REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE SAINT DENIS DE LA REUNION
L. 340-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile
N° RG 23/00191 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F36I
N° de MINUTE : 23/102
ORDONNANCE du 15 Février 2023
Décision déférée : ordonnance rendue le 12 Février 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Saint-Denis
Nous, Jacques ROUSSEAU, conseiller délégué par le premier président par ordonnance n° 2022/295 du 12 /12/2022, assisté de Véronique FONTAINE, greffier aux débats et Marina BOYER au prononcé de l'ordonnance.
APPELANT :
M. [A] [H] [P] [O]
ACTUELLEMENT MAINTENU EN ZONE D'ATTENTE
né le 12 Novembre 1977 à [Localité 1]
de nationalité Sri lankaise
Assisté de Me Marius henri RAKOTONIRINA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMES :
Monsieur le Commissaire de la direction départementale de la Police de l'Air et des Frontières de la Réunion, représenté par Monsieur [F] [S], commandant de police et Monsieur [J] [Y], Brigadier-Chef de Police
Monsieur le Préfet de la Réunion, non représenté,
Madame la Procureure générale près la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, avisée de la date et de l'heure de l'audience, en la personne de Monsieur Gauthier POUPEAU, Avocat Général
EN PRESENCE DE
Monsieur [B] [Z], interprète en langue cinghalaise, serment préalablement prêté conformément à la loi,
DEBATS : audience publique du 14 Février 2023 à 14 heures
- Président : M. Jacques ROUSSEAU, conseiller délégué par le premier président par ordonnance n°2022/ 295 du 12/12/2022
- Greffier : Véronique FONTAINE
ORDONNANCE :PRONONCE PUBLIQUEMENT LE 15 Février 2023 à 13H30
Greffier présent au prononcé: Marina BOYER
FAITS ET PROCÉDURE :
Les faits sont exposés dans les motifs de l'ordonnance querellée,
Le 5 février 2023, les services de la police aux frontières ont été informés qu'un bateau, en provenance de [X] [R], immatriculé au Sri-Lanka, se dirigeant vers la Réunion, serait tombé en panne d'essence dans les eaux mauriciennes, il était remorqué vers 7h30, puis une fois le plein de nourriture et de carburant fait, vers 18h45, il était autorisé à reprendre sa route vers un pays d'Afrique,
Le 8 février, vers 4h30, le navire entrait dans les eaux territoriales françaises en raison, selon le capitaineM. [A] [H] [P] [O], d'une panne d'un des moteurs. Une expertise du bateau était diligentée qui soulignait l'absence de navigabilité,
Le bâtiment était pris en charge par la gendarmerie maritime vers 7h30, et accostait à 11h45 avec 18 personnes à bord, 5 femmes, 3 enfants mineurs non isolés âgés de 3, 11 et 13 ans, et 10 hommes se déclarant originaires du Sri-Lanka, sauf 2 qui se disaient apatrides après un long séjour en Inde sans document d'identité,
Il était procédé à un contrôle médical par L'ARS et par un médecin du corps des pompiers, dans le même temps, les intéressés déposaient des demandes d'asile, la majorité déclarant qu'en cas de refus, elle ne souhaitait pas rester sur le territoire français mais reprendre le voyage vers l'Afrique du Sud, pour se rendre en Europe par la suite,
Les opérations d'enregistrement prenaient fin à 15h15, après notifications de leurs placements en zone d'attente, en présence d'interprètes en langue Tamoule et Cingalaise, serment prêté, ils étaient conduits dans la zone d'attente à l'aéroport de [2],
Une demande de prolongation en zone d'attente à été présentée le 11 février 2023, à 19h30, par le Commissaire de police, chef du service territorial de la police aux frontières de la Réunion, en fonction par interim, désigné pour représenter le Ministère de l'Intérieur,
Cette demande était motivée par deux raisons principales :
- après des entretiens avec l'OFPRA, les demandes d'entrées en France au titre de l'asile avaient été rejetées, des voies de recours devant le juge administratif étaient ouvertes pendant 48 heures, ces recours étaient suspensifs,
- dans l'hypothèse d'un refus d'admission par le tribunal administratif, il convenait de permettre aux services de l'état de mettre en place un réacheminement des personnes déboutées vers leur pays d'origine ou tous pays où elles seraient admissibles,
Au vu de la computation des délais, l'autorité compétente doit saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de maintien en zone d'attente avant l'expiration d'un délai de 4 jours à compter de la décision de placement, le décompte de la durée se fait en heure, soit 4 fois 24 heures,
Le juge doit statuer dans les 24 heures de sa saisine après auditions des intéressés,
Le maintien de la mesure a été sollicité pour une durée maximale de 8 jours,
Après l'audience du juge des libertés et de la détention en date du 12 février 2023 à 19h20 , les parties entendues, assistées d' interprètes et de conseil,
Le juge après avoir rejeté les nullités et exceptions soulevées par les conseils et écarté la demande de restitution du navire après réparation à la charge de l'Etat, a ordonné la prolongation du maintien en zone d'attente de tous les intéressés pour une durée maximale de 08 jours,
les personnes concernées ont été informées de leur possibilité de faire appel devant Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de Saint-Denis ou de son délégué,
toutes les personnes maintenues en zone d'attente ont fait appel le 13 février 2023 à 18h10.
Dans sa décision, le juge du premier degré a rappelé qu'aux termes de l'article L 342-9 du CESEDA une irrégularité portant sur des formalités substantielles ne peut conduire à la mainlevée de la mesure qu'en cas d'atteinte aux droits de l'étranger qui doit être par lui établie ainsi qu'un éventuel préjudice,
La procédure devant la Cour,
Les interprètes, les personnes maintenues en zone d'attente s'exprimant en tamoul ou en cingalais, ont prêté le serment prévu par la loi,
Le Président, en application des dispositions de l'article 406 du code de procédure pénale, issu de la loi du 14 mai 2014 sur la mise en conformité de la procédure pénale aux normes de la CEDH, a informé les requérants de leur droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de garder le silence.
Le président a fait un rapport des faits et de la procédure,
[A] [H] [P] [O] a été entendu et interrogé,
Son conseil, Maître Marius RAKOTONIRINA, entendu en sa plaidoirie,
Le représentant du ministère de l'intérieur en ses observations,
Monsieur l'Avocat Général entendu en ses observations,
Le conseil ayant eu la parole en dernier,
La décision a été mise en délibéré au 15 février 2023 à 13h30,
EN LA FORME
Sur l'appel de [A] [H] [P] [O]
Il a été fait dans les formes et les délais prévus par les textes, il sera déclaré recevable.
AU FOND
Sur la recevabilité de la requête aux fins de prolongation du maintien en zone d'attente :
Le premier juge a , par des motifs exacts et suffisants, déduit des circonstances de la cause les conséquences juridiques qui s'imposaient en déclarant la requête recevable au motif principal qu'aucune disposition légale n'impose à la juridiction de statuer dans le délai de 4 jours fixé par le règlement en vigueur,
L'article L 342-1 du CESEDA stipule que le maintien en zone d'attente au delà de 4 jours à compter de la décision de placement initiale, peut être autorisé par le juge pour une durée qui ne saurait être supérieure à 8 jours,
Le délai pour saisir le juge judiciaire commençant à courir dès le prononcé de la décision initiale de placement,
En l'espèce, la saisine du juge a été enregistrée au greffe le 11 février 2023 à 19h30, soit dans le délai de 4 jours prévu par les textes, l'ensemble des migrants ayant été placé en zone d'attente à partir de 13h10 minutes le 8 février 2023,
L'audience du juge des libertés et de la détention, le délibéré et la notification ont été diligentés dans le délai de 24 heures suivant la saisine, contrairement à ce qui est soutenu, l'ordonnance querellée n'est pas fondée sur des motifs contradictoires, les délais pour la saisine du juge et pour qu'il statue ont été respectés,
La décision de première instance sera par conséquent confirmée sur ce moyen,
Sur les moyens de nullité soutenus dans les intérêts de [A] [H] [P] [O]
Les moyens soutenus par le conseil de l'intéressé portent sur les conditions d'hébergement dans les locaux de la zone d'hébergement de [2],
Il est fait état d'un local fermé dépourvu de fenêtres ouvrant sur l'air libre, d'un défaut d'accès libre à la cour de promenade, d'une promiscuité en raison de 3 chambres à partager entre 18 personnes, et d'insalubrité en raison d'une fuite d'eau sanitaire dans une chambre mouillant les matelas au sol,
Il convient de souligner que le maintien en zone d'attente de l'intéressé, qui est démuni de papier d'identité est indispensable pour assurer la suite de la procédure et, dans l'hypothèse où la décision de l'OFPRA de refus serait confirmée par le tribunal administratif, afin de s'assurer de sa personne dans le cadre d'un retour dans son pays d'origine,
En l'espèce, rien dans les pièces de la procédure soumises à examen en appel ne permet de dire que les conditions d'hébergement des migrants seraient indignes, la position de la défense repose sur des simples affirmations qui sont généralement contredites par les procès-verbaux établis qui font foi jusqu'à preuve du contraire,
La zone d'attente de l'aéroport a été créée par arrêté en date de 2019, aucun recours, à ce jour, n'a été initié contre cette décision, le maintien en zone d'attente étant au demeurant de courte durée, il ne saurait être question de conditions d'hébergement indignes, l'administration étant tenue de fournir des prestations de type hôtelier, 3 repas constitués de plateau SERVAIR, un couchage et un accès à une salle de bain,
La zone d'attente de l'aéroport n'est pas située en sous-sol mais au rez-de-chaussée, les fenêtres sont effectivement opaques car elles donnent directement sur les pistes et ce afin de protéger l'intimité des personnes de nationalité étrangère,
La zone comprend un patio au dernier étage dans lequel les personnes retenues peuvent se rendre afin d'être à l'air libre, aucune pièce de la procédure ne fait état d'un refus de l'administration de se rendre dans cette partie de la zone, cet espace à l'air libre, comme le prévoit le règlement, est bien proposé par l'administration,
Il appartient aux personnes maintenues de demander à s'y rendre ce qui est possible en fonction des contraintes de service, au surplus les audiences ont toujours lieu dans cet espace à l'air libre,
Le problème de débordement d'eau a été pris en compte, rien ne permet de dire que la fuite, qui pourrait provenir d'un usage mal régulé de la salle de bain, placerait les personnes maintenues dans une situation d'hébergement indigne, les quelques matelas mouillés par l'eau ne sauraient constituer une telle situation, il convient de souligner que le problème ne concerne qu'un seul matelas,
La zone d'attente peut accueillir 20 personnes, il y a actuellement 15 adultes et 3 mineurs, les chambres ont été réparties par les migrants eux mêmes selon leurs affinités,
De manière surabondante, dans des écritures en défense, il est écrit : ' Ce ne sera qu'au regard du bon accueil des autorités françaises qu'accessoirement une demande d'asile aurait été formulée ',
Ces moyens et ces arguments seront par conséquent écartés,
Sur le défaut d'exercice effectif du droit d'accès au téléphone
Aucun texte n'impose à l'administration de fournir aux migrants l'argent nécessaire pour téléphoner à l'étranger, l'article 13 du règlement intérieur, notifié dans sa langue à le requérant, prévoit le recours à des tiers, principalement des associations, pour financer les appels téléphoniques, il n'existe pas de principe de gratuité pour les communications téléphoniques,
En l'espèce, les migrants ont bénéficié de deux téléphones portables puis d'une ligne fixe dans la zone d'attente avec un crédit de 80 euros, le numéro de ce poste est inscrit, les migrants peuvent par conséquent demander à leurs proches de les rappeler,
Comme relevé par le premier juge, si les personnes concernées ont déclaré devant le juge des libertés et de la détention qu'elles n'avaient pas compris qu'elles pouvaient utiliser le téléphone fixe, cela ne saurait caractériser un défaut d'information de la part de l'administration qui n'avait pas l'obligation de fournir une ligne fixe avec un crédit de 80 euros,
Au demeurant, ce moyen a été soulevé par la défense pour deux migrants qui se déclarent apatrides ce qui n'est pas actuellement démontré,
Sur la prolongation du séjour en zone d'attente
La prolongation du séjour en zone d'attente, qui doit être exceptionnelle, se justifie pleinement par les décisions de refus de l'OFPRA, par le délai d'instruction du dossier d'appel suspensif de [A] [H] [P] [O] devant le tribunal administratif dont le jugement n'est pas encore connu, et pour les éventuelles diligences à la charge de l'administration pour le rapatrier en l'absence de vols directs entre La Réunion et le Sri-Lanka,
La requérant ne possède aucun passeport qui aurait pu lui permettre d'être accueilli dans un autre pays que son pays d'origine, le retour par bateau, qui a été déclaré comme dangereux, n'est pas envisageable,
La décision du premier juge sera par conséquent confirmée,
Sur la demande de restitution du navire aux fins de procéder à sa réparation,
C'est à bon droit que le premier juge a rejeté de telles prétentions qui ne sont fondées sur aucun texte légal, qui ne sont pas de la compétence du juge des libertés et de la détention et ne saurait être de la compétence du Premier Président de la Cour d'Appel ou de son délégué statuant sur le maintien en zone d'attente de personnes de nationalités étrangères,
[A] [H] [P] [O] a déclaré à la Cour qu'il serait le propriétaire du bateau qui n'a jamais été saisi, et qui nécessite des réparations pour un coût très important, il n'est pas envisageable de laisser les migrants repartir à l'aide de ce bateau pour un voyage d'environ 1800 kilomètres pour l'Afrique, certains migrants ont parlé du Canada, avec un navire dont l'état de non-navigabilité a été constaté par un expert,
La décision du premier juge sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
Nous, Jacques ROUSSEAU, Conseiller, délégué de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de Saint Denis, statuant publiquement par ordonnance contradictoire,
DECLARONS l'appel de [A] [H] [P] [O] recevable mais mal fondé,
CONFIRMONS la décision de prolongation de maintien en zone d'attente de [A] [H] [P] [O] pour une durée maximale de 8 jours,
INFORMONS les parties que la présente décision est susceptible d'un pourvoi en cassation
LAISSONS les dépens de l'instance à la charge de l'Etat
Fait à Saint-Denis de La Réunion, le 15 Février 2023
LE GREFFIER LE CONSEILLER DELEGUE
Marina BOYER Signé Jacques ROUSSEAU
REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
Pour information :
L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat-greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation constitué par le demandeur. (Ci joint la note explicative des modalités de recours et la liste des avocats au Conseil d'état et à la Cour de Cassation )
Décision notifiée le 15 Février 2023 à :
- Monsieur le Préfet de la Réunion
- Monsieur le Commissaire de la Direction Départementale de la PAF
- Madame la procureure générale
- Greffe du JLD du TJ de Saint-Denis
Reçu notification des modalités de recours et de la liste des avocats au Conseil d'état et à la Cour de Cassation ainsi que la copie de la présente ordonnance le 15 Février 2023 à :
L'intéressé(e) assisté(e) de l'interprète, L'interprète, L'avocat ,