional des Douanes et droits indirects de la Réunion aux entiers frais et dépens.

La SAS LILLE DE LA REUNION soutient en substance que la vente de bière est le corollaire de l'activité de restauration exercée par les trois sociétés auxquelles est destinée la bière.

Selon elle, l'activité de production de bière doit suivre le régime de l'activité dont elle dépend.

En effet, elle affirme que la fabrication de bière doit être assimilée à une activité de prestation de service qui se trouve hors du champ d'application de la taxe sur l'octroi de mer.

Dans ces conditions, c'est à tort que la juridiction de première instance a jugé que son activité entre dans le champ de l'octroi de mer.

Selon cette dernière, la juridiction de première instance a fait une mauvaise appréciation des faits d'espèce. Afin d'appuyer son propos, elle se base sur des jurisprudences qu'elle qualifie de similaires.

Elle reproche à la juridiction de première instance d'avoir repris les éléments du dossier sans les mettre en perspective avec l'activité de restauration dont dépend la production de bière.

Elle précise que la bière produite par la SAS LILLE DE LA RÉUNION n'a pas d'autres débouchés que l'activité de restauration exercée sous l'enseigne « 3 Brasseurs » par une autre société. Sans cette activité de restauration, la bière ne serait pas produite.

Elle énonce que, en tout état de cause, l'activité qu'elle déploie ne correspond pas à l'activité visée par la loi instituant l'octroi de mer à savoir des activités de production de type fabrication, transformation, rénovation de biens meubles corporels intervenant entre deux opérateurs indépendants sous réserve que le chiffre d'affaires de l'auteur de livraison dépasse un certain seuil fixé légalement.

Elle reproche à la juridiction de première instance de ne pas avoir apprécié l'existence de « livraisons de biens effectuées à titre onéreux par les personnes qui les ont produits », lesquels sont définies par la loi même comme « le transfert du pouvoir de disposer d'un bien meuble corporel comme un propriétaire ».

En la matière, elle énonce qu'il ne peut être considéré, même si les sociétés en présence ont chacune leur personnalité juridique, que les transactions sur la bière intervenant entre elles sont des transactions réalisées entre des opérateurs totalement indépendants et qui entraient dans le champ d'application de l'octroi de mer.

En effet, selon cette dernière, la bière produite par la SAS LILLE DE LA RÉUNION ne peut être considérée comme livrée à un opérateur distinct et tiers.

Par ailleurs, elle énonce qu'il a été décidé d'appliquer un prix de vente moindre afin de modifier à la baisse le montant de son chiffre d'affaires et de la faire passer sous le seuil des 300 000 euros qui déclenchent l'assujettissement à l'octroi de mer. En contrepartie, la marge des restaurants commercialisant la bière est plus élevée.

Or, selon cette dernière, un pareil « système d'évitement » ne pourrait être mise en place dans une hypothèse où les opérateurs sont totalement indépendants les uns des autres.

En outre, elle énonce qu'elle fait partie d'une entité économique unique. Or, les textes ne visent en aucun cas, comme critères d'assujettissement à l'octroi de mer, ces notions de « groupe économique et social » ou « groupement de sociétés susceptibles d'incidences fiscales ».

Dès lors, selon cette dernière, c'est à tort que la juridiction de première instance a débouté la société LILLE DE LA RÉUNION de sa demande d'annulation de l'avis de mis en recouvrement émis à son encontre au motif qu'elle serait redevable de la taxe sur l'octroi de mer.

***

Aux termes de ses uniques conclusions d'intimée déposées le 12 juin 2023, le DIRECTEUR REGIONAL DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE LA REUNION demande à la cour de :

Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de la société LILLE DE LA REUNION,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 décembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de SAINT DENIS (RG 21/03280),

En conséquence,

Juger réguliers et bien-fondés l'avis de mise en recouvrement n° 0974/2021/42 du 23 février 2021, et la décision de rejet du 7 octobre 2021 en réponse à la contestation de la société LILLE DE LA REUNION ;

Juger en conséquence que la créance de l'Administration et le redressement prononcés à l'encontre de de la société LILLE DE LA REUNION ainsi que les droits, taxes et intérêts de retard mis à la charge de la société LILLE DE LA REUNION sont fondés et intégralement dus,

En tout état de cause,

Débouter la société LILLE DE LA REUNION de l'ensemble de ses demandes, fins et prétention,

Condamner la société LILLE DE LA REUNION à verser à Monsieur le Directeur régional des douanes et droits indirects de la Réunion la somme de 3.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société LILLE DE LA REUNION aux dépens d'instance et d'appel.

Il expose que la SAS LILLE DE LA RÉUNION est redevable de la taxe d'octroi de mer interne tel que la loi le prévoit.

En effet, la production de bières correspond à une production de biens meubles corporels entrant dans le champ d'application de la taxe sur l'octroi de mer interne.

Dès lors, il y a production d'un bien nouveau et ce que cela soit fait sous franchise ou dans chaque restaurant par un brasseur dédié.

Par ailleurs, selon ce dernier, l'argument selon lequel la bière n'a « pas vocation à être produite sans l'activité de restauration » est inopérant, car ce n'est pas la vocation de la production qui est visée par le législateur mais l'existence de la production elle-même.

La SAS LILLE DE LA RÉUNION effectue une activité de livraison à titre onéreux (et non une activité de prestation de services) avec un transfert de propriété de la marchandise. En effet, les bières produites par ladite société sont livrées aux trois restaurants « Les 3 Brasseurs » (restaurants qui ont chacun des numéros SIRET distincts).

Cette opération fait, ensuite, l'objet d'une facturation qui est reprise sur le compte de vente de la société LILLE DE LA RÉUNION.

Or, dès lors qu'il y a facturation, il ne peut être valablement soutenu que la livraison ne se fait pas à titre onéreux.

Il affirme que la société LILLE DE LA RÉUNION a un chiffre d'affaires afférent à cette activité qui a atteint ou dépassé 300 000 euros.

À ce propos, il affirme que ladite société tente de se soustraire à son assujettissement à l'octroi de mer en arguant d'une dissociation entre les activités de production de bière et les activités de restauration. Cependant, selon lui, cela est sans incidence. En effet, les établissements secondaires n'ayant pas de personnalité juridique propre, c'est donc la SAS LILLE DE LA RÉUNION, considérée comme personne morale unique, qui doit être prise en compte pour l'appréciation du seuil de 300 000 euros. Par ailleurs, est inopérant l'argument selon lequel les modalités de fixation des prix entre la SAS LILLE DE LA RÉUNION et les sociétés exploitant les restaurants lui permettent de faire baisser le chiffre d'affaires sous le seuil de l'assujettissement à l'octroi de mer tout en augmentant la marge des restaurant commercialisant la bière.

***

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.

Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Ainsi, si les motifs des conclusions de la DRDI évoquent la question de la demande de nullité du jugement résultant du dispositif des conclusions de l'appelante, l'intimée ne réclame aucune sanction dans le dispositif de ses écritures.

Or, malgré la demande d'annulation du jugement dans le dispositif des conclusions d'appelante, il est constant que la SAS LILLE DE LA REUNION demandait la réformation dans sa déclaration d'appel ainsi que dans la partie discussion de ses écritures puisqu'elle n'a pas invoqué le pouvoir d'évocation de la cour mais sollicité à titre principale l'annulation de la décision de rejet de sa réclamation et la décharge des suppléments d'impôts mis à sa charge de au titre de la taxe sur l'octroi de mer.

Il n'y a dès lors pas lieu de statuer de ce chef.

Sur la nature de l'activité de la SAS LILLE DE LA REUNION :

Pour juger que la SAS LILLE DE LA REUNION était assujettie à l'octroi de mer, le tribunal a retenu que cette société a pour objet et activité la fabrication de bières vendues exclusivement à trois autres sociétés de restauration à l'enseigne « les 3 brasseurs '' situées dans les villes de Sainte-Marie, Saint-Paul et Saint-Pierre ; qu'elle produit la bière qu'elle livre et facture aux trois restaurants susvisés, lesquels en répercutent le prix sur leurs clients ; que, même en fonctionnant en régime de franchise, ces sociétés ont des personnalités juridiques distinctes, organisées certes en circuit fermé mais ne constituant ni un groupe économique et social ni un groupement de sociétés susceptibles d'incidences fiscales.

L'appelante fait valoir à cet égard qu'elle a pour objet et activité la production de bière sous l'enseigne « 3 BRASSEURS » qui est une chaine de restaurants dont la spécificité est d'abriter une micro-brasserie produisant la bière qui est servie dans l'établissement. La bière produite par la société LILLE DE LA REUNION est ainsi uniquement commercialisée dans trois restaurants sous enseigne « 3 BRASSEURS » situés à [Localité 8], [Localité 11] et [Localité 7] et qui sont exploités par trois sociétés distinctes mais détenues par les mêmes associés que la société demanderesse. Les conditions d'exploitation des restaurants 3 BRASSEURS (une société dédiée à la production de la bière et une société dédiée à l'activité de restaurant) sont tout à fait spécifiques à la localisation des restaurants sur l'île de la Réunion.

L'activité de production de bière a également été logée dans une seule et même structure (LILLE DE LA REUNION) pour limiter les démarches liées à l'importation des produits nécessaire à la fabrication. La société demanderesse importe en effet 100% des produits permettant la fabrication de la bière. Il est ainsi plus simple qu'une seule structure prenne en charge les achats plutôt que chaque restaurant soit dans l'obligation de procéder à l'importation des produits nécessaires. En métropole, il n'y a aucune dissociation entre la production de bière et l'exploitation du restaurant car les franchisés ne sont pas soumis aux contraintes ci-dessus exposées.

La DRDDI fait valoir que le mécanisme d'octroi de mer repose sur deux volets : la taxe d'octroi de mer externe et la taxe d'octroi de mer interne. Le volet externe de cette taxe est constitué par les importations de biens. En revanche, le volet interne de l'octroi de mer se fonde sur les livraisons de biens faites à titre onéreux par les personnes accomplissant des activités de production dès lors que le chiffre d'affaires de production annuelle atteint ou dépasse 300 000 euros hors TVA et hors octroi de mer.

Elle soutient que la notion de production au sens de l'alinéa 2 de l'article 1 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer se définit comme l'ensemble des moyens mis en 'uvre pour créer un bien nouveau. Elle invoque la circulaire du 27 décembre 2018 relative au régime fiscal de l'octroi de mer qui est venue préciser que : « (') Au sens de l'article 2, sont considérées comme des activités  de production  les opérations de fabrication (a), transformation (b), rénovation (c) ainsi que les opérations  agricoles (d) et extractives (e). ( ') »

Selon l'intimée, toutes les productions de bières relevant de la position douanière 22033 correspondent à une production de biens meubles corporels entrant dans le champ d'application de la taxe d'octroi de mer interne. Que cette production soit faite sous franchise et dans l'enceinte de chaque restaurant par un brasseur dédié à chaque structure comme le souligne la société, ne change en rien le fait qu'il y ait effectivement production d'un bien nouveau. De même, l'argument selon lequel la bière n'a « pas vocation  à être produite sans l'activité  de restauration » est inopérant car ce n'est pas la vocation de la production qui est visée par le législateur mais l'existence de la production elle-même.

Sur ce,

Aux termes de l'article 2 de la loi susvisée, modifié par loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, pour la période allant du 19 août 2017 au 30 septembre 2020, sont assujetties à l'octroi de mer les personnes qui exercent de manière indépendante, à titre exclusif ou non exclusif, une activité de production dans une collectivité mentionnée à l'article 1er, lorsque, au titre de l'année civile précédente, leur chiffre d'affaires afférent à cette activité a atteint ou dépassé 300 000 €, quels que soient leur statut juridique et leur situation au regard des autres impôts.

Sont considérées comme des activités de production les opérations de fabrication, de transformation ou de rénovation de biens meubles corporels, ainsi que les opérations agricoles et extractives.

Le seuil de 300 000 € mentionné au premier alinéa s'apprécie en faisant abstraction de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'octroi de mer lui-même. Pour les personnes qui ont débuté leur activité au cours de l'année de référence, il est ajusté au prorata du temps d'exploitation.

Une opération de transformation, telle que mentionnée au deuxième alinéa, est caractérisée lorsque le bien transformé se classe, dans la nomenclature figurant à l'annexe I au règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, à une position tarifaire différente de celle des biens mis en 'uvre pour l'obtenir. Ce changement s'apprécie au niveau de nomenclature du système harmonisé dit ' SH 4 ', soit les quatre premiers chiffres de la nomenclature combinée.

La jurisprudence judiciaire et la jurisprudence administrative admettent que le simple assemblage de différents éléments ne saurait être assimilé à leur transformation, et donc à une activité de production. Au contraire, une activité de transformation suppose la mise en 'uvre, par l'opérateur économique, d'un savoir-faire spécifique, d'un traitement complexe qui ait pour résultat de modifier substantiellement les qualités du ou des produits d'origine. L'exécution d'un processus standardisé ne supposant que l'accomplissement de tâches basiques est insusceptible d'être qualifiée d'activité de production (CE, 19 juillet 2016, Société Arcos Dorados Martinique, Rec. T. 724 ' Com., 16 février 2016, n° 15-13.814, n° 15-13.816).

En l'espèce, l'extrait KBIS de la SAS LILLE DE LA REUNION n'est pas versé aux débats, pas plus que ceux de ses clients exploitant sous l'enseigne « Les trois brasseurs ».

Néanmoins, il n'est pas contesté qu'elle a pour activité principale la fabrication de bières qu'elle vend ensuite, respectivement à la société de brasserie réunionnaise (SBR), à la société des brasseries de Savannah (SBH) et à la société de brasserie de la [Localité 5] (SBM), fait établi par les factures versées aux débats (Pièces N° 7, 8 et 9 de l'intimée).

Or, pour contester son assujettissement à l'octroi de mer, la SAS LILLE DE LA REUNION plaide que son objet se réalise sous l'enseigne « 3 BRASSEURS » qui est une chaine de restaurants, commercialisant uniquement la bière produite dans trois restaurants sous la même enseigne, exploités par trois sociétés distinctes mais détenues par les mêmes associés.

Pourtant, en soulignant ce fait, l'appelante entretient une confusion entre la personnalité morale distincte de chacune des sociétés en cause, ses clientes, et elle-même, fournisseur du produit transformé, alors que l'identité des associés est sans effet sur la nature des relations contractuelles liant les sociétés.

L'exclusivité de la fourniture de bières à ses clientes ne crée pas non plus l'unicité de leur identité juridique, d'autant moins que cette situation ne résulte que de l'échange de volonté des parties.

Par ailleurs, le fait que ses trois clientes exploitent une activité de restauration est sans incidence sur la nature de l'activité de leur fournisseur de bière, à savoir la SAS LILLE DE LA REUNION.

En outre, l'arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2014, invoqué par l'appelante, traite en réalité de la transformation de l'enrobé bitumineux, de sa livraison et de sa pose, nécessairement liée à sa fourniture, opérations distinctes de celle de la livraison d'un produit fini tel que la bière prête à être vendue par les clients de la SAS LILLE DE LA REUNION dont l'assujettissement est sollicité par la DRDDI en raison de la production autonome des bières vendues ensuite à ses trois clientes exclusives.

Enfin, l'arrêt du 15 janvier 2013, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Fort de France pour avoir considéré que des activités de fabrication sur mesure et de pose, par la même entreprise, de menuiseries destinées à des immeubles, sont soumises à l'octroi de mer alors qu'il ne s'agissait pas de production de biens mobiliers au sens de l'article 2 de la loi susvisée.

Il résulte de ces éléments que la DRDDI a justement fait valoir dans son courrier de rejet de la contestation de la société LILLE DE LA REUNION que les rapports de la société vis-à-vis de ses établissements résultent d'un choix et d'une optimisation organisationnelle dont elle est la seule décisionnaire.

Sans qu'il soit besoin de se référer à la circulaire du 17 décembre 2018 (Pièce n° 6 de l'intimée), il est constant que la SAS LILLE DE LA REUNION reconnaît qu'elle produit la bière, vendue ensuite aux trois sociétés clientes. Ce fait est confirmé par les factures versées aux débats.

Or, une telle activité ne peut être comparée à une prestation de service comme le soutient la SAS LILLE DE LA REUNION.

En effet, tout en arguant d'une prestation de service, l'appelante maintient qu'elle exploite une activité de fabrication de bières qu'elle vend ensuite à des sociétés distinctes.

Dans ses écritures, elle précise la méthode de stockage dans chacun des restaurants, dans des tanks directement reliés au barn en circuit fermé.

Néanmoins, cette présentation de la solution technique, adoptée par les cocontractants, élude la question de la livraison du produit, qui ne peut être confondue avec une prestation de service.

A cet égard, la lecture de l'avis du résultat d'enquête (Pièce N° 4 de l'intimée) rappelle que le dirigeant de la SAS LILLE DE LA REUNION a d'abord soutenu que l'activité n'était pas soumise à l'octroi de mer en raison de d'un chiffre d'affaires inférieur au seuil déclaratif de 300.000 euros parce que « chaque microbrasserie est liée et ne vit que par la société d'exploitation (le restaurant) au sein duquel et pour lequel elle produit la bière exclusivement au sein du restaurant. » (Page 3 de l'avis).

La SAS LILLE DE LA REUNION a ainsi soutenu à tort que son activité devait être mesurée séparément en fonction de l'activité de chacune de ses clientes, omettant son activité principale et unique de production de bière puis de livraison à titre onéreux à ses trois clientes exclusives à la personnalité morale autonome de la sienne.

Mais elle n'explique pas comment elle parvient à produire la bière vendue dans les établissements de ses clientes, élément qui établirait l'activité de transformation le cas échéant, en son sein ou dans les restaurants exploités par les sociétés clientes.

En conséquence, eu égard à l'activité de production ou de transformation de bières de l'appelante, de ses livraisons à titre onéreux et de ses facturations spécifiques à chacune de ses trois clientes exclusives sur l'île de la Réunion, excédant le seuil déclaratif de 300.000,00 euros, de l'absence de prestation de service au sens de la loi susvisée, la SAS LILE DE LA REUNION est bien soumise à l'octroi de mer comme l'a justement retenu le tribunal, confirmant à cet égard le rejet de la réclamation de l'appelante, laquelle n'a jamais précisé les conditions matérielles de production des bières qu'elle livre à ses clientes sous forme de tanks directement reliées aux bars des établissements.

Le jugement querellé doit être confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les autres demandes :

L'appelante supportera les dépens et les frais irrépétibles de l'intimée en plus de ceux déjà alloués en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par décision contradictoire, en matière civile et en dernier ressort, mis à disposition au greffe, conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile, 

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SAS LILLE DE LA REUNION à payer au Directeur régional des douanes et droits indirects de la Réunion la somme de .3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS LILLE DE LA REUNION aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par monsieur Patrick CHEVRIER, président de chambre, et par madame Sarah HAFEJEE, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

SIGNE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Formation : Chambre civile tgi
Numéro d'arrêt : 23/00153
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;23.00153 ?
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