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30/05/2023 | FRANCE | N°21/01400

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre civile tgi, 30 mai 2023, 21/01400


ARRÊT N°23/

PC





R.G : N° RG 21/01400 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FTB4













S.C.I. SCI 3MP





C/



[L]











RG 1ERE INSTANCE :





COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS



ARRÊT DU 30 MAI 2023



Chambre civile TGI





Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS en date du 27 AVRIL 2021 RG n°19/2406 suivant déclaration d'appel en date du 27

JUILLET 2021





APPELANTE :



S.C.I. 3MP

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Vincent RICHARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION



INTIME :



Monsieur [B] [L]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant ...

ARRÊT N°23/

PC

R.G : N° RG 21/01400 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FTB4

S.C.I. SCI 3MP

C/

[L]

RG 1ERE INSTANCE :

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 30 MAI 2023

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS en date du 27 AVRIL 2021 RG n°19/2406 suivant déclaration d'appel en date du 27 JUILLET 2021

APPELANTE :

S.C.I. 3MP

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Vincent RICHARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIME :

Monsieur [B] [L]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CLOTURE LE : 08/09/2022

DÉBATS : En application des dispositions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 mars 2023 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller : Monsieur Eric FOURNIE, Conseiller

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 30 mai 2023.

Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 30 mai 2023.

* * *

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [B] [L] est propriétaire d'un terrain nu sis [Adresse 2], à [Localité 8]. Ce terrain est cadastré section AI, [Cadastre 6], [Adresse 5], d'une surface de 00 ha 04 a et 86 ca.

Le 21 octobre 2016, Monsieur [L] a conclu avec la SCI 3MP, dont le gérant est Monsieur [S] [B] [M] [N], une promesse de vente de ce même terrain pour un prix de 50.000 € avec conditions suspensives.

Par courrier recommandé du 1er octobre 2018, la SCI 3MP a mis en demeure Monsieur [L] d'exécuter son engagement de procéder à la vente du terrain.

Par lettre du 08 novembre 2018, Monsieur [L] a refusé la demande de la SCI 3MP au motif que la vente était caduque.

Suivant acte d'huissier du 16 juillet 2019, la SCI 3MP a assigné Monsieur [L] devant le tribunal de grande instance de Saint-Denis aux fins de confirmation de la vente immobilière.

Par jugement en date du 27 avril 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Denis a statué en ces termes :

- DIT n'y avoir lieu à requalifier la promesse unilatérale de vente du 21 octobre 2016 en promesse synallagmatique de vente ;

- DIT que la promesse unilatérale de vente en date du 21 octobre 2016 est caduque ;

- DEBOUTE la SCI 3MP de ses demandes ;

- DEBOUTE Monsieur [B] [L] de ses demandes reconventionnelles ;

- DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement ;

- CONDAMNE la SCI 3MP aux dépens.

Par déclaration du 27 juillet 2021, la SCI 3MP a interjeté appel du jugement précité.

L'affaire a été renvoyée à la mise en état suivant ordonnance en date du 27 juillet 2021.

La SCI 3MP a déposé ses premières conclusions d'appelante le 26 octobre 2021.

Monsieur [L] a déposé ses premières conclusions d'intimé le 25 janvier 2022.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 08 septembre 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives N° 1, déposées le 15 mai 2022, la SCI 3MP demande à la cour de :

DIRE l'appel recevable et bien fondé et statuant à nouveau,

A titre principal,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de requalification de l'avant-contrat en promesse synallagmatique de vente et la demande tendant à voir écarter la caducité de la promesse de vente et en conséquence :

DIRE ET JUGER que l'avant-contrat s'analyse en une promesse synallagmatique de vente qui vaut vente et que la vente est devenue parfaite par l'obtention du crédit immobilier et qu'en conséquence, la SCI 3MP est devenue propriétaire de la parcelle de terrain de 00 ha 4 a et 86 ca, cadastrée Section AI n°[Cadastre 6] [Adresse 5] à [Localité 8] ;

ENJOINDRE à Monsieur [B] [L] de vendre la parcelle litigieuse devant notaire au prix de 50 000 euros outre frais notariés et taxes afférentes à la vente, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

ORDONNER la publication de l'arrêt à intervenir aux services de la publicité foncière de [Localité 7] ;

CONDAMNER Monsieur [B] [L] à payer à la SCI 3MP une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive à la réalisation de la vente ;

A titre subsidiaire,

DIRE ET JUGER que si le transfert de propriété de la parcelle de terrain de 00 ha 4 a et 86 ca, cadastrée Section AI n°[Cadastre 6] [Adresse 5] à [Localité 8], ne peut pas se faire au profit de la SCI 3MP, pour quelque cause que soit notamment parce que la ladite parcelle a déjà été vendue ou cédée à un tiers, Monsieur [B] [L] devra indemniser la SCI 3MP du préjudice subi du fait de l'impossibilité d'entrer en possession du bien immobilier ;

DIRE ET JUGER que le préjudice subi est équivalent à la valeur vénale qu'aurait pu en tirer la SCI 3MP si elle était devenue propriétaire de la parcelle litigieuse ;

DIRE ET JUGER que la valeur vénale de la parcelle litigieuse est de 162.000 euros selon le propre aveu de Monsieur [B] [L] ;

CONDAMNER Monsieur [B] [L] à payer à la SCI 3MP une indemnité de 162.000 euros au titre de la perte de chance de devenir propriétaire d'un bien immobilier de cette valeur ;

En tout état de cause,

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [B] [L] de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité d'immobilisation et de toutes ses demandes reconventionnelles, additionnelles et incidentes,

CONDAMNER Monsieur [B] [L] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Vincent RICHARD DE LISLE ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

L'appelante plaide que l'acte de vente litigieux doit être qualifié de promesse synallagmatique de vente et non de promesse unilatérale de vente. Il s'agit d'une promesse synallagmatique de vente puisque les deux parties ont des obligations réciproques et que la volonté de la SCI 3MP était de bénéficier d'une vente synallagmatique sous condition suspensive. Force est donc d'admettre que la commune intention des parties n'a pas été de conclure une promesse unilatérale faute de volonté claire et non équivoque de la part de la SCI 3MP à ce sujet. L'existence d'obligations réciproques et d'une indemnité d'immobilisation importante devront conduire la cour d'appel à retenir la qualification de promesse synallagmatique de vente et d'infirmer le jugement sur ce chef de jugement.

L'appelante ajoute que la vente n'est pas caduque. L'appelante a sollicité un crédit immobilier de 90.000 euros et a obtenu une réponse favorable de sa banque et l'information a été notifiée au notaire dans le délai contractuel. De surcroît, la caducité n'est pas encourue à tout coup même en cas de dépassement du délai fixé pour la réitération de la vente. En l'espèce, les seuls délais qui ont été stipulés concernaient la date limite d'obtention du crédit immobilier (31 décembre 2016) et la date limite de levée de l'option (03 février 2017) et la réitération de l'acte devant avoir lieu trente jours plus tard, soit le 03 mars 2017. En l'absence de date relative à la réitération de la vente, on ne peut pas considérer que l'absence de réitération par acte notarié soit un élément constitutif du consentement des parties et que l'absence de réitération puisse être sanctionnée par la caducité de l'offre. L'intimé n'ayant pas mis en demeure la SCI 3MP de manifester sa volonté d'acquérir, celui-ci ne peut se prévaloir d'une quelconque caducité.

L'appelante soutient également que l'indemnité d'immobilisation réclamée par l'intimée est infondée. Celle-ci n'était prévue que si le bénéficiaire refusait de payer le prix de vente alors que toutes les conditions suspensives étaient réalisées, ce qui n'est manifestement pas le cas.

L'appelante plaide enfin que la demande de rescision pour lésion est irrecevable et en tout état de cause mal fondée. La lésion ne peut s'invoquer qu'à l'encontre d'une vente définitive. Or, par définition, le tribunal ne s'était pas encore prononcé sur la validité de la vente.

* * * * *

Aux termes de ses dernières conclusions n° 2 d'intimé, déposées le 04 août 2022, Monsieur [L] demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a :

Dit n'y avoir lieu à requalifier la promesse unilatérale de vente du 21 octobre 2016 en promesse synallagmatique de vente;

Dit que la promesse unilatérale de vente en date du 21 octobre 2016 est caduque ;

Débouté la SCI 3MP de ses demandes ;

Condamné la SCI 3MP aux dépens.

INFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a :

Débouté Monsieur [B] [L] de ses demandes reconventionnelles ;

STATUANT A NOUVEAU

A titre principal:

CONDAMNER la société 3 MP à payer à Monsieur [B] [L] l'indemnité d'immobilisation de 5.000 euros stipulée à la promesse de vente du 20 octobre 2016 ;

A titre subsidiaire:

CONDAMNER la société 3 MP à payer à Monsieur [B] [L] une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil;

En tout état de cause:

JUGER irrecevable en cause d'appel la nouvelle demande indemnitaire de 162.000 euros formulée à titre subsidiaire par la société 3 MP au titre d'une perte de chance d'acquérir le terrain de Monsieur [B] [L] ;

DEBOUTER la société 3 MP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER la société 3 MP à payer à Monsieur [B] [L] la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.

Selon l'intimé, la promesse unilatérale de vente ne vaut pas vente. Compte tenu du fait qu'il s'agissait d'une promesse unilatérale de vente, et non d'un compromis de vente dans la mesure où seul le promettant était engagé au jour de la conclusion de la promesse et que le bénéficiaire ne justifie pas de la manifestation de sa volonté d'acquérir dans les formes et délais prévus, il n'y a pas eu accord sur la chose et sur le prix au sens de l'article 1589 du code civil auquel la promesse unilatérale de vente ne s'applique pas. De surcroît, l'avant-contrat régularisé entre les parties le 20 octobre 2016 est sans équivoque une promesse unilatérale de vente du fait de la rédaction des clauses de celui-ci, lesquelles résultent de la commune intention des parties qui l'ont signé. La société 3MP ne saurait utilement opposer sa seule nouvelle intention pour changer la nature de cette promesse.

L'intimé ajoute que la caducité de la promesse unilatérale de vente est acquise. Outre le fait que la promesse prévoyait notamment une condition suspensive de prêt au profit de la société 3 MP, pour la réalisation de laquelle celle-ci ne justifie d'aucune diligence, la promesse était conclue pour une durée déterminée, sa réalisation devant être matérialisée dans les formes et délais prescrits, à défaut de quoi celle-ci est devenue caduque. L'article « CARENCE » prévoyait qu'en cas de non réalisation de la vente dans les délais et conditions mentionnés ci-dessus, la société 3 MP serait de plein droit déchue du bénéfice de la promesse auxdites dates, sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable de la part du promettant qui disposera alors librement du bien nonobstant toutes manifestations ultérieures de la volonté d'acquérir exprimées par le bénéficiaire. La Société 3 MP ne justifie pas de la réalisation de la promesse dans les délais impartis, par levée d'option ou signature de l'acte authentique. Elle ne justifie pas du versement simultané du prix et des frais au notaire dans les mêmes délais. Dès lors, la sanction prévue à l'article « CARENCE » s'est appliquée. La promesse n'a pas été réalisée dans les délais et conditions prévus, celle-ci était caduque au 3 février 2017 (éventuellement prorogé de 30 jours) et Monsieur [L] a donc repris automatiquement sa liberté, sans qu'aucune formalité ne soit nécessaire.

L'intimé soutient également qu'en tout état de cause, une vente forcée lésionnaire est impossible. Il résulte de la moyenne des 3 estimations réalisées par des agences immobilières que la valeur vénale du terrain de Monsieur [L] s'élève en réalité en moyenne à 162.000 €. Ainsi, le prix de 50.000 euros fixé dans la promesse est inférieur de presque 9/12èmes à la valeur vénale du terrain de Monsieur [B] [L]. Or, selon l'article 1674 du Code civil, si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d'un immeuble, ce qui est le cas en l'espèce, il a le droit de demander la rescision de la vente. En d'autres termes, il est aujourd'hui demandé par la SCI 3 MP à la Cour d'appel d'ordonner une vente lésionnaire.

L'intimé ajoute d'une part que la SCI 3MP ne peut utilement revendiquer le paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive à la réalisation d'une vente qui est caduque. D'autre part, la demande indemnitaire pour perte de chance est irrecevable au regard de l'article 564 du code de procédure civile.

L'intimé soutient enfin que la SCI 3 MP doit être condamnée au versement de l'indemnité d'immobilisation et d'une indemnité sur le fondement de sa responsabilité contractuelle.

* * * *

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.

Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Sur l'acte litigieux :

Selon les dispositions de l'article 1124 du code civil, la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis.

Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul.

La SCI LMP verse, aux débats en pièce N° 1, un acte dressé le 2 décembre 2015, intitulé promesse de vente, conclu entre Monsieur [B] [L] et la SCI LMP. Cet acte a fait l'objet d'un jugement en date du 29 mai 2018, selon lequel, le tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion a constaté la caducité de la promesse synallagmatique de vente.

Mais le présent litige concerne l'acte authentique dressé le 21 octobre 2016 entre Monsieur [L] et la SCI 3MP, appelante.

Selon cet acte, les parties ont conclu une promesse unilatérale de vente, telle que cela est clairement stipulé en page 3, « OBJETDU CONTRAT ».

Comme l'ont justement souligné les premiers juges, une clause intitulée « FORCE EXECUTOIRE » est insérée à l'acte en page 5. Il y est notamment stipulé que :

« Il est entendu entre les parties qu'en raison de l'acceptation par le bénéficiaire de la promesse faite par le promettant, en tant que simple promesse, il s'est formé entre elles un contrat dans les termes de l'article 1124 du Code civil. En conséquence, et pendant toute la durée du contrat, celui-ci ne pourra être révoqué que par leur consentement mutuel.

Il en résulte notamment que :

' Le promettant a, pour sa part, définitivement consenti à la vente et qu'il est d'ores et déjà débiteur de l'obligation de transférer la propriété au profit du bénéficiaire aux conditions des présentes si ce dernier lève son option. Le promettant ne peut, par suite, pendant toute la durée de la présente promesse conférer une autre promesse à un tiers ni aucun droit réel ni charge quelconque sur le bien, consentir aucun bail, location ou prorogation de bail. Il ne pourra non plus apporter aucune modification matérielle, si ce n'est avec le consentement du bénéficiaire, ni détérioration au bien.

' Toute rétractation unilatérale de la volonté du promettant pendant le temps laissé aux bénéficiaires pour opter sera de plein droit inefficace et ne pourra produire aucun effet sans l'accord exprès de ce dernier. En outre, le promettant ne pourra pas se prévaloir des dispositions de l'article 1590 du Code civil en offrant de restituer le double de la somme le cas échéant versé au titre de l'indemnité d'immobilisation.

En cas de refus par le promettant de réaliser la vente par acte authentique, le bénéficiaire pourra poursuivre l'exécution forcée de la vente par voie judiciaire. »

Or, en application de l'article 1192 du code civil, on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.

En l'espèce, contrairement à ce que tente de soutenir vainement la SCI 3MP, le contrat litigieux constitue bien une promesse unilatérale de vente que les parties ont clairement entendu stipuler ainsi. Le fait que l'acte notarié contienne des obligations particulières imposées au promettant confirme au contraire la nature unilatérale de la promesse tandis que la clause stipulant une indemnité d'immobilisation à la charge du bénéficiaire ne lui confère pas un caractère synallagmatique à l'opposé des mentions claires et incontestables de la convention dès lors que, comme l'a relevé le jugement querellé, les obligations mises à la charge du bénéficiaire dans l'acte ne portent pas une atteinte excessive à son droit d'opter.

Le fait que cette société soutienne désormais qu'elle n'avait pas relevé la différence entre une promesse synallagmatique de vente et une promesse unilatérale ne change en rien la nature de la convention, ce qui ne peut être reproché à Monsieur [L].

Les critiques formulées en appel à l'encontre du notaire instrumentaire sont sans effet en l'espèce puisque celui-ci n'est pas dans la cause.

Selon le même raisonnement, la qualité de professionnel ou pas de l'immobilier de la SCI 3MP est sans incidence sur la nature de la convention dont elle demande la requalification, et ce d'autant moins qu'une confusion est opérée dans les conclusions de l'appelante entre la société bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente et son gérant, Monsieur [N].

Ainsi, le jugement querellé doit être confirmé en ce qu'il a qualifié la convention litigieuse de promesse unilatérale de vente.

Sur la caducité de la promesse unilatérale de vente :

L'appelante soutient que la carence de Monsieur [L] est manifeste puisqu'il n'a pas été en mesure de tenir son engagement en raison du litige qui l'opposait à la société LMP avec qui il avait déjà conclu une promesse de vente par acte du 2 décembre 2015, qu'il avait caché à la SCI 3MP lors de la conclusion de l'acte dressé le 21 octobre 2016. L'appelante fait valoir qu'il résulte de la pièce adverse n° 2 (jugement du 29 mai 2018) qu'une première assignation de la société LMP avait été délivrée à Monsieur [L] le 3 octobre 2016 mais il n'est nullement fait mention de cette procédure dans l'acte notarié du 21 octobre 2016.

L'appelante en déduit que dès lors que Monsieur [L] n'était juridiquement pas en mesure d'exécuter son obligation de vendre dans les délais contractuels en raison du litige qui l'opposait à la SCI LMP, il est réputé être à l'origine de la carence et il est donc déchu du droit d'opposer la caducité à la SCI 3MP.

La SCI 3MP soutient à titre surabondant qu'en application d'une jurisprudence établie en matière de bonne foi contractuelle, les juges du fond interdisent au contractant de mauvaise foi d'invoquer le bénéfice d'une clause résolutoire ou d'une caducité. Or, à l'époque où Monsieur [L] a excipé de la caducité du compromis de vente, il savait pertinemment que la vente était impossible tant que durait la procédure avec la société LMP et il n'a jamais demandé à la SCI 3MP de justifier de l'obtention du crédit immobilier qu'elle avait sollicité, ce qui démontre bien son souhait de rompre le contrat sans relever un manquement de son cocontractant.

Monsieur [L] réplique que la promesse unilatérale de vente conclue le 20 octobre 2016 est caduque par application des dispositions contractuelles.

Il invoque :

La clause de délai qui prévoyait une durée ferme de la promesse expirant le 3 février 2017 (avec prorogation ne pouvant excéder 30 jours) ;

L'article « REALISATION » (pages 4 et 5) qui prévoyait une réalisation de la promesse soit par signature de l'acte authentique avec paiement du prix et des frais dans le délai susvisé, soit par levée d'option par la société 3 MP avec versement du prix et des frais dans le délai susvisé et une réitération par acte authentique dans un délai de 5 jours ;

L'article « CARENCE » qui prévoyait qu'en cas de non réalisation de la vente dans les délais et conditions mentionnés ci-dessus, la société 3 MP serait de plein droit déchue du bénéfice de la promesse auxdites dates, sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable de la part du promettant qui disposera alors librement du bien nonobstant toutes manifestations ultérieures de la volonté d'acquérir exprimées par le bénéficiaire. Selon l'intimé, la clarté des dispositions de cet article, les jurisprudences citées par la SCI 3MP sont inapplicables au cas d'espèce.

Sur ce,

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Selon les dispositions de l'article 1353 du même code, Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, l'acte litigieux stipule une condition suspensive d'obtention par la SCI3MP d'un ou plusieurs prêts. Cette condition suspensive aurait été réalisée « en cas d'obtention de prêts au plus tard le 31 décembre 2016, portée à la connaissance du promettant par le bénéficiaire au plus tard dans les 5 jours du délai ci-dessus. A défaut de réception de cette lettre dans le délai fixé, le promettant aura la faculté de mettre le bénéficiaire en demeure de lui justifier sous huitaine de la réalisation ou la défaillance de la condition.

Cette demande devra être faite par lettre recommandée avec accusé réception au domicile ci-après élu.

Passé ce délai de huit jours ans que le bénéficiaire ait apporté les justificatifs, la condition sera censée défaillie et les présentes seront caduques de plein droit, sans autre formalité, et ainsi le promettant retrouvera son entière liberté mais le bénéficiaire ne pourra recouvrer l'indemnité d'immobilisation qu'il aura, le cas échéant, versée qu'après justification qu'il a accompli les démarches nécessaires pour l'obtention du prêt, et que la condition n'est pas défaillie de son fait ; à défaut, l'indemnité d'immobilisation restera acquise au promettant.»

Monsieur [L] ne produit aucune pièce établissant qu'il a mis en demeure la SCI 3MP de lui justifier sous huitaine de la réalisation ou la défaillance de la condition suspensive à partir du 5 janvier 2017, comme prévu dans la clause énoncée ci-dessus.

Il ne peut donc pas se prévaloir de la caducité de la promesse unilatérale de vente de plein droit par l'effet de cette clause.

Mais, l'acte contient aussi une clause intitulée CARENCE rédigée comme suit :

« Au cas où la vente ne serait pas réalisée par acte authentique dans l'un ou l'autre cas et délais ci-dessus, avec paiement du prix et des frais comme indiqué, le bénéficiaire sera de plein droit déchu du bénéfice de la promesse aux dites dates sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure de la part du promettant qui disposera alors librement du bien nonobstant toutes manifestations ultérieures de la volonté d'acquérir aurait exprimé le bénéficiaire.

De convention expresse entre les parties, la seule manifestation par le bénéficiaire de sa volonté d'acquérir n'aura pour effet que de permettre d'établir, le cas échéant, la carence du promettant et, en conséquence ne saurait entraîner aucun transfert de propriété de la part du promettant sur le bien, ce transfert ne devant résulter que d'un acte authentique de vente constatant le paiement du prix selon les modalités ci-après convenues, ou d'un jugement à défaut de cette réalisation par acte authentique. »

Or, la promesse expirait le 3 février 2017 à 17 heures selon les stipulations de l'acte (Page 4).

Ainsi, même si Monsieur [L] n'a pas mis en demeure la SCI 3MP de lui justifier de la réalisation ou la défaillance de la condition suspensive à partir du 5 janvier 2017, il est aussi incontestable que la SCI 3MP n'avait pas adressé au notaire les divers documents nécessaires à la régularisation de la vente dans le délai de 30 jours suivant l'expiration du délai de la promesse soit avant le 3 mars 2017.

En conséquence, si la caducité de plein droit de l'offre telle que soutenue par Monsieur [L] ne peut être admise, il est néanmoins établi que la SCI 3MP ne démontre pas avoir saisi le notaire aux fins de régularisation de la vente avant le 3 mars 2017.

Cette carence suffit à constater la déchéance du droit du bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente consentie par Monsieur [L].

Le jugement querellé doit être confirmé de ce chef.

Sur l'appel incident de Monsieur [L] :

Monsieur [L] conclut à la réformation du jugement l'ayant débouté de sa demande reconventionnelle en paiement de l'indemnité d'immobilisation.

La SCI 3MP conclut que cette demande de paiement d'une indemnité d'immobilisation est totalement infondée, sollicitant la confirmation du jugement de ce chef.

Le premier juge a motivé le rejet de la demande reconventionnelle en considérant que Monsieur [L] s'est lui-même engagé dans une nouvelle vente sans avoir la certitude de la faisabilité de l'opération et qu'il peut par conséquent lui être opposé une exception d'inexécution.

Sur ce,

Le fait que la clause relative à la condition suspensive n'ait pas été totalement exécutée par Monsieur [L], qui s'est abstenu d'agir de bonne foi pour réclamer à la SCI 3MP les documents nécessaires à la régularisation de l'acte de vente, lui interdit aussi de se prévaloir de l'exigibilité de l'indemnité d'immobilisation puisque la promesse unilatérale de vente n'est pas devenue caduque de plein droit mais par l'effet de la déchéance du droit du bénéficiaire de cette promesse de s'en prévaloir.

Ainsi, la demande de paiement de l'indemnité d'immobilisation par Monsieur [L] doit être rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande subsidiaire en paiement de dommages et intérêts par Monsieur [L] :

Monsieur [L] sollicite la condamnation de la SCI 3MP sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, ce qu'a aussi rejeté le tribunal en statuant à la fois sur la demande en paiement de l'indemnité d'immobilisation et sur la responsabilité de l'appelante.

La SCI 3MP conclut à la confirmation du jugement de ce chef.

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Mais comme l'a justement relevé le premier juge, Monsieur [L] échoue à établir une faute de la SCI 3MP dans l'exécution de ses obligations puisque la bénéficiaire de l'offre unilatérale de vente n'était soumise qu'à certaines conditions suspensives qui n'ont pas été réalisées, ce qui ne peut constituer une faute justifiant une indemnisation du promettant puisque Monsieur [L] n'a jamais mis en demeure la SCI 3MP de justifier de la réalisation ou de la défaillance de la condition suspensive d'obtention de prêt.

De surcroît, même si une faute pouvait être retenue à l'encontre de la SCI 3MP, Monsieur [L] ne justifie d'aucun préjudice directement causé par la faute du bénéficiaire déchu de la promesse qu'il avait conclu hâtivement avec elle compte tenu de l'instance ouverte par la SCI LMP le 3 octobre 2016, quelques jours avant la réalisation de la promesse unilatérale de vente à la SCI 3MP, en vertu d'un précédent acte dressé le 2 décembre 2015.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Monsieur [L].

Sur la recevabilité de la demande de la SCI 3MP tendant à obtenir une indemnité au titre de la perte de chance de devenir propriétaire du bien litigieux :

L'appelante demande à la cour de condamner Monsieur [B] [L] à lui payer une indemnité de 162.000 euros au titre de la perte de chance de devenir propriétaire d'un bien immobilier de cette valeur,

Monsieur [L] réplique d'abord que cette prétention nouvelle est irrecevable en cause d'appel.

Aux termes de l'article 464 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 465 du même code prescrit que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

L'article 566 du même code énonce que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Selon les termes du jugement attaqué, la SCI 3MP avait demandé au tribunal de :

Condamner Monsieur [B] [L] à payer à la demanderesse une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive à la réalisation de la vente.

Elle n'avait donc pas évoqué la moindre perte de chance de devenir propriétaire d'un bien d'une valeur de 162.000,00 euros.

Pour qu'un préjudice constitué par une perte de chance soit admis il est d'abord nécessaire d'envisager la faute de celui à qui on le réclame et le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice démontré.

Or, l'instance introduite par la SCI 3MP ne concerne que l'exécution de la promesse de vente sans qu'aucune responsabilité de Monsieur [L] ne soit envisagée par la demanderesse devant le tribunal qui n'a d'ailleurs pas répondu sur ce chef de demande dont il n'était pas saisi.

Ainsi, s'agissant d'une demande nouvelle en cause d'appel, il convient de déclarer cette demande subsidiaire irrecevable.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La SCI 3MP succombante en appel supportera les dépens et les frais irrépétibles de Monsieur [L].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

DECLARE IRRECEVABLE la demande de la SCI 3MP tendant à condamner Monsieur [B] [L] à lui payer une indemnité de 162.000 euros au titre de la perte de chance de devenir propriétaire d'un bien immobilier de cette valeur ;

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SCI 3MP à payer à Monsieur [B] [L] une indemnité de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI 3MP aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Formation : Chambre civile tgi
Numéro d'arrêt : 21/01400
Date de la décision : 30/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-30;21.01400 ?
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