Arrêt N°
PF
R.G : N° RG 22/00490 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FVU5
[W] [Y]
C/
[N]
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 28 FEVRIER 2023
Chambre civile TGI
Appel d'une ordonnance rendue par le JUGE DE L'EXECUTION DE SAINT-DENIS en date du 07 AVRIL 2022 suivant déclaration d'appel en date du 20 AVRIL 2022 rg n°: 21/03215
APPELANTE :
Madame [K] [W] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Sophie MARGAIL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
Madame [R] [I] [C] [N] exerçant à l'enseigne « DE FIL EN AIGUILLES »
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Sylvie MOUTOUCOMORAPOULE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Clôture: 20 septembre 2022
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Novembre 2022 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS , Conseiller
Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 28 Février 2023.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 28 Février 2023.
Greffier : Mme Véronique FONTAINE, Greffier.
LA COUR
Par acte d'huissier du 26 novembre 2021, Mme [N] a fait assigner Mme [W] [Y] devant le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Saint Denis aux fins de mainlevée de l'inscription de nantissement provisoire prise par celle-ci le 21 octobre 2021 et dénoncée le 26 octobre 2021, sur son fonds artisanal de soins de beauté sis [Adresse 2], [Localité 4], pour sureté du paiement de la somme de 21.542.84 euros à raison du solde de la vente du fonds artisanal cédé par acte notarié du 27 décembre 2018.
Par jugement du 7 avril 2022, notifié le 11 avril, le juge de l'exécution a:
- Ordonné la mainlevée de la mesure d'inscription provisoire de nantissement sur fonds artisanal dénoncée à Mme [N] le 26 octobre 2021 et portant sur la somme de 21.542,84 € ;
- Condamné Mme [W] [Y] à payer à Mme [N] les sommes de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts et 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Mme [W] [Y] aux dépens.
Par déclaration au greffe de la cour du 20 avril 2022, Mme [W] [Y] a formé appel du jugement.
Elle demande à la cour de:
- Infirmer le jugement
Et statuant de nouveau,
- Dire et juger qu'elle seule possède une créance certaine à ce jour,
- Constater qu'elle dispose d'un titre exécutoire,
- Dire et juger qu'elle a, en vertu de l'article L.111-7 du code des procédures civiles d'exécution, le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance;
- Dire et juger que Mme [N] ne prouve en rien en quoi l'inscription de nantissement judiciaire qu'elle effectuée excède ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.
- Dire et juger, qu'en tout état de cause, au vu de la vente publiée sur "Le bon coin », des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance existent,
En conséquence,
- Débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes,
- Condamner Mme [N] à lui verser une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la même aux entiers dépens.
Mme [N] sollicite de la cour de:
- juger Mme [W] [Y] irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel.
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
- débouter Mme [W] [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- condamner Mme [W] [Y] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la même aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu les dernières conclusions de Mme [W] [Y] déposées en date du 20 mai 2022 et celles de Mme [N] du 16 juin 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties;
Vu la clôture des débats ordonnée le 20 septembre 2022;
Sur la demande de mainlevée de l'inscription de nantissement.
Mme [N] soutient que, par application de l'article L.511-1 du code de procédure civiles d'exécution, la mesure conservatoire provisoire ne peut être prise qu'au titre d'une créance paraissant fondée en son principe et en cas de circonstances susceptibles de menacer son recouvrement.
Elle affirme qu'en l'espèce, les circonstances menaçant le recouvrement ne sont pas établies dès lors qu'elle n'a pas l'intention de se séparer du fonds de commerce acquis. Elle ajoute que Mme [W] [Y] ne l'a pas mise en demeure de payer le solde du prix de la vente du fond et que, si elle a suspendu le paiement des échéances consenties pour l'acquisition du fonds, c'est à raison de la méconnaissance par Mme [W] [Y] de l'obligation de non concurrence stipulée à l'acte de vente.
Mme [W] [Y] objecte qu'elle a le libre choix des mesures d'exécution mises en 'uvre pour la bonne exécution du titre notarié de vente et qu'il appartient à Mme [N] de justifier que le nantissement excède ce qui se révèle nécessaire au paiement de l'obligation.
Sur ce,
Vu les articles 2355 et suivants du code civil;
Vu l'article L. 142-3 du code de commerce;
Vu les articles L. 111-7, L. 511-1, L. 511-2, L. 512-2, R. 512-2 et R.532-2 du code des procédures civiles d'exécution;
A titre liminaire, la cour relève que si Mme [W] [Y] fait valoir qu'elle a le libre choix des mesures d'exécution qu'elle peut mettre en 'uvre pour le recouvrement de sa créance, sauf pour Mme [N] d'en démontrer le caractère disproportionné, l'inscription de nantissement critiquée n'est pas une mesure exécution mais une mesure conservatoire provisoire, encadrée par les articles L. 511-1 et L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, de sorte que le moyen est sans portée.
En outre, les dispositions de l'article L. 511-2 permettent au créancier qui se prévaut d'un titre exécutoire de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable et sans autorisation préalable du juge, mais sans qu'il ne soit dispensé de justifier de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement telles que prescrit par l'article L. 511-1 et soumis au contrôle du juge en application de l'article L. 512-2.
En l'espèce, Mme [W] [Y] a fait inscrire le nantissement sur le fonds de commerce de Mme [N] en vertu du titre exécutoire notarié de vente prévoyant les modalités d'échelonnement du prix de vente du fonds.
Il est constant que Mme [N] ne verse plus le montant des échéances depuis juillet 2019.
Mme [W] [Y] verse aux débats une signification d'huissier à Mme [N] du 7 août 2020 l'avisant de ce qu'en l'absence de reprise des paiements, elle engagerait des poursuites. Cette signification est restée sans effet.
Par ailleurs, elle se prévaut d'une annonce visible au 24 septembre 2021 sur le site d'annonces en ligne "Le Bon Coin « pour la vente d'un droit au bail pour la somme de 45.000 euros "Revends droit au bail d'un local de 100 m2, actuellement institut de beauté. Il dispose de 4 cabines; 1 réserve, un grand espace d'accueil, 2 accès extérieurs, grandes vitrines, verrière, parking extérieur et plein d'autres avantages. [...] Situé au [Adresse 2] à [Localité 4] [...]Prix négociable dans la limite du raisonnable." (Pièce 5).
Mme [N] ne conteste pas que l'annonce correspond au droit au bail du fonds artisanal vendu mais se défend de vouloir s'en séparer et allègue que Mme [W] [Y] ait pu elle-même placer l'annonce pour les besoins de la procédure d'appel.
Cette dernière hypothèse parait peu probable dès lors que l'annonce comprend des photographies de l'intérieur des locaux exploités par Mme [N] à la date de la diffusion de l'annonce.
Mme [W] [Y] est en outre fondée à soutenir que la vente du droit au bail, lequel fait partie des éléments incorporels du fonds soumis au privilège du vendeur, serait de nature à compromettre le recouvrement de sa créance.
Enfin, il résulte des écritures même de l'intimée que Mme [N] n'est pas parvenue à atteindre les chiffres d'affaires d'avant la vente du fonds.
Aussi, nonobstant l'existence d'un litige distinct entre les parties sur la mise en 'uvre de l'exécution d'inexécution de l'obligation de paiement par Mme [N] et d'une potentielle créance réciproque, les circonstances sus décrites justifient une menace sur le recouvrement de la créance du paiement du prix de la vente.
Les conditions d'inscription de nantissement sont dès lors réunies et le jugement entrepris sera infirmé quant à la demande de mainlevée et la demande indemnitaire subséquente.
Sur les frais irrepétibles et les dépens.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile;
Mme [N], qui succombe, supportera les dépens.
L'équité commande en outre de rejeter les demandes formées au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
- Infirme le jugement entrepris;
Statuant à nouveau,
- Déboute Mme [N] de sa demande de mainlevée de l'inscription de nantissement, dénoncée le 26 octobre 2021, prise par Mme [W] [Y] sur le fonds artisanal de soins de beauté sis [Adresse 2], [Localité 4], pour sureté du paiement de la somme de 21.542.84 euros à raison du solde de la vente du fonds artisanal cédé par acte notarié du 27 décembre 2018;
- Déboute Mme [N] de sa demande indemnitaire subséquente;
- Dit n'y avoir lieu à l'octroi de frais irrépétibles;
- Condamne Mme [N] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT